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Afin de comprendre vos préférences temporelles, nous vous demandons dans cette expérience de dire pour chaque alternative quelle option vous préférez

V. Application du modèle d'escompte séquentiel à l'épargne pour la retraite

V.3. Anomalies microéconomiques

V.3.1. Inégalités de richesse

La théorie du cycle de vie ne permet pas de rendre compte des inégalités dans la répartition du patrimoine. La dispersion du patrimoine est en effet beaucoup plus importante que celle des revenus. Cette dispersion va de pair avec une forte concentration: par exemple en France, les 10% qui perçoivent les revenus les plus élevés se partagent moins de 30% de la masse totale des revenus tandis que les 10% les plus fortunés se partagent plus de 50% du patrimoine global. Or l'accumulation patrimoniale des grandes fortunes ne peut renvoyer qu'à des motifs étrangers au cycles de vie: il s'agit typiquement de ce que Kessler et Masson (1990) et Arrondel et Masson (2003) appellent « l'épargne pour autrui » qui met en jeu les relations sociales avec les autres (la volonté de léguer, la recherche du prestige social…) ou éventuellement de « l’épargne en soi ». Même si ces formes d'accumulation sont relativement secondaire pour la grande majorité de la population, les sommes en jeu (le centile le plus fortuné détient 25% du patrimoine total) conduisent à douter de la généralité de l'hypothèse du cycle de vie. Celle-ci prédit en effet des différences de patrimoine fortes entre classes d'âge, mais faibles à l'intérieur d'une même classe d'âge, puisque le profil d'accumulation patrimoniale suit une courbe "en bosse" en fonction de l'âge. Or, la répartition des patrimoines est exactement opposée: les écarts entre classes d'âge restent limités et l'âge n'explique que 10% des inégalités (Lollivier et Verger, 1996). Les déterminants habituels du cycle de vie (revenu, niveau social et âge) laissent inexpliquées plus de 50% des inégalités de richesse. Ces résultats tiennent pour différents pays. Par exemple, Alessie, Lusardi et Aldershof (1997)

renseignent que l'hétérogénéité des patrimoines des ménages hollandais augmente avec l'âge jusqu'à un pic entre 50 et 60 où alors le premier quartile équivaut alors à environ 1/16 du troisième quartile. Sur données américaines, Diaz-Gimenez et al. (1997) et Budria et al. (2002) obtiennent que la richesse est nettement plus concentrée que les revenus avec respectivement en 1992 des indices de Gini (lequel mesure la dispersion) de 0.63, 0.57 et 0.78 pour les revenus du travail, les revenus globaux (incluant les transferts) et la richesse et respectivement de 0.61, 0.55 et 0.80 en 1995. Il existe également d'importantes inégalités de richesse à l'intérieur des classes d'âge et des groupes sociaux américains. Venti et Wise (1988) et Bernheim et al. (2001) montrent que la richesse est très dispersée au moment de la retraite, y compris entre des individus aux revenus similaires sur l'ensemble de leur vie, et que la dispersion ne peut s'expliquer seulement par le statut familial, les dépenses de santé, l'héritage ou les choix de portefeuille. Les comparaisons internationales, notamment entre pays de l'OCDE (Wolff, 1996; Davies et Shorrocks, 2000) montrent que le phénomène est généralisé avec des indices de Gini pour la richesse compris partout entre 0,5 et 0,8 et une concentration de 25% à 50% de la richesse totale dans les mains des 5% des ménages les plus fortunés. Les Etats-Unis paraissent être le pays où la concentration de la richesse est la plus forte tandis que les niveaux les plus bas sont observés en Australie, Italie, Japon et Suède. Le Canada, la France et le Royaume-Uni occupent une position intermédiaire.

Enfin, Huggett (1996) a calibré un modèle de cycle de vie intégrant des chocs sur les revenus du travail et une durée de vie incertaine afin qu'il épouse certaines caractéristiques-clé de l'économie américaine tel que le profil de revenus des hommes en fonction de leur âge. Le modèle obtient un indice de Gini pour les Etats-Unis de 0,47 soit très inférieur à celui observé sur la période (0,78) ainsi qu'une concentration du patrimoine dans les mains des ménages les plus fortunés très éloignée de la réalité (2,4% contre 30% du patrimoine pour le premier centile). En ajoutant des contraintes de liquidité et surtout de l'incertitude sur le niveau des revenus, l'indice de Gini parvient au niveau observé dans les données mais avec une répartition qui surestime le nombre de ménages affichant une richesse négative et qui sous- estime la part du patrimoine des ménages les plus riches.

V.3.2. Consommation, épargne et patrimoine des retraités

Le modèle standard du cycle de vie implique que les agents lissent la consommation de manière à éviter les changements soudains mais prévisibles de leurs revenus. Pourtant, une variété d'études a obtenu que la consommation décline sensiblement au moment du passage à

la retraite, lorsque les agents font face à un déclin très marqué de leur revenu disponible (par exemple Hammermesh, 1984; Banks et al., 1998; Bernheim et al. 2001). La chute de la consommation est fortement et négativement corrélée avec le montant du patrimoine accumulé; ceux qui ont accumulé le moins accusent la chute la plus nette (Bernheim et al., 2001).

Un autre élément empirique contraire aux prédictions du modèle de cycle de vie est l'absence apparente de désépargne chez les personnes âgées. Dans un essai introductif à une série d'études nationales sur les comportements d'épargne, Poterba (1994) soutient que dans virtuellement tous les pays le taux médian d'épargne reste positif lors de la retraite. Poterba rapporte à titre d'exemple que le taux médian d'épargne pour la classe d'âge 70-74 ans est de 1,1% aux Etats-Unis, 6% au Canada et est encore plus élevé au Japon et en Italie (pour les personnes ayant plus de 65 ans). Ces résultats confirment ceux obtenus par des études antérieures en coupes instantanées. Thurow (1976) rapportait par exemple des taux d'épargne positifs pour toutes les classes d'âge tandis que Dantziger et al. (1982) obtenaient qu'à revenu égal les personnes âgées consommaient moins que les plus jeunes. Mirer (1979) et Kurz (1984) observent pour leur part que la richesse continue d'augmenter pour les classes d'âge les plus hautes. En France, les résultats de l'enquête de patrimoine de 2004 conduite par l'INSEE montrent que, si le patrimoine croit entre les classes d'âge jusqu'à 55 ans, sa décroissance au- delà de 65 ans est beaucoup moins marquée que ne le prédit la théorie du cycle de vie.

Tableau 19: Patrimoine médian des français selon l'âge (2004)

Age <30 30-40 40-50 50-60 60-70 >70 Patrimoine brut (k€) 4,7 70,2 123,4 154,6 139,5 92,1

Source: Les revenus et le patrimoine des ménages, édition 2006, INSEE.

Néanmoins les résultats de telles études ne suffisent pas pour invalider l'hypothèse du cycle de vie. En effet, par définition, elles confondent "l'effet d'âge" qui est pertinent dans le modèle de cycle de vie avec un "effet de génération" qu'il faut évacuer. Les études qui différencient ces deux effets font apparaître un patrimoine qui croit constamment avec l'âge, en contradiction avec la prédiction du modèle (Klevmarken, 2001).

En fait, les résultats des études en coupes instantanées méritent d'autant plus d'intérêt qu'ils sont appuyés par ceux d'études longitudinales qui suivent dans le temps une ou plusieurs cohortes d'individus. La plupart de celles-ci montrent en effet que le patrimoine

reste croissant jusqu'au décès (Menchik et David, 1983; David et Menchik, 1985; Hayashi, 1986) ou commence à diminuer seulement après 70 ans (Shorrock, 1975). Bernheim (1986) qui considère les changements de patrimoine sur deux périodes 1969-1975 et 1975-1979 pour deux échantillons de personnes âgées –les retraités et les non-retraités- et qui distingue les célibataires des personnes en couple obtient que pour trois des quatre sous-échantillons (seuls les retraités célibataires font exception) le patrimoine continue en moyenne d'être accumulé ou diminue seulement très légèrement avec la vieillesse.

L'épargne des retraités pourrait toutefois être due au risque d'une vie plus longue que prévue (Davies, 1989) ou au risque accru d'importantes dépenses médicales (Palumbo, 1999). Les simulations de Palumbo suggèrent que même la combinaison de ces risques ne peut expliquer la trop lente désépargne observée dans les données.

Les résultats des études sur coupes instantanées comme des études longitudinales semblent donc invalider l'hypothèse du cycle de vie, même améliorée. Les raffinements du modèle standard, intégrant l'incertitude, l'épargne de précaution et les legs accidentels peuvent repousser l'âge à partir duquel le patrimoine commence à diminuer mais ils n'affectent pas la principale conclusion du modèle, à savoir que le patrimoine diminue au-delà d'un certain âge avec un taux d'épargne qui devient alors significativement négatif.

L'introduction d'un motif de légation pour l'accumulation patrimoniale (contraire à l'esprit du modèle de cycle de vie) ne semble pas davantage être une explication plausible à l'absence de désépargne dans les dernières années de la vie. Hurd (1987) rapporte que les personnes âgées ayant des enfants épargnent en fait moins que leurs comparables sans enfants. Venti et Wise (1989) qui ont observé les choix des retraités entre 1969 et 1979 relatent que les retraités qui vendent leur maison pour en acheter une autre n'amputent pas significativement leur patrimoine immobilier et qu'il n'y a pas de différence significative de comportement entre les familles avec et sans enfants.

V.3.3. Erreurs auto-rapportées

Différentes études documentent des écarts importants entre les comportement auto- rapportés par les individus et leurs plans ou préférences également auto-rapportés. Une large proportion des agents interrogés dans les études rapportent épargner trop peu – par rapport à leurs plans ou au niveau qu'ils considèrent comme approprié- pour leur retraite (Bernheim, 1995; Farkas et Johnson, 1997; Choi et al., 2004). Les agents qui déclarent épargner trop sont,

au contraire, très rares. Parmi les individus qui expriment l'intention d'épargner davantage dans le futur, peu concrétisent leurs souhaits (Choi et al., 2004).

L'étude de Choi et al. se base sur les réponses à un questionnaire sur les comportements d'épargne envoyé aux employés d'une entreprise agro-alimentaire américaine. Parmi les multiples questions posées, une porte sur le montant que les salariés devraient idéalement épargner pour leur retraite. La réponse moyenne ressort à 13,9% du revenu. Une autre question porte sur l'évaluation que font les salariés du niveau de leur épargne effective. 67,7% des répondants rapportent que leur taux d'épargne est "trop faible", 30,8% qu'il est "à peu près juste" et seulement 0,5% qu'il est "trop élevé". Les auteurs montrent qu'il y a une corrélation étroite entre ces réponses et les niveaux observés de cotisations au plan 401(k) de l'entreprise: ceux qui ont répondu que leur taux d'épargne est trop faible placent en moyenne 5,8% de leurs revenus dans le plan contre 9% pour ceux qui ont répondu que leur taux d'épargne était adéquat. Enfin, il s'avère qu'une proportion (minoritaire) des salariés envisage de revoir, à la hausse, leur taux d'épargne (35% de ceux qui évaluent comme trop faible leur épargne et 11% de ceux qui la considèrent adéquate). Plus de la moitié de ceux-ci envisagent d'augmenter leur contribution au plan dans un délai de deux mois. Or, quatre mois après le retour des questionnaires, seuls 14% des membres de ce sous-groupe avaient effectivement relevé leur contribution conformément à leur plan.