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II. Un nouveau cadre: l'escompte (quasi-) hyperbolique

II.8. Alternatives proposées

II.8.3. L'escompte subadditif

Dans une tout autre voie de recherche, Daniel Read (2001) a fait l’hypothèse que l’escompte total pratiqué par les individus était, comme dans le modèle DU, seulement déterminé par l’intervalle entre les options de choix, mais qu’il augmentait moins que proportionnellement avec cet intervalle (le taux d’escompte moyen diminue). Si effectivement le taux d’escompte utilisé pour choisir entre deux options est décroissant avec l'intervalle temporel entre les options, alors l’escompte total sur une période est d’autant plus grand que l’intervalle de choix est finement divisé: c'est ce phénomène que Read nomme subadditivité.

Le modèle d’escompte subadditif aboutit à des conclusions différentes de celles du modèle d’escompte hyperbolique. S’ils prédisent tous les deux un taux d’escompte plus faible pour les intervalles longs que pour les intervalles courts, l’escompte hyperbolique ignore la subadditivité et implique un effet délai (l’escompte diminue quand un choix est retardé) que l’escompte subadditif récuse.

Read a conçu une expérience en laboratoire utilisant une procédure de choix informatisée afin de départager l’escompte subadditif et l’escompte hyperbolique. La procédure a permis de faire ressortir les taux d’escompte implicites des sujets à la fois sur une période prise intégralement et sur trois sous-périodes de durée égale. Les résultats obtenus plaident en faveur de l’escompte subadditif puisque l’escompte pour la période indivisée est ressorti inférieur à l’escompte cumulé des trois sous-périodes (subadditivité) et que la décroissance du taux d’escompte sur les trois sous-périodes n’a pas été constatée.

La fonction d’escompte qui rend compte au mieux de ces observations, définie à partir

du coefficient d’escompte, s’écrit ' ( ') 1 1 ( ')

t t s

f f t t

k t t

→ = − = + avec 0< ≤s 1 où s est un

paramètre qui reflète la perception non-linéaire du temps. Un tel paramètre avait déjà été suggéré par Green et al. (1994) et Myerson et Green (1995) pour tenir compte du fait que les fonctions d'escompte observées décroissent moins vite que ce que prédisent les fonctions hyperboliques. Read fait noter par ailleurs que la simple introduction du paramètre s dans le

modèle DU ( ( ') ' 1 1 s t t t t f ρ − → ⎛ ⎞ = ⎜ +

⎝ ⎠ ) suffit pour rendre compte de la subadditivité de

l’escompte. Dans une autre étude, Read et Roelofsma (2003) montrent que la subadditivité de l'escompte tient autant pour les procédures de choix que pour les procédures de correspondance (matching).

Les auteurs relient la subadditivité de l'escompte temporel à deux explications fournies jusque-là pour rendre compte du phénomène de subadditivité observé dans les procédures d'évaluation d'options non temporelles et dans les jugements probabilistiques. La première est basée sur des processus cognitifs tels que l'attention et la mémoire. Précisément, la théorie du support de Tversky et Koehler (1994) suggère que les éléments d'un choix se voient attribués un poids dans la décision proportionnel à l'attention qu'ils reçoivent. Quand un objet ou un évènement est subdivisé, chaque partie se voit consacrer davantage d'attention que lorsqu'elle n'est qu'une partie d'un tout plus large. Pour les jugements probabilistiques, Tversky et Koehler proposent d'une part qu'une attention explicite accordée à un sous-évènement peut rappeler aux individus des possibilités qu'ils n'auraient pas considérées autrement et d'autre part (ce qui est plus pertinent dans le cas des choix intertemporels) que la mention explicite d'une récompense réhausse sa saillance et accroît le poids qui lui est accordé. Ainsi, le désagrément occasionné par une attente de deux jours, par exemple, pourrait être renforcé si les deux jours sont considérés séparément plutôt qu'ensemble.

La seconde explication fait référence à une erreur chronique lorsque les individus doivent émettre un jugement quantitatif ou une évaluation: l'effet de régression vers la moyenne (voir Poulton 1989, Mulford et Dawes 1990). Les estimations à l'intérieur d'un intervalle seraient biaisées en direction de la moyenne de cet intervalle, ce qui conduit à une surestimation des petites quantités et à une sous-estimation des grandes. Ainsi, quand un individu doit évaluer quel montant Vt payé en t le rend équivalent au montant Vt' payé en t'>t,

son estimation, comprise (sauf exception) entre 0 et Vt', est biaisée en direction de 0 ' 2

t V +

.

Pour des intervalles (t,t') courts (impliquant 0 '

2 t t

V

V > + ), l'estimation de Vt sera donc biaisée à la baisse et le taux d'escompte observé biaisé à la hausse. Et inversement, pour les intervalles

(t,t') longs qui impliquent 0 '

2 t t

V

V < + , Vt sera surévalué par l'individu et son taux d'escompte sous-évalué.

D'autres études expérimentales confirment la difficulté à procéder à des évaluations numériques correctes et mettent en avant des erreurs qui peuvent, au moins en partie, expliquer l'apparente décroissance de l'escompte avec le temps. Par exemple, Benzion, Shachmurove et Yagil (2004) montrent l'incapacité des individus à évaluer sur le long terme les intérêts composés d'un investissement. Pour le long terme (de 2 à 20 ans), la fonction d'évaluation utilisée serait plus proche d'une fonction linéaire ajustée d'une "prime de

composition" ou d'une fonction quadratique que de la fonction exponentielle requise par la tâche. Ce faisant, les individus sous-évaluent considérablement les montants futurs, d'autant plus que le taux d'intérêt et/ou l'intervalle de temps est important. Enfin, Coller et Williams (1999) ainsi que Read, Airoldi et Loewe (2005) mettent en avant une illusion nominale. Dans ces études expérimentales, ils montrent que lorsqu'on présente aux sujets le taux d'escompte en rapport avec les montants à choisir, les taux implicites utilisés pour le court terme (2 mois, Coller et Williams) et le moyen terme (7 à 19 mois, Read et al.) sont très significativement inférieurs à ceux utilisés avec les seuls montants, suggérant que les sujets pour ces intervalles de temps plus courts offrent des évaluations subjectives involontairement biaisées à la hausse.