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L'approche néoclassique des décisions d'épargne: l'hypothèse du cycle de vie

Afin de comprendre vos préférences temporelles, nous vous demandons dans cette expérience de dire pour chaque alternative quelle option vous préférez

V. Application du modèle d'escompte séquentiel à l'épargne pour la retraite

V.2. L'approche néoclassique des décisions d'épargne: l'hypothèse du cycle de vie

Deux modèles macroéconomiques publiés dans les années 1950 ont permis de repenser la relation entre consommation, épargne et revenu en faisant reposer la fonction de consommation sur des bases microéconomiques provenant de la théorie des choix intertemporels initiée par Samuelson (1937). Le postulat préalable propre aux modèles de revenu permanent et de cycle de vie veut que les décisions de consommation et d’épargne soient relativement séparables des arbitrages familiaux ou professionnels, voire, dans une moindre mesure, des décisions d’offre de travail ou d’investissement en capital humain. Dans cette optique, la tradition, depuis Böhm-Bawerk et Fisher, fait l’hypothèse simplificatrice supplémentaire d’un bien unique consommé au cours du temps, si bien que les objets de choix peuvent être limités aux volumes agrégés de consommation – en termes réels – à chaque période. La structure des dépenses de consommation n’intervient pas directement dans la fonction d’utilité. La théorie standard suppose, en outre, qu’il en va de même pour le montant ou la composition de la richesse – les actifs patrimoniaux ne sont pas source directe, présente, de satisfaction. Les choix intertemporels de l’agent se confondent alors avec son comportement d’épargne: ils se limitent à l’allocation des ressources, sur l’horizon considéré, entre les « biens » que représentent les consommations globales aux différentes périodes.

La théorie du cycle de vie, initialement formulée par Modigliani-Brumberg (1954) et Ando-Modigliani (1963), se situe, comme la théorie du revenu permanent, dans la tradition néoclassique de l'affectation intertemporelle des revenus. Elle rompt ainsi avec la vision keynésienne d'une épargne résidu de la consommation et dont le niveau serait fixé par l'application par les ménages d'un règle simple (allouer à l'épargne une proportion constante du revenu courant). La théorie du cycle de vie se réfère à la rationalité du consommateur- épargnant, qui adopte un comportement prospectif d'optimisation. Dans sa formulation la plus simple, la théorie du cycle de vie ne prend pas en compte l'incertitude ni les imperfections des marchés financiers. Contrairement à la théorie du revenu permanent, les agents sont supposés connaître parfaitement leur durée de vie, laquelle est finie (pas d'ambition dynastique). Comme dans la théorie du revenu permanent, les flux d'épargne et d'endettement servent à obtenir un profil de consommation stable à partir d'un revenu fluctuant. Concrètement, l'épargne permet de lisser la consommation dans le temps en reportant une partie de la consommation vers les périodes où les revenus sont plus faibles: la jeunesse et la retraite. Le

profil typique du cycle de vie fait ainsi apparaître trois phases appelées "jeunesse", "activité" et "retraite". Le comportement d'épargne est fortement relié à l'âge de l'agent: l'épargne est réalisée durant la phase d'activité et transmise pour les périodes de jeunesse et de retraite, ce qui suppose l'absence de contraintes financières pour les jeunes. Au total, l'accumulation patrimoniale répond surtout au besoin d'épargne pour les vieux jours, et la richesse suit une évolution en bosse, phénomène connu sous le nom de hump saving depuis Harrod (1948). A la grande différence du modèle de revenu permanent, le modèle de cycle de vie passe de l'analyse microéconomique à l'analyse macroéconomique sans faire l'hypothèse d'un agent représentatif. Ce modèle réconcilie l'existence d'agents ayant une durée de vie finie et une économie éternelle en assumant la coexistence de plusieurs générations (jeunes, actifs et retraités) via un "modèle de générations imbriquées" (Allais, 1947; Samuelson, 1958).

Plus précisément, le comportement d’épargne d’un agent censé vivre T années se voit attribuer cinq propriétés distinctives qui vont permettre de déterminer la forme de la fonction d’utilité intertemporelle U . Ce dernier est supposé : i

- (i) autonome, dans la mesure où il ne dépend que des caractéristiques propres de l’agent, et non des préférences ou des choix d’autrui – y compris de ses enfants;

- (ii) établi en référence à un horizon décisionnel dont le terme se confond avec celui de l’existence de l’agent, soit T, mais ne va pas au-delà;

- (iii) purement prospectif, c’est-à-dire fonction des seules données présentes et anticipées, non de l’histoire ou des habitudes de l’agent;

- (iv) temporellement cohérent, c’est-à-dire correspondant à un système de préférences stable : si tout se passe comme prévu, la consommation planifiée au départ par l’agent pour la période t, soit E C , sera bien celle qu’il réalisera à cette date, soit 1( )t E C1( )t =Ct;

- (v) conduire, dans les cas simples, à une relation de proportionnalité entre consommation et ressources globales, ce qui requiert en fait des préférences homothétiques.

Ces cinq conditions font que l'agent est supposé maximiser une fonction d'utilité intertemporelle U telle que:

1 1 1 1

1

( ,

,...,

)

1

( )

1

j T j t t T j t

C

U U C C

C

j

γ γ

δ

− + =

⎞ ⎜

=

=

⎟ ⎜

+

⎠ ⎝

où:

- δ( )j est le taux d'escompte subjectif de l'agent pour la jème période, lequel peut varier avec l'âge de l'agent mais, pour assurer la cohérence dynamique des choix, ne dépend pas de la distance au présent;

- γ est l'élasticité de substitution intertemporelle, laquelle est supposée constante.

La solution du programme de consommation, quand le taux d'escompte est constant avec l'âge (∀j, ( )δ j = ) est alors δ Ct =k Wt t avec:

- 11 1 1

1 (

)

r r t T t r

k

α+α + − + +

=

; - 1 1 1 r γ α δ + ⎛ ⎞ = − +

⎝ ⎠ , α est le taux de croissance de la consommation d'une période à

l'autre; - (1 )t 0

t

W = +r W .

Le taux de croissance de la consommation d'une période à l'autre α est relié négativement au taux d'escompte subjectif δ . Quand ce taux d'escompte dépasse le taux d'intérêt, la consommation décroît avec l'âge de l'agent. Il est souvent supposé que c’est le cas pendant la période de retraite (voir figure 8).

Figure 8: Cycle de vie

L'hypothèse du cycle de vie a connu depuis les années 1960 plusieurs développements théoriques. Hubbard et Judd (1986) et Deaton (1991) ont incorporé au modèle des contraintes de liquidité, lesquels affectent essentiellement les ménages jeunes cherchant à s'endetter sur la foi de leurs revenus futurs. En cas de contrainte de liquidité, le ménage n'est plus à même de "lisser" sa consommation. Celle-ci subira des sauts importants et son élasticité au revenu augmentera, se rapprochant de la formulation keynésienne. La contrainte de liquidité remet alors en cause l'un des fondements essentiels de l'hypothèse du cycle de vie: l'indépendance entre l'échéancier de la consommation et celui du revenu. Elle affecte l'ensemble de la consommation au long du cycle de vie, et pas seulement sur les seules années où elle s'exerce. Skinner (1985), Hurd (1989) et Kuhlwein (1993) ont introduit dans l'analyse l'incertitude sur la durée de vie. D'autres auteurs (Leland, 1968; Sibley, 1975; Schechtmann, 1976; Zeldes,

1989) ont traité de l'incertitude affectant les revenus futurs. Ces travaux qui stigmatisent l'importance de l'épargne de précaution pour des épargnants hostiles au risque trouvent un aboutissement avec le modèle d'épargne buffer stock de Carroll (1997). Dans ce modèle, les épargnants sont considérés comme étant à la fois impatients (avec un taux d'escompte supérieur au taux d'intérêt) et prudents (désireux de pouvoir répondre aux chocs de revenu par l'utilisation d'une épargne de précaution). Ces épargnants visent alors continuellement une richesse minimale exprimée comme un multiple du revenu permanent. Si leur richesse est en dessous de cette cible, alors l'épargne de précaution prime sur l'impatience et le ménage épargne. A l'inverse, si la richesse est au-dessus de la cible, le ménage désépargne.

L'épargne pour la retraite et l'épargne de précaution relèvent toutes les deux de l'esprit de l'hypothèse de cycle de vie: le lissage de la consommation sur l'horizon décisionnel du ménage (quelques années, l'ensemble de la période d'activité ou l'ensemble du cycle de vie). Dans la typologie proposée par Arrondel et Masson (2003), ces motifs traduisent une épargne "pour soi". D'autres motifs d'épargne, hors du cycle de vie, peuvent également être invoqués. Ils répondent aux autres besoins du ménage, liés à l'épargne "pour autrui" (transmission dynastique, recherche de distinction ou de prestige, volonté de pouvoir ou de contrôle économique), ou à l'épargne "en soi" (accumulation pour elle-même, avarice, "actifs-passion", goût du risque, entreprenariat, spéculation). Ces motifs d'accumulation se réfèrent à un horizon plus long que l'existence du ménage: horizon dynastique, quête d'immortalité ou d'éternité. A l'opposé des théoriciens du cycle de vie, Kotlikoff et Summers (1981) considèrent que les transferts intergénérationnels constituent l'explication la plus importante de l'épargne et le déterminant essentiel de l'accumulation de richesse aux Etats-Unis. Kotlikoff (1988) estime ainsi la part héritée du patrimoine total américain à 80% contre seulement 20% pour Modigliani. La différence entre les deux estimations tient largement dans les indicateurs retenus pour évaluer les legs. Tandis que Modigliani se réfère à la définition traditionnelle (le montant des transmissions déclarées), Kotlikoff comptabilise tous les transferts reçus après 18 ans (et donc les dépenses d'éducation) et les intérêts engrangés sur le patrimoine reçu en héritage.

Cette querelle empirique soulève des enjeux théoriques fondamentaux puisqu'il s'agit de confirmer l'hypothèse centrale au cycle de vie: la prédominance du motif de retraite pour l'accumulation patrimoniale. Carroll (2000), étudiant le comportement d'épargne des "riches", renvoie dos à dos ces deux visions de l'accumulation patrimoniale en observant que l'importance des montants épargnés n'est justifiée ni par le besoin de financer la consommation future ni par le motif de transmission. Carroll pense que, pour cette frange de

la population, la richesse non dépensée rend des services de statut social et, à ce titre, l'accumulation de richesse est une fin "en soi", point de vue que Carroll rapproche de l'"éthique du capitalisme". Kopczuk et Lupton (2005) obtiennent qu'environ trois quarts de la population des seniors affichent un motif de légation et que cette sous-population consomme en moyenne 25% de moins que les ménages qui n'ont pas l'ambition de léguer un patrimoine. Au total, 80% de la richesse des seniors serait finalement léguée, mais seulement la moitié suivrait un motif de légation. Ces résultats sont en ligne avec ceux d'études qui suggèrent que le désir de mourir avec un patrimoine net positif serait largement le fait de raisons indépendantes de l'altruisme (Kuehlwein, 1993; Wilhelm, 1996).