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II. Un nouveau cadre: l'escompte (quasi-) hyperbolique

II.2. Soutien empirique

II.4.3. La "matching law"

Si la modélisation quasi-hyperbolique s'accorde bien avec l'hypothèse d'un moi dual - planificateur à long terme, exécutant et jouisseur à court terme- la modélisation hyperbolique trouve son essence dans une loi empirique. La "matching law" énoncée par Herrnstein (1961) pose que les choix sont distribués selon les renforcements associés à ces choix:

j j j i i C r C C = = r

où les Ci et les ri représentent respectivement les fréquences des choix i et les renforcements associés aux choix i. La distribution entre deux choix est donc: 1 1

2 2

C r

C = r . Quand le renforcement se subdivise en certains de ces attributs comme le taux de paiement (F), le montant du paiement (A) et le délai entre la réponse et le renforcement (D), alors le

résultat peut être approximé par: 1 1 1 2 2 2 2 1

C F A D

C = F A D⋅ ⋅ (voir Chung et Herrnstein, 1967; Herrnstein 1988).

La relation hyperbolique entre le choix et le délai est celle utilisée par Ainslie (1975) pour rendre compte des choix chez les animaux et les humains lorsque les récompenses sont différées dans le temps. D'autres modélisations ont conservé la forme hyperbolique, en modifiant seulement les paramètres (Mazur, 1987; Harvey, 1986; Loewenstein et Prelec, 1992).

II.5. Rationalisation

Plusieurs auteurs ont essayé de rationaliser l'escompte hyperbolique en montrant que, sous certaines hypothèses plausibles, le risque associé aux paiements futurs décroît à mesure que le temps passe, suggérant l'utilisation d’un taux d'escompte de plus en plus faible.

Azfar (1999) montre que sous l'hypothèse d'incertitude sur le taux de risque associé aux paiements futurs (lequel, sans être défini, est supposé suivre une distribution de

probabilité continue), l'individu affiche un escompte apparemment décroissant avec le temps mais ne présente pas un comportement dynamiquement incohérent. Pour chaque période, l'individu escompte d'une part le temps selon ses préférences temporelles pures et d'autre part le risque compte tenu de la non-survenue de ce risque préalablement à la période. L'incertitude sur le taux de mortalité conduit à la décroissance apparente du taux d'escompte avec le temps parce que le taux de risque au début d'une période est en fait la moyenne pondérée des taux de risque initiaux avec comme poids les probabilités de survie jusqu'à la période de choix. Ces poids déclinent plus rapidement pour les taux de mortalité élevés de sorte que plus la période de choix est éloignée dans le temps et plus le taux de risque final converge vers la borne inférieure de la distribution initiale. Cette décroissance de l'escompte rend possibles les incohérences temporelles mais n'induit pas d'incohérences dynamiques. En effet, le taux d'escompte pour une période traduit, quel que soit le moment où est pris la décision, le risque conditionnel sur cette période (en plus des préférences temporelles pures). Qu'il planifie un choix futur pour la période (t,t'), ou qu'il prenne une décision à valeur instantanée au moment t, l'individu utilise le même taux d'escompte pour choisir.

Sozou (1998) aboutit à des conclusions similaires mais, en plus, fait le lien entre les distributions de probabilités ex ante du taux de risque et les taux d'escompte ex post. Il montre qu'une fonction d'escompte exponentielle implique un taux de risque constant dans le temps tandis que la fonction d'escompte hyperbolique (du type de celle présentée par Mazur, 1987) est cohérente avec une distribution exponentielle du taux de risque. Sozou discute également le cas général de la distribution de probabilités Gamma, laquelle englobe les cas des escomptes hyperboliques et exponentiels.

Halevy (2002) souligne que l'évolution de l'impatience avec le temps est alimentée par deux forces contradictoires liées au risque de mortalité des individus: d'un côté la croissance du risque de mortalité avec l'âge, de l'autre la croissance de la confiance en la résistance de l'organisme à mesure que le temps s'écoule sans que le risque de mort se matérialise. Si le deuxième effet surpasse le premier, l'impatience est moindre pour les choix lointains que pour les choix affectant le futur proche, conformément aux observations.

Enfin, Dasgupta et Maskin (2004) rationalisent l'escompte hyperbolique en posant que l'individu a une incertitude concernant le moment de réalisation des paiements. L'individu adopte un escompte d'autant plus faible qu'il pense que la réalisation du paiement sera accélérée. Ils montrent ainsi que le décideur fait preuve, rationnellement, de plus en plus d'impatience à mesure que le choix se rapproche puisque la probabilité d'une réalisation précipitée diminue.

II.6. Applications

La formulation (β,δ) a été appliquée à une multitude de situations où la préférence des agents pour le présent est susceptible d’influencer leur comportement. Les modèles sont généralement construits autour de deux grandes hypothèses: l'incohérence temporelle des choix et l'impossibilité pour les agents de tenir compte parfaitement des décisions qu'ils sont susceptibles de prendre dans le futur.

Parmi les applications particulièrement documentées, on distingue les applications à : - L’épargne : David Laibson surtout (1997, 1998) mais également d’autres auteurs (par

exemple Krussel et Smith, 2003) ont appliqué la formulation quasi-hyperbolique aux décisions d’épargne de cycle de vie. L’escompte quasi-hyperbolique amène une personne à consommer davantage que ce qu’elle a envisagé et donc à épargner moins. Laibson (1998) montre comment l’escompte hyperbolique peut rendre compte de certains faits stylisés micro et macroéconomiques comme l’excès de sensibilité de la consommation par rapport au revenu, l’existence de propensions marginales à consommer particulières pour certains actifs ou encore le faible niveau de l’épargne liquide de précaution. Laibson et al. (2001, 2005) et Angeletos et al. (2001) ont calibré des modèles de décision d’épargne à partir de l’escompte exponentiel et de l’escompte quasi-hyperbolique. La comparaison des données simulées avec les données empiriques américaines sur la consommation et l’épargne témoigne de la supériorité descriptive de l’escompte hyperbolique sur l’escompte exponentiel;

- La procrastination : O'Donoghue et Rabin (1999, 2001) appliquent le modèle d’escompte quasi-hyperbolique à l'analyse de la procrastination, c'est-à-dire la tendance à toujours repousser la réalisation des tâches pénibles. Dans le papier de 1999, les auteurs s’intéressent aux décisions des individus quasi-hyperboliques sophistiqués, c'est-à-dire d’agents qui anticipent que leur préférence pour le présent prévaudra également pour leurs comportements futurs. Ils montrent que ces agents ne présentent pas face aux tâches pénibles un comportement intermédiaire entre les individus quasi-hyperboliques complètement naïfs (qui considèrent que les Moi futurs ne seront pas myopes) et les individus pleinement rationnels (qui n'affichent aucune myopie) (voir section 8.2). Dans le papier de 2001, c’est le comportement des individus quasi-hyperboliques naïfs qui est analysé. L’existence d’options induisant un coût immédiat moindre et des bénéfices futurs supérieurs peut inciter ce type d’agents à la procrastination perpétuelle. L'article démontre

que plus les plans d'un agent sont ambitieux, plus celui-ci devra fournir d'efforts immédiats pour les réaliser, et par conséquent, plus il sera tenté de les remettre à plus tard. L'importance des tâches exacerbe la tendance à la procrastination des individus quasi- hyperboliques ;

- L’accoutumance : Carillo (2002) et Gruber et Köszegi (2004) étudient les

comportements extrêmes (abstinence ou surconsommation) des fumeurs à la lumière des préférences (β,δ). Carillo montre qu’un agent quasi-hyperbolique qui a une connaissance imparfaite de la satisfaction que peut lui procurer le tabac peut décider de manière rationnelle de s’abstenir complètement de fumer s’il craint que l’apprentissage de ses préférences par la consommation puisse le mener à des excès futurs. Le fumeur choisit l’abstinence faute d’être sûr de pouvoir atteindre l’option optimale (une consommation modérée à toutes les périodes). Gruber et Köszegi considèrent, eux aussi, que l’accoutumance relève d’un problème de contrôle de soi de la part des fumeurs pour lesquels un faisceau de preuves tendrait à indiquer qu’ils cherchent bien à maximiser leur bien-être intertemporel (et pas seulement instntanné). Les préférences (β,δ) impliquent des coûts internes que les fumeurs font porter à eux-mêmes d’une période sur l’autre. Selon les auteurs, les politiques publiques doivent inclure ces « internalités » dans le calcul de la taxation optimale du tabac.