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IV/ TROISIEME NIVEAU D’ANALYSE : LA PREDICATION

F- Prédication première ou prédication seconde ?

En présence de deux prédications, on peut avoir logiquement huit formules : 1/ P → Q ; 2/ P → ¬ Q ; 3/ ¬ P → Q ; 4/ ¬ P → ¬ Q ; 5/ Q → P ; 6/ Q → ¬ P ; 7/ ¬ Q → P ; 8/ ¬ Q → ¬ P. A la première de ces formules s’associe l’occurrence : Malade, il est venu ; à la deuxième :

Malade, il n’est pas venu ; à la troisième : ?Bien portant [= non malade], il est venu ; à la

quatrième : ?Bien portant, il n’est pas venu ; à la cinquième : Il est venu malade ; à la sixième : ?Il est venu bien portant ; à la septième : Il n’est pas venu malade ; à la huitième :

Il n’est pas venu bien portant.

Si l’on compare Malade, il n’est pas venu (*Malade il n’est pas venu n’est pas acceptable) et Il n’est pas venu malade, énoncés dans lesquels on peut parler plutôt de cataphore que d’anaphore, on se rend compte que seule une lecture de négation métalinguistique est possible dans le dernier cas. Allant plus loin, on voit que dans Il est

parti satisfait/malade la prédication est première (= Il était satisfait/malade quand il est parti,

C’est satisfait/malade qu’il est parti) car on observe la concomitance des deux prédications sans autre relation de circonstance, alors que dans Il est parti, satisfait/, malade la prédication est seconde (= Parce qu’il était satisfait/malade, il est parti, Après avoir été satisfait/malade, il est parti), on observe une relation d’explication ou de succession entre les deux prédications. Pour déterminer s’il s’agit d’une prédication première ou d’une prédication seconde, le test de la négation fonctionne lorsque l’adjectif est postposé au verbe : Il est sorti furieux, prédication première, entraîne Il n’est pas sorti furieux, négation 154 O. Ducrot, “ L’opposition entre contraire et contradictoire dans la théorie des blocs sémantiques ”, Journée Argumentation et lexique, ENS Cachan, 19/11/2004.

155 Maria-Marta Garcia Negroni, communication du 28/1/2002, “ Atténuation, politesse et évidentialité ”, Journée Les Mots du discours, CELITH, EHESS

156 En anglais, l’expression at most (au plus, tout au plus) peut être suivie du comparatif d’égalité et du comparatif d’inégalité : He’s at

most as tall/as clever as Bill vs He’s at most taller/more clever than Bill is small/silly, avec un sens différent, lecture-degré dans le

métalinguistique, alors que Il est sorti, furieux n’a pas de contrepartie négative : *Il n’est pas

sorti, furieux.

Autres exemples de syntagmes adjectivaux apposés (Mats Forsgren, 1993) : Il est

encore jeune d’allure (Duhamel) ; Tendre, elle m’apprit la tendresse (Sartre) ; Le pays, inculte, semblait nu (Maupassant) ; Elle se leva, docile (Hougron) ; […] l’ombre qui passait brève sur son visage (Bonnefoy, Frantext). D’après Forsgren (1993 : 21), on évitera de

placer un élément apposé en tête de phrase si une interprétation circonstantielle n’est pas pertinente : ?Oblongue, la salle était décorée de grands panneaux de glace.

On peut remarquer qu’en espagnol la prédication est seconde ou non en fonction de

l’antéposition ou de la postposition de l’adjectif157 : El alegre Federico encandila a todo el

mundo [The happy Federico enamors all the world, ‘Federico the happy one enamors

everyone’] (interprétation catégorielle) vs Federico alegre asustaba a las autoridades [Federico happy frightened to the authorities, ‘Federico (when he was) happy frightened the authorities’] (interprétation thétique, prédication seconde).

1) Apposition, construction détachée ou attribut indirect ?

Un bref retour sur la terminologie en vigueur s’impose ici, car cette construction prédicative a généré un grand nombre de termes différents.

Retraçant brièvement l’histoire de l’apposition, Mats Forsgren (1993) indique que, depuis le Moyen-Age, la majorité des grammairiens refusaient jusqu’à l’existence même d’une fonction “ apposition ” ; ils considéraient cette construction plutôt comme une figure rhétorique. Au XIXe siècle, Fontanier la recense dans Les Figures du discours parmi les figures de construction dites “ par exubérance ”, à côté du pléonasme (l’adjectif est compté parmi les constituants possibles de la figure d’apposition). Au XXe siècle, Dessaintes (1966) considère l’apposition comme un mode particulier de construction plutôt qu’une fonction syntaxique à part entière : il parle de “ compléments détachés ”, notamment dans le cas de l’épithète détachée. Forsgren distingue, au terme de son article (1993), l’apposition comme une fonction syntaxique, au même titre que l’attribut et l’épithète. Les constituants acceptés sont les syntagmes adjectivaux, nominaux, prépositionnels et adverbiaux, et cette fonction peut avoir trois fonctions sémantiques : attribuante, localisante et identifiante.

Le terme de « constructions détachées » (CD) est utilisé par Bernard Combettes

(1998a,b)158 : celles-ci regroupent appositions (Immobile, il attendait, construction que

l’auteur considère comme quelque peu semblable à un circonstant locatif de type A Paris, il

fait beau), épithètes détachées (Près d’elle, un jour, passa superbe un ange blond

(Brassens)), gérondifs (Il est parti en chantant), constructions absolues (Sa veste sur le bras,

il marchait), circonstants compléments de manière (D’une voix forte, il dit qu’il partait),

participiales (Sachant cela, il n’est pas venu), infinitifs propositionnels (Avant de partir, il a

regardé l’heure). Leur point commun est que le sujet est là, mais qu’il n’est pas apparent.

L’auteur souligne, en mettant en avant les aspects diachroniques, leur caractère de transition « dynamique » et communicationnelle inter-propositionnelle : « …parler d’une structure : CD + Sujet + SV est relativement simplificateur. Il semblerait préférable, pour ce type de CD, de considérer que le constituant détaché fonctionne, durant toute une période de l’histoire du français, comme une sorte de transition, de passage, entre deux propositions, dans une progression discursive/ P1 + CD + P2. » (Combettes 1998b : 130).

La prédication seconde dans les constructions détachées est un phénomène récent en

langue159. Dans les énoncés du moyen français, la prédication est première et fait corps avec

le verbe, sans indication de circonstance : « La lune estoit levee belle et claire » (La Queste

del Saint Graal (XIIIe siècle), ed. A. Pauphilet, Champion, 1949) ; Or s’en va messire Gauvains seus et pensis (Lancelot du Lac (XIIIe siècle), ed. M.L. Chênerie, LGF, 1993) ;

« Vos montastes en l’ordre de chevalerie nez et espurgiez de toz pechiez » (La Queste del

Saint Graal (XIIIe siècle), ed. A. Pauphilet, Champion, 1949). Si ces constructions

détachées sont des rhèmes, i. e. constituent le propos de la phrase (test : extraction possible : C’est belle et claire que la lune était levée ; C’est net et expurgé de tout péché que vous montâtes…), alors il ne peut s’agir d’une prédication seconde, la prédication est première. De même, la prédication est première en construction postverbale, lorsque le contrôleur est le complément d’objet : « Elle vit s’avancer, majestueuse et lente, une femme revêtue du

costume […] » (Balzac), énoncé dans lequel on remarque que l’antéposition de l’adjectif

apposé est possible parce que le nom est COD (et non COI) ; ou lorsque le contrôleur est le sujet postposé : « Du haut en bas de l’unique croisée, se tenaient, parallèles et pressées

comme les cordes d’une harpe, un régiment de minces ficelles » (Courteline). On remarque

que certaines constructions présentent des anaphores qui dépassent la portée de la phrase :

158 Langue française N°145, mars 2005, Noms, verbes et anaphores (in)fidèles, Lita Lundquist, p. 81.

ainsi, la phrase « Timide et tremblante pour moi seul, ses inquiétudes sans cesse

renaissantes lui ôtent le sommeil. » (Chateaubriand) contient-elle une anacoluthe ou a-t-elle

une portée plus large, transphrastique ? Assez rares, certaines constructions détachées renvoient à un indéfini – dans ce cas, elles sont intégrées à la structure phrastique : « Tête

nue, la veste arrachée, un zouave, un bel homme à barbe noire, faisait une besogne effroyable » (Zola).

Les prédicats seconds, introduits plus tardivement dans la langue, relèvent du présupposé car circonstanciels (concessifs, explicatifs/justificatifs, hypothétiques) : La Cour

de Cassation, bien que divisée, a retenu à son tour le meurtre par passion (Tribune de

Genève, 7/3/88) ; Si la grande criminalité augmente, […], il faut aussi constater que

d’innombrables infractions, certes peu importantes parfois, montrent que les liens traditionnels de la famille, de l’école, des associations par exemple se sont distendus (Libre Belgique, 3/10/86) ; Et “ vaillance ” est dans un emploi très spécial, puisque métalinguistique (Noailly, 1990 : 133) ; […] Même laide, il l’eût aimée. Les marqueurs

argumentatifs bien que, certes, puisque introduisent tous les trois des actes prédicatifs présupposés, subordonnés pragmatiquement. Le marqueur même introduit lui aussi un prédicat véhiculé par un acte subordonné, mais un prédicat présenté comme supposé. Certains énoncés autorisent l’antonymie ou une opposition moins complète : Pauvre

Anne-Marie : passive, on l’eût accusée d’être une charge ; active, on la soupçonnait de vouloir régenter la maison (Sartre) ; Délicieuse, elle est croquée entre amis ; dangereuse, elle est jetée aux ennemis (énigme énoncée par le père Fouras, émission Fort-Boyard, TV 5,

18/12/92). Passive s’interprète comme une supposition (si p), grâce au SV au subjonctif.

Active se comprend comme un prédicat posé, interprété comme une subordonnée temporelle

en quand ou causale en parce que/comme/puisque. Dans l’énigme, énoncé à caractère non contingent ou gnomique, seules nos connaissances extralinguistiques nous font l’interpréter de façon suppositive (Quand elle, Si elle…).

Enfin, Hanne Korzen160, emploie les termes d’attribut indirect descriptif (= sans

relation circonstancielle : Ivre-mort, Dupond descendait le boulevard des Italiens) vs attribut indirect circonstanciel (Ivre-mort, Dupont était incapable de conduire ; Cold, she went out

to fetch more wood for the fire ; Slight and slender and without make-up, she is easily overlooked in all the activity). Si le français, comme l’anglais, est très friand des seconds, les

160 Attributs directs et indirects en français, en danois et en anglais : différences typologiques et problèmes de traduction, Langue

langues scandinaves et l’allemand font un usage modéré du premier et quasiment nul du second.