• Aucun résultat trouvé

ADJECTIFS A PRIORI NON GRADABLES

B- Définition négative

3) L’adjectif gradable n’est pas un participe passé statif/résultatif

On remarque que les participes passés statifs-résultatifs (cassé, mort, broken, dead) prennent en quelque sorte la place des adjectifs du bout de l’échelle sur le plan aspectuel. Le test pour savoir si un participe passé est statif-résultatif est sa combinaison possible avec bel et bien (en anglais sa combinaison impossible avec la forme progressive *is being). Toutefois, on constate une admissibilité des agentifs passifs, de type She is being tortured, avec la forme progressive, alors que les ergatifs passifs ne l’admettent pas (*She is being arrived). Arrived et tortured sont pourtant tous deux des résultatifs. Une exception : les causatifs d’émotion sont des participes passés statifs-résultatifs gradables : très ému, Il est très aimé de tous (Authier, 1980).

Le statif-résultatif est parfois employé comme adjectif, mais son origine verbale lui donne une valeur aspectuelle qui le fait répondre à d’autres types de tests : combinaison avec les expressions de degré : à X%, à moitié, complètement (en anglais X%, half, completely,

all). Quelques exemples : La porte est à moitié ouverte/The door is half open (open est ici

aspectuelle demeure ; Il est complètement/tout mouillé/He’s all/completely wet. De la même façon, un gradable combiné avec un adverbe de quantité ou d’intensité tel que complètement

ou absolument perd son caractère de gradabilité51.

a) Similarités et différences entre participe passé et adjectif

Selon Gustave Guillaume52, le participe passé est le mode adjectif du verbe, à valeur

aspectuelle résultative. Avec un verbe transitif, qui installe une relation actancielle agent-patient, le participe passé prend une valeur passive car c’est l’objet de la structure active qui est affecté (il est aimé : ici gradation possible). Avec un verbe intransitif ou employé intransitivement, la valeur est non passive (soit rapport du sujet à l’objet (j’ai fini, j’ai couru : pas de gradation possible), soit rapport du sujet et du verbe (je suis sorti : pas de gradation possible)). Weinrich (1989 : 299) distingue le passif ou l’actif du rétro-participe (= participe passé) selon que le verbe conjugué admet un objet ou non : rétro-participes passifs si le verbe conjugué admet un objet : perdu, trouvé (valence 2, S-O), promis, donné (valence 3, S-P-O) ; rétro-participes actifs si le verbe conjugué n’admet pas d’objet. Les rétro-participes actifs ont leur passé composé formé avec l’auxiliaire être : né, mort, devenu, survenu, venu,

arrivé, allé, parti (les uns comme les autres ne sont pas gradables).

D’un point de vue morphologique, pour Retman (1980, cité dans Goes, 1999 : 193), le suffixe -é est le second suffixe adjectival par sa fréquence (11,4%), -u le suffixe de 1% des adjectifs et -i se situe en-dessous du 1%. Le chiffre pour -é ne paraît possible que si sont comptabilisés les participes passés issus des verbes en -er (Goes, 1999 : 193). Sur le plan synchronique, certaines formes ont perdu tout contact avec le verbe (fourbu, favori, perclus,

hardi) tandis que d’autres formes ont conservé un lien très lâche (sacré, foutu, maudit) mais,

en général, les participes passés ont conservé un lien très sensible avec leur verbe d’origine. Toutefois, certains adjectifs ressemblent à des participes passés par leur suffixe, mais sont dénominaux : barbu, bossu, poilu, ambré, chocolaté, casqué, cuirassé, pansu. Quelques participes seulement admettent la négation par in- (irrésolu, imprévu) ou donnent lieu à un

adverbe. Pour Moignet53, la création d’un adverbe dérivé d’un adjectif (irrésolument) est le

51 Sur la dimension aspectuelle de complètement, voir les travaux de Patrick Caudal depuis sa thèse : Caudal, P. (2000), La polysémie

aspectuelle - contraste français/anglais, thèse de doctorat, Université Paris 7.

52 G. Guillaume, Existe-t-il un déponent en français ?, Langage et science du langage, Paris, Nizet, Québec, Presses de l’université Laval, 1973.

53 Moignet, G. (1963), L’incidence de l’adverbe et l’adverbialisation des adjectifs, Tra. Li. Li. N°1, pp. 175-194.

54 Silvia Palma (1995) in Théorie des topoï, Anscombre, J.-C., dir., Paris, Kimé.

55 David Lewis (1979 : 172-173) fait remarquer à juste titre que l’adjectif flat, bien que syntaxiquement gradable (flatter than X) est employé dans un sens absolu, sauf si les standards de précision sont plus élevés, au point que les conditions de vérité de flat ne soient plus maintenues, ce qui pourrait entraîner un énoncé de type The desk is flatter than the pavement. Le caractère vague de l’adjectif, lié

signe d’une “ adjectivation pleinement acquise, par laquelle la perspective verbale est abolie ” (1963 : 192).

Selon les générativistes, la structure profonde du participe passé épithète postposé est soit aspectuelle soit relative attribut : une porte fermée = une porte qu’on a fermée (aspect) ou une porte qui est fermée (attribut). Le sens statif-résultatif des participes passés (verbes transitifs directs ou intransitifs, exprimant un état qui résulte d’une action (casser, briser,

décorer) ou d’une transition d’un état à l’autre (mourir, blesser, traumatiser, ces deux

derniers verbes étant classés parmi les verbes dits psychologiques) ou reflétant un statut social (demander dans Paul est très demandé)) empêche normalement la gradation : le vase est brisé ou il ne l’est pas ; on est mort ou on ne l’est pas. S’il la permet, c’est pour d’autres raisons, que l’on va étudier ci-dessous. La structure passive rentre dans ce cadre (le participe refuse très, et ne peut devenir épithète et a fortiori épithète antéposée : *Il est très venu,

*l’homme venu vs Le sapin est très décoré, le sapin décoré). La différence entre l’auxiliation

par avoir et l’auxiliation par être réside dans le fait que la première a une valeur ingressive (il a paru, elle a monté, j’ai couru, vous avez vieilli) alors que l’auxiliation par être a une valeur résultative (elle est montée, il est paru, j’y suis couru, vous êtes vieilli), les trois derniers cas relevant de la langue classique.

Enfin, Riegel (1985 : 180) se demande pourquoi certains participes passés statifs-résultatifs sont gradables et prennent de ce fait le statut d’adjectifs : un homme très

demandé/très aimé, un travail très soigné, un personnage très connu/très estimé/très respecté/très contrarié/très fatigué, un résultat très réussi mais *une théière très cassée, *un personnage très blessé. Une première hypothèse soutient que la gradation est possible, dans

certains cas, lorsque le sémantisme du verbe fait état d’un procès continu (processus de création, d’établissement d’un sentiment, d’un statut…). On observe pourtant *très détruit, malgré un processus de destruction pouvant être lent. Une observation de Kukenheim, citée par Riegel, et que je reprends à mon compte, est la suivante : les verbes qui ont un participe passé statif-résultatif gradable sont des verbes imperfectifs : Un homme estimé est un homme que l’on estime, pas un homme qui a été estimé (le procès est en cours).

Autre possibilité de gradation des statifs-résultatifs (Riegel, 1985 : 189) : le sens métaphorique du participe passé statif-résultatif permet la gradation (en effaçant le sens résultatif) : *La porte est très fermée vs Son visage est très fermé.

à sa gradabilité, ne tient pas : on a affaire ici à une sorte d’antonyme contradictoire, ou plutôt à un adjectif dont les conditions de vérité sont ‘suffisamment vraies’.

Sur le modèle de certains statifs-résultatifs, on peut avoir une lecture perfective d’un gradable comme chaud (Le café est chaud (= Le dîner est servi)), qui admet la modification par les adverbes “ aspectuels ” qui expriment le degré de réalisation : Le café est à

moitié/presque chaud/tout chaud. Chaud autorise également une lecture métonymique : des vêtements chauds ne signifie pas que les vêtements sont chauds, mais qu’ils tiennent chaud

au corps qu’ils recouvrent.

En anglais, on observe une différence entre learnt (participe passé) et learned (adjectif), sur le modèle de open (adjectif) et opened (participe passé). En français, indécis et

décidé obéissent au même genre de distinction, avec une antonymie marquée, et une

gradation possible de décidé.

b) Différenciation adjectif verbal en –ant et participe présent en -ant

Comme certains statifs-résultatifs à statut adjectival, les adjectifs verbaux en –ant obéissent à la gradation. Selon Riegel (1985 : 175), l’adjectif verbal en –ant est marqué par une variabilité en genre et en nombre, parfois par une différence orthographique (fatigant/fatiguant), exprime une qualité, une manière d’être, n’admet ni la construction directe ou indirecte du participe présent (Cet enfant obéit/*est obéissant à ses parents alors que Obéissant à ses parents, l’enfant sortit) ni la négation (*Cet enfant n’est pas obéissant à

ses parents) ni la postposition d’adverbes ou de constructions adverbiales (*C’est une lame coupante parfaitement alors que Cette lame est parfaitement coupante). Au contraire, le

participe présent en –ant est invariable, présente une rection et un sémantisme de verbe, a une fonction de circonstant. L’adjectif verbal en –ant fonctionne exactement comme un adjectif sur les plan morphologique, sémantique et syntaxique.

Quelle sémantique pour les adjectifs verbaux en –ant ? Selon Riegel (1985 : 177), les verbes causatifs-résultatifs dont le sujet déclenche un procès affectant l’objet (et parmi ceux-ci les verbes psychologiques) forment des adjectifs verbaux en –ant (ainsi, affligeant,

affolant, agaçant, etc., signifient ‘capable de, de nature à, susceptible de’ + verbe). L’état

résultatif de ces verbes se traduit par le participe passé correspondant (affligé, affolé, etc.). Un deuxième groupe d’adjectifs verbaux en –ant sont paraphrasables en ‘rendre SN + Adj, être cause que SN devenir (plus) Adj’ (ainsi, amaigrissant, amincissant, assourdissant, etc.), le participe passé résultatif correspondant à l’aspect accompli du procès (amaigri, aminci, etc.). On peut toutefois remarquer que amaigrissant et amaigri ne peuvent pas représenter même sujet sémantique ou référentiel (inanimé pour l’un, animé pour l’autre).

4) L’absence de gradation de certains adjectifs morphologiquement marqués par le préfixe