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Prédication impersonnelle, prédicat à montée du sujet et extraposition

IV/ TROISIEME NIVEAU D’ANALYSE : LA PREDICATION

B- Prédication impersonnelle, prédicat à montée du sujet et extraposition

131 Mollaret, P. (1998), Redéfinir les traits in L’année psychologique N°3 , PUF, pp. 553-554.

132 On peut remarquer que la plupart des adjectifs évaluatifs s’appliquent à des N humains, pour qualifier un comportement humain. Leur emploi à propos d’un N animé (La lotte est paresseuse) est révélateur de l’anthropocentrisme du langage : le comportement de la

Une caractéristique importante des adjectifs gradables est leur possible transformation en prédication impersonnelle. Exemples : Paul est triste d’avoir perdu est sémantiquement équivalent à Il est/C’est triste que Paul ait perdu ; Il [cet homme] est fou de ne pas s’en

remettre à eux (Giraudoux, Electre, I, 2, 26) est sémantiquement équivalent à Il est fou de la part de cet homme de ne pas s’en remettre à eux. Selon Picabia (1978 : 8-9), sur les 4000

adjectifs qui forment la liste de base de son étude, la moitié acceptent une complémentation en de la part de (au sens propre ou figuré), ce qui rend cette transformation non exceptionnelle sur le plan quantitatif.

En anglais comme en français, le couple Mary is certain to be the next President/Marie

est certaine d’être la prochaine présidente et It is certain that Mary will be the next President/Il est certain que Marie sera la prochaine présidente peut recouvrir la distinction

prédicat à contrôle/prédicat à montée établie à propos des verbes. Un prédicat à contrôle est un prédicat dans lequel un sujet implicite (concrétisé par PRO) exerce un contrôle sur un élément anaphorique, marquant la coréférence. C’est le cas de verbes comme vouloir,

promettre, permettre, etc. : Léai promet à Sam de ne pas sei rendre malade (contrôle du sujet

de la phrase enchâssante Léa sur le pronom se) ; Léa ne permet pas à Sami de sei rendre

malade (contrôle du sujet de la phrase enchâssée Sam sur le pronom se)133. Au contraire, un prédicat à montée du sujet est un prédicat qui autorise la montée, i. e. le mouvement vers la gauche, du sujet. C’est le cas de verbes comme sembler, espérer, etc. : Il nous semblait bien

que Max était blond (Il nous le semblait bien) ; J’espère que tu seras plus rapide (Je l’espère). Pour l’adjectif, la distinction entre prédicat à contrôle et prédicat à montée

s’exerce entre les gradables à contrôle du sujet qui n’ont pas de construction alternative impersonnelle (à sujet propositionnel) comme eager, anxious et unwilling en anglais,

anxieux, inquiet, appliqué en français, et les gradables à montée du sujet easy, tough et difficult en anglais, facile, aisé, difficile en français, qui comportent deux constructions : It is

lotte peut être assimilé à un comportement paresseux parce qu’elle reste immobile au fond de l’eau à attendre ses proies ; il s’agit là d’un trait sémantique descriptif qui caractérise une espèce dans son évolution.

133 Selon Kupferman (2005), les prédicats à contrôle sont distribués en trois ensembles en français :

- prédicats à contrôle facultatif (ex. : croire : Léai croyait qu’ellei avait grossi ; Léai croyait [PROi avoir grossi] ; - prédicats à contrôle interdit (ex. : constater : *Léa constatait [PRO avoir grossi cette année] ;

- prédicats à contrôle obligatoire (ex. : essayer : *Marie a essayé [CP que je parte] ; Mariei a essayé [CP de PROi partir].

Pour l’anglais, Jackendoff, R. & P. W. Culicover (The semantic basis of control in English, Language vol. 79 N°3, 2003, pp. 517-555) distinguent (p. 527) les prédicats à contrôle libre, non restreints au complément actionnel (Being quiet annoys Max (actions volitives),

Growing taller annoys Max (actions non volitives)), les prédicats à contrôle presque libre, non restreints au complément actionnel

(Marsha spoke to Ed about being quiet (actions volitives), Marsha spoke to Ed about growing taller (actions non volitives)) et les prédicats à contrôle unique, restreints au complément actionnel (Fred promised/persuaded Louise to be quiet (actions volitives), Fred

promised/persuaded Louise *to grow taller (actions non volitives)). Tell, shout et call, quand employés avec about + gérondif,

sélectionnent une situation et prennent le contrôle presque libre, et, quand suivis de propositions infinitives, sélectionnent des actions volitives et prennent le contrôle unique : Fred told/shouted to/called to Louise about growing taller (qui peut se rapporter à Fred, à Louise ou avoir une interprétation générique), Fred told/shouted to/called to Louise *to grow taller.

easy to teach this class/This class is easy to teach ; Il est difficile d’enseigner ce cours/Ce cours est difficile à enseigner ; It is dangerous to drive on this road in the winter/This road is dangerous to drive on in the winter ; Il est dangereux de conduire cette voiture en hiver/Cette voiture est dangereuse à conduire en hiver ; It is interesting to imagine Bill President/Bill President is interesting to imagine ; Il est intéressant de voir ce film/Ce film est intéressant à voir.

On peut en outre remarquer, avec Pustejovsky (1995), que le point de vue énonciatif est en relation avec la sémantique du nom relié. Ainsi, les adjectifs à montée sont sous-spécifiés en position épithète, car une prédication contenant une proposition infinitive “ ellipsée ” est sous-entendue, qui donne des indications sur le point de vue de l’énoncé : Jim

has decided to give an easy exam (= this exam is easy to take, point de vue des étudiants,

complément syntaxique non exprimé de la phrase) ; We’re going to get a difficult exam for

the final (= this exam is difficult to take, point de vue des étudiants, sujet syntaxique de la

phrase) ; Bill has to take a dangerous road to get here (= this road is dangerous to drive on, point de vue des conducteurs) ; John had an interesting suggestion (= interesting to say, point de vue des auditeurs). Toutefois, le cotexte, i. e. le verbe recteur, peut faire varier l’ellipse, entraînant une variation du contexte : John is teaching an easy class this semester (= easy to teach, John est un professeur) ; Bill is taking an easy class this semester (= easy to take, Bill est un étudiant).

Enfin, dernier mouvement possible de la prédication adjectivale, l’exptraposition. Ce type de transformation, qui consiste à déplacer un constituant en fin de phrase, est un procédé de focalisation : A new book has appeared about syntax, The news broke that

Trumper has resigned, Cela me surprend qu’elle ait toujours FAIM. Pour l’adjectif

prédicatif, la transformation consiste à rétablir l’ordre logique thème/rhème : Il est

bon/intéressant que P (ou de + infinitif) est équivalent sémantiquement à Que P est bon/intéressant soit, en français, Voir ce film est intéressant ou, en anglais, To imagine Bill as President is/would be interesting. A nouveau, ce mouvement n’affecte que les prédicats à

montée.

1) Les opérateurs épistémiques

Les adjectifs d’attitude propositionnelle épistémiques, comme vrai/faux, manifeste, patent,

évident, certain, indubitable, exclu, erroné, sont non gradables pour la plupart (ce sont des

vérité et la fausseté. C’est le cas de probable, vraisemblable, possible, plausible, en anglais

possible, likely, probable, appelés opérateurs épistémiques faibles/weak epistemic operators,

ce qui vient ébranler l’homogénéité syntaxique et sémantique de cette classe (Picabia, 1978 : 157). Cette distinction s’apparente à celle qui existe entre la valeur épistémique des modaux

devoir/pouvoir (= il est probable/il est possible que je l’aie fait) et la valeur radicale de ces

mêmes modaux (= être obligé/être capable de le faire). Certain, évident, etc., seraient des opérateurs épistémiques radicaux.

Caroline Heycock (CSSP 2003) remarque qu’un opérateur épistémique faible comme

be possible, et un opérateur épistémique fort comme be certain bloquent la montée de la

négation, alors que des opérateurs ayant des valeurs scalaires intermédiaires comme be

likely, be probable l’autorisent : It wasn’t possible for him to talk to me vs *It was possible not to talk to me ; It isn’t certain that he is here vs *It is certain that he is not here ; It isn’t likely/probable that they will come vs It’s likely/probable that they won’t come. Toutefois,

avec certain, un procédé d’emphase comme l’extraction est possible : What is certain is that

he’s not here.

Qu’est-ce que l’expression de la probabilité dans le langage ? A côté des linguistes, des physiciens, des mathématiciens et des philosophes ont réfléchi à la question. C. I. Lewis

(1952134) soutient que les jugements de la forme x est probable ne font sens que si l’on admet

qu’il y a un y qui est certain (où x et y peuvent être des événements, des jugements ou des croyances). En d’autres termes, les probabilités présupposent les certitudes : [x est probable]

est certain. Il suit en cela Russell (1948135), pour lequel tout jugement probabiliste (où p < 1)

doit être conditionné par un jugement d’ordre supérieur. Si ce jugement est lui-même probabiliste, alors il doit lui-même être conditionné par un jugement d’ordre supérieur, etc. : cette récursivité du jugement probabiliste est néanmoins mise en doute par Russell, car, comme tous les facteurs du produit sont inférieurs à 1, le résultat doit converger vers 0 (ce

qui est mathématiquement faux). Reichenbach (1952136), lui, soutient que cet enchâssement

de propositions est un antique résidu du rationalisme, qui consiste à justifier les énoncés, quels qu’ils soient137.

Les probabilités d’obtenir un chiffre précis lors d’un lancer de dé sont de une sur six à chaque lancer de dé. Néanmoins, si le joueur forme des paris, ou énonce des degrés d’attente

134 The Given Element in Empirical Knowledge, The Philosophical Review , 61(2), 168-172.

135 Human Knowledge : Its scope and limits, London, George Allen and Unwin.

ou de croyance, d’objectif le lancer de dé va devenir subjectif, et un choix, ou une décision, être prise. C’est ainsi qu’on peut formaliser le pari de Pascal, i. e. l’argument de Pascal en

faveur de la croyance en Dieu138. Pascal raisonne comme suit : « Soit il y a un Dieu soit il n’y

en a pas, et soit je crois en Dieu soit je n’y crois pas. Ainsi, il y a quatre possibilités, qui donnent les résultats suivants : (1) Si je crois en Dieu et qu’il y a un Dieu, alors je vais au paradis et j’atteins un bonheur éternel ; (2) Si je crois en Dieu et qu’il n’y a pas de Dieu, alors ce qu’il m’en coûte est ce qui est en jeu dans ma croyance en Dieu ; (3) Si je ne crois pas en Dieu et qu’il y a un Dieu, alors je vais en enfer et souffre les tourments des damnés pour l’éternité ; (4) Si je ne crois pas en Dieu et qu’il n’y a pas de Dieu, alors je n’ai ni gains ni pertes. Donc la valeur estimée de la croyance en Dieu correspond à la valeur du bonheur éternel multipliée par la probabilité qu’il n’y ait pas de Dieu ; et la valeur estimée de la non-croyance en Dieu correspond à la valeur négative de l’éternité en enfer multipliée par la probabilité qu’il y ait un Dieu. Peu importe la faible probabilité que Dieu existe, la valeur estimée de la croyance est infiniment supérieure à la valeur estimée de la non-croyance. Donc je devrais croire en Dieu. » (Traduit par moi).

Si l’on formalise : La croyance en P est multipliée par la probabilité d’existence de P signifie que c’est la probabilité d’existence (ou de non-existence) qui détermine la valeur de la croyance en P. Le présupposé, d’ordre pragmatique, est que l’homme aspire au bonheur (valeur +).

•1er cas : S’il y a une chance sur deux que Dieu existe :

- Croyance en P = valeur + associée au bonheur x 1/2 d’existence de P = 1/2 bonheur ; - Non-croyance en P = valeur – associée aux tourments x 1/2 d’existence de P = 1/2 tourments.

Faire un choix n’est pas intéressant. •2e

cas : S’il y a 3/4 de chances que Dieu existe :

- Croyance en P = valeur + associée au bonheur x 1/4 d’existence = 1/4 de bonheur ;

Non-croyance en P = valeur – associée aux tourments x 3/4 d’existence = 3/4 de tourments. Ici, le choix est négatif, je ne veux pas de 3/4 de tourments.

•3e

cas : S’il y a 1/4 de chances que Dieu existe :

- Croyance en P = valeur + associée au bonheur x 3/4 d’existence = 3/4 de bonheur ;

- Non-croyance en P = valeur – associée aux tourments x 1/4 d’existence = 1/4 de tourments. 137 Probability without certainty ? Foundationalism and the Lewis-Reichebach Debate, David Atkinson & Jeanne Peijnenburg, site d’Atkinson.

Ici, le choix est positif, je choisis 3/4 de bonheur.

Selon Harman, il y a des raisons épistémiques et des raisons non-épistémiques qui soutiennent la croyance : R est une raison épistémique de croire P seulement si la probabilité que P donne R est plus grande que la probabilité que P donne R ; R est une raison non-épistémique de croire P si R est une raison de croire P au-dessus et au-delà la portée selon laquelle la probabilité que P donne R est plus grande que la probabilité que P donne non-R. La croyance en Dieu est une raison non-épistémique de croyance, qui pour autant n’est pas une préférence intransitive, auquel cas les probabilités subjectives s’effacent. Les probabilités subjectives de quelqu’un sont ses degrés de croyance.

En ce qui concerne la possibilité, la tradition philosophique distingue (Dennett, 1984 : 147) :

- La possibilité logique ou « aléthique » : le complémentaire de l’impossibilité logique ; quelque chose est logiquement possible si cela peut être décrit de façon consistante : il est logiquement possible qu’il y ait une licorne dans le jardin, mais (si les biologistes ont raison)

ce n’est pas biologiquement ou physiquement possible139 ;

- la possibilité physique ou « nomique » : quelque chose est possible physiquement si cela ne viole pas les lois de la physique ou les lois de la nature. Il est physiquement impossible de voyager plus vite que la vitesse de la lumière, même si l’on peut décrire un tel fait sans se contredire ;

- la possibilité épistémique : quelque chose est épistémiquement possible pour X si cela est consistant avec ce que X sait déjà (ou ce qu’il croit savoir, ce en quoi il croit). Ainsi, la possibilité épistémique est généralement considérée comme subjective et relative, contrairement aux possibilités logique et physique, qui sont entièrement objectives. La possibilité épistémique peut s’énoncer sous la forme : It is inconceivable to me that P, so P

is impossible.