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Ce pouvoir d’instruction s’accompagne parfois d’un pouvoir de réformation des décisions prises par la personne1131 , mais ce pouvoir de réformation n’est pas toujours explicitement

accompa-gné d’un pouvoir d’instruction

1132

. Cette prérogative « de correction ou de redressement »

1133

permet

aux autorités de l’Etat de substituer, même pour des raisons de simple opportunité, aux décisions des

organismes, d’autres décisions émanant d’elles et se distinguant plus ou moins des mesures

ini-tiales

1134

. Par l’exercice de ce pouvoir, les autorités de tutelle dépossèdent de leur initiative les

per-sonnes dont elles révisent les décisions. Certes l’organisme est à l’origine de l’acte initial, mais ce

dernier ne sert que de « cause (…) à la manifestation d’une autre volonté, de nouvelles initiatives, qui

sous forme d’amendements dénaturent l’expression de volonté de la personne contrôlée »

1135

.

Les procédés d’instruction et de réformation ont en commun de porter atteinte à l’autonomie

fonctionnelle des organismes contrôlés. Ils sont donc en principe antinomiques de la tutelle

adminis-trative et révélateurs de l’existence d’un rapport hiérarchique

1136

. Il est donc possible de s’interroger :

les personnes dirigeantes sur lesquelles l’Etat exerce de telles prérogatives sont-elles placées, en

dé-finitive, non pas sous sa tutelle, mais sous son autorité hiérarchique ? Certains auteurs n’hésitent pas

1129 Note sous CE, 17 juill. 1925, Association amicale du personnel de la Banque de France, S. 1925 III p. 33.

1130 CE Sect., 11 déc. 1970, Crédit foncier de France c. Dlle Gaupillat et Dame Ader, R. p. 750, concl. Bertrand, AJDA 1971 p. 196, note H. T. C., D. 1971 p. 674, note Lochak, JCP 1972 II n°17232, note Fromont, RDP 1971 p. 1224, note Waline. Sur le sujet : BOULOUIS (J.), « Sur une catégorie nouvelle d’actes juridiques : les directives », in Mélanges

Eisenmann, op. cit., pp. 191-203 ; DELVOLVE (P.), « La notion de directive », AJDA 1974 pp. 459-473 ;

PAVLOPOU-LOS (P.), La directive en droit administratif, thèse droit, Paris II, 1977, Paris, LGDJ, 1978.

1131 Voir par ex. : le Comité interprofessionnel des vins doux, naturels et vins de liqueurs à appellations contrôlées (art. 9 (al. 9) de la loi du 2 avr. 1943 portant création de ce Comité).

1132 Voir par ex. : l’Office central de répartition des produits industriels (art. 7 (al. 2 et 3) de la loi du 19 janv. 1943 portant

réorganisation de la répartition des produits industriels).

1133 EISENMANN, Centralisation…, op. cit., p. 75.

1134 Cf. CHAPUS, Droit administratif…, op. cit., tome 1, p. 396.

1135 REGOURD, L’acte…, op. cit., p. 205.

1136 Cf. LAROQUE et MASPETIOL, La tutelle…, op. cit., p. 11, à propos du pouvoir de réformation : « lorsqu’il se rencontre on ne saurait plus parler de tutelle mais de hiérarchie » ; NEGRIN (J.-P.), L’intervention des personnes morales

de droit privé dans l’action administrative, thèse droit, Aix-Marseille, 1970, Paris, LGDJ, 1971, p. 231, à propos du

à l’affirmer

1137

, en tirant les conséquences contentieuses qui s’imposent

1138

. Cette position est

pour-tant contestable.

D’abord les prérogatives dont il s’agit s’exercent sur une personne morale alors que le pouvoir

hiérarchique ne peut se déployer qu’à l’intérieur d’une même institution : la personnalité des

institu-tions fait donc obstacle à ce que l’on puisse considérer que celles-ci relèvent de celui-là

1139

. Ensuite

l’utilisation de ces prérogatives est strictement encadrée par la loi, et c’est par la limitation de ces

pouvoirs que « s’affirme l’idée de la liberté »

1140

qu’implique toute tutelle. Ainsi, ce n’est pas parce

que certaines des prérogatives dont dispose l’Etat, en vertu de la loi, s’apparentent à celles qui sont

laissées à la disposition d’un supérieur hiérarchique, même en l’absence de texte, que l’autorité qui

les détient peut avoir recours aux procédés dont l’exercice n’est pas expressément prévu par le

légi-slateur

1141

. Au contraire, le pouvoir hiérarchique s’exerce même d’office dans toute la plénitude de

ses modalités en pouvant avoir « recours à tous les procédés possibles de contrôle »

1142

. Enfin, la

doctrine et la jurisprudence admettent que l’autorité de tutelle puisse emprunter certains des procédés

du pouvoir hiérarchique. Ainsi, dans des cas très exceptionnels, le préfet peut réformer les actes

fi-nanciers édictés par les collectivités locales, sans pour autant que celles-ci soient considérées comme

placées sous son pouvoir hiérarchique

1143

. En outre, Jean Rivero a démontré dans sa thèse de doctorat

que la présence d’un service public, au sens fonctionnel du terme, révèle « l’existence d’un ordre

1137 LACHARRIERE, « La gestion… », art. cit., p. 8 (« l’étendue [des] attributions [du ministre] font rentrer [les comités d’organisation] dans le plein mouvement de l’autorité hiérarchique » ; « aucune trace d’autonomie corporative ne peut être relevée ») ; LAROQUE, « La répartition… », art. cit., § 23 (« le répartiteur, représentant de la Section [de l’Office central de répartition des produits industriels] se trouve place (…) sous l’autorité hiérarchique du Secrétaire d’Etat à la Production industrielle ») ; NEGRIN, L’intervention…, op. cit., pp. 231-238 (à propos des groupements d’achat : ils dé-pendent de l’Etat « par la voie du contrôle hiérarchique ») ; ROUSE, « A propos… », art. cit., p. 7 (les comités d’organi-sation sont des « services d’administration économique et soumis étroitement à l’autorité hiérarchique du secrétaire d’Etat »). Voir aussi, mais en dehors du contexte du dirigisme économique à propos des établissements publics : CHE-VALLIER, « La place… », art. cit., pp. 65-75, spéc. pp. 65 et 74 (« la pratique a abouti à une dénaturation profonde de l’idée de tutelle, par un renforcement progressif de la dépendance des établissements publics vis-à-vis de l’Etat » ; certains procédés de contrôle sur ces établissements « relèvent du pouvoir hiérarchique et non d’un pouvoir de tutelle »).

1138 « Les mesures de contrôle ne peuvent être attaquées devant le juge administratif par les personnes contrôlées que lorsque celles-ci sont soumises à l’administration par la voie de la tutelle et non lorsqu’elles sont dans une situation de subordination hiérarchique » (NEGRIN, L’intervention…, op. cit., p. 184). Voir sur cette règle contentieuse : HAURIOU (M.), Précis de droit administratif et de droit public, Paris, Dalloz, 1933, 12e édit., pp. 78-79 (pour le cas de la hiérarchie) et 94-95 (pour celui de la tutelle).

1139 C’est en ce sens que Jacques Chevallier affirme à propos de l’établissement public : « en tant qu’établissement

per-sonnalisé, [il] est géré par des organes qui lui sont propres et qui échappent à la règle de la subordination hiérarchique »

(« La place… », art. cit., p. 55, nous soulignons).

1140 MASPETIOL, « La notion… », art. cit., p. 169.

1141 Il est donc hautement contestable de considérer comme René de Lacharrière (« La gestion… », art. cit., pp. 7-8) que le ministre compétent dispose d’un pouvoir d’annulation des décisions des comités d’organisation dans la mesure où la loi du 16 août 1940 concernant l’organisation provisoire de la production industrielle ne lui donne pas explicitement cette prérogative.

1142 DOUENCE (J.-C.), « Le rattachement des établissements publics à une collectivité territoriale. Le cas des établisse-ments publics locaux », AJDA 1971 p. 8.

intérieur »

1144

qui autorise le maître du service à utiliser, à l’égard de la personne qui le gère, et même

dans le silence des textes, un pouvoir d’instruction « limité au strict minimum nécessaire au bon

ac-complissement de la mission d’intérêt général confiée »

1145

, que le gestionnaire soit ou non assujetti

à un contrôle hiérarchique

1146

. Rien ne fait donc obstacle à ce que la loi puisse aménager l’exercice

d’une tutelle en permettant aux autorités de contrôle d’utiliser des pouvoirs d’instruction ou de

réfor-mation. De telles prérogatives ne sont que des outils dont le législateur décide l’attribution pour

mo-deler, au cas par cas, la tutelle des personnes à contrôler en l’adaptant aux exigences qui sont les

siennes. Il faut donc admettre que la tutelle puisse être proche d’un contrôle hiérarchique dans les

modalités techniques de sa mise en œuvre, c’est-à-dire « emprunt[er] (…) [même] la plupart de ses

réalités au pouvoir hiérarchique »

1147

, tout en conservant sa nature malgré son intensité. Cela n’a

d’ailleurs rien d’étonnant puisqu’il n’existe pas d’opposition nette entre les deux types de contrôle

administratif

1148

. C’est en tenant compte de ces différentes considérations que certains auteurs

souli-gnent la particularité de cette tutelle en disant qu’elle « supprime [l’]autonomie »

1149

de la personne

contrôlée et qu’elle constitue une sorte de « tutelle hiérarchique »

1150

ou « quasi-hiérarchique »

1151

,

1144 RIVERO (J.), Les mesures d’ordre intérieur administratives : essai sur les caractères juridiques de la vie intérieure

des services publics, thèse droit, Paris, 1934, Paris, Sirey, 1934, p. 263.

1145 NEGRIN, L’intervention…, op. cit., p. 236. Voir dans le même sens, CHEVALLIER, « La place… », art. cit., p. 66 (« L’autonomie [de la personne du gestionnaire d’un service public] n’exclut (…) pas un pouvoir général d’orientation des pouvoirs publics destiné à préciser les obligations de services publics. L’Etat conserve la maîtrise des services pu-blics ; c’est à lui de définir les finalités de leur gestion et il est en droit éventuellement de subordonner celle-ci à la réalisation d’objectifs de politique générale. »). Il faut noter que le pouvoir réglementaire d’origine jurisprudentielle qui permet aux ministres d’organiser la vie des services placés sous leur autorité (CE Sect., 7 févr. 1936, Jamart, R. p. 172, S. 1937 III p. 113, note Rivero) est limité par le principe d’autonomie des personnes qui les gèrent : « les autorités admi-nistratives épuisent leur compétence [en la matière] (…) par la détermination des conditions générales de gestion » (CHE-VALLIER, « La place… », art. cit., pp. 65-66). Ce n’est donc pas de ce pouvoir réglementaire dont il s’agit ici.

1146 Pierre-Henri Teitgen reconnaît ainsi, alors que la loi du 16 août 1940 concernant l’organisation provisoire de la

production industrielle ne le prévoit pas explicitement, que les ministres responsables des comités d’organisation

possè-dent à leur égard « un pouvoir général d’instruction » (« La loi… », art. cit., § 36 ; « L’organisation… », art. cit., p. 11.). Il faut d’ailleurs noter que contrairement au pouvoir de réformation qui est un « véritable pouvoir de droit », le pouvoir d’instruction apparaît davantage comme « un pouvoir de pur fait » dans la mesure où il est « dépourvu de toute sanction juridique » (LEGRAND (A.), « Un instrument du flou : le pouvoir hiérarchique », in Mélanges Drago, Paris, Economica, 1996, pp. 65-66).

1147 DELION (A.-G.), L’Etat et les entreprises publiques, Paris, Sirey, 1958, p. 44.

1148 Cf. LAROQUE et MASPETIOL, La tutelle…, op. cit., p. 9 : « rien ne serait plus faux que d’opposer trop brutalement tutelle et hiérarchie ; car de l’une à l’autre, la transition est insensible » ; NEGRIN, L’intervention…, op. cit., p. 238 : il n’y a pas de « séparation tranchée entre tutelle et hiérarchie » ;GOHIN (O.) et SORBARA (J.-G.), Institutions

adminis-tratives, Paris, LGDJ, 2012, 6e édit., p. 121 : « la différence entre les deux types de contrôle administratif : pouvoir hié-rarchique et tutelle, est certainement bien plus de degré que de nature ». Il est d’ailleurs possible de déceler, dans le cadre d’un rapport hiérarchique, l’usage de pouvoirs qui présentent « les mêmes caractéristiques techniques que les prérogatives dont dispose, de façon exclusive, une autorité de tutelle » (REGOURD, L’acte…, op. cit., p. 227).

1149 DEMICHEL (A.), Le contrôle de l’Etat sur les organismes privés. Essai d’une théorie générale, thèse droit, Bor-deaux, 1958, Paris, LGDJ, 1960, tome 2, p. 621.

1150 DELION, L’Etat…, op. cit., p. 43.

pour ne pas dire plus simplement, comme Pierre Comte à propos du contrôle qui s’exerce sur les

comités d’organisation, « forte tutelle de l’Etat »

1152

.

Parce qu’elles sont soumises à une telle tutelle, un certain nombre de personnes dirigeantes

sont placées d’un point de vue fonctionnel sous l’autorité supérieure de l’Etat

1153

. Cela perturbe la

distinction entre les organes et les personnes puisque les prérogatives détenues par cette autorité sont

de la nature de celles qu’un supérieur hiérarchique exerce sur ses subordonnés

1154

. Bien qu’elles ne

soient pas formellement inscrites dans la hiérarchie de l’Etat, ces institutions le sont d’un point de

vue fonctionnel et apparaissent en définitive non pas comme des personnes mais comme des organes

de l’Etat. Les choses sont d’autant plus délicates que leur lien de rattachement à l’Etat les place, la

plupart du temps, sous sa dépendance organique.

2/ Une subordination souvent révélée par la dépendance organique

Le rattachement

1155

désigne « le rapport structurel de dépendance » d’une institution à la

per-sonne morale dont elle constitue le « prolongement personnalisé » en tant qu’elle est chargée

d’exer-cer une ou plusieurs activités entrant dans ses attributions

1156

. Parce que cette institution exerce une

partie des attributions de cette personne, elle demeure « sa chose » et, « étant “sa chose”, [elle] lui est

nécessairement rattaché[e] »

1157

. Le rattachement implique l’existence de liens organiques étroits

entre les deux entités, qui permettent à la seconde d’assurer la maîtrise du service dont la gestion est

confiée à la première

1158

.

1152 « La structure… », art. cit., p. 96. Voir également PERSONNAZ, « Le régime… », art. cit., p. 15 (l’auteur parle de « tutelle administrative » mais reconnaît que « l’étendue des pouvoirs de l’Etat » qui s’exerce sur l’activité des organismes professionnels la rapproche d’un « contrôle hiérarchique »).

1153 Outre les organismes cités dans ce paragraphe : les groupements interprofessionnels laitiers, les groupements inter-professionnels forestiers et les groupements interinter-professionnels piscicoles.

1154 L’anomalie se retrouve aussi en ce qui concerne les organismes de direction qui, bien que dotés de la personnalité, sont, du point de vue fonctionnel, placés non seulement sous l’autorité supérieure de l’Etat, mais encore sous celle d’une autre personne dirigeante. Dans un arrêt du 19 juin 1946, le Conseil d’Etat admet ainsi que le Comité central des groupe-ments interprofessionnels laitiers avait qualité pour se substituer aux groupegroupe-ments départementaux interprofessionnels laitiers, lorsque ceux-ci n’étaient pas en mesure d’exercer leurs attributions (Syndicat général du commerce en gros des

beurres et fromages de Bordeaux et de la Gironde, R. p. 168). De même, certains groupements d’importation et de

répar-tition fonctionnaient suivant les commandements de comités d’organisation ou de sections de réparrépar-tition (cf. PERSON-NAZ, « Les groupements… », art. cit., p. 27).

1155 Sur le concept du rattachement : CONSTANS (L.), Recherches sur la notion et la classification des personnes

mo-rales administratives, thèse droit, Bordeaux, 1964, Paris, Dalloz, 1966, pp. 19-20 et 116-117 ; DOUENCE, « Le

ratta-chement… », art. cit. ; FATOME (E.), « A propos du rattachement des établissements publics », in Mélanges Moreau, Paris, Economica, 2003, pp. 139-154 ; PLESSIX (B.), « Etablissements publics – Notion, création, contrôle », JCl A., fasc. 135, §§ 68-74.

1156 PLESSIX, « Etablissements… », art. cit., § 69.

1157 FATOME, « A propos… », art. cit., p. 140. Dans le même sens, Louis Constans considère que cet organisme est un « préposé » de cette personne (Recherches…, op. cit., p. 117).

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