Les employeurs ne peuvent pas embaucher n’importe qui. Ils doivent respecter les règles
po-sées en la matière par la législation sur le travail qui établit un certain nombre d’interdictions. Par une
loi du 21 mars 1941
420, le régime de Vichy confirme ainsi l’obligation pour les employeurs de ne pas
embaucher de mineurs dans les établissements industriels et commerciaux ni de femmes accouchées
dans les quatre semaines qui suivent leur délivrance, en étendant même cette prohibition aux offices
publics et ministériels, aux professions libérales, aux sociétés, aux syndicats et aux associations de
toute nature
421. En outre, le travail des femmes mariées est interdit par une loi du 11 octobre 1940
422,
même si des dérogations sont prévues par le texte et que face aux difficultés de l’organisation pratique
d’une telle limitation, son application sera suspendue par une loi du 12 septembre 1942
423.
Ces mesures poursuivent un but social. Il s’agit de protéger les enfants et les femmes,
confor-mément à la politique familiale du régime. Mais ces règles produisent des effets sur l’économie
puisqu’elles éliminent des travailleurs du marché du travail et libèrent des emplois dont peuvent
bé-néficier les chômeurs. Dans le même esprit, pour protéger la main-d’œuvre nationale, un décret-loi
du 20 janvier 1939
424pose le principe de l’interdiction de l’emploi des étrangers sauf dans les
profes-sions agricoles et sauf autorisation dérogatoire. Une loi du 27 août 1940
425remet en vigueur à compter
419 A propos de cet aspect du dirigisme de Vichy : DURAND (P.), « Une orientation nouvelle du droit du travail : l’ordre économique et le droit du travail », D. C. 1941 (chr.) pp. 29-32 ; LE GOHEREL (M.), « L’évolution sociale depuis l’ar-mistice », in Nouvel…, op. cit., pp. 53-78.
420 Loi relative à la situation, au regard de la législation du travail, de certaines catégories de travailleurs, JO 9 avr., p. 1523. Cf. X., « La loi du 21 mars 1941 et le champ d’application de la législation du travail », CDS, XI, Le nouveau
régime du travail, 1941, pp. 17-19.
421 Art. 1er de la loi du 21 mars 1941 relative à la situation, au regard de la législation du travail, de certaines catégories
de travailleurs.
422 Loi relative au travail féminin, JO 27 oct., p. 5447. Cf. SCELLE (G.), « La nouvelle réglementation de l’embauchage », CDS, XI, Le nouveau régime du travail, 1941, pp. 3-17.
423 Loi relative au travail féminin, JO 4 nov., p. 3665.
424 Décret-loi sur la situation des travailleurs de nationalité étrangère en temps de guerre, JO 20 sept., p. 11608.
425 Loi relative à la protection de la main-d’œuvre nationale, JO 29 août, p. 4827. Cf. D. (P.), « L’emploi des travailleurs étrangers (loi du 27 août 1940) », CDS, XI, Le nouveau régime du travail, 1941, pp. 46-47.
du 15 septembre 1940 le principe du contingentement issu des dispositions de la loi du 10 août 1932
426dont l’application avait été suspendue
427. La proportion des travailleurs étrangers autorisés à être
em-bauchés est ainsi fixée par profession pour l’ensemble du territoire ou pour une région déterminée
avec possibilité de dérogations
428.
Les patrons qui embauchent doivent aussi respecter les interdictions de cumuls d’emploi
po-sées par une loi du 11 octobre 1940
429, même si des exceptions sont prévues par ce texte
430. Ainsi,
doivent réserver leur activité à leur employeur, les « fonctionnaires, agents et ouvriers des services
publics de l’Etat, des départements, communes, offices, établissements publics et colonies, [les]
per-sonnes commissionnés ou titulaires de la Société nationale des chemins de fer ou des réseaux de
chemins de fer d’intérêt local et autres services concédés, compagnies de navigation maritime et
aé-rienne subventionnées, régies municipales et départementales, directes ou intéressées, ainsi [que le]
personnel titulaire des caisses d’assurances sociales »
431. En plus de cette fonction, ces individus ne
peuvent pas occuper un emploi privé rétribué, ni même effectuer, à titre privé, un travail rémunéré
432.
Il s’agit surtout de lutter contre le chômage. Dans cette optique, le « travail noir »
433est interdit :
aucun salarié des professions industrielles, commerciales et artisanales ne peut effectuer de travaux
rémunérés relevant de ces professions au-delà de la durée maxima du travail, applicable dans sa
pro-fession
434, sachant que cette réglementation peut être étendue au travail agricole
435. De plus, afin de
mieux répartir le travail disponible, le nombre des heures supplémentaires autorisées est réduit
uni-formément pour toutes les entreprises, et une limitation de la durée du travail inférieure à celle qui
résulte de la réglementation générale en vigueur peut être imposée pour une profession, pour une
catégorie de travaux, pour une région ou pour plusieurs établissements déterminés
436.
426 Loi protégeant la main-d’œuvre nationale, JO 12 août, p. 8818, rectif., JO 7 sept., p. 9754.
427 Art. 5 du décret-loi du 20 janv. 1939 sur la situation des travailleurs de nationalité étrangère en temps de guerre.
428 Art. 2 de la loi du 10 août 1932 protégeant la main-d’œuvre nationale.
429 Loi sur les cumuls d’emploi, JO 27 oct., p. 5446, rectif., JO 28 oct., p. 5453 et 9 nov., p. 5620. Cf. VERSINI (R.), « Les cumuls d’emploi », CDS, XI, Le nouveau régime du travail, 1941, pp. 41-45.
430 Art. 5 de la loi du 11 oct. 1940 sur les cumuls d’emploi.
431 Art. 2 (al. 1er) de la loi du 11 oct. 1940 sur les cumuls d’emploi.
432 Art. 2 de la loi du 11 oct. 1940 sur les cumuls d’emploi. Pour les fonctionnaires de l’Etat et de ses établissements publics, voir aussi : art. 19 (al. 1er) de la loi du 14 sept. 1941 portant statut général des fonctionnaires civils de l’Etat et
des établissements publics de l’Etat, JO 1er oct., p. 4211.
433 DURAND (P.) et ROUAST (A.), Précis de législation industrielle (droit du travail), Paris, Dalloz, 1943, 1ère édit., p. 280.
434 Art. 3 de la loi du 11 oct. 1940 sur les cumuls d’emploi.
435 Art. 12 de la loi du 11 oct. 1940 sur les cumuls d’emploi.
436 Loi du 13 août 1940 relative au régime du travail, JO 15 août, p. 4699, rectif., JO 5 sept., p. 4898, modifiée par une loi du 11 févr. 1941 (JO 30 mars, p. 1370). Cf. D. C. 1941 L. pp. 58-60, com. anonyme ; MARCHAL (A.), « La durée du travail depuis juin 1940 », CDS, XI, Le nouveau régime du travail, 1941, pp. 37-40.
Les employeurs doivent aussi se soumettre à des obligations d’embauchage afin d’assurer un
emploi à certains travailleurs
437. En outre, pour préserver « la stabilité du personnel », ils ne peuvent
pas licencier leurs employés sans autorisation préalable
438. Surtout, ils ne peuvent pas utiliser leur
main-d’œuvre de n’importe quelle façon. Dans chaque famille professionnelle, des mesures
s’impo-sent conformément à une loi du 4 octobre 1941, plus connue sous le nom de « Charte du travail »
439,
ou à d’autres dispositions spécifiquement applicables à certaines familles
440. Les patrons doivent ainsi
respecter les règles relatives aux salaires et celles contenues dans les conventions collectives, les
règlements touchant au licenciement
441ainsi que les mesures relatives à l’hygiène et à la sécurité au
travail
442. Enfin, ils doivent se conformer aux règles qui touchent à la formation professionnelle,
c’est-à-dire à celles qui encadrent l’apprentissage
443, le perfectionnement et le reclassement des travailleurs
437 Décret-loi du 21 avr. 1939 ayant pour objet de garantir aux hommes rappelés sous les drapeaux la reprise de leur
contrat de travail, JO 22 avr., p. 5234, rectif., JO 29 avr., p. 5486, modifié par une loi du 30 juin 1941 (JO 14 juill., p.
2941) ; loi du 13 sept. 1940 relative à l’obligation d’emploi des démobilisés, JO 18 sept., p. 5038, modifiée par des lois du 30 juin 1941 (JO 14 juill., p. 2941) et du 6 juin 1942 (JO 26 juill., p. 2570) ; loi du 8 oct. 1940 relative à l’embauchage
des pères de famille, JO 11 nov., p. 5641 ; art. 7 de la loi du 27 déc. 1940 relative à la résiliation des contrats de travail pour suppression d’emploi ou réduction d’activité des entreprises, JO 31 déc., p. 6350, rectif., JO 12 janv. 1941, p. 165
et 2 mars 1941, p. 978, modifiée par une loi du 18 avr. 1941 (JO 4 mai, p. 1894) ; loi du 2 févr. 1942 relative au réemploi
des prisonniers de guerre rapatriés, JO 21 mars, p. 1106 ; loi du 2 oct. 1942 relative au réemploi des travailleurs qui se rendent en Allemagne pour occuper un emploi salarié, JO 4 oct., p. 3377. Sur cette question, voir BRETHE DE LA
GRESSAYE (J.), « Les priorités d’embauchage à un emploi salarié », JCP 1942 I n°285 ; DURAND et ROUAST,
Pré-cis…, op. cit., pp. 281-282 ; ODINET (N.), « La résiliation des contrats de travail pour suppression d’emploi ou réduction
d’activité des entreprises », CDS, XI, Le nouveau régime du travail, 1941, pp. 28-34 ; SCELLE, « La nouvelle… », art. cit.
438 Art. 5 (al. 1er) de la loi du 4 sept. 1942 relative à l’utilisation et à l’orientation de la main-d’œuvre, JO 13 sept., p. 3122.
439 Loi relative à l’organisation sociale des professions, JO 26 oct., p. 4650. Sur cette loi : La Charte du travail, CDS, XIII, janv. 1942 ; CROQUEZ (A.), « La Charte du travail », Gaz. Pal. 1941 II (doct.) pp. 110-119 ; DURAND (P.), « Au-delà de la Charte », DS 1944 pp. 221-228 ; GUERDAN (R.), La Charte du travail, Paris, Flammarion, 1941 ; JULLIARD, « La Charte… », art. cit. ; KREHER (J.) et PIC (P.), Le nouveau droit ouvrier français dans le cadre de la Charte du
travail, Paris, R. Pichon et R. Durand-Auzias, 1943 ; LAROQUE (P.), « La Charte du travail », JCP 1941 I n°234 ; LE
CROM, L’organisation…, op. cit. ; PIROU, Economie…, op. cit., tome 2, pp. 170-180 ; SOYEZ (C.), La Charte du travail
et son application, Lille, Douriez-Bataille, 1943.
440 Art. 5 et 7 de la loi du 2 déc. 1940 relative à l’organisation corporative de l’agriculture ; art. 7 et 12 de la loi du 13 mars 1941 relative à l’organisation corporative des pêches maritimes ; art. 7 et 10 de la loi du 27 mars 1942 portant
organisation préliminaire de la Corporation de la marine de commerce ; art. 18, 20 et 24 de la loi du 14 avr. 1942 portant organisation de la Corporation de la navigation intérieure ; art. 12 de la loi du 20 nov. 1943 portant organisation cor-porative des industries alimentaires de transformation des produits de la pêche maritime. Pour l’adaptation des dispositifs
de la loi du 4 oct. 1941 relative à l’organisation sociale des professions aux artisans, officiers ministériels et professions libérales, voir la loi du 21 juin 1942 portant statut du personnel employé par les membres des ordres et des professions
régis par des dispositions particulières, JO 23 juill., p. 2530 (cf. TEITGEN (H.), « Le statut du personnel employé par
les membres des ordres et professions régis par des dispositions particulières », DS 1942 pp. 204-207) et les articles 36 (3° et 4°) et 42 (4°) de la loi du 24 août 1943 portant statut de l’artisanat (cf. DEMONDION (P.), « La Charte du travail et l’artisanat », DS 1942 pp. 96-101).
441 Voir spécifiquement la loi du 16 nov. 1942 relative à la situation du personnel dont le licenciement est la conséquence
directe des mesures de concentration industrielle (JO 24 nov., p. 3890). Cf. ODINET (N.), « La situation du personnel
licencié en application des mesures de concentration industrielle », DS 1943 pp. 112-116 ; KREHER (J.), « La concen-tration industrielle et les droits des salariés », Gaz. Pal. 1943 I (doct.) pp. 13-14.
442 Art. 31 de la loi du 4 oct. 1941 relative à l’organisation sociale des professions.
443 La loi du 27 août 1940 organisant la formation professionnelle et l’utilisation des équipes de jeunes gens dans
l’agri-culture (JO 30 août, p. 4843), modifiée par une loi du 1er juin 1941 (JO 18 juin, p. 2542), permet d’imposer aux exploitants et artisans ruraux la formation d’un certain nombre d’apprentis.