Certains organismes de direction économique sont insérés dans une structure préexistante
glo-bale : l’Etat. Ils sont intégrés à sa personne : ils parlent en son nom et ne possèdent pas de patrimoine
distinct du sien
1016. Ils constituent des services de l’Etat et engagent sa responsabilité
1017. Pour la
plupart, ils sont placés sous la subordination d’une autorité étatique
1018. Il faut toutefois souligner le
cas particulier de la Commission de contrôle des banques qui, malgré les liens qui l’unissent au
mi-nistre de l’Economie
1019, semble échapper tant à son pouvoir hiérarchique qu’à son pouvoir de tutelle.
1016 Dans la même logique, certains organismes de direction partagent avec une autre personne dirigeante que l’Etat les attributs de sa personnalité. C’est par exemple le cas des bureaux de normalisation constitués auprès des organismes professionnels en vertu de l’article 7 du décret du 24 mai 1941 définissant le statut de la normalisation.
1017 Pour la Commission de contrôle des banques : CE Sect., 12 févr. 1960, Kampmann, préc. ; CE Ass., 29 déc. 1978,
Darmont, R. p. 542, AJDA 1979 p. 45, note Lombard, D. 1979 J. p. 278, note Vasseur, RDP 1979 p. 1742, note J.-M.
Auby.
1018 Pour la réglementation de l’utilisation, de la production, de la collecte et de la répartition de certaines ressources : les comités départementaux et les sous-comités cantonaux de répartition en bois de chauffage réservé à la consommation des boulangeries (loi du 24 déc. 1940 relative à l’approvisionnement en bois de chauffage réservé à la consommation des
boulangeries), le Commissariat général aux économies de matières premières (loi du 31 juill. 1943 portant création de ce Commissariat), le Commissariat général aux ressources agricoles (loi du 21 déc. 1941 portant création de ce Commis-sariat), le Commissariat à la mobilisation des métaux non ferreux (loi du 26 janv. 1942 relative à la création de ce Commissariat) ; pour l’édiction des règles de répartition des travailleurs sans emploi : les offices régionaux et
départe-mentaux du travail (loi du 11 oct. 1940 relative au placement des travailleurs et à l’aide aux travailleurs sans emploi) ; pour l’accomplissement de certaines opérations commerciales : les commissions d’achat à compétence générale ou spé-cialisées par produit (loi du 5 mai 1941 relative aux commissions de réception) ; pour la réorganisation foncière et le remembrement rural : les commissions communales et les commissions départementales de remembrement (loi du 9 mars 1941 sur la réorganisation de la propriété foncière et le remembrement) ; pour la répression des infractions à la législation sur les prix : le Comité contentieux du contrôle des prix (loi du 21 oct. 1940 modifiant, complétant et codifiant la
législa-tion sur les prix).
1019 Les pouvoirs de contrôle exercés par la Commission pour veiller à l’application de la réglementation de la profession bancaire peuvent être étendus par le ministre à d’autres professions connexes (art. 48 (al. 4) de la loi du 13 juin 1941
relative à la réglementation et à l’organisation de la profession bancaire). Le ministre nomme les suppléants des
membres de la Commission (art. 49, al. 2). Le commissaire du gouvernement représentant du ministre au sein du comité permanent d’organisation professionnelle des banques, entreprises et établissements financiers a un droit d’entrée aux séances de la Commission (art. 49, al. 4). Enfin, les comptes de recettes et de dépenses de la Commission sont soumis annuellement au contrôle du ministre (art. 56).
Elle ne reçoit de lui ni ordres, ni instructions. Les décisions qu’elle prend dans le cadre de ses
com-pétences sont dotées d’une force exécutoire. La Commission, tout en étant intégrée à la personne de
l’Etat, bénéficie donc d’une certaine indépendance. Pour la doctrine, cet organisme, qui a survécu au
régime de Vichy et n’a disparu qu’en 1984, refondu dans la Commission bancaire, constitue la
pre-mière des autorités administratives indépendantes
1020. Malgré la spécificité de son statut, la
Commis-sion de contrôle des banques, tout comme les organismes précédemment évoqués, constitue un
ser-vice de l’Etat, sans que cela pose de difficultés particulières du point de vue de la distinction des
personnes et des organes
1021. Les choses sont plus délicates lorsque le législateur engendre dans le
même temps de nouvelles structures pour grouper les organismes de direction qu’il crée ou dont il
permet la naissance.
Une telle configuration est adoptée par le régime de Vichy pour organiser certaines activités
professionnelles. L’ambition est même de faire en sorte qu’à terme, chaque profession soit organisée
de cette manière. Le but est de structurer les professions en corporations. Par la Charte du travail, le
régime de Vichy pose les bases pour réaliser cet objectif
1022. Il permet la constitution de familles
professionnelles en vue de gérer les intérêts professionnels de leurs membres et d’apporter leur
con-cours à l’économie nationale. La mise en place de ces familles préfigure celle des corporations. Elles
forment des entités destinées à devenir de véritables incarnations des groupes formés par les membres
des professions organisées. En attendant la création de ces corporations, la Charte du travail prévoit
la mise en place d’organismes syndicaux et de comités sociaux ; les premiers, pour représenter et
gérer les intérêts des différentes catégories de travailleurs des professions concernées, les seconds,
pour représenter et gérer les intérêts professionnels d’ordre social et réglementer d’un point de vue
social l’exercice des activités professionnelles dont ils sont responsables. Sous le régime de la Charte,
les questions d’ordre économique restent de la compétence des organismes créés à cette fin. Entre
eux et les comités sociaux, une liaison étroite est établie « afin de réaliser l’harmonie et l’adaptation
réciproque des mesures sociales et économiques »
1023. Cette organisation est provisoire. Sur le
mo-dèle qu’elle présente, la Charte invite ainsi chaque profession à établir, en fonction de sa spécificité,
1020 Voir, entre autres références : BAYLAC, La législation…, op. cit., p. 20 ; CANNAC (Y.) et GAZIER (F.), « Les autorités administratives indépendantes », EDCE 1983-1984 pp. 17-18 ; COLLIARD (C.-A) et TIMSIT (G.) [dir.], Les
autorités administratives indépendantes, Paris, PUF, 1988, p. 11 ; GENTOT (M.), Les autorités administratives indépen-dantes, Paris, Montchrestien, 1991, pp. 109-111 ; GUEDON (M.-J.), Les autorités administratives indépenindépen-dantes, Paris,
LGDJ, 1991, p. 13 ; ICARD (P.), Les autorités administratives indépendantes, thèse droit, Dijon, 1991, tome 1, pp. 21-22.
1021 Sur la question pour les autorités administratives indépendantes en général : DEBET (A.), « Autorités administratives indépendantes et personnalité morale », in AHC, La personnalité morale, Paris, Dalloz, 2010, pp. 15-29.
1022 Cf. DENIS (H.), « Charte du travail et corporatisme », CDS, XIII, La Charte du travail, janv. 1942, pp. 51-56.
1023 Art. 78 de la loi du 4 oct. 1941 relative à l’organisation sociale des professions. Sur la question de la liaison des comités sociaux et des comités d’organisation, voir CROQUEZ, « Les organismes… », art. cit., 1942, pp. 52-53 ; CUL-MANN, Les services…, op. cit., pp. 271-273 ; IZARD (G.), « Comités provisoires d’organisation et comités sociaux »,
« une charte corporative particulière (…) soumise à l’agrément des pouvoirs publics » portant statut
d’une « organisation habilitée à connaître à la fois des questions économiques et des questions
so-ciales »
1024, c’est-à-dire créant une véritable corporation au sens politique du terme
1025, avec dilution
des syndicats professionnels dans des associations mixtes réunissant employés et employeurs
1026. La
création de trois corporations a ainsi été approuvée par décrets
1027. Dans certains secteurs, le
législa-teur n’a pas attendu que les professions prennent ou reprennent
1028en main leur organisation : il a
procédé lui-même à la constitution de corporations
1029, appelées « ordres » pour les professions
libé-rales
1030et « compagnies » ou « communautés » pour les officiers ministériels
1031. Lorsque les
pro-fessions sont organisées en familles professionnelles, corporations, ordres, compagnies ou
commu-nautés, les organismes en charge de leur organisation appartiennent aux structures globales que
cons-tituent ces ensembles
1032.
CDS, XIII, La Charte du travail, janv. 1942, pp. 57-61 ;LE CROM (J.-P.), « Comités d’organisation et comités sociaux ou l’introuvable interpénétration de l’économique et du social », in JOLY, Les comités…, op. cit., pp. 253-263.
1024 Art. 39 (al. 1 et 2) de la loi du 4 oct. 1941 relative à l’organisation sociale des professions. Pour s’adapter aux particularités des professions artisanales, la loi du 24 août 1943 portant statut de l’artisanat établit un cadre-type pour l’élaboration de chartes corporatives artisanales (titre II).
1025 Sur les significations du terme « corporation », voir infra (pp. 239-242).
1026 Art. 38 de la loi du 4 oct. 1941 relative à l’organisation sociale des professions.
1027 La Corporation de la boucherie (décret du 5 déc. 1942 portant création de cette Corporation, JO 6 déc., p. 4016, cf. X., « La Corporation de la boucherie », DS 1943 pp. 141-148), la Corporation de la charcuterie (décret du 27 nov. 1943
portant agrément de la charte corporative de la charcuterie, JO 18 déc. 1943, p. 3221) et la Corporation des
administra-teurs de biens (décret du 29 nov. 1943 portant agrément de la charte corporative des administraadministra-teurs de biens, JO 17 déc. 1943, p. 3215).
1028 Les officiers ministériels et les avocats étaient déjà organisés en corporations avant la guerre.
1029 La Corporation agricole (loi du 2 déc. 1940 relative à l’organisation corporative de l’agriculture) ; la Corporation des pêches maritimes (loi du 13 mars 1941 relative à l’organisation corporative des pêches maritimes) ; la Corporation de la marine de commerce (loi du 27 mars 1942 portant organisation préliminaire de cette Corporation) ; la Corporation de la navigation intérieure (loi du 14 avr. 1942 portant organisation de cette Corporation) ; la Corporation des industries alimentaires de transformation des produits de la pêche maritime (loi du 20 nov. 1943 portant organisation corporative
des industries alimentaires de transformation des produits de la pêche maritime).
1030 L’Ordre des médecins (loi du 7 oct. 1940 instituant cet Ordre) ; l’Ordre des architectes (loi du 31 déc. 1940 instituant
cet Ordre et réglementant le titre et la profession d’architecte) ;les ordres des avocats (loi du 26 juin 1941 réglementant
l’exercice de la profession d’avocat et la discipline du barreau) ; l’Ordre des vétérinaires (loi du 18 févr. 1942 relative à l’institution de cet Ordre) ; l’Ordre des experts comptables et des comptables agréés (loi du 3 avr. 1942 instituant cet Ordre et réglementant les titres et les professions d’expert comptable et de comptable agréé) ; l’Ordre corporatif des
géomètres experts (loi du 16 juin 1944 instituant cet Ordre).
1031 Les compagnies de notaires (loi du 16 juin 1941 réorganisant les chambres des notaires et instituant des conseils
régionaux et un Conseil supérieur du notariat) ; les compagnies d’agréés près les tribunaux de commerce (loi du 8 déc.
1941 portant statut des agréés près les tribunaux de commerce) ; les compagnies d’avoués près les tribunaux de première instance et les compagnies d’avoués près les cours d’appel (loi du 5 mars 1942 relative aux institutions de discipline et
de représentation professionnelle des avoués) ; les communautés d’huissiers (loi du 20 mai 1942 relative aux institutions de discipline et de représentation professionnelle des huissiers) ; les compagnies de commissaires-priseurs (loi du 1er
juill. 1942 portant statut des commissaires-priseurs).
1032 Ces ensembles ne sont pas toujours nationaux. Pour les avocats et les officiers ministériels, l’incarnation est exclusi-vement locale pour des raisons qui tiennent à l’histoire de leur organisation respective. Ainsi, il n’y a pas un Ordre national des avocats qui regroupe l’ensemble des avocats mais plusieurs ordres qui les regroupent par barreau. De même pour les officiers ministériels, il n’y a pas une compagnie générale par profession mais des compagnies réunissant localement les professionnels, en fonction des cas, par circonscription judiciaire ou par département. C’est ce qui fait dire à René Savatier que « la profession (…) est tantôt centralisée, comme pour les médecins, tantôt décentralisée, comme pour les avocats, dont chaque barreau constitue vraiment une petite cité indépendante » (« L’origine et le développement du droit des pro-fessions libérales », APD 1953-1954 p. 59). Pour l’auteur, « plus l’organisation juridique disciplinaire est ancienne, et