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Dès PAtlas de littérature potentielle (Gallimard, 1981 v.), Jacques Roubaud stigmatise dans ses “principes parfois respectés par les travaux oulipiens” une influence possible du signifiant sur le signifié à l‟intérieur même de certains textes à contraintes. Plus simplement, la forme conditionne parfois le fond. Ou encore, la structure du texte est le sujet du texte.

Notre thème ici étant de définir la contrainte, il semble judicieux de prendre le chemin inverse et que notre sujet influe l‟organisation de l‟écrit. On peut à l‟évidence gloser sur la littérature potentielle de la même manière qu‟il est loisi- ble de le faire sur n‟importe quel type d‟écriture. Cependant, afin de présenter une analyse qui exprime correctement le fond de la question, il convient de donner à la forme de cette définition (dans le cadre de l‟Oulipo puis, à sa suite, des autres Ouvroirs d‟X Potentielle - Ou-x-Po) un tour hautement ouxpien.

Notre définition de la contrainte se doit d‟être elle-même potentielle.

Subdivisons la contrainte d‟écriture en deux catégories principales. Le procédé de production peut se baser sur un système transformatif (agissant sur un objet préétabli pour arriver au résultat contraint) ou sur un système productif (c‟est alors la contrainte même qui crée le texte).

1. Le système transformatif.

On peut aisément définir les contraintes transformatives, il suffit de se baser sur les études qui ont été faites concernant, entre autres possibles, la résis- tance des matériaux subissant une contrainte. L‟Oulipo, tout comme les autres membres de l‟Ou-x-Po suivant son modèle, utilise des procédés mathématiques et scientifiques pour ses démonstrations. Faisons appel à la science pour les analyser.

DEFINIR LA CONTRAINTE

57 Un exemple simple: la Littérature Sémio-Définitionnelle, à classer dans les contraintes par allongement. Ce type de contrainte est fréquemment noté N (le même symbole est d‟ailleurs utilisé pour la compression).

- AL correspond à la longueur de l‟allongement, - Lg est la longueur avant contrainte,

- L est la longueur après contrainte (l‟unité est habituellement exprimée en mm, mais on peut très bien dans notre cas traduire par l‟unité “lettre”).

La loi de Hooke nous donne ceci : AL = L - Lg = k . F

Non seulement la contrainte est parfaitement classée et définie, mais nous découvrons de plus P , qui est la force de l‟effort en Newtons !

Nous pouvons même avoir la résistance limite du texte (fin de proportion- nalité entre A L e t F ) :

R = F / S

e e

S étant la section soumise à l‟effort maximum F .

e

Voici donc qu‟en cherchant une définition rationnelle et rigoureuse nous avons glané des renseignements inespérés sur l‟effort du contraignant et la ré- sistance du contraint. Et bien entendu cette analyse est applicable également pour l‟OuPeinPo, l‟OuTraPo, etc. en changeant l‟unité de mesure.

On sait décrire avec précision la plupart des contraintes exercées sur des objets existants, que ce soit /V(dans l‟exemple précédent), f (effort tranchant qui peut se traduire dans le lipogramme, la lipocinésie...), Mt (la torsion, transposable pour l‟anagramme, le canon gestuel...), etc.

Dans le domaine élastique comme dans un autre (littéraire, pictural, dra- matique, historique...) il suffit de trouver l‟équivalence la plus juste et de suivre les lois pour obtenir des définitions incontestables.

2. Le système productif.

En ce qui concerne la contrainte productive, l‟histoire nous montre sou- vent que l‟artiste crée de nouvelles structures afin de détourner la censure. La censure devient le moteur de la création et les censures sont innombrables...

C’est donc le potentiel créatif d‟un ouvroir qu‟il faudrait établir pour savoir s‟il n’y a que quelques possibilités de détournement (définissables) ou s‟il y en a

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L, la longueur en m M, la masse en kg T, le temps en s I, l‟intensité en A

une multitude (ce qui entraînerait presqu‟autant de nouvelles subdivisions).

Pour établir un potentiel, la procédure consiste la plupart du temps à dé- finir une différence entre deux points. L‟équation existe, la différence de poten- tiel entre x et x‟ devrait se calculer ainsi :

V - V , = f Ë . dî

X X X J

Mais pour ce faire il faudrait connaître certains éléments:

Vx et Vx, sont les potentiels des Ouvroirs x et x‟, / est le chemin de x à x‟,

Ë est le champ électrique.

Le chemin d‟un ouvroir à l‟autre semble délicat à mesurer précisément, sans parler du champ électrique... En revanche, on peut exprimer le potentiel en Volt, cela a l‟avantage que toutes les formules sont aisément lisibles et qu‟il ne reste qu‟à en faire le produit :

V = m2.kg.s-3.A-> = L2.M.T-3.I-'

Il faut considérer l‟ensemble des éléments de Touvroir, le nombre de mem- bres importe peu pour le calcul, mais il faut récolter les informations suivantes:

: l‟expression en mètres des tailles additionnées de chaque membre.

: le poids des membres.

: le nombre de secondes nécessaires pour qu‟une contrainte s‟élabore.

: le nombre d‟ampères du groupe.

Il ne faut surtout pas ignorer l‟intensité de l‟ouvroir : si l‟on supprime les ampères du calcul on n‟obtient que la puissance (en Watt) et non plus le poten- tiel (en Volt).

L‟ampère correspond à une force égale à2.10„7N, calculée pour un mètre de deux conducteurs distant l‟un de l‟autre d‟un mètre également. On peut s‟amu- ser à placer les membres conducteurs dans une piscine ou en apesanteur dans un caisson mais cela ne devrait pas influer sur l‟énergie de création des ouxpiens.

Elle équivaut donc à 2.10'7Newton (N = m.kg.s 2) à condition d‟isoler les conducteurs de Touvroir à une distance d‟un mètre les uns des autres et de ne

DEFINIR LA CONTRAINTE

59 compter que la taille et le poids des seuls conducteurs (supprimer donc de cette sous-opération les membres correspondants, membres honoris causa, cobayes, etc.)

Dans ce cas de figure, A = 2.10'7,m.kg.s'2

Nous pouvons donc calculer le potentiel ( V=m2.kg.s„3. A ') d‟un ouvroir, mais à un moment précis (la taille et le poids des membres pouvant changer assez régulièrement avec l‟âge et selon l‟abondance des repas).

Imaginons un ouvroir x de 15 membres dont 10 conducteurs, posons que Fouxpien moyen ait un poids de 70kg., une taille d‟1,70 m, et un temps de réflexion d‟une minute (ce sont des mesures arbitraires mais il fallait bien un exemple).

15membres= 255.10_1m 105.10kg 9.102 s 10 conducteurs=l 7 m

7.102 kg 6.102 s A = 6,61...

V = 141.666,66...

Cet ouvroir x a un voltage avoisinant celui d‟une centrale. Son potentiel est bien un nombre fini (quoique pouvant changer), mais difficilement épuisable pendant la minute de réflexion accordée.

Le potentiel créatif d‟un ouvroir est à manipuler avec précaution et, même s‟il nous a été possible d‟en donner une définition précise, il serait infructueux de chercher une liste exhaustive de ses possibilités. A chaque instant, suivant la fatigue, la santé, la digestion, la naissance et la mort des membres, les coordon- nées du potentiel évoluent et de nouveaux calculs sont à élaborer.

C‟est une quête étemelle, car les voies du potentiel sont innombrables...

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Jean-Marie Schaeffer