• Aucun résultat trouvé

TEXTES A CONTRAINTES

D OSSIER T HEORIQUE - 2 ERE P ARTIE

théorique, décrit le fonctionnement du processus de communication complet entre l‟auteur et le lecteur. Cette approche est à la fois communicationnelle et systémique.

L‟approche communicationnelle permet de donner corps à une approche fonctionnelle et ouvre le débat en taisant intervenir des instances extra-textuel- les qui interviennent dans la construction du sens et même la constitution socio- culturelle du “texte” (texte-à-voir définit ci-après) et qui ne sont pas pris en compte par la sémiotique qui reste fondée sur leur élimination du modèle théo- rique. Ces éléments sont des acteurs socio-culturels, et notamment le “contrô- leur du canal” pour reprendre une expression de Robert Escarpit [1976]. Les modèles communicationnels contemporains [Wîllet, 1992], [Mucchielli, 1995], [Mucchielli et ail, 1998] utilisent une approche duale constituée d‟un modèle du fonctionnement psychologique interne des acteurs, et un modèle externe dé- crivant les actions et processus de communication exercés par ces acteurs dans le système considéré. Le modèle dual est accès sur la genèse du sens. Il accorde notamment une grande importance aux éléments de métacommunication, qui se rapprochent des composantes contextuelles appréhendées par la sémiotique.

Comme on le voit, un tel modèle n‟a plus rien à voir avec le modèle de Shannon sur lequel s‟appuie encore trop souvent la sémiotique pour rejeter l‟approche communicationnelle. La relation entre une telle approche et la sémiotique du Groupe p [ 1992] montre qu‟à l‟évidence il y a plus de complémentarité que de divergences entre les deux analyses.

L‟approche communicationnelle s‟avère notamment performante dans les cas de figure où l‟approche sémiotique échoue. C‟est d‟ailleurs pour cette rai- son qu‟elle a été inventée. Il peut être curieux de considérer qu‟une approche sémiotique puisse échouer, et pourtant considérer que toute théorie a un do- maine de validité limité, ce qui ne lui permet pas de traita- / ’intégralité du champ qu‟elle se propose d‟étudia, fait partie des grandes leçons d‟humilité que la physique nous a enseignées. Une approche sémiotique s‟avère insuffisante, dans tous les cas où le signe textuel accessible au lecteur ne présente pas de caracté- ristique ontologique, c‟est-à-dire lorsque deux lecteurs différents pacoivent deux p-textes différents. Une analyse sémiotique reste possible dans chaque cas de constances. Dans le cas des œuvres procédurales d‟une part, c‟est-à-dire de cer-

A

PROPOS DE LA CONTRAINTE

75 taines œuvres littéraires programmées et lues sur ordinateur, et, temporairement peut-être, pour celles pour lesquelles les modalités de lecture prévues par l‟œuvre restent incompatibles avec celles possibles à notre époque9. Deux œuvres ma-

Le modèle communicationnel échappe au postulat ontologique en s‟ap- puyant sur un modèle psychologique de la réception. Il s‟agit d‟une approche tout à fait différente de celle de Jauss [1974], fondateur de l‟esthétique de la réception, qui s‟appuie sur la conception ontologique du texte. Le modèle du fonctionnement interne du lecteur repose sur les résultats accumulés depuis plus de vingt ans par la psychologie cognitive et qui a donné corps à plusieurs modè- situations, évidente, dans laquelle la conception ontologique fonctionne, est celle pour laquelle les mécanismes sémiosiques culturels donnant accès au plan de l‟expression l‟emportent. Il s‟agit de la quasi-totalité des œuvres, toutes cel- les qui s‟inscrivent dans l‟horizon d‟attente actuelle. Monsieur de La Fontaine peut dormir tranquille, personne ne contestera le caractère ontologique de ses Êibles. Mais les choses se compliquent dès lors que les mécanismes culturels entrent en compétition avec des mécanismes appris.

Une des principales caractéristiques du fonctionnement psychologique, est qu‟une lecture peut avoir lieu même dans cette situation, bien que son résul- tat sera très éloigné de celui qu‟aura un lecteur lorsque l‟œuvre en question sera intégrée. C‟est pourquoi le modèle proposé s‟appuie sur quatre objets textuels qui ne constituent pas des signes textuels et sur lesquels ne peut s‟exercer aucune analyse sémiotique.

Le plus important d‟entre eux est le texte-à-voir, qui correspond à l‟objet physique accessible aux sens du lecteur durant la lecture, objet investi d‟une attente particulière de sa part: la présence d‟un message. Ainsi un livre sur une étagère n‟est pas un texte-à-voir, ce livre ouvert en vue d‟une lecture est un

DOSSIER THEORIQUE -2**®PARTIE

76

texte-à-voir, ce même livre feuilleté en vue d‟un autre but que la lecture (pour en lecture qui va peu à peu le construire. Ce message est bien un signe textuel, mais le modèle admet que ce signe est différent pour chacun. Il est un construit et non un donné, un point d‟aboutissement et non une prémisse. C‟est pourquoi l‟ana- lyse sémiotique ne vient dans le modèle qu‟à l‟issue de l‟analyse communicationnelle.

Le second objet textuel pris en compte correspond à l‟ensemble des élé- ments matériels réalisés par l‟auteur. Cet ensemble est dénommé textes-auteur.

Il peut s‟agir du texte-à-voir précédait, dans le cas de livres d‟artistes par exem- ples, mais la plupart du temps le texte-à-voir est construit à partir du textes- auteur et en est très différent, dans son langage et sa structure. Le textes-auteur correspond au manuscrit, notes et corrections de l‟auteur dans le cas d‟un livre, au programme source et données dans le cas d‟une œuvre programmée. La parti- cularité de ce modèle est donc de prendre en compte, dès le départ, une autono- mie des objets textuels relatifs à la lecture de ceux relatifs à l‟écriture. Cette autonomie peut même alla jusqu‟à l‟indépendance, proposition inacceptable dans une conception ontologique qui recherche une convergence des deux, dans un rapport causal, le texte-à-voir devant être la conséquence du textes-auteur.

Ces deux objets phénoménaux, accessibles à tout observateur, sont com- n‟existe pas plus d‟image autonome d‟un texte qu‟ il n‟ existe de texte autonome.

Le modèle est cohérent sur ce point. Ici aussi, lorsque la conception ontologi- sentation mentale que l‟auteur se fait de l‟œuvre. Cette représentation interfère

A

PROPOS DE LA CONTRAINTE

77 avec celle qu‟il a de l‟ensemble de sa démarche et de ses aspirations. Le modèle prouve que ce texte-écrit n‟est pas totalement accessible à partir du textes-auteur.

L‟expérience montre que la prise en compte des phénomènes psychologi- ques à la lecture permet de créer des situations dans lesquelles auteur et lecteur ne perçoivent pas le même p-texte dans un texte-à-voir donné. C‟est le second résultat important du modèle: l‟influence des manipulations cognitives permet de réaliser des objets qui n‟ont ni le même contenu, ni la même signification à une réflexion préliminaire purement interne au signe textuel.

La contrainte comme manipulation textuelle.

Il a été proposé ci-dessus de définir la contrainte comme une manipula- tion textuelle. Il convient alors de distinguer les manipulations p-textuelles des manipulations L-textuelles, même si, fonction sémiotique oblige, toute manipu- lation sur un plan du signe modifie également l‟autre plan. La distinction va accessible et manipulable par un robot lecteur, pour reprendre une expression de Boris Vian. Tout le monde utilise un tel robot: il s‟agit par exemple d‟un

DOSSIER THEORIQUE -2ÈREPARTIE

78

Si le p-texte est sujet à manipulation phénoménale, le L-texte, lui, est sujet à programmation. Je ne parle pas de programmation informatique, mais de programmation de lectures. C ‟est en ce sens que le texte (en fait le L-texte) peut être considéré comme une série d‟instructions qui guident entre autres le rem- plissage cognitif chez le lecteur de l‟immense volant de non-dit dans le p-texte.

Au niveau du L-texte, purement cognitif le texte se joue en termes stratégiques entre deux individus: un auteur physique et un lecteur physique.

Les propositions de l‟OULIPO fourmillent d‟exemples de contraintes qui jouent tantôt sur le p-texte, tantôt sur le L-texte. Ainsi, la méthode S + 7 est une s‟appliquent sur le matériau à lire, alors que les manipulations L-textuelles jouent sur les modalités de lecture de ce matériau. En littérature informatique, les géné- rateurs automatiques entrent dans le cadre des contraintes p-textuelles, alors que les hypertextes entrent dans celui des contraintes L-textuelles. On consi- cent mille milliards de combinaisons. Une telle conception est alléchante mais peut être infirmée par la prise en compte des caractéristiques sémiotiques des part, exemple typique d‟une manipulation L-textuelle, et sur les manipulations combinatoires p-textuelles d‟autre part, par exemple celle des moules qui con-

carac-A

PROPOS DE LA CONTRAINTE

“biologiquement de durée infinie” d‟exploration d‟un matériau d‟extension p- textuelle finie. Remarquons que les cent mille milliards de poèmes correspon- dent, dans la version papier, à un texte à contraintes L-textuelles, alors que la vision qu‟en a Queneau, et qui est réalisée de façon plus fidèle par une program- mation informatique de l‟œuvre10, est une contrainte p-textuelle.

Dans le cas des manipulations L-textuelles, le p-texte constitue la base de ture informatique programmée, dont on peut considérer qu‟elles correspondent à des contraintes qui sont, pour le lecteur, de nature p-textuelle et, pour l‟auteur, de nature L-textuelle.

Conclusion et ouverture.

Certes ces définitions ne forment qu‟une approche préliminaire. Elle a permis toutefois de survoler un certain nombre de problématiques importantes.

L‟étape suivante consiste à prendre en compte le mixage possible entre p-texte et L-texte, labilité certainement incompatible avec la conception du signe. Cette prise ne compte nécessite de développer le modèle psychologique, et d‟ouvrir la question du sens en analysant notamment la relation qu‟établit le lecteur entre ses actions et la cognition dans la genèse du sens. Ce n‟est qu‟à cette étape que pourra être abordée la question actuelle, mais à peine ébauchée ici à propos de Queneau: pourquoi, dans certaines œuvres littéraire à contraintes, les contrain- tes ne sont elles pas perçues comme identiques par l‟auteur et certains lecteurs,

DOSSIER THEORIQUE -2ÈREPARTIE

80

que sont ces œuvres et pourquoi ne sont-elles pas réductibles à des “textes à contraintes” ?

Bibliographie

- Barthes, R. (1975), „Texte (théorie du)”, Encyclopaedia Universalis, Paris, vol. 22, éd. 1990, pp. 370-374.

- Bootz, Ph. ( 1990). “Notes”, alire 3, livret papier, pp. 11 -13.

-Bootz, Ph. (1996). “Un modèle fonctionnel de textes procéduraux”, Les Cahiers du CIRCAV, n° 8, pp. 191-216.

- Bootz, Ph. (1999). “The Functional Point of View: New Artistic Forms forProgrammed Literaiy Works”, Leonardo, vol. 32.4, pp. 307-316.

-Eco, U. (1979). Lector in fabula, Bompiani, Milan; trad. fr. 1985, Lector in fabula. Le rôle du lecteur, Grasset, Paris (Le livre de poche biblio/

essais).

-Eco, U. (1990), ILimiti Dell’ Interpretazione, Bompiani, Milan; trad.

fr. 1992, Les Limites de l ’Interprétation, Grasset, Paris (Le livre de poche biblio/essais).

- Ericsson, K. A., Kintsch, W. ( 1995), “Long-Term Working Memory”, Psychologicalreview, vol. 102, nb 2., pp. 211-245.

- Escarpit, R. (1976), Théorie générale de l ’information et de la commu- nication, Hachette, Paris (Classiques).

- Groupe m (coll). (1992), Traité du signe visuel. Pour une rhétorique de l’image, Le Seuil, Paris (la couleur des idées).

-Jauss, H. R. (1974), Literaturgeschichte als Provokation, Verlag, Francfort; trad. fr. Cl. Maillard, 1978, Pour une esthétique de la récep- tion, Gallimard, Paris (nrf).

- Lyotard, J.F. (1985), “Présentation”, Les immatériaux, album, Centre Georges Pompidou, pp. 16-21.

-Mucchielli, A. (1995), Les sciences de l ’information et de la communi- cation, Hachette, Paris (Les fondamentaux).

-Mucchielli, A., Corbalan, J.A., Ferrandez, V. (1998), Théorie des pro- cessus de la communication, Armand Colin, Paris (Nouvelles méthodes d‟étude des communications).

-Schiavetta, B., Baetens, J. (1999), “Définir et classifier les contrain- tes”, sur le site de Formules consacré à ce numéro.

-Papp,T. (1990). “Littérature sur ordinateur. Enregistrement, restitution”, alire 3, livret papier, pp. 5-10.

- Willet, G. (dir.). (1992), La communication modélisée. Une introduc- tion aux concepts, aux modèles et aux théories, Editions du Renouveau Pédagogique Inc, Ottawa.

A

PROPOS DE LA CONTRAINTE

81 Notes

1 Voir notamment [Papp, 1990] et [Bootz, 1990],

2 L‟usage du terme “texte” est tellement multiple que ce mot est trop ambigu pour une utilisation précise. Je l‟évite donc au maximum.

3 Peirce conçoit l‟interprétation comme un processus ne nécessitant pas un interprète physique. La relation entre cet aspect demanderait un plus grand développement, tout comme sa relation à l‟interactivité.

4 II se peut que cette définition ne soit que temporaire. La réflexion reste ouverte.

5 NDLR : Le texte auquel Philippe Bootz fait référence dans son article, est une version déjà ancienne de l‟article «Définir la contrainte ?» qui paraît dans ce numéro.

6 Ce que renforce la définition préalable donnée par Schiavetta: «la locu- tion texte à contraintes désigne les aspects spatiaux du texte, conçu comme un objet concret, fixé.»

7 voir en particulier [Willet, 1992, p. 200 ss].

8 II semblerait, mais là encore la démonstration n‟est pas achevée, que le domaine d‟application de cette théorie déborde le champ des œuvres pro- grammées sur ordinateur, et qu‟elle permette d‟assimiler le système tex- tuel au signe textuel dans les cas où la conception ontologique du texte s‟applique. Elle correspondrait ainsi à une extension de la théorie litté- raire, redonnant la théorie classique dans les cas classiques, tout comme la mécanique quantique se réduit à la mécanique newtonienne dans le domaine de validité de cette dernière.

9 Cela correspond, dans la théorie de Jauss, aux œuvres qui outrepasse l‟horizon d‟attente de ses lecteurs.

10 La version la plus fidèle que je connaisse est celle programmée par Tibor Papp pour alirel, et non la version récente éditée par Gallimard qui entretient la confusion entre les deux types de contraintes par une métacommunication visuelle appuyée à des fins certainement idéologi- ques: l‟infini oulipien se vend bien.

DOSSIER THEORIQUE -2®=PARTIE

82

Jeanne Vandepol

L’acontrainte

Mais que penser d‟un livre comme celui de Bernard Colin, Perpétuel voyez Physique, sorti sans trop d‟indications quant à la figure de son auteur ou l‟am- bition de son écriture1 ? Que penser de ces textes, superbes sans exception, du point de vue précisément de l‟écriture sous contrainte, qu‟ils sollicitent très fort, tout en le défiant et le décourageant à plus d‟un titre? N‟allons pas plus loin que les premières lignes, elles situent tout de suite les vrais enjeux:

«Si une bille en choquant contre une autre met en mouvement le corps choqué, c ’est par une loi de la physique ou par la volonté de Dieu et son action immédiate, se méfier de vous, de soi, sans savoir dit des choses vraies et des fausses qu’il croit vraies, n ’a pas de preuve, et même des choses connues de tout le monde, au moment de les dire a oublié qu ’elles sontfausses, affirme avec force, et c 'est comme si elles avaient changé, miracle ici, de sens, qu 'il n’y a pas de doute sur la certitude, chose vraie quelques minutes, proclamation est vraie, est sûre, ainsi pour la langue, et ensuite revenant, effaçant, ce n 'est plus le jeu, dit qu 'il n’y a plus de règles (...)»

Cette éruption verbale, convient-il de l‟écarter comme Vautre de l‟écri- ture à contraintes, au même titre que, par exemple, la parole automatique des surréalistes, le monologue intérieur du romancier à prétention psychologique ou les saccades illuminées de quelque art-brutiste? Pareille solution est sédui- sante: son avantage serait incontestablement de régler le problème une fois pour toutes; Formules, comme toutes choses sérieuses, se doterait ainsi de son Enfer où soigneusement cacher toute production indésirable. Cependant, telle est la force qui se dégage du texte de Bernard Colin -dont les thèmes souvent subli- mes, culturellement très surchargés, tels que Dieu ou le diable, semblent autant l‟inévitable résultat que la très compréhensible condition sine qua non- que Perpétuel voyez Physique pose à la notion de contrainte des questions impossi- bles à passer sous silence, et qui risquent d‟obliger à revoir bien des certitudes trop vite, trop facilement admises.

N‟essayons surtout pas de tricher: une prose à l‟instar de celle de Bernard Colin n‟est pas récupérable dans les termes conventionnels de l‟écriture sous contrainte. Toutefois, cette prose n‟apparaît en aucune façon comme un travail

A

PROPOS DE LA CONTRAINTE trainte, trois idées majeures reviennent constamment2. Elles n‟ont pas pour autant même valeur ni même statut.

Les deux premières pourraient encore être jugées anecdotiques: elles ont trait, d‟une part, à la primauté de la poésie (malgré toutes les précautions ora- toires du monde, la prose paraît toujours moins apte que le dire poétique à rece- voir la contrainte et moins encore à l‟afficher, pour la bonne raison que la poésie permettrait mieux de chasser les parasites qui gênent tellement la mise en oeuvre ou la perception d‟une règle), et, d‟autre part, à la précellence des registres formels de la contrainte (la structuration des paramètres sémantiques ou narra- tifs, par exemple, semble bien plus difficile à s‟effectuer que le réglage des pro- priétés typiquement poétiques, si elle ne se réduit pas à l‟articulation du seul lexique, champ ambigu par excellence puisqu‟encore laigement fonction du substrat formel des mots).

La troisième idée, plus fondamentale sans doute et qui présuppose d‟ailleurs les deux autres, concerne la vision de la contrainte comme logarithme, c‟est-à-dire comme programme abstrait susceptible de se concrétiser sans perte majeure dans un texte qui l‟exemplifie plus encore qu‟il ne l‟illustre. C‟est, bref l‟idée - exacte peut-être mais non pas incontestable - qu‟aucun texte au fond ne vaut les virtualités de la règle qui l‟engendre3.

Que la prose de Bernard Colin enfreigne - ou excède, dans une perspec- labeur de l‟hyperconstruction. Bernard Colin se désintéresse de toute formule quantifiable, dirait-on, pour se colleter plutôt à des structures autrement diffici- les, non pas à observer, mais à transcrire sous forme de règles. C‟est d‟abord le cas du rythme, dont les arcanes ne se limitent guère au décompte syllabique d‟une quelconque prosodie. C‟est le cas ensuite de la phrase ou plus exacte- ment de la phrase en prose, dont les sauts dépassent de partout les jeux iso- ou homosyntaxiques auxquels on a trop souvent circonscrit l‟intervention de la contrainte en la matière, ce qui signifie évidemment une piètre caricature des possibilités enfouies dans l‟art de la prose4.

Le livre de Bernard Colin impose-t-il alors une nouvelle forme de con- trainte? Amène-t-il à élargir le concept de contrainte à ces domaines jusqu‟ici

DOSSIER THEORIQUE -2EREPARTIE

84

moins arpentés que sont la prose, le sens, le rythme? Pour diverses raisons, la réponse affirmative à ces interrogations ne pourra ici suffire, car Perpétuel voyez Physique lait plus: il touche à la contrainte même, c‟est-à-dire à la façon dont la contrainte est d‟habitude envisagée - façon qui explique, entre autres choses, l‟explosion récente du comique et de l‟écriture combinatoire5.

Mettant en cause la conception logarithmique («scientifique»?) de la con- segmentation quasi métronomique d‟un Céline, plus abrupte peut-être mais fi- nalement plus rassurante aussi). parablement plus productrice, quantitativement parlant, que l‟écriture anachro- nique d‟un Bernard Colin. Mais la valeur de cette avalanche de produits ludico- multipliables est-elle la même que celle de certaines modestes proses, contrain- tes à leur façon?

Reste à savoir si l‟antagonisme des deux types est aussi radicale que l‟in- sinue, fort tendanciellement, le présent article. Peut-être un rapprochement pour- rait-il s‟ébaucher par une meilleure prise en charge de la part d'incohérence présente (mais ne faudrait-il pas dire: active?) dans chaque texte, tout

A

PROPOS DE LA CONTRAINTE

85 hyperconstruit qu‟il soit? L‟intérêt de Perpétuel voyez Physique serait alors de s‟attaquer de front à ce problème de l‟incohérence, en essayant de voir jusqu‟où peut aller la dislocation sans que le texte tombe dans l‟incongru ou le coq-à- l‟âne. L‟acontrainte, pour utiliser un mauvais néologisme inspiré d‟un méchant tic des années 60, pourrait désigner ce genre d‟écriture que les amateurs de la contrainte ne devraient plus ignorer en tant que tel.

Quoi qu‟il en soit, un examen plus fouillé de ce genre de difficultés ne

Quoi qu‟il en soit, un examen plus fouillé de ce genre de difficultés ne