Partie 3- Analyse et interprétation des résultats
1.2. Portrait de Bastien, enseignant spécialisé : une légitimité identitaire assumée
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Bastien, quand il relate son historique professionnel, retrace un parcours classique : après une
licence de lettres, il passe et obtient le concours du CAPE à l’IUFM, en Normandie. Son début
de carrière consiste à assurer des compléments de service (« J’ai fait pas mal de quarts-temps
et de mi-temps, en ZEP »), puis il obtient une mutation pour le département de la Loire-
Atlantique. A ce stade, il poursuit les remplacements, pendant six ans, ne réussissant pas encore
à être titularisé. C’est dans le cadre de ces remplacements qu’il découvre le milieu spécialisé
(« J’ai été amené à travailler en CLIS, en ULIS, en IEM… »). Cette nouvelle facette de
l’enseignement lui plait : il décide alors de « passer la spécialisation y’a…8 ans ! Et depuis,
j’ai mon poste à l’IME de A. »
Bastien est donc enseignant spécialisé, désormais titulaire de son poste à l’IME de A. C’est
donc un parcours plutôt linéaire qu’il relate, avec une découverte de l’enseignement spécialisé
au cours de remplacements longs. Lors de cet entretien, Bastien évoque peu sa socialisation
primaire, qui aurait pu expliquer plus en détails cette volonté de se sentir « utile pour autrui »
et son regard empathique posé sur les élèves en difficulté. En effet, il ne semble pas avoir
anticipé, pensé en amont cette orientation professionnelle vers le spécialisé avant la découverte
sur le terrain, « un petit peu par hasard au début ».
Des valeurs de métier autour de l’empathie pour les élèves en difficulté scolaire
Bastien, quand il est interrogé sur ses motivations à devenir enseignant, puis enseignant
spécialisé, explique avoir une « empathie particulière envers la difficulté, la difficulté
d’apprentissage, à priori ». Il le justifie par le fait de se sentir « utile à aider ceux qui en ont le
plus besoin ». Quand il était affecté dans des remplacements en classe ordinaire, il avait toujours
à l’esprit d’être présent auprès des élèves les plus fragiles, en organisant, « en fond de classe,
un atelier avec moi pour ceux qui se sentaient le plus en difficulté ». Mais les effectifs de classe
importants, la stigmatisation qui peut être ressentie par des élèves travaillant en soutien avec
l’enseignant, à part du groupe, n’ont assez vite plus satisfait Bastien dans ses pratiques
professionnelles. Il lui était alors « difficile de revenir avec une pile de cahiers le soir et de me
rendre compte qu’il y en a 4 ou 5, je suis passé à côté mais eux aussi sont passés à côté de la
séance… »
Aussi, l’empathie prônée comme une valeur essentielle, conjuguée à la découverte des
structures spécialisées, ont conduit Bastien à envisager de devenir enseignant spécialisé, pour
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se consacrer uniquement à des petits groupes d’élèves, reconnus comme étant en moyenne ou
grande difficulté scolaire.
Représentations du métier : enseignant avant tout dans une équipe pluridisciplinaire
Quand Bastien est questionné sur la façon dont il présenterait sa profession, il se réclame
enseignant avant tout. Exerçant au sein d’une équipe pluridisciplinaire, il lui semble
fondamental « d’affirmer au sein de cette pluridisciplinarité le coté enseignant, l’école ». En
effet, comme Sarah, sa collègue dont le portrait a été tracé ci-dessus, Bastien précise que les
premières années d’exercice en IME sont capitales : en tant qu’enseignant, il précise « qu’on se
replie même sur des apprentissages fondamentaux, sur le lire et écrire, pour vraiment se définir
dans l’établissement ». Avec les verbes « se replier » pour « se définir », c’est bien, dans les
mots de Bastien, la spécificité du métier d’enseignant qui est privilégiée : avant même d’être en
équipe, de faire équipe, il est nécessaire de faire valoir auprès des acteurs de la structure que
l’enseignant est le garant privilégié des apprentissages fondamentaux. Bastien s’explique : « Au
début, on a besoin de l’affirmer, mais oui, vraiment se dire qu’on est enseignants, qu’on est là
pour travailler sur les programmes scolaires et c’est comme ça qu’on se définit ici, qu’on fait
pas la confusion avec d’autres professions ».
Ainsi, Bastien entend, en tant qu’enseignant spécialisé, avoir comme mission principale d’aider
tous les élèves dans leurs difficultés singulières. Il s’agit pour lui, comme les enseignants
ordinaires, d’être « pédagogue, d’avoir de l’empathie, de…peut-être qu’on a une attention plus
particulière aux élèves en difficulté à la base ». Cette représentation du métier nécessite
d’instaurer une relation de proximité avec les jeunes, d’apprendre à « connaitre mieux leur
caractère, leur goût ». Pour cela, il faut « rentrer un petit plus dans leur tête » et s’autorise à
faire « un pas de côté vers leurs préoccupations pour après, voir si on pouvait répondre à une
consigne, répondre à une attente, à un enjeu ».
Pour être garant des apprentissages fondamentaux chez ces élèves en difficulté scolaire, Bastien
cherche donc, par une posture empathique, à prendre éventuellement des chemins détournés
pour amener progressivement ces jeunes vers des contextes plus didactiques.
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De la transaction relationnelle au travers des différents autrui
Si Bastien, dans les valeurs professionnelles qui l’animent, cherche avant tout à accompagner,
dans une attitude empathique, ces jeunes en difficulté vers des apprentissages fondamentaux,
la structure dans laquelle il exerce, les partenaires institutionnels qui l’entourent lui
reconnaissent-ils cette identité et cette socialisation professionnelles ?
Lors de notre entretien, Bastien n’a guère évoqué sa relation aux pairs, et pas du tout celle aux
familles.
Relation aux pairs : Bastien fait partie de ce petit groupe de trois enseignants spécialisés
en charge de l’unité d’enseignement de l’IME de A. Durant notre entretien, il n’évoque
pas la relation à ses collègues directes. En revanche, il évoque le projet des classes –
ateliers qui, au départ, s’apparentait à une création de pôle pédagogique élargi, partagé
par les enseignants spécialisés et les éducateurs techniques spécialisés. Il s’agissait alors
de « faire vraiment un pôle pédagogique avec ces personnels qui ont aussi un savoir à
enseigner. Ils sont éducateurs techniques spécialisés, ils ont une grille de compétences
à valider, donc une volonté de rassembler ces personnes-là autour du pédagogique à
proprement parler ».
Bastien semble quelque peu regretter qu’un tel projet n’ait pas vu le jour, « ce réel pôle
pédagogique où on partage…pas forcément les mêmes grilles, mais où on associe, on
met en regard des grilles d’évaluation pour construire des séquences d’apprentissage
sur plusieurs années et tout…on n’a pas réussi à créer ça ».
Il nous faudra donc, dans la dernière partie, nous interroger sur le rôle possible d’un tel
pôle pédagogique renforcé, son impact éventuel sur les contenus enseignés aux jeunes,
sur les acteurs engagés dans ces dispositifs et sur la structure elle-même.
Relation aux éducateurs spécialisés : Si Bastien reconnait que les éducateurs spécialisés
ont une « action un peu plus globale sur la personnalité, le développement de la
personne »,
il attend en retour d’être reconnu dans ce qui fait la particularité de sa
profession d’enseignant.
Il reconnait également que « comme tout travail à deux, faut s’organiser, il faut
s’entendre », et que le binôme constitué d’un enseignant et d’un éducateur est plus
performant quand les acteurs en question ont plus « d’ancienneté ». Dans de telles
conditions, Bastien considère que « l’autorité elle est vraiment partagée, elle est à
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Bastien semble donc se placer vis-à-vis des éducateurs spécialisés dans une relation de
donnant-donnant : une reconnaissance mutuelle des compétences de chacun permet
d’instaurer une situation partenariale où les acteurs se placent à égalité, co-gèrent au
même niveau de pouvoir une action en commun.
Relation à la hiérarchie : Bastien semblait voir de multiples intérêts à la constitution
d’un pôle pédagogique élargi. Pourtant, ce projet n’a pas vu le jour, en raison d’un
manque de moyens mis en place par la direction de l’établissement : disparition des
réunions institutionnalisées entre éducateurs et enseignants (« On manque de temps
pour s’asseoir et aller plus loin, voir les choses plus en amont, poser les choses sur le
papier […] Mais on gagnerait à plus préparer, à plus échanger, plus construire… »),
plus de nécessité à justifier à la hiérarchie son activité dans les temps de classe partagé
(« Avant, on devait rédiger un projet sur la classe-atelier. Avec la nouvelle direction,
ça nous est plus demandé »)
Ces différents constats énumérés par Bastien présentent une inflexion, de la part de la
direction, quelque peu en retrait par rapport aux projets, initiatives, démarches
interprofessionnelles. Bastien, à mots couverts, semble le regretter. Ces dispositifs
moins soutenus par la direction sont-ils la marque d’un désintérêt, d’une moins grande
reconnaissance des pratiques en cours dans l’établissement ? Bastien n’est pas pour
autant moins investi dans les temps de classe partagé, mais les partenaires institutionnels
que sont les personnels de direction semblent « briller par leur silence » ou par leur
moindre soutien au sujet de ces dispositifs.
Démarche partenariale et stratégies identitaires : recherche d’une crédibilisation identitaire.
Dans ses pratiques enseignantes, et particulièrement dans les situations partenariales auxquelles
il participe, Bastien conserve sa même ligne de conduite professionnelle, à savoir être avant
tout enseignant, cherchant à faire progresser ces usagers dans les apprentissages fondamentaux.
Les dispositifs de partenariat sont envisagés, selon lui, pour permettre à chaque acteur du
binôme d’être reconnu dans ce qui fait sa singularité et sa spécificité professionnelle. Il ne s’agit
pas d’être un protagoniste différent lors des temps de classe partagé, mais au contraire, de rester
soi-même pour être légitimé par les autrui significatifs de l’institution. Bastien ne semble pas
particulièrement chercher l’assentiment de la hiérarchie, mais plutôt celui des pairs avec qui il
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