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La portée réduite du contrôle du comportement à la phase précontractuelle dans les contrats

précontractuelle dans les contrats non négociés

La liberté de négocier. Les négociations précontractuelles sont soumises au principe de la liberté contractuelle. Ce qui signifie que chaque partie peut les rompre à tout moment. Aucune n’est pas obligée d’accorder à l’exclusivité des discussions à l’autre, sauf convention contraire339 et peut

même refuser toute négociation. Les futurs contractants demeurent libres de colliger les informations concernant une éventuelle conclusion de contrat et manifester leur volonté d’entrer en relation contractuelle avec un partenaire potentiel. En tout état de cause, les parties restent libres de contracter ou ne pas contracter, sauf si leur acte équivaut à une attitude fautive entravant la bonne foi. Elles doivent agir librement et de manière moralement acceptable, c’est- à-dire conformément à la loyauté et l’honnêteté340. En fait, la référence à la bonne foi n’apporte

en elle-même rien de très original, mais elle a pour effet d’élargir la sphère des actes condamnables. À ce stade, à titre de norme impérative, le recours à la bonne foi tend à combattre les excès et les abus dans l’exercice de la liberté de négocier. Ce qui présente entre autres conséquences de créer potentiellement des obligations nouvelles auxquelles les parties sont soumises durant cette période.

336 Pour une décision emblématique de cette approche, voir Yoskovitch c. Tabor, [1995] R.J.Q. 1397 (C.S.).

337 Telle est la position de Marie Annick GRÉGOIRE, Le rôle de la bonne foi dans la formation et l’élaboration du contrat,

supra, note 49, p. 52-55.

338 Voir Didier LLUELLES et Benoit MOORE, Droit des obligations, supra, note 158, p. 461.

339 Voir Brigitte LEFEBVRE, « La négociation d’un contrat, source potentielle de responsabilité extracontractuelle », dans

Pierre-Claude Lafond (dir), Mélanges Claude Masse. En quête de justice et d’équité, dans Pierre-Claude Lafond (dir.), En quête de justice et d’équité, supra, note 34, p. 571.

340 Voir Marie Annick GRÉGOIRE, Le rôle de la bonne foi dans la formation et l’élaboration du contrat, supra, note 49, p.

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L’obligation de négocier loyalement. Si c’est davantage dans la phase d’exécution du contrat que la jurisprudence y a eu recours, la bonne foi joue un rôle non négligeable lors du processus de formation ou de conclusion du contrat. Comme le constate Marie Annick Grégoire, « la bonne foi précontractuelle est susceptible de se présenter tant dans le contexte où le contrat s’est formé, que dans celui où aucun contrat n’a pu se former »341. En cours de formation, l’un des

contractants peut tirer avantage de sa position et imposer à l’autre des conditions qui s’avèrent au final draconiennes pour lui. C’est aussi la raison pour laquelle, durant les négociations, les parties sont soumises au principe de la bonne foi de laquelle découle l’obligation de négocier loyalement. Celle-ci trouve son fondement dans les articles 6, 7 et 1375 C.c.Q., qui imposent aux contractants d’adopter une attitude honnête durant tout le processus qui précède la formation du contrat342. Il est vrai que le contrôle du contrat n’a longtemps été envisagé qu’une fois le

contrat rédigé ou lorsque la rupture des négociations était clairement apparue comme étant le résultat d’une mauvaise foi ou d’une intention malicieuse, stricto sensu. Les choses ont nettement évolué343. Ainsi, la bonne foi interdit aux parties d’agir de façon malicieuse. Elles ne sauraient, par

exemple, entamer des négociations avec l’intention inavouée au départ de ne pas les mener à terme et avec pour unique dessein d’extirper des informations à l’autre partie344. Dans la même

optique, une personne qui sait que les négociations sont vouées à l’échec devrait y mettre un

341 Ibid., n°249.2, p. 124.

342 N’est pas malhonnête celui qui poursuit des négociations avec plusieurs partenaires potentiels et qui fait clairement

connaitre ses prétentions et conditions. Voir Compagnie France Film Inc. c. Imax Corp., J.E. 2002-5 (C.A.), paragr. 31-37; Lorsqu’une municipalité choisit de procéder à la consultation du public afin de conclure définitivement une entente, l’autre partie ne peut la poursuivre pour mauvaise foi si elle décide de mettre fin à leur contrat. Ville d’Aylmer c. 174736 Canada Inc., J.E. 97-2185 (C.A.), p. 8-9 du texte intégral. Dans le cadre d’un crédit-bail, il importe que le commerçant qui loue ses appareils s’assurent que le crédit-bailleur a donné son approbation avant de procéder à la livraison au preneur par ailleurs incapable de payer. Dans le cas contraire, il ne peut demander le paiement au crédit-bailleur, voir Haco Canada Inc. c. 9008-0813 Québec Inc., J.E. 2006-309 (C.S.), paragr. 84-109; Voir également Frédéric LEVESQUE, Précis de droit québécois des obligations, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, p. 49 et s.

343 Voir Sylvette GUILLEMARD, « Tentative de description de l’obligation de bonne foi, en particulier dans la cadre des

négociations précontractuelles », (1993) 24 R.G.D. 369; « De la phase préalable à la formation de certains contrats », (1994) 24 R.G.D. 157; « Qualification juridique de la négociation d’un contrat et nature de l’obligation de bonne foi », (1994) 24 R.G.D. 49; Brigitte LEFEBVRE, « Rupture des pourparlers : négociateurs, appel à la prudence! », dans Barreau du Québec, Développements récents en droit commercial, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, p. 121; « La négociation d’un contrat, source potentielle de responsabilité extracontractuelle », supra, note 339, p. 571.

344 Il est en principe interdit de s’approprier une information obtenue dans le cadre d’une négociation, Wrebbit inc. c.

Benoit, [1998] R.J.Q. 3219 (C.S.) passim; Une partie ne peut profiter indument des informations obtenues lors des négociations avec un éventuel partenaire, sauf que l’absence de précaution, à l’instar de la rédaction d’une entente de confidentialité, diminue la responsabilité de la partie visée. Voir Nouveautés Camac Inc. c. Promotions Atlantiques Inc., J.E. 94-796 (C.S.) passim; L’attitude fautive lors des pourparlers ne requiert pas l’existence d’une clause de confidentialité expresse, le caractère confidentiel pouvant découler des circonstances, Anastasiu c. Gestion d’immeubles Belcourt Inc., [1999] R.J.Q. 3068 (C.Q.), p. 12-15 du texte intégral, mod. 2002 QCCA 61998 (CanLII).

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terme345. Par contre, un contractant ne saurait rompre sans motif valable des négociations, après

avoir suscité injustement auprès de l’autre partie des attentes raisonnables346. La durée des

pourparlers est un critère qu’il faut quelques fois prendre en compte, car pourquoi laisser s’éterniser les discussions si le futur contractant sait qu’elles ne mèneront à rien. Le motif de la rupture devra être d’autant plus sérieux que les négociations auront trainé en longueur347. S’il

n’est pas toujours évident de déterminer la nature de la responsabilité qui en découle, de manière générale, cette conduite relève davantage de la responsabilité extracontractuelle348 que

contractuelle349. Par l’adjonction de nouvelles obligations précontractuelles, la bonne foi tend à

contrôler le comportement des parties. Néanmoins, ces obligations ne constituent pas toujours des moyens de protections efficaces dans un contexte de rapports contractuels déséquilibrés.

L’inutilité de l’obligation de négocier de bonne foi dans les contrats d’adhésion. La bonne foi est-elle toujours l’instrument approprié permettant de justifier les devoirs et obligations mis à la charge des parties? Comment tirer de la bonne foi un principe de coopération au moment des négociations lorsque chacun doit veiller à ses intérêts propres? D’ailleurs, un auteur souligne l’illusion qui peut en résulter en ce qui concerne le contrat de travail, puisque, constate-t-il, « la bonne foi dans les négociations est une fiction, compte tenu des intérêts divergents qui animent les parties »350. Le constat est tout à fait pertinent. En effet, peut-on à la fois partir du principe

que chacun doit défendre ses intérêts et espérer que la bonne foi pousse les parties à agir de concert? L’obligation de négocier de bonne foi, dans les contrats d’adhésion et les contrats de

345 Une partie ne peut entamer des négociations alors qu’elle sait pertinemment qu’elle ne possède pas les moyens de

mener le projet à terme. Voir Jolicoeur c. Rainville, J.E. 2000-201 (C.A.) passim; Groupe Technum inc. c. Duguay, 2006 QCCS 5259 (CanLII), paragr. 84-91.

346 Voir Compagnie France Film Inc. c. Imax Corp., J.E. 2002-5 (C.A.), paragr. 37-38; Entamer des négociations avec une

simple lettre d’intention ne saurait engager la responsabilité d’une partie sans apporter la preuve de sa mauvaise foi, voir Société en commandite de Copenhague c. Corporation Corbec, 2012 QCCS 169 (CanLII), paragr. 45-52.

347 Voir Brigitte LEFEBVRE, La bonne foi dans la formation du contrat, supra, note 49, p. 151.

348 D’ailleurs, la question demeure entière quant à savoir si le comportement des parties doit relever de la

responsabilité contractuelle ou extracontractuelle étant donné que le contrat n’est pas encore formé. Voir à cet effet, Brigitte LEFEBVRE, « La négociation d’un contrat, source potentielle de responsabilité extracontractuelle », dans Pierre- Claude Lafond (dir), Mélanges Claude Masse. En quête de justice et d’équité, supra, note 34, p. 571; Denis MAZEAUD, « Mystères et paradoxes de la période précontractuelle », dans Études offertes à Jacques Ghestin. Le contrat au XXIe siècle, Paris, LGDG, 2001, p. 637. Dans la jurisprudence, voir Anastasiu c. Gestion d’immeubles Belcourt Inc., [1999] R.J.Q. 3068 (C.Q.), p. 15-16 du texte intégral, mod. 2002 QCCA 61998 (CanLII).

349 Pour la caractérisation de la nature de la responsabilité, voir Jolicoeur c. Rainville, J.E. 2000-201 (C.A.) passim.

Sylvette GUILLEMARD, « Tentative de description de l’obligation de bonne foi, en particulier dans la cadre des négociations précontractuelles », (1993) 24 R.G.D. 369.

350 Propos que l’on peut aisément transposer aux autres contrats. Voir Les propos de M. Palmer cités par Jean-Pierre

VILLAGI, « La convention collective et l’obligation de négocier de bonne foi : les leçons du droit du travail », repris par Brigitte LEFEBVRE, La bonne foi dans la formation du contrat, supra, note 49, p. 117.

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consommation, fait-elle sens dès lors que ces contrats sont caractérisés pour l’essentiel par l’absence de négociations? L’absence de possibilité de négociations ou le défaut de pourparlers fait partie intégrante de la définition du contrat d’adhésion de l’article 1379 C.c.Q. Bien que la relation d’adhésion puisse être précédée d’échange de documents contractuels, il n’y a pas par définition de pouvoir de négociation. Très souvent, il s’agit simplement d’informer l’adhérent ou du respect d’un formalisme légal351. De fait, cette obligation de négocier de bonne foi n’a de sens

qu’en présence d’acteurs de forces égales. Elle intervient davantage dans le cadre de contrats négociés352. L’obligation précontractuelle de bonne foi a donc une portée assez faible en ce qui

concerne la protection du contractant ne pouvant négocier les termes de son contrat. Comme le remarque à juste titre Maurice Tancelin, « si l’obligation de bonne foi est applicable dans le contrat de gré à gré, comme cette phase n’a pas d’équivalent pour le contrat d’adhésion, comment s’exerce cette obligation dans ces derniers contrats? La Refonte de 1991 est muette »353.

D’où la nécessité de faire appel à d’autres moyens juridiques de protection354. Cette impossibilité

de négocier ou de modifier le contenu contractuel imposé par une autre partie peut justifier l’intervention d’un tiers afin de corriger les déséquilibres qui pourraient survenir. C’est alors déjà le contenu du contrat qu’il s’agit de contrôler, et non plus le processus de formation, phase pendant laquelle l’information du contractant joue une fonction protectrice accrue.

Sect. II La bonne foi au service du contractant vulnérable sur le plan informationnel

351 Nous pensons ici à la note d’information exigée à l’article 1787 C.c.Q. en matière de copropriété divise. L’article

prévoit que « Lorsque la vente porte sur une fraction de copropriété divise ou sur une part indivise d'un immeuble à usage d'habitation et que cet immeuble comporte ou fait partie d'un ensemble qui comporte au moins 10 unités de logement, le vendeur doit remettre au promettant acheteur, lors de la signature du contrat préliminaire, une note d'information; il doit également remettre cette note lorsque la vente porte sur une résidence faisant partie d'un ensemble comportant 10 résidences ou plus et ayant des installations communes ». De même, dans le contrat préliminaire obligatoire en matière d’achat d’immeuble neuf à un promoteur immeuble. Ainsi, l’article 1785 C.c.Q. prévoit que : « Dès lors que la vente d'un immeuble à usage d'habitation, bâti ou à bâtir, est faite par le constructeur de l'immeuble ou par un promoteur à une personne physique qui l'acquiert pour l'occuper elle-même, elle doit, que cette vente comporte ou non le transfert à l'acquéreur des droits du vendeur sur le sol, être précédée d'un contrat préliminaire par lequel une personne promet d'acheter l'immeuble ». On peut également mentionner les documents qui peuvent être échangés dans la formation ou le renouvellement du contrat d’assurance, contrat d’adhésion par excellence. Il n’en reste pas moins qu’il ne s’agit de processus de pourparlers ou de négociation.

352 Voir Sylvette GUILLEMARD, « Tentative de description de l’obligation de bonne foi, en particulier dans la cadre des

négociations précontractuelles », (1993) 24 R.G.D. 381-384. Après avoir noté qu’il n’existe pas de définition de la bonne foi, l’auteure ajoute que dans la phase précontractuelle, elle est issue soit du processus de négociation, soit des ententes précontractuelles. Dans ce cas, les acteurs ont la possibilité de discuter le contenu du contrat directement ou par l’intermédiaire de représentants.

353 Voir Maurice TANCELIN, Les obligations en droit mixte du Québec, supra, note 79, n°144, p. 120. 354 Id. L’auteur suggère que le contrôle a posteriori de la clause abusive peut jouer un tel rôle.

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Une obligation d’information issue de la bonne foi. S’il est un domaine dans lequel la vulnérabilité du contractant est très sensible, c’est bien celui de l’information. Comme cela a été rappelé, « dans le domaine des vices de consentement, les développements les plus marquants du droit contemporain résident dans l’obligation de renseignement, mise à la charge d’une partie à la formation du contrat »355. D’autres auteurs soutiennent qu’en vertu du pouvoir normatif

propre à l’article 1399 C.c.Q. alinéa 1 et de la bonne foi objective356, une obligation de

renseignement y peut être déduite en dehors de tout comportement dolosif357. En tout état de

cause, une partie des développements concernant l’obligation de renseignement s’est faite sous l’égide de la notion de dol, pour autant, c’est la bonne foi qui en constitue le fondement majeur. En raison de son importance, nous analyserons le régime de l’obligation d’information au profit du contractant vulnérable (para I). Nous examinerons par la suite la portée réelle de celle-ci puisqu’elle demeure sous la trame volontariste (para II).