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CHAPITRE 1 : Les fondements théoriques du mal-être au travail au bien-être au travail

I. Les fondements théoriques du mal-être au travail

4. Les populations les plus à risque

Dans cette partie, nous aborderons les populations identifiées comme étant les plus à risques, sans pour autant être exhaustif, tant la littérature est conséquente. Nous ferons principalement un focus sur la population des dirigeants d’entreprises. Dans ce cadre, nous nous basons principalement sur les enquêtes de SUMER (Surveillance Médicale des Expositions aux Risques) qui permettent de mettre en exergue les principaux risques psychosociaux selon les populations de travailleurs. Ce type d’enquête a été effectué à plusieurs reprises en 19945, en 2002-20036, en 2009-20107 et en 2016-20178. En l’espace de vingt ans, l’enquête SUMER (Memmi, Rosankis, Sandret, Duprat, Léonar, Morand & Tassy, 2019) met en avant des évolutions positives concernant notamment l’exposition aux contraintes physiques qui a baissé entre 1994 et 2017.

L’avancée des nouvelles technologies, la prise en compte de l’importance de l’ergonomie en milieu de travail et le meilleur repérage par les préventeurs ont probablement contribué à cette amélioration. En revanche, l’intensité du travail s’est accrue depuis vingt ans. L’autonomie au travail est en recul, néanmoins les salariés estiment avoir davantage de moyens pour exécuter correctement leur tâche en 2017 comparativement à 2003. Les tensions au travail sont toujours recensées à un niveau élevé et le manque de reconnaissance au travail semble s’intensifier et creuser des écarts entre les salariés (Memmi et al., 2019). Une exposition prolongée à ces risques peut provoquer des impacts sur la santé physique, psychique et/ou cognitive de l’individu (Valléry & Leduc, 2017).

5 Source : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/dares-etudes-et-statistiques/enquetes/article/surveillance-medicale-des-expositions-aux-risques-professionnels-sumer-edition-115983 6 Source : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/dares-etudes-et-statistiques/enquetes/article/surveillance-medicale-des-expositions-aux-risques-professionnels-sumer-edition-115982 7 Source : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/dares-etudes-et-statistiques/enquetes/article/surveillance-medicale-des-expositions-aux-risques-professionnels-sumer-edition 8 Source : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/dares-etudes-et-statistiques/enquetes/article/surveillance-medicale-des-expositions-aux-risques-professionnels-sumer-edition-118967

26 L’enquête SUMER (2003) permet d’obtenir une cartographie de la population des travailleurs en appréhendant certains facteurs de risque pour la santé au travers du modèle de Karasek (1979 ; Karasek & Theorell., 1990). Les secteurs d’activité les plus exposés à l’accroissement de l’intensité du travail sont les transports, l’hôtellerie-restauration, le secteur de l’industrie et de la construction. Le premier secteur concerné par les violences (physiques et verbales dans le travail) est la fonction publique hospitalière. Dans l’étude de 2003, les métiers les plus en « tension au travail » sont les ouvriers non qualifiés, les caissiers et employés de libre-service, les opérateurs informatiques et les employés de l’hôtellerie-restauration (Cf. figure 3). Une forte proportion des cadres, des dirigeants et agents de maîtrise indiquent avoir une forte demande psychologique et une forte latitude décisionnelle. Ils se trouvent dans le cadran des « actifs ». Dans le cadran des situations dites « passives », nous retrouvons principalement les métiers de l’agriculture, du bâtiment, de l’industrie et des services. Enfin dans la catégorie dite « détendu », se trouvent principalement les métiers en lien avec l’esthétique et les ouvriers qualifiés du bâtiment.

L’enquête SUMER n’est pas exhaustive mais elle permet d’obtenir un état des lieux au plan national de certains facteurs de risques psychosociaux. Différentes recherches scientifiques ont interrogé les facteurs de risques psychosociaux selon les secteurs ou les métiers9.

Les dirigeants d’entreprise des TPE-PME

Les risques psychosociaux mettent en lien la notion de risque avec celle de la santé. Néanmoins, s’il y a bien un sujet tabou en entreprise, c’est celui de la santé des dirigeants (Lechat & Torrès, 2016). À noter que les travaux sur les risques psychosociaux ou plus largement sur la santé au travail dans les TPE-PME sont rares, et les travaux sur la santé des dirigeants de TPE-PME le sont encore plus (Torrès, 2012). En effet, cet aspect est souvent négligé par les chercheurs : « la santé de l’entrepreneur est probablement une ressource sous-estimée pour le comportement entrepreneurial et le développement de l’organisation » (Vinberg, Gundersen, Nordenmark, Larsson & Landstad, 2012, p. 387).

La question de la santé semble essentielle. Mintzberg (1979, p. 312 ; Cité par Lechat & Torres, 2016) indiquait : « la structure simple est aussi la plus risquée des structures, dépendant de la santé et des caprices d’un unique individu. Une crise cardiaque peut littéralement réduire à néant le premier mécanisme de coordination de l’organisation ». Dans une multinationale, le leader est plus facilement remplaçable que dans une TPE-PME (Torrès & Chabaud, 2013).

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Pour approfondir la thématique RPS selon les populations à risque : Estryn-behar et al. (2013) ; Estryn-behar, Leimdorfer & picot (2010) ; Marc, Grosjean & Marsella (2011) ; Grosjean, Kop, Nogues-Chollet & Velut (2009) ; Arnaudo, Floury & Vinck (2008) ; Askenazy, Brochard, Brun, Cases & al. (2011) ; Pinto, Cartron, & Burnod (2000).

Dans cette perspective, une étude de Becker et Hvide (2013) indique que sur 341 PME qui ont connu le décès de leur chef d’entreprise, le chiffre d’affaires a baissé en moyenne de 60% et 20% ont fait faillite. Ces données appuient l’idée qu’une TPE-PME n’est donc pas une grande entreprise en miniature (Marchesnay, 1991). Selon Torrès (2012), le capital-santé du dirigeant est vraisemblablement le premier actif immatériel de son entreprise car la dépendance vis-à-vis du dirigeant est d’autant plus forte que la taille de l’entreprise est petite (Mouzaoui et L’Horty, 2007). En effet, si le dirigeant est en épuisement professionnel et qu’il se retrouve en incapacité de tenir son rôle, c’est l’entreprise qui est mise en danger (Torrès, 2012).

Une des raisons pouvant expliquer ce manque de données est le fait que de nombreux dirigeants appartiennent à la famille des travailleurs non-salariés (TNS), ils ne sont donc pas légalement soumis à adhérer à la médecine du travail. Cette absence de suivi médical rend plus difficile la mise en place d’études, les données sont souvent hétérogènes (Stephan & Roesler, 2010) et cela limite les analyses descriptives et explicatives.

En 2009, Torrès crée l’Observatoire AMAROK10, une association qui se concentre sur la santé physique et psychologique des TNS ayant une double finalité : étayer les connaissances scientifiques concernant cette population et sensibiliser l’opinion publique à l’importance de la santé des TNS. Aussi de nombreuses questions sont à approfondir : quel regard le dirigeant porte sur sa santé au travail et sur celle de salariés ? Ont-ils des spécificités en matière de facteurs de risques et en termes de facteurs protecteurs de la santé au travail ? Quels liens la santé du dirigeant entretient-elle avec la santé de son entreprise ? Des chercheurs ont commencé à s’interroger sur ces éléments.

Torrès et Lechat en 2014, proposent une représentation graphique (figure 4) des principaux « stresseurs » regroupés en quatre familles : la pérennité en péril, l’enfer du devoir entrepreneurial, la résignation patronale intériorisée et le poids des pressions managériales. Cette cartographie permet aux dirigeants d’identifier les stresseurs les plus nocifs de son activité. Dans la catégorie « le poids des pressions managériales », un stresseur semble un peu plus distinct des autres facteurs : les problèmes de santé du dirigeant. D’après une des études de l’observatoire, un dirigeant de PME sur six se trouve en état d’épuisement professionnel et 45% d’entre eux éprouvent un isolement. Nombreux dirigeants sous-estiment l’importance de leur propre santé dans le développement de leur entreprise (Volery & Pullich, 2010).

Les auteurs proposent aussi une cartographie des « satisfacteurs » des dirigeants d’entreprises. Ils recensent 28 « satisfacteurs » regroupés en quatre familles distinctes (figure 5) : le leadership transformateur, le nouveau destin, la satisfaction des moyens et la satisfaction des résultats (Lechat, 2014). Cette cartographie montre que les « satisfacteurs » les plus élevés sont d’ordre relationnel (climat social, satisfaction de la clientèle, bonne entente entre associés, etc.) viennent ensuite les « satisfacteurs » d’ordre financier (hausse de l’activité commerciale, bon résultat annuel, etc.) (Lechat, 2014).

Au regard de ses premiers travaux, il semble pertinent de continuer dans cette direction afin d’approfondir les facteurs salutogènes des dirigeants d’entreprise et de se centrer sur les dimensions positives qui font la promotion du bien-être au travail. Diener et Lucas (1999) indiquent que les personnes qui ressentent un niveau élevé de bien-être entretiennent davantage de relations positives, évoluent et s’investissent plus dans leur travail. En outre, nous pouvons supposer qu’un dirigeant qui prend soin de sa santé, sera potentiellement plus attentif à celle de ses salariés. À contrario, des études ont montré qu’une santé délétère dissuade les personnes de créer une entreprise (Chao, Szrek, Pereira, & Pauly, 2010, Rietveld, Van Kippersluis, & Thurik, 2013). Si la santé et particulièrement la santé psychologique est un thème essentiel, la santé du chef d’entreprise est un aspect dont nous avons peu d’éléments (Torres, 2010).