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CHAPITRE 3 : Déterminants et effets de l’épanouissement au travail

I. Les déterminants du bien-être au travail et de l’épanouissement au travail

1. Les traits de personnalité comme déterminant individuel

L’étude de la personnalité a provoqué de nombreux débats scientifiques depuis le début du XXème siècle. L’un des premiers psychologues à s’intéresser à l’étude de la personnalité est Allport qui définit la personnalité comme « une organisation dynamique, interne à l’individu, des systèmes psychophysiques qui déterminent l’adaptation particulière d’une personne à l’environnement » (Allport, 1937, p.48). Dans les années 1930-1950, la dynamique de la personnalité est très populaire puis remise en cause notamment au travers des méthodes d’évaluation, de l’inconsistance de prédiction des comportements ou encore du caractère falsifiable des réponses qui ont freiné ce domaine d’étude jusqu’aux années 1970 (Mischel, 1968).

En effet, ses opposants les plus radicaux avancent l’idée selon laquelle les attitudes et comportements d’un individu sont déterminés par des facteurs contextuels et non individuels (Mischel, 1968). Cependant, cet élément n’est pas retenu comme viable en raison de son incapacité à expliquer les différences interindividuelles dans une même situation. Ce n’est que dans les années 80, que de nouvelles recherches longitudinales permettent de redynamiser le concept de personnalité et son étude notamment dans le domaine de la psychologie différentielle surtout du travail et des organisations, puis dans l’ensemble des champs d’études de la psychologie.

Dans l’approche différentielle de la personnalité, la notion de trait est centrale et rend compte de la « relative cohérence et de la relative stabilité des conduites » (Rolland, 2004, p. 16). Costa et McCrae (1990, p.23) définissent la personnalité comme « un système défini par les traits de personnalité et le processus dynamique par lequel ils affectent le fonctionnement psychologique des individus ». Si l’on synthétise les diverses définitions recensées dans la littérature scientifique, les traits de personnalité sont décrits comme des différences interindividuelles en ce qui concerne leur tendance à manifester des configurations de conduites (cognitions, affects, comportements) et sont des prédispositions à se comporter et ce à travers une variété de situations pertinentes, caractérisant un individu permettant de le différencier d’autrui (unicité inter-individuelle) (Costa & McCrae, 1999 ; Rolland, 2004 ; Ashton, Lee & De Vries, 2014). Ainsi, la psychologie des traits repose sur l’idée selon laquelle la personnalité est composée de dimensions sur lesquelles les individus varient, et qui influent sur leurs comportements et leurs expériences (Rolland, 2004).

La psychologie positive part aussi du principe que les traits de personnalité sont des dispositions individuelles stables (Shankland, 2014) dont potentiellement, certains traits, peuvent mener à un niveau de bien-être satisfaisant.

À titre d’exemple, un individu avec un score élevé dans la dimension Extraversion se décrira comme quelqu’un d’enjoué, aimant être en contact avec autrui. Au niveau professionnel, un individu travaillant dans la vente se devra d’être jovial et avenant envers les clients afin de gagner la confiance pour vendre ses produits. Ainsi, ces conduites de travail reflèteront indirectement son extraversion (Rolland, 2004). Les traits de personnalité s’expriment par des dispositions sous-jacentes et sont des adaptations par des conduites visant à répondre aux exigences de l’environnement (Costa & McCrae, 1999). Il est primordial dans la compréhension des traits de saisir ce qui détermine les tendances et les conduites en explorant les caractéristiques personnelles et celles liées au contexte (Rolland, 2004).

Ces traits seraient donc considérés comme l’unité de mesure de la personnalité. Toutefois, la question du nombre de traits suffisant pour permettre une représentation exhaustive de la personnalité interroge les chercheurs. Sans détailler les modèles, Cattell (1957) identifie seize facteurs, Eysenck (1967) désigne trois dimensions, Guilfort et Zimmerman (1956) en dénombrent quatorze. Ces nombreux modèles ont contribué au manque de lisibilité des travaux en psychologie de la personnalité durant les années 1960-1970. Néanmoins, dans les années 1980-1990, un modèle émerge : le modèle en cinq facteurs (Costa & McCrae, 1980,1990) et semble faire consensus auprès des chercheurs.

Dans notre étude, nous nous intéressons à un modèle émergeant : le modèle du Big Six ou « HEXACO » de la structure de la personnalité (Ashton, Lee, Perugini, Szarota, De Vries, Di Blas, Boies, & De Raad, 2004) et plus particulièrement aux facettes s’y associant. Cet intitulé renvoie au nombre de ces facteurs : H pour « Honnêteté-Humilité », E pour « Emotionnalité », X pour « Extraversion », A pour « Agréabilité », C pour « Conscienciosité » et O pour « Ouverture à l’expérience ».

Ce modèle s’inscrit dans la continuité du modèle du Big Five de Costa et McCrae (1980) et a pour aspiration de se vouloir plus stable puisqu’il intègre les valeurs et l’éthique de l’individu (Ashton et al., 2004 ; Ashton & Lee 2007). Les six traits de personnalité généraux renvoient à des traits de personnalité plus spécifiques (quatre facettes par dimensions) permettant d’obtenir une mesure des traits de la personnalité la plus complète possible (Ashton et al., 2004). « L’Honnêteté-Humilité » renvoie à la sincérité, au sens de l’équité, à l’évitement de l’avidité et à la modestie ; « l’Emotionnalité » à l’inquiétude, l’anxiété, la dépendance et à la sentimentalité ; « l’Extraversion » se réfère à l’estime de soi, l’audace sociale, la sociabilité et à la vivacité ; « l’Agréabilité » quant à elle revoie à la douceur, à la tolérance, à la flexibilité et à la patience ; « la Conscienciosité » se rapporte à l’organisation, l’assiduité, le perfectionnisme et la prudence ; enfin « l’Ouverture à l’expérience » se fonde sur l’appréciation esthétique, la curiosité, la créativité et au non-conventionnalisme.

De plus, au sein de la structure HEXACO, il est possible de mesurer l’altruisme puisque les trois dimensions (Honnêteté-Humilité, Agréabilité, Emotionnalité) sont liées à un compromis entre des comportements altruistes et des comportements agressifs (ou non altruistes) (Ashton et al., 2014). Ainsi, les dimensions Extraversion, Conscienciosité et l’Ouverture à l’expérience sont similaires au modèle du Big Five (Costa & McCrae, 1991). Les dimensions Agréabilité et Emotionnalité sont elles aussi similaires aux facteurs du Big Five (Agréabilité et Névrosisme) mais il existe quelques différences dans leur contenu (Ashton et al., 2004).

Ainsi, de nombreuses études se sont préoccupées de l’association entre les traits de personnalité et le bien-être subjectif (Costa & McCrae, 1980 ; 1991 ; Diener & Lucas, 1999). Steel, Schmidt et Schultz (2008) indiquent que les cinq traits de personnalité expliquent 39% de la variance totale du bien-être subjectif montrant ainsi une certaine stabilité.

Il s’avère que certains facteurs du Big Five sont plus pertinents que d’autres pour prédire la satisfaction de vie comme le facteur Extraversion tandis que le facteur Névrosisme est le prédicteur le plus important concernant l’aspect négatif de la composante cognitive du bien-être subjectif (Costa & McCrae, 1980 ; Diener & Lucas, 1999). Les facteurs Agréabilité et Consciencieux sont eux aussi des prédicteurs du bien-être subjectif. Le facteur Ouverture serait le seul trait de personnalité à être un faible prédicteur (Costa & McCrae, 1991). Selon Keyes et Lopez. (2002), ces résultats seraient sensiblement les mêmes pour l’épanouissement.

L’association entre le modèle de personnalité HEXACO et le bien-être est aussi confirmée par la littérature scientifique. Aghababaei et Arji (2014) démontrent que les dimensions HEXACO sont de meilleurs prédicteurs que ceux du modèle Big Five pour ce qui concerne la satisfaction de vie. Les dimensions Extraversion (r = .40) et le caractère Consciencieux (r = .26) sont les meilleurs prédicteurs. Pour ce qui concerne la dimension Honnêteté-Humilité, les résultats obtenus ne sont pas significatifs (r = .04) mais la facette Evitement de l’avidité est significative (r = .13). Burtaverde (2015) montre aussi que les dimensions Extraversion et Agréabilité (r = .26) sont des prédicteurs de la satisfaction de vie professionnelle. Le modèle HEXACO apporte ainsi un avantage prédictif comparé au Big Five dans le domaine du bien-être.

L’association entre traits de personnalité et épanouissement psychologique a été démontrée où les facteurs Extraversion, Consciencieux et Névrosisme sont des prédicteurs satisfaisants (Villieux et al., 2016). L’Extraversion, la Conscienciosité et l’Ouverture à l’expérience sont associées à un niveau élevé d’engagement dans les activités (Ashton et al., 2014).

Ces résultats rejoignent ceux issus d’une étude longitudinale aux Pays-Bas laquelle démontre que certains facteurs de personnalité sont liés à l’épanouissement (Schotanus-Dijkstra, Pieterse, Drossaert, Westerhof, de Graaf, ten Have, Walburg & Bolmeijer, 2016) : la dimension Extraversion (niveau élevé), le caractère Consciencieux (niveau élevé), le Névrosisme (faible niveau). Ces résultats suggèrent qu’une personne qui est consciencieuse, amicale et qui a confiance en elle est plus susceptible de s’épanouir. Notons que les extravertis ont tendance à davantage développer des relations sociales, à acquérir des connaissances, des compétences et à être plus créatifs (Bono, Davies & Rasch, 2012).

Enfin concernant l’épanouissement au travail, pour Bono et al. (2012), l’Extraversion serait l’un des déterminants de l’épanouissement au travail. Selon ces auteurs, certaines personnes auraient une tendance naturelle à s’épanouir par rapport aux autres. En raison de leur personnalité, elles auraient une approche plus positive de soi, des autres, des situations de travail, s’engageraient plus facilement dans le travail et seraient davantage actives et tournées vers l’avenir (Bono et al., 2012). Notons que le caractère Consciencieux est très souvent lié à l’emploi (Hurtz & Donovan, 2000) mais moins à la satisfaction au travail (Judge, Heller & Mount, 2002). Ainsi, la Conscience semble avoir un lien – plus ou moins fort – avec l’épanouissement au travail. Néanmoins, pour Bono et al. (2012), il semble difficile de définir si la motivation des personnes consciencieuses découle de leur tendance à suivre des règles (motivation externe) ou si elle est autodéterminée (motivation interne). Pour cette raison, il semble difficile d’inclure la Conscience comme trait central de l’épanouissement.

Les traits de personnalité sont considérés comme un déterminant du bien-être de l’épanouissement. Cependant, nous pensons que d’autres déterminants peuvent influencer le niveau d’épanouissement et de bien-être.