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ASSISES THÉORIQUES ET ÉVOLUTION DES MODÉLISATIONS

2.6 Un pont conceptuel entre les concepts de la triple hélice et les concepts du SIR

Plusieurs articles récents montrent une nette tendance vers une nouvelle conceptualisation de l’innovation dans un contexte global. Celle-ci est d’ailleurs bien présente en Europe depuis une dizaine d’années (p. ex. légiférée en France en 1999)

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(Achermann, 2014 ; Benneworth et Dassen, 2011 ; Leydesdorff et Zawdie, 2010 ; Carlsson, 2003 ; Veilleux, 2008 ; Mondy, 2009). Les présents travaux de recherche suivent cette nouvelle orientation en y intégrant les explications de l’économie mondiale, qui est désormais davantage orientée sur les relations entre les acteurs.

Benneworth et Dassen (2011) expliquent :

« L’innovation étant de plus en plus importante pour le développement économique, les politiques en matière d’innovation attirent l’attention des politiciens et décideurs politiques de tous niveaux. Les responsables régionaux se trouvent face à un défi particulier puisque l’innovation est le fruit de réseaux qui s’étendent largement au-delà des limites de leurs régions. Ce que les décideurs politiques peuvent réaliser dépend donc des types d’entreprises et de réseaux d’innovation déjà présents dans leurs régions./…/les stratégies d’innovation régionales devraient davantage prendre en compte l’orientation mondiale de leurs régions si elles veulent devenir un outil efficace au sein des pays membres de l’OCDE pour améliorer la performance en matière d’innovation et les taux de croissance économique » (traduction libre, Benneworth et Dassen, 2011, p. 3).

Ces auteurs mentionnent que les capacités d’interagir entre les acteurs, c’est-à-dire leurs connectivités, devraient servir d’interface explicative entre les systèmes d’innovation régionaux de proximité et les systèmes d’innovation sectorielle. Ils conceptualisent également ces interfaces comme des agencements charnières entre les acteurs locaux et le système globalisé. Selon eux, la nature des connectivités entre les acteurs régionaux au sein du système globalisé, de même les densités des connectivités auraient avantage à être plus développées au sein des modèles explicatifs de l’innovation, afin de rendre compte des interactions entre le local et le global.

Ils soutiennent que l’articulation des politiques institutionnelles, visant le développement de l’innovation, devrait prendre appui sur la dichotomie dimensionnelle du local et du global, de même qu'elle devrait se traduire en adéquation avec les innovations régionales et les dynamiques d’internationalisation de leurs activités (Benneworth et Dassen, 2011 : p. 16). Ainsi, les stratégies d’innovation régionales devraient souligner l’importance des connectivités internationales et celle des connectivités intrarégionales, refléter les contextes locaux ainsi qu’assurer une reconnaissance et une légitimité d’actions pour les acteurs. Leur argumentation est fondée sur un nombre important d’auteurs ayant proposé une démonstration de l’importance des connectivités extérieures au système dans la capacité de générer l’innovation (Oïnas et Malecki, 2002 ; Lim, 2006 ; Cooke et Memmemdovic, 2003 ; Nuur et coll., 2009, Markusen, 1996).

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Oïnas et Malecki (2002) expliquent que « these connectors do is to build purposive proximity between local and external actors, i.e. proximity that facilitates the exchange of knowledge, and helps local actors to better access the necessary resources for innovation » (Benneworth et Dassen, 2011 : p. 18). L’intérêt principal du concept des articulations charnières, proposées par Benneworth et Dassen (2011), concerne la façon dont les acteurs devraient travailler entre eux, la façon d’identifier les connectivités et la façon de les optimiser. Leur complexité provient du fait que les connectivités évoluent dans le temps. Toutefois, selon eux, une meilleure compréhension de leur nature pourrait contribuer à construire de meilleure façon les connectivités locales à l’intérieur d’un réseau de connectivité global.

À cet égard, les plus récentes publications prenant appui sur le modèle de la triple hélice (Klein, sous presse ; Leydesdoff et Zambie, 2010 ; Benneworth et Dassen, 2011) tendent à démontrer que ce modèle, tel que décrit lors de sa conceptualisation initiale, est désormais bien intégré dans les nouvelles normes institutionnelles conduisant les politiques d’innovation nationale. Ces dernières citent le modèle de la triple hélice en tant qu’exemple fondateur et précurseur de la nouvelle organisation systémique. L’adaptabilité du modèle lui a permis de s’insérer à l’intérieur des mouvances de la réalité de l’économie des connaissances et, notamment, dans le vécu relationnel collaboratif entre l’université et l’entreprise.

Ne parle-t-on pas aujourd’hui de l’université entrepreneuriale, de l’élaboration de consortiums et de programmes conjoints de recherche, de mise en place de bureaux de liaison U-E, de valorisation technologique de la recherche, des besoins d’injection de capitaux de risques dans la RetD universitaire, de la mise en œuvre de centres de développement technologique universitaire ? Toutes ces activités traduisent la mise en forme des organisations hybrides comme résultantes du modèle conduisant à l’innovation. Elles caractérisent aujourd’hui les travaux initiaux de Leydesdorff et Etzkowitz, malgré les ajustements conditionnés par l’opérationnalité du modèle.

Dans la reconversion de la structure économique, la nouvelle économie des connaissances conçoit la productivité de l’innovation technologique, en association à la collaboration entre les institutions de haut savoir, comme les universités et les centres de

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recherche (Klein, sous presse). Cette situation contextuelle provoquerait le besoin de prendre appui sur les ressources d’un milieu facilitant l’innovation tout en étant habilité à utiliser des technologies de pointe, afin de permettre sa mise en application. C'est pourquoi le rapport au milieu social et local devient si important. Il confère à l’entreprise les capacités de fonctionner en réseau avec des centres de soutien technologique, des organisations socio-économiques, de même qu’avec les agences politiques capables de gouverner stratégiquement les actions. Ainsi, « le rapport au territoire d’échelle locale, basé sur la proximité, devient un déterminant majeur dans la localisation des entreprises et dans leur capacité d’innover » (Klein, sous-presse : p. 4).

Devant les constats émergeant de la nouvelle économie des connaissances, le nouveau modèle de la triple hélice, que Leydesdorff, Perevodchikov et Uvarov (sous presse) qualifient de néo-évolutionnaire, renvoie à la perspective systémique. Ils se remettent en question sur le dosage des interactivités entre les acteurs, sur les indices de synergie à l’intérieur d’un système et sur la faisabilité d’utiliser le modèle de la triple hélice, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle locale. Ils expliquent que la triple hélice doit désormais tenir compte de la complexité des modes organisationnels, représentés par les facteurs mesurant les arrangements institutionnels et les réseaux de collaboration. Ils conçoivent que les dynamiques économiques, les structures législatives et les connaissances des individus peuvent affecter l’agir des gouvernements, tant à l’échelle régionale qu’à l’échelle nationale. Cette perspective vient moduler le modèle de la triple hélice classique, car il explique que la qualité de l’innovation ne provient pas uniquement des relations vécues entre les trois types d’acteurs, mais également de la densité des connectivités bilatérales et trilatérales tout en prenant en considération la variable territoriale (Leydesdorff, Perevodchikov et Uvarov, sous presse ; p. 4).

L’article de Leydesdorff et Zambie (2010) renforce l’idée que le modèle néo- évolutionnaire de la triple hélice se questionne sur ses propres capacités à étendre les relations trilatérales entre les acteurs universitaires, industriels et gouvernementaux à des explications plus approfondies visant la compréhension des dynamiques des systèmes d’innovation. Ils expliquent que de nouveaux mécanismes sociaux auraient tendance à affecter le système. Les interactions avec les marchés, les organisations et les opportunités

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technologiques, associées aux comportements et à la culture des acteurs, viendraient interférer dans les processus de développement des connaissances. Ils comprennent que les dynamiques de l’innovation ne sont pas linéaires, qu’elles sont modulées en fonction de la demande économique, des objectifs politiques et des opportunités technologiques tout en étant intégrées dans un système d’interdépendance entre les acteurs. Ces mécanismes sont associés à une temporalité séquentielle des actions chez les acteurs lors de leur conduite de l’innovation. Les mécanismes sont élaborés ainsi : 1) sélection du produit (mécanisme de marché), 2) stabilisation des productions (mécanisme politique de contrôle et de régulation) et 3) globalisation des productions (mécanisme de production du savoir et d’échange).

À cet égard, la version néo-évolutionnaire de la triple hélice souhaite opérationnaliser les notions de l’économie des connaissances, à l’intérieur d’un système qui se régularise (Leydesdorff et Zambie, 2010), et soutenir les études empiriques dans leurs démarches visant à rendre compte des perceptions des acteurs. On comprend alors que le caractère généraliste et classique de la triple hélice actuel ne répond pas parfaitement à la nature plus éclatée, plus simultanée et plus mondialisée des modes collaboratifs entre les acteurs des dernières années. Le modèle de la triple hélice aurait donc avantage à être actualisé en s’appuyant sur le concept de la connectivité utilisé au sein des modélisations des SIR. Voyons pourquoi.

Les plus récents travaux de recherche à vocation pratique, portant sur ces questions théoriques (Klein, Tremblay et Fontan, Guay, 2007), ont tendance à démontrer que les connectivités entre les acteurs sont désormais intégrées dans une dynamique d’innovation vaste et plus complexe. Cette dynamique est influencée par des facteurs relationnels qui ne seraient pas nécessairement liés à la proximité physique des acteurs au sein d’un système. Les conclusions de ces travaux convergent avec les analyses d’Amin et Thrift (1992) et de Castells (1999), lesquelles analyses montrent que la productivité locale des innovations ne constituerait qu’un élément dans un système relationnel d’innovation internationalisé.

En fait, ce questionnement porte en lui une approche particulière, que nous avons déjà présentée brièvement antérieurement, l’approche multiscalaire. Cette approche n’est utilisée que depuis récemment dans les textes scientifiques portant sur la compréhension

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des systèmes d’innovation. En effet, depuis quelques années seulement, on la voit apparaître dans les textes portant sur l’analyse des milieux innovants ou celle du développement régional.

Pour expliquer la localisation d’un pôle commercial, par exemple, l’approche multiscalaire s’appliquera à analyser, par exemple, sa présence grâce aux prédispositions du site, aux objectifs soutenus par la ville, en matière de commercialisation, mais également en tenant compte des processus intervenant sur les opérations en regard des interactions possibles, autant à l’échelle mondiale qu’à l’échelle locale, telles la production, la distribution et la vente des produits dans des endroits ciblés par la stratégie commerciale.

En fait, pour qu’un raisonnement soit multiscalaire, il doit construire une explication, faisant référence à des processus intervenant à différents niveaux d’échelles géographiques (locale, régionale, nationale, continentale, mondiale) et à différents niveaux d’échelles temporelles. Si le raisonnement d’une analyse multiscalaire implique des structures spatiales du présent, ce type d’analyse veille également à les expliquer à l’aide des évolutions du passé pour permettre de dégager des pistes d’évolutions possibles. La multiscalarité est le résultat de processus invisibles à des échelles variables. Dans cette approche, il existe donc un emboîtement de niveaux d’échelles géographiques (locale, régionale, nationale, continentale, mondiale) et d’échelles temporelles. Ainsi, les interactions invisibles ou les connectivités entre les acteurs forment un système complexe de liens spatiaux et temporels. En les combinant, ou en les intégrant les uns aux autres, nous nous assurons d’un raisonnement systémique (Rouchet, 2008). Le système serait donc formé d’une série d’intersections complexes, qui déboucheraient sur des notions de carrefours, de zones d’influence. Les grands ensembles spatiaux, qui sont dans un premier temps isolés les uns des autres, se combineraient et s’entrecroiseraient (Buzenot, L., 2007). C’est dans cette perspective que se situe le discours de Achermann (2014), qui vient renforcer ces propos (voir ci-haut, p.50, paragraphe 3).

Avec les notions de globalisation des productions, évoquées par Leydesdorff et Zambie (2010), on s’associe parfois des notions de proximité et d’accumulation, ou de concentration technologique, comme facteurs de production pour répondre aux nouvelles

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règles de l’économie de connaissances mondialisée (Klein, sous presse). Ces concepts intègrent d’autres facteurs comme le dynamisme entrepreneurial, l’articulation de réseaux productifs mondiaux et l’attrait des investissements étrangers à l’échelle locale. Dès lors, selon notre approche de recherche, le local pourrait interagir avec le global dans un espace mondialisé au sein duquel les acteurs locaux seraient intégrés à des réseaux globaux de productions dans une perspective simultanée et non séquentielle.

Pour soutenir l’importance de la connectivité locale et globale, au sein d’un système d’innovation multiscalaire, et en définir les caractéristiques au sein d’un modèle actualisé, nous reprendrons les principes soulevés dans le rapport de Benneworth et Dassen (2011), qui fait la synthèse de grandes conclusions d’études relatives à ce sujet. D’abord, les stratégies régionales soulignent généralement l’importance des connectivités extérieures par leurs besoins de joindre des réseaux internationaux bonifiant leurs connaissances, leurs apprentissages, leur capacité d’innovation et de compétition (Lim, 2006). Ensuite, les stratégies régionales soulignent généralement l’importance des connectivités internes à la région. C’est-à-dire, les capacités des entreprises locales à s’organiser entre elles dans le but de s’engager dans un réseau international, qui leur est favorable (Cooke et Memedovic, 2003). De plus, les stratégies régionales soulignent l’importance des connectivités reflétant le contexte local, ce qui tend à créer de nouvelles dimensions d’interactions entre les acteurs aux échelles globale, nationale et régionale. Ces connectivités rendent compte d’une réalité différente des notions théoriques, d’où prennent appui les systèmes d’innovation régionaux (Nuur et al, 2009). Et enfin, les stratégies régionales aspirent à une reconnaissance et une légitimité au sein d’un système de gouvernance élargi. Par exemple, le fait qu’une région innovante soit reconnue comme telle au sein d’une association supranationale, ou d’un système législatif multiéchelle (Union Européenne, zone de libre- échange américain), valorise sa stratégie de conduite à l’innovation. (IRE, 2007).

Ces phénomènes de conduite de l’innovation, intégrés à une connectivité allant du local au global et inversement du global au local, renvoient au processus multiscalaire que nous souhaiterons mettre en évidence.

Les dimensions qui ressortent clairement des discussions scientifiques, que nous venons de présenter au sein de ce chapitre, soulignent de façon implicite la nécessité de

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mieux comprendre la connectivité multiscalaire entre les acteurs d’un système d’innovation. Cette connectivité entre les acteurs peut être comprise à l’aide de trois grandes dimensions (Benneworth et Dassen, 2011 : p.28) reflétant :

1) les rapports de connectivité entre les acteurs à différentes échelles, selon lesquels les acteurs de l’innovation dans une région développent leurs interactions avec les acteurs extérieurs dans un secteur d’innovation sectoriel ;

2) la densité de la connectivité, selon laquelle les acteurs locaux au sein de la région de proximité sont bien interreliés, collaborent avec facilité et coopèrent vers une conduite de l’innovation dans un secteur particulier ;

3) les liens de dépendance des connectivités, pour lesquels il existe des « acteurs gardiens » à l’affût des opportunités et capables d’orienter les accès aux entreprises locales vers les réseaux d’interactions internationaux.

Conclusion

En conclusion, les éléments du modèle conceptuel, que nous avons retenus dans le cadre de notre recherche, sont présentés au sein de la figure 4 (p. 61). Nous avons repositionné les acteurs du modèle théorique de la triple hélice au sein d’un contexte présentant des connectivités locales et globales, comme le propose l'approche des SIR. Le tout nous permettant ainsi de mieux cerner le cadre de référence, que nous utiliserons lors de la présentation, de l’analyse et de l’interprétation des résultats.

60 Figure 4

Schéma conceptuel de la recherche

Les plus récentes publications prenant appui sur le modèle d<

Système d’innovation Université État Entreprise Connectivité