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ASSISES THÉORIQUES ET ÉVOLUTION DES MODÉLISATIONS

2.3 Le Mode 2 de production des connaissances

Le livre de Gibbons et coll. (1994), The New Production of Knowledge a marqué l’arrivée d’une période charnière. Cet ouvrage a influencé la compréhension de l’économie contemporaine grâce à la contribution de Lundvall (1992) sur les recherches de l’OCDE (Lundvall, 1992)15. Pour résumer, il convient d’expliquer que, depuis la Seconde Guerre mondiale, nous assistons à un nouveau mode de production des connaissances, nommé Mode 2, caractérisé par une réflexivité, une transversalité, une collaboration et une organisation des modes relationnels et hiérarchiques qui est différente de celle retrouvée dans le premier mode de production des connaissances, nommé Mode 1.

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L’article d’Albert et Bernard (2000) explique les raisons pour lesquelles nous assistons aujourd’hui à la présence de ce nouveau type de production des connaissances. D’abord, la création des connaissances ne semble plus être l’apanage d’un lieu unique, telle l’université. En effet, l’accroissement du nombre de diplômés universitaires depuis 1945 provoquerait une surabondance de chercheurs que l’université, à elle seule, ne pourrait absorber. Nombre d’entre eux travailleraient alors dans d’autres types d’organisations. Ensuite, la forte concurrence internationale, que nous retrouvons dans le secteur des technologies, aurait provoqué un renforcement des connaissances provenant des entreprises du secteur. Et enfin, les fonds publics destinés à la production des connaissances en milieu universitaire auraient tendance à diminuer. Ainsi, on observerait chez les universités une propension à diversifier les bailleurs de fonds pour financer leurs recherches.

Pour résumer, trois caractéristiques définissent tout particulièrement le Mode 2 des connaissances. La première caractéristique réfère à une production des connaissances inscrite dans le contexte d’application, c’est-à-dire relative aux besoins des acteurs intégrés dans le processus d’acquisition des connaissances ou la résolution de problème. Ici, les résultats de la recherche sont utilisés par l’industrie, le gouvernement ou toute autre organisation publique ou parapublique, ce qui impliquerait nécessairement des jeux de négociations et des interactions entre les acteurs. Les problématiques de recherche seraient également intégrées de façon naturelle au contexte d’application, ce qui permettrait d’anticiper le marché et les orientations commerciales (Gibbons et coll., 1994, pp. 3-4).

La deuxième caractéristique fait référence à la nature transdisciplinaire de la recherche, qui prédisposerait à une compréhension des phénomènes étudiés par la mise en liaison de plusieurs disciplines. Les chercheurs seraient également des vecteurs de diffusion des connaissances vers d’autres types d’acteurs. De même, il en résulterait des dynamiques de transformations qui encourageraient des mouvements chez les équipes de recherche et la naissance de nouvelles problématiques (Gibbons et coll., 1994, pp. 4-5).

La troisième et dernière caractéristique, selon la conception du Mode 2 de la production de connaissances, l’université ne serait plus l’unique lieu de production des connaissances. Selon ce mode, plusieurs autres organisations seraient en mesure de réaliser des recherches, ce qui révèlerait la nature hétérogène de la nouvelle production des

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connaissances. De plus, on y comprend que les équipes de recherche se composeraient et se décomposeraient, encourageant ainsi l’hétérogénéité des activités dans un contexte où l’autorité ne serait point centralisée et, pour lesquelles, les changements ne seraient pas nécessairement planifiés. Ce qui impliquerait le besoin d’acquérir des ressources flexibles et une gestion de temps adaptée à des besoins, afin d’assurer la survie de l’organisation. (Gibbons et coll., 1994, p. 6).

On ne peut plus clair, selon le Mode 2, la recherche a tendance à avoir une vision réflexive d’elle-même et, notamment, dans les implications entourant la mise en œuvre de ses travaux en contexte d’application. Les aspects éthiques entourant les questions de la commercialisation de la recherche sont également au nombre des préoccupations réflexives. De même, selon ce mode, les chercheurs se préoccuperaient des implications économiques et sociales de leurs travaux (Gibbons et coll., 1994, pp. 7-8).

Le Mode 2 nous éclairerait donc sur une nouvelle organisation de production des connaissances et sur le rapport entre la création des connaissances et son contexte d’application, notamment au sein des environnements scientifiques, des équipes universitaires et de la pratique de la recherche (Melviez, 2008). En ce sens, l’intégration du Mode 2 dans le langage scientifique a certainement provoqué des changements dans l’articulation des politiques nationales de recherche et l’organisation de la recherche scientifique dans les universités. De façon concrète, par exemple, la création de différents programmes de financement supranationaux, nationaux et régionaux a entraîné avec elle une reconnaissance des priorités, destinée à allouer des ressources selon les axes de développement choisis. Les universités se sont ajustées, devenant plus proactives devant la concurrence. De même, le SNI a propulsé de nouveaux besoins, comme celui de commercialiser la recherche et d’être plus attentif à la valeur de la propriété intellectuelle.

2.3.1 Les perspectives d’évolution du Mode 2 des connaissances

Le principal auteur, ayant dressé les pistes d’évolution du Mode 2 des connaissances dans les communautés scientifiques, industrielles et politiques, est Terry Shinn (2002). Cet auteur a revendiqué le besoin du Mode 2 de présenter des assises empiriques pour justifier son modèle.

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On peut également questionner la marginalisation de l’université comme principal lieu de production des connaissances par rapport à d’autres organisations prônées dans le Mode 2 des connaissances. En effet, des auteurs comme Benoît Godin et Yves Gingras (2000) ont démontré que les universités demeuraient les organisations dominantes, en termes de productions scientifiques et qu’elles avaient tendance, au contraire, à devenir centrales dans ce secteur d’activité.

Les discours entourant le Mode 2 des connaissances sont aussi questionnés par certains auteurs comme Shinn (2002) et Milot (2003) qui les considéraient trop tournés vers une sorte d’institutionnalisme régulateur, affaiblissant ainsi la différenciation des rôles scientifiques, gouvernementaux et industriels dans la construction du savoir. Dans cet ordre d’idées, on pourrait éventuellement remettre en cause la proximité intellectuelle entre l’OCDE et les auteurs du Mode 2, car la notoriété et la légitimité de l’utilisation des ressources de l’un pouvaient entretenir la crédibilité des autres.

En somme, (1) le manque d’études empiriques portant sur la production des connaissances en croissance par rapport au Mode 1, (2) le fait que le Mode 2 soit considéré comme le mode dominant sans preuve empirique concrète, (3) la construction des fondements du modèle sans appui aux travaux scientifiques antérieurs et (4) le caractère essentiellement institutionnaliste et normatif du modèle, ont fait en sorte que les scientifiques ont proposé d’autres modèles qui reflètent davantage la coévolution des interactions entre les acteurs dans la conduite vers l’innovation. Parmi ceux-ci, l’un des plus importants auquel les auteurs scientifiques se réfèrent encore à ce jour est le modèle de la triple hélice.