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ASSISES THÉORIQUES ET ÉVOLUTION DES MODÉLISATIONS

2.4 La triple hélice

2.4.1 Les perspectives d’évolution de la triple hélice

Dès le début des années 2000, on allègue quelques limites au modèle de la triple hélice (Shinn, 2002), malgré son caractère éminemment ancré dans un corpus appliqué et

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empirique : celles de rester collé sur le fonctionnalisme du système de référence. Les différences des sous-systèmes, associés aux différents types d’acteurs, ont des fonctions qui sont difficiles à se départir lorsque vient le temps d’intégrer un autre système plus global. Les principales critiques stipulent donc que le comportement des acteurs aurait tendance à demeurer toujours le même, selon leur nature, et répondrait aux fonctions de la gouvernance ou de la production des biens en fonction du discours ambiant. La triple hélice, de par sa compréhension de la conduite vers l’innovation, aurait donc tendance à idéaliser les interactions entre les agents sociaux ou envers la connectivité entre eux (Vécrin, 2003 : p. 16).

De la même façon, Shinn (2002) s’est interrogé sur la relation qu’entretiennent les différents types d’acteurs dans leur rapport au tout, c’est-à-dire la triple hélice en elle- même. Il a questionné sa fonctionnalité et les mécanismes qui ont conduit son apparition au sein des théories de l’innovation. Le niveau d’analyse macro, qui est souvent utilisé par le modèle, ne semble également pas correspondre au cadre empirique préconisé dans les analyses. Tout comme l’a fait Mora Valentin (2002), Shinn (2002) revendique le besoin d’études de type « meso » et empirique (Vécrin, 2003 : p. 17).

« La différence entre le cadre théorique du modèle (triple hélice) et les études qui s’y rattachent est trop grande, et il y a un besoin pressant de combler cette lacune par des éléments de type mésoniveau, par des définitions et par des opérations. Il faudrait indiquer avec précision les mécanismes intermédiaires qui relient des changements cognitifs, économiques et institutionnels, bien avérés à la théorie de la coévolution, de façon non ambigüe et corroborative » (Shinn, 2002, p. 26 dans Vécrin, 2003 : p. 17).

Depuis 2010, les pistes d’évolution les plus récentes du modèle concernent des modes de collaboration entre les acteurs. Tel que défini au départ, on retrouve au sein du modèle classique de la triple hélice des intersections visibles entre les différentes palmes (U-E-E). Ces interactions sont considérées comme des boîtes noires sans information relative à la nature de la collaboration vécue entre les acteurs dans leur système d’innovation. Or, certains ouvrages récents (Achermann, 2014 ; Klein et Guillaume, 2014 ; Benneworth et Dassen, 2011) s’intéressent précisément à la nature et à la composition des interactions vécues entre les trois palmes du modèle. Ils tendent à démontrer que la fonction d’interactions entre les palmes, telle que proposée au sein du modèle classique,

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n’est pas toujours une condition suffisante pour expliquer les dynamiques de l’innovation locale.

Ils expliquent que, pour appliquer parfaitement le modèle, les acteurs devraient avoir des intérêts à initier des dynamiques communes de développement, et ce, au même moment. Or, ce n’est pas toujours le cas, notamment dans le contexte grandissant de la globalisation issue de l’économie des connaissances. Comme nous l’avons compris antérieurement, les conditions, émanant de l’économie des connaissances et le contexte de la globalisation en découlant, dessinent un contexte propice à la multiplication de besoins et, donc, à la spécificité des modes relationnels. En effet, selon ces auteurs, la diffusion de l’innovation présenterait dans un mode relationnel à l’intérieur duquel se retrouverait une multitude d’interactions et de coordinations entre une multitude d’acteurs, qui évolueraient selon des trajectoires locales spécifiques.

Lorsque nous étudions le modèle de la triple hélice, nous constatons que ce dernier ne définit ni l’intensité ni les orientations des dynamiques collaboratives en contexte spatio-temporel. Le modèle de la triple hélice ne tient pas en compte ni la proximité des acteurs ni la valorisation des spécificités locales. De même, les notions de proximité sont confondues avec la notion des interactions entre les palmes. Dans son article, Achermann (2014) renforce ce propos en indiquant que les interactions (ou les connectivités) fortes entre les acteurs n’expliquent pas toujours le choix de la trajectoire technologique, empruntée pour conduire à une innovation. Selon lui, il existerait des facteurs extérieurs qui influenceraient les interactions entre les groupes d’acteurs. Il évoque que, à l’échelle du système local d’innovation, le cadre socioculturel et le contexte global extérieur pourraient aussi être à l’origine de certaines configurations de connectivités.

Achermann (2014) propose donc d’intégrer de nouvelles variables explicatives dans l’évolution des systèmes d’innovation, qui tiendraient compte de la nature des interactions entre les acteurs, c’est-à-dire de leurs connectivités. Selon lui, la triple hélice devrait s’intéresser aux mécanismes qui conditionnent le rythme et l’intensité des interactions. Selon lui, la triple hélice peut être appréhendée comme une infrastructure conjointe du milieu novateur activée par des stratégies complémentaires ou concurrentielles. Elle est

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construite entre les acteurs dans le système d’innovation. Les interactions ou les connectivités entre les palmes se moduleraient donc selon les besoins locaux ou globaux.

Klein et Guillaume expliquent également que la complexité des champs théoriques sur l’innovation exige maintenant une révision des outils conceptuels ». Selon eux, les études sur le sujet devraient chercher à mieux rendre compte des tendances qui dissocient l’économique et le global, des expériences qui réussissent autant à l’échelle globale qu’à l’échelle locale. Ceci viserait à reconnaître le rôle structurant de l’État tout en tenant compte des modes de gouvernance des autres acteurs, des tendances lourdes qui poussent la dispersion, ou l’agglomération, ainsi que la présence d’institutions qui modulent le comportement des acteurs économiques. « L’analyse des espaces économiques demande une approche qui tienne compte des différentes dimensions qui président l’activité économique, leurs différentes échelles et leurs différentes temporalités. » (Klein, 2014 : p.199). Selon ces auteurs, la connectivité devient donc un élément fondamental dans l’articulation des activités économiques, ainsi que dans la compréhension des collaborations entre les acteurs, au sein de la modélisation des systèmes d’innovation. Selon eux, il faudrait donc revisiter le modèle afin qu’il prenne davantage appui sur les modes de collaborations des acteurs.

À cet égard, le système d’innovation régional (SIR) considère que l’innovation est fondée sur différentes configurations de connectivités à l’échelle locale. Cette approche est intéressante, car elle permet d’ouvrir le modèle de la triple hélice sur des dynamiques de collaborations interactives « locales-globales » tout en prenant en compte le contexte spatio-temporel dans lequel s’articule le système d’innovation à l’étude. Dans la prochaine section, nous approfondirons donc ce modèle afin de mieux évaluer de quelle façon cette approche pourrait contribuer à actualiser le modèle de la triple hélice, qui aujourd’hui, malgré son acceptabilité sociale, politique et scientifique, semble être dépassé par d’autres concepts théoriques émergents.