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1 La polysémie de nouus

Dans le document Quid noui ? (Page 49-69)

Pour l’adjectifnouus, l’OLDdistingue 15 rubriques dont certaines sont très proches, comme « nouveau, existant depuis peu », mais aussi « pas connu aupa-ravant, non familier, non commun, qui s’est produit par surprise, imprévu » et encore « qui vient s’ajouter à ce qui existe déjà, nouveau développement d’une affaire, nouvel aspect d’une chose ». Cette variété, qui témoigne d’un usage très riche, résulte souvent de la multiplicité des applications référen-tielles et, d’un point de vue sémantique, elle s’organise autour de quelques significations stables.

1.1 Nouusqualifiant ce qui apparaît pour la première fois

Le plus souvent,nouusse dit d’une situation qui n’existe pas antérieurement à un point de repère et qui s’impose à l’observation par son originalité. Au-delà de la traduction par « nouveau »,nouusa deux emplois principaux, selon que l’originalité est totale ou se mesure par rapport à une référence plus large.

1.1.1 Nouuset l’innovation entière

L’innovation marque un changement total par rapport à ce qui existe.

L’adjectif qualifie ainsi un travail de l’imagination, comme la représentation de

1. Brepolis Library of Latin Texts(LLT séries A et B), Brepols Publishers Online.

Jupiter sur scène, la nouveauté radicale se mesurant au sentiment d’admiratio¹. Nouus s’applique aussi à des expériences plus courantes, par exemple la construction d’une maison, pour laquelle les étapes du travail montrent bien que ledominusprocède à une véritable création². Quant à l’interrogationquid noui ?, à l’origine du titre de ce volume, elle suppose chez le locuteur la volonté de connaître ce qu’il ne sait pas. En général, il lui donne une valeur perlo-cutoire pour inciter l’interlocuteur à exprimer ce que lui-même ignore, et la question n’attend donc pas une réponse par « oui » ou par « non », comme en témoigne ce jeu en Plaute,Most.999-1000 :

TH. Numquid processit ad forum hic hodie noui ? SI. Etiam.

TH. Quid tandem ?

SI. Vidi efferri mortuum[...].

TH. Il s’est passé quelque chose de neuf aujourd’hui au forum ? SI. Oui. TH. Quoi donc ? SI. J’ai vu enterrer un mort [...].

où la banalité de la réponse (Vidi efferri mortuum) souligne par contraste le caractère décisif de l’avancée —noui— que voudrait entendre Théopro-pide dans le déroulement de l’affaire concernant son fils, car il craint un enlisement.

1.1.2 Nouuset la nouveauté dans une continuité

Assez souvent, la nouveauté n’est pas totalement inédite, mais s’intègre dans un ensemble ou dans une série dont elle constitue un élément sup-plémentaire et différent. Le jeune Philocrate, prisonnier de guerre, a ainsi successivement deux maîtres (Plaute,Cap.362-363) :

... uolt te nouus erus operam dare tuo ueteri domino, quod is uelit, fideliter.

Ton nouveau maître t’ordonne d’exécuter les ordres de ton ancien maître,

fidèlement [...]. (Trad. A. Ernout)

1. Plaute,Amph.89-90 :Quid admirati estis,quasi uero nouum/ nunc proferatur,Iouem facere histrioniam ?(« Pourquoi cette surprise, comme si vraiment c’était un spectacle nouveau que Jupiter fasse métier d’acteur ? »).

2. Caton,Agr.XIV, 1 :Villam aedificandam si locabis nouam ab solo,faber haec faciat oportet : parietes omnes,uti iussitur,calce et caementis[...] (« Si tu fais construire une ferme neuve de bas en haut, voici ce que l’artisan doit faire : tous les murs, comme cela est demandé, en chaux et en moellons [...]. »).

Sur cette base, l’adjectif a des emplois plus spécialisés. Lestabellae nouaese substituent aux précédentes car elles annulent les dettes (Cicéron,Att.10, 8, 2 ; Sénèque,Ben. I, 4, 6). L’année qui s’ouvre est aussi qualifiée denouus annus car elle a une durée identique à celles auxquelles elle succède, en même temps qu’elle laisse attendre d’autres perspectives d’action, comme le montre cette affirmation paradoxale en Tite-Live III, 15, 1 :

Nihil noui nouus annus attulerat : legis ferendae aut accipiendae cura ciuitatem tenebat¹.

Rien de nouveau au nouvel an : proposer ou adopter la loi tenait en souci toute

la cité. (Trad. G. Baillet)

L’adjectif est utilisé en particulier chez les poètes de l’amour. Il qualifie les formes de l’infidélité qui s’enchaînent (Properce I, 8, 29-32) :

Falsa licet cupidus deponat gaudia liuor : destitit ire nouas Cynthia nostra uias.

Illi carus ego et per me carissima Roma dicitur, et sine me dulcia regna negat.

La jalouse envie peut renoncer aux fausses joies, notre Cynthie a cessé d’aller par des voies nouvelles. Je lui suis cher et par moi, dit-elle, Rome lui est la plus chère et, sans moi, elle dit qu’il n’y a pas de doux royaumes.

(Trad. S. Viarre) Les formes de l’infidélité (nouas uias) ont une capacité à se renouveler, et ce caractère est au cœur de la thématique de l’élégie². Celle-ci décrit en effet un véritable itinéraire de la même difficulté de vivre dans ses aspects différents.

Il n’est pas sans intérêt que lenouusouvre et ferme le recueil desPontiques entre la parole d’un Naso qui n’est déjà plus un nouvel habitant de cette région lointaine (I, 1, 1-2³) et la parole de celui qui ne peut supporter de coup supplé-mentaire (IV, 16, 51-52⁴). « Le sujet psychologique de l’élégie, écrit E. Delbey, se découvre aussi sujet moral et sujet en deuil de lui-même, déraciné de ses

1. De même Tibulle I, 1, 13 ; Sénèque,Epist.87, 3 ; et pour phénomènes cycliques : la nouvelle lune (Varron,L.L.VI, 28 ; Pline l’Ancien XVIII, 167), le lustre (Martial IV, 45, 3) ; la renaissance de la nature (Ovide,Pont.I, 2, 32 ; Ps.-Sénèque,Oct.394).

2. Voir Delbey 2001, p. 76-80. De même Properce I, 15, 8 ; III, 5, 12 ; III, 20, 16 et 26.

3. Naso Tomitanae iam non nouus incola terrae/ hoc tibi de Getico litore mittit opus(« Nason, qui n’est plus désormais un nouveau venu sur le territoire de Tomes, t’adresse cet ouvrage du littoral gétique. » Trad. J. André).

4. Quid iuuat extinctos ferrum demittere in artus ? / Non habet in nobis iam noua plaga locum(« Que sert de plonger le fer dans des membres glacés ? Il n’y a plus en moi de place pour une nouvelle blessure ! » Trad. J. André).

attaches, excentré : Ovide, en exil, fait l’épreuve d’une pensée du dehors qui le rend étranger aux Romains et à lui-même¹. »

Entre « ce qui apparaît pour la première fois » et « ce qui apparaît pour la pre-mière fois et forme la suite de ce qui précède », l’idée commune est finalement celle d’une entrée dans l’existence.

1.2 De la différence à la rupture

Par rapport à l’existant, la nouveauté présente un écart. Ce peut être une différence, en particulier quand elle se mesure à ce qui précède², mais ce peut être aussi une rupture. Cet aspect mérite d’être traité à part car il s’ex-prime jusque dans des syntagmes lexicalisés et des applications sans doute plus inattendues.

1.2.1 Le syntagmehomo nouus

L’idée de création, d’innovation attachée ànouuss’observe bien avec le syn-tagmehomo nouuscar la personne ainsi qualifiée entre dans une fonction que ni elle ni sa famille n’ont occupée précédemment. L’expression est bien sûr fré-quente chez Cicéron mais elle a un usage plus vaste. Elle se trouve chez Juvénal, à propos du même Cicéron (VIII, 236-238) :

Sed uigilat consul uexillaque uestra coercet ; hic nouus Arpinas, ignobilis et modo Romae municipalis eques[...].

Mais le consul veille et il arrête vos étendards ; c’est un homme nouveau, d’Arpinum, et qui n’était naguère à Rome qu’un chevalier municipal [...].

(Trad. J. Gérard) où l’enjambement du v. 237 sur le 238 marque avec sa longueur la monoto-nie d’une vieignobilis, alors que la brièveté duhic nouus Arpinas donne tout son éclat au nouveau départ et au changement que constitue le consulat de Cicéron.

Le syntagme d’homo nouuss’applique à des périodes antérieures à Cicéron (Salluste,B. J.63, 7) et postérieures, pour signifier par exemple que l’empire passe à une famille qui jusqu’alors n’exerçait pas la fonction deprinceps(Tacite, Hist.II, 48, 2). La nouveauté ne s’entend pas seulement sur un plan politique. Le

1. Delbey 2001, p. 112. De même, le rappel de la culpabilité renouvelle la blessure (Ovide, Tr.III, 6, 30 ; V, 6, 17).

2. Cf.suprap. 48.

mariage de Lycus avec Mégare est de nature à faire de celui-ci unhomo nouus dans le cercle de l’héroïsme, mais sanouitasest aussi le nœud de la tragédie (Sénèque,H. F.347-351) :

[...]ducet e genere inclito

nouitas colorem nostra. Non equidem reor fore ut recuset ac meos spernat toros ; quod si impotenti pertinax animo abnuet, stat tollere omnem penitus Herculeam domum.

[...] de son illustre naissance mon obscurité tirera de l’éclat. Je ne crois pas qu’elle refusera et dédaignera mon lit. Mais si, dans un entêtement sans mesure, elle persiste à dire non, je suis résolu à faire disparaître totalement

la famille d’Hercule. (Trad. F.-R. Chaumartin)

La position denouitasau centre de l’enjambement met en valeur cette diffé-rence de statut : c’est elle en effet qui, entraînant une affirmation tyrannique de soi, explique, face au refus de Mégare, la volonté de Lycus de massacrer la famille d’Hercule.

1.2.2 Le syntagmeres nouaeet ses équivalents

Ils expriment l’idée de changement radical. En Cicéron,Leg. agr.II, 91 : Homines non inerant in urbe qui malis contionibus, turbulentis senatus consultis, ini-quis imperiis rem publicam miscerent et rerum nouarum causam aliquam quaererent.

Mais alors il n’y avait personne dans cette ville qui, par des harangues perni-cieuses, par des sénatusconsultes séditieux, par des pouvoirs illégaux, cher-chât à bouleverser l’ordre établi et à amener une révolution.

(Trad. A. Boulanger) Le verbe miscereexprime l’idée de confusion des principes fondamentaux, en sorte que le renoncement à ceux-ci revient àrerum nouarum causam quae-rere, c’est-à-dire conduit à la recherche d’un bouleversement complet des cadres, une rupture, ce qui correspond de fait au fr.révolution¹. L’adjectifnouus peut porter sur d’autres termes quereset donc, outre la situation radicale-ment changée, sont qualifiés avec l’adjectif desconsilia comme en Cicéron, Fam.15, 4, 4 :

Itaque in Cappadocia extrema non longe a Tauro apud oppidum Cybistra castra feci, ut et Ciliciam tuerer et Cappadociam tenens noua finitimorum consilia impedirem.

1. De même Salluste,Cat.37, 1 ; Tite-Live XXIII, 14, 7 ; Velleius Paterculus II, 19, 1 ; II, 129, 2 ; Tacite,Ann.XV, 35, 2.

J’ai donc campé à l’extrémité de la Cappadoce, non loin du Taurus, devant la ville de Cybistre, afin de pouvoir à la fois protéger la Cilicie et, tenant la Cappadoce, empêcher les projets radicaux de nos voisins.

L’enjeu réside dans le rapport entre les forces de la région, et lesconsilia noua sont les projets qui le remettraient en cause de manière profonde¹(de même, Tacite,Ann.V, 4, 4). L’adjectif a aussi des emplois marqués dans des domaines relevant de la vie privée.

1.2.3 Les changements dans la vie

Ils sont évidemment d’une ampleur très variable, et le rapprochement d’Ovide et de Pétrone n’a d’autre but que montrer que le moment qualifié de nouusest en rupture avec ce qui précède.

La poésie d’exil d’Ovide exprime toute l’évolution d’une existence. Évoquant sa faute première dans sa jeunesse — la publication de l’Art d’aimer— qui lui vaut sa condamnation maintenant, il écrit (Tr.II, 539-540) :

Nos quoque iam pridem scripto peccauimus isto : supplicium patitur non noua culpa nouum

Moi aussi, il y a bien longtemps, j’ai commis la faute d’écrire ce poème. Un châtiment nouveau punit une faute qui n’est pas nouvelle.

(Trad. J. André) où l’interférence des deux syntagmes met en évidence la reprise de la même faute (non noua culpa) en face de laquelle le supplicium nouumactuel consti-tue une cassure par rapport à la clémence antérieure. Le jeu entre les occur-rences fait du poète non l’homme condamné par une décision de justice, mais la victime d’une vengeance personnelle (v. 545-546²). La rupture (nouum) que constitue cette injustice contribue à dessiner l’image de l’irad’Auguste, bru-tale et imprévisible, et l’intègre dans une thématique élégiaque puisqu’elle fait passer le poète d’un état d’équilibre à un état de malheur³.

L’application du mot aux richesses de Trimalcion est évidemment très diffé-rente pour la nature du référent, mais la même idée de rupture prévaut. Cer-taines trouvailles ont ainsi un caractère vraiment inédit, comme l’emploi de deux eunuques pour compter les points des balles non jouées mais tombées

1. De même Tite-Live VIII, 17, 8 ; XXVII, 22, 13.

2. Sera redundauit ueteris uindicta libelli,/ distat et a meriti tempore poena sui(« Une vengeance tardive est venue frapper un ouvrage ancien, et la peine est bien éloignée du moment où elle fut méritée. » Trad. J. André).

3. Voir Videau 1991, p. 241-243.

à terre, dont le narrateur commente (27, 3) :Notauimus etiam res nouas¹. Cette mode de la rupture contribue à créer la caricature burlesque du « nouveau riche²».

1.3 Les connotations attachées ànouus

L’originalité forte de la situation qualifiée de nouus transparaît dans le contexte, si bien que l’adjectif reçoit des connotations diverses et souvent contradictoires. L’éloquence politique place ainsi nouusetnouitasau centre d’appréciations axiologiques opposées et d’effets stylistiques. Du tribun de la plèbe qui veut modifier le mode d’élection des magistrats, Cicéron écrit (Leg.

agr.II, 26) :

Et is orbem terrarum constringit nouis legibus qui, quod in secundo capite scriptum est, non meminit in tertio ? Atque hic perspicuum est quid iuris a maioribus acceperitis, quid ab hoc tribuno plebis uobis relinquatur.

Et c’est l’homme qui assujettit l’univers par des lois toutes nouvelles, qui ne se souvient plus dans son troisième article de ce qui a été écrit dans le second.

Ici l’on aperçoit clairement ce que vos ancêtres vous ont transmis de droits et ce que vous en laisse ce tribun du peuple. (Trad. A. Boulanger) Le jeu entre les innovations d’un seul et leur portée générale, l’inconséquence du personnage qui ne suit pas le fil de ce qu’il écrit, tout cela discrédite la noui-tasde la proposition par rapport à la tradition établie. À l’inverse, le change-ment de loi peut être marqué positivechange-ment, comme en Cicéron,2 Verr.V, 178 :

[...]aut ei qui propter offensionem iudiciorum de ueteribus iudicibus lege noua noui iudices erunt constituti,

[...] ou bien ceux qui auront été institués comme nouveaux juges en vertu d’une nouvelle loi pour juger les anciens juges en raison du discrédit des tribunaux.

où le chiasme autour de la reprise de l’adjectif met l’accent sur la profondeur d’un changement qui est ici positif après l’offensionem iudiciorumqui le motive.

Dans le domaine de la connaissance, un phénomènenouussuscite souvent des réactions ambivalentes (Cicéron,Diu.II, 60) :

1. « Nous avons remarqué aussi des innovations. » De même Trimalcion se réserve la place d’honneur contre tout usage (Pétrone,Sat. 31, 8) :nam iam omnes discubuerant praeter ipsum Tri-malchionem, cui locus nouo more primus seruabatur(« Tout le monde s’était mis à table, sauf Tri-malcion à qui, selon une mode nouvelle, était réservée la première place. »).

2. Martin 1999, p. 60-64.

causam igitur inuestigato in re noua atque admirabili, si poteris ; si nullam reperies, illud tamen exploratum habeto, nihil fieri potuisse sine causa eumque terrorem, quem tibi rei nouitas adtulerit, naturae ratione depellito.

devant un phénomène nouveau et surprenant, il convient donc d’en recher-cher si possible la cause ; si l’on en découvre aucune, il faut pourtant tenir pour certain que rien n’a pu se produire sans cause et se débarrasser par l’ex-plication rationnelle de la terreur qu’aura causée la nouveauté du phénomène.

Le système hypothétique à l’éventuel permet de mettre en parallèle les deux perceptions de lanouitasselon que l’observation du phénomène pour la pre-mière fois suscite l’effroi par l’ignorance ou un apaisement par la connaissance des causes. La découverte cède la place à la création proprement dite avec les néologismes de la philosophie (Cicéron,Fin.III, 5) :

Zenoque, eorum (sc. Stoicorum) princeps, non tam rerum inuentor fuit quam uerborum nouorum.

et Zénon, le chef des Stoïciens, innova moins sur le fond des choses que sur les mots nouveaux.

En rapport avecinuenire, le nom d’agent inuentorfait de Zénon le véritable créateur de tout un vocabulaire.

Il n’est pas indifférent que cette affirmation concerne Zénon car, d’une façon plus générale, si les Stoïciens ont particulièrement besoin de mots nouveaux, il n’en est pas de même pour les Épicuriens (Cicéron,Fin.III, 3) :

Ipse etiam dicit Epicurus ne argumentandum quidem esse de uoluptate, quod sit positum iudicium eius in sensibus, ut commoneri nos satis sit, nihil attineat doceri.

Quare illa nobis simplex fuit in utramque partem disputatio[...].Stoicorum autem non ignoras quam sit subtile, uel spinosum potius, disserendi genus, idque cum Graecis tum magis nobis, quibus etiam uerba parienda sunt imponendaque noua rebus nouis nomina.

Épicure lui-même dit que sur la question du plaisir il n’y a pas le moins du monde matière à preuves, parce que c’est aux sens qu’il appartient d’en juger : il nous suffit d’un avertissement, et un enseignement n’a que faire ici. Voilà pourquoi a été toute simple notre discussion de part et d’autre [...]. Les Stoï-ciens, au contraire, ont, tu ne l’ignores pas, une façon de s’expliquer subtile ou plutôt épineuse ; elle l’est pour les Grecs, elle l’est plus encore pour nous, Romains, qui avons, par surcroît, à créer des termes et à mettre sur des choses

nouvelles des noms nouveaux. (Trad. J. Martha)

L’interférence des deux syntagmes dansnoua rebus nouis nominalie étroi-tement la nouveauté de la pensée et celle des mots, tandis que la question ne se pose pas pour les Épicuriens car leur langage traduit les réactions des

sens (quod sit positum iudicium eius in sensibus) et celles-ci sont universelles puisqu’elles n’ont pas besoin d’un enseignement (ut commoneri nos satis sit, nihil attineat doceri). Lucrèce affirme certes la nécessité desnoua uerbaen rapport avec la nouveauté des sujets (I, 138-139), mais ils sont en réalité peu nombreux, et cette revendication correspond à la création d’une poétique nouvelle qui consiste en la recherche de la clarté au service de la poésie¹.

Sur un plan plus lexical, les noua uerbasont parfois des transpositions de termes grecs ou des créations. Le plus souvent il s’agit de calques sémantiques qui donnent des emplois nouveaux à des mots déjà existants, selon des pro-cessus bien mis en évidence par C. Nicolas². Les innovations n’ont pas une place qui va de soi, une fois qu’elles ont été instituées : « Ce n’est point parce qu’un mot est précis en grec, qu’il le restera en latin : l’avenir du mot implanté en latin reste suspendu à la manière dont l’écrivain est capable d’expliquer le contenu de ce mot à l’usager³», et cela nous ramène à la différence établie par Cicéron entre Épicuriens et Stoïciens⁴. Cette dynamique de création trouve en face d’elle toute une tradition grammaticale où l’ancienneté est un des critères de la correction d’un mot, ce qu’a bien étudié M. Griffe⁵.

Mais il est des changements importants exprimés parnouus et connotés positivement. En Cicéron,Rep.I, 12 :

Neque enim est ulla res in qua propius ad deorum numen uirtus accedat humana quam ciuitatis aut condere nouas aut conseruare iam conditas.

Il n’est en effet aucune activité où l’énergie humaine soit plus proche de la puissance divine que celle qui consiste à fonder de nouvelles cités et à conser-ver celles qui ont déjà été fondées. (Trad. E. Bréguet) L’isotopie de l’innovation entrecondereetnouas urbescontribue à illustrer la grandeur de l’action publique et de l’engagement politique, qui prend tout son sens avec les guerres civiles et les sollicitations poussant Cicéron à se reti-rer dans l’otium⁶. Lorsqu’Énée et ses compagnons se trouvent face à lanouam urbemque Didon est en train de construire, ils voient bien sûr une « nouvelle ville » (Virgile,Aen.I, 522-526) :

1. Aspect bien étudié par Luciani 1998 ; cf. Hardie 2005, p. 36.

2. Nicolas 1996a.

3. Poncelet 1953, p. 51.

4. Voir Dupont 2005.

5. Griffe 2003.

6. Voir Grimal 1986, p. 259-263.

O regina, nouam cui condere Iuppiter urbem iustitiaque dedit gentis frenare superbas, Troes te miseri, uentis maria omnia uecti, oramus : prohibe infandos a nauibus ignis, parce pio generi et propius res aspice nostras.

Ô reine à qui Jupiter a donné de fonder une ville nouvelle et de contenir dans

Ô reine à qui Jupiter a donné de fonder une ville nouvelle et de contenir dans

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