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3 Deux écrivains voyageurs

Dans le document Quid noui ? (Page 119-122)

3.1 Auger Ghislain de Busbecq⁴

Il naît en 1520 ou 1521 dans les environs de Comines, ville aujourd’hui cou-pée en deux par la frontière franco-belge. Présentant de bonnes aptitudes pour les choses de l’esprit, il intègre dès 1536 leCollegium trilinguede l’université de Louvain, puis voyage, comme de nombreux jeunes gens de bonne famille de son temps, à Paris et en Italie, où il parfait ses études. Il fait son entrée dans la carrière diplomatique en juillet 1554, comme membre de la déléga-tion envoyée en Angleterre par Ferdinand de Habsbourg, frère et futur succes-seur de Charles Quint, pour assister aux noces de Marie Tudor et de Philippe II d’Espagne. Dès son retour, il est chargé par le même Ferdinand d’une mission autrement plus difficile et délicate, celle d’ambassadeur auprès de la Porte ottomane. Il part donc pour la Turquie, en novembre 1554, avec en guise d’ex-périence du monde oriental les quelques renseignements et conseils recueillis à la hâte auprès de son prédécesseur. Il y va pour calmer les esprits, très échauf-fés par le conflit opposant Turcs et Autrichiens pour la souveraineté sur la

1. Hoven 2006,s. u. monialis. On rencontre pourtantsanctimonialis, avec le même sens, chez Saint Augustin (l’emploi est mentionné par Gaffiot 2000).

2. Ijsewijn 1998, t. II, p. 382.

3. Hoven 2006,s. u. soror.

4. Sur la vie et l’œuvre de Busbecq, voir von Martels 1989. Les citations extraites desLettres de Turquierenvoient à la seule édition critique existante par Z. von Martels. Les références au texte des quatreLettresse font de la manière suivante : Busbecq,Turc.I/II/III/IV, page.

Hongrie et la Transylvanie, et négocier avec le sultan Soliman le Magnifique une trêve, puis la paix. Il restera là-bas pendant huit ans, au titre d’ambassa-deur permanent, de novembre 1554 à décembre 1562. Il termine sa carrière en exerçant diverses fonctions à la Cour de Vienne, puis en France, où après la mort de Charles IX il veille aux intérêts d’Élisabeth d’Autriche rentrée au pays.

Il meurt le 27 ou le 28 octobre 1591, sur le chemin qui le ramène enfin à Bous-becque, la seigneurie familiale qu’il n’avait plus dû revoir depuis son départ pour Constantinople, après s’être fait capturer, près de Rouen, par quelques soldats de la Ligue qui l’avaient pris pour un Huguenot, tandis que faisait rage la huitième et dernière Guerre de religion. Triste fin pour un homme à qui les Turcs avaient une fois voulu couper le nez et les oreilles¹!

De ces aventures ottomanes, on a conservé deux œuvres que l’on peut dire

« turques » et qui ont fait sa durable réputation : un opuscule intitulé Excla-matio siue de re militari contra Turcam instituenda, sorte d’appel au sursaut du monde chrétien face à l’implacable puissance militaire des Turcs²; et surtout les quatreEpistolae Turcicae, qui nous intéressent ici, longues lettres fictives jamais envoyées, sous cette forme du moins, où Busbecq décrit son voyage et son ambassade, mais aussi l’Empire ottoman et la vie des Turcs sous les aspects les plus divers, sérieux ou divertissants. LesLettresrenvoient l’image d’un grand patchwork a priori peu organisé, où Busbecq saute constamment d’un sujet à l’autre : politique, institutions, histoire récente de l’Empire otto-man, mais aussi vie quotidienne et bien d’autres choses. Busbecq s’y montre curieux de tout, et en particulier de ces réalités ottomanes encore très exo-tiques pour ses compatriotes, qu’il s’agisse par exemple de religion, de nour-riture ou d’hygiène, des janissaires de son escorte ou encore des bains publics et de leurs histoires croustillantes. Cette curiosité, on va le voir, n’est pas sans conséquences sur le vocabulaire qu’il emploie.

1. Comme il le raconte lui-même :Huiusmodi Bassarum sermonibus reliquorum Turcarum ser-mones congruebant. Nam quod fere lenissimum nobis denunciabant, erat, ut duo in tetrum carcerem compingerentur ; tertius naso atque auribus truncatis, quae mea pars fuisset, ad dominum remitteretur.

Ad haec praeter hospitium nostrum commeantium uultus truces, infesti oculi, nihil nisi saeuum et atrox portendentes notabantur(Busbecq,Turc.II, p. 128).

2. Sur l’Exclamatio, voir von Martels 1989, p. 28-32.

3.2 Cyriaque d’Ancône¹

Avec Cyriaque d’Ancône, de son vrai nom Ciriaco di Filippo de Pizzecolli, nous sommes dans un tout autre univers. Né plus de cent ans avant Busbecq, en 1391, et mort en 1452, il fut essentiellement marchand, ainsi qu’une sorte d’agent diplomatique, et à ces deux titres il voyagea beaucoup. Sa conversion à l’humanisme ne lui est ainsi pas venue que de la redécouverte des auteurs anciens, mais aussi de la confrontation directe avec les restes physiques de l’Antiquité qu’il rencontrait lors de ses voyages. Ceux-ci furent pour lui un moyen d’assouvir sa passion pour les antiquités grecques et romaines, et en particulier pour les inscriptions, dont sont remplis les journaux où il faisait le récit de ses voyages en Italie, en Grèce, en Dalmatie, dans le Levant, en Égypte...

Cyriaque est ainsi souvent le témoin le plus ancien, et même parfois le seul témoin, d’un grand nombre de ces inscriptions grecques et latines, aujourd’hui disparues ou devenues illisibles. Il fut aussi, comme Busbecq d’ailleurs, un anti-quaire, c’est-à-dire un collectionneur d’antiquités.

Le texte mis en parallèle avec lesLettres de Turquieconcerne deux voyages entrepris au départ de Constantinople, l’un dans la mer de Marmara en juillet et en août 1444, l’autre dans la partie septentrionale de la mer Égée entre sep-tembre 1444 et janvier 1445. S’il s’agit bien de récit de voyage, il faut signaler plusieurs différences importantes avec lesLettresde Busbecq :

• il ne s’agit tout d’abord pas de lettres, mais d’un carnet de route, de commentaria, comme Cyriaque les nomme lui-même, ou si l’on veut d’un itinerarium: Cyriaque y décrit chaque étape, les antiquités rencontrées et il retranscrit les inscriptions ;

• il ne s’agit pas non plus d’une œuvre littéraire, l’ensemble étant assez sec, sans fioritures d’aucune sorte ;

• enfin Cyriaque est un autodidacte, qui n’a guère passé beaucoup de temps sur les bancs de l’école ; son latin est assez difficile, parfois obscur, mais on ne peut nier le fait qu’il ait acquis, d’une manière ou d’une autre, les rudiments de la grammaire latine et un vocabulaire relativement

1. Sur Cyriaque d’Ancône, voir l’introduction de Bodnar et Foss (Later Travels, p. ix-xviii). Le voyage en Propontide est cité d’après l’édition de Bodnar et Mitchell parue en 1976, qui a été dépouillée en vue de la rédaction de Hoven 2006. Comme toutefois le texte en a été réédité en 2003 (dans une version étoffée) par Bodnar et Foss (Later Travels), p. 60-147, la correspondance avec cette édition sera aussi donnée.

étendu. En résultent tout de même quelques solécismes qui parsèment son latin, sans que l’on puisse faire, il est vrai, la distinction entre les erreurs qui sont de sa main et celles dues aux copistes¹.

Regardons à présent de plus près quelques exemples empruntés à ces deux voyageurs (au premier surtout), afin de voir plus concrètement quels sont les mots et les sens nouveaux qu’ils emploient pour désigner les choses turques

— un sujet choisi arbitrairement, rappelons-le, mais qui présente l’avantage, comme cela a été dit plus haut, de ne concerner que des réalités nécessaire-ment non antiques pour lesquelles il était quasinécessaire-ment indispensable d’inno-ver². Quelles sont donc ces nouveautés lexicales ? Quels sont les procédés qui se cachent derrière les mots choisis pour désigner ces réalités nouvelles ?

Dans le document Quid noui ? (Page 119-122)