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Les politiques de développement durable : penser la globalité des activités urbaines mais sans la prévention et la gestion des risques

INTRODUCTION DE PREMIÈRE PARTIE

Chapitre 1 Requalification urbaine et systémique du risque collectif Territorialiser pour problématiser

2. Les politiques de développement durable : penser la globalité des activités urbaines mais sans la prévention et la gestion des risques

La reformulation de la question environnementale dans le concept de développement durable produit les mêmes effets centrifuges : elle écarte la question des risques collectifs, même dans une approche systémique et urbaine. Les porteurs du développement durable dans les années 1990-2000 ne souhaitent pas avoir en charge une politique de prévention et de gestion des risques et s’en démarquent clairement dans leur discours ainsi que dans leur programme d’action publique.

En 2001, l’équipe politique de la communauté urbaine de Lyon change de majorité politique. Gérard Collomb devient maire de la Ville de Lyon et président de la communauté urbaine. Il souhaite mettre en application le concept de développement durable. De nombreux outils d’action publique déclinent les principes du développement durable dans la pratique de l’aménagement du territoire, tels que l’agenda 21 ou le projet d’aménagement et développement durable (PADD). Ces outils locaux encouragent l’appréhension des enjeux urbains dans leur globalité, la prise de conscience des effets néfastes des interactivités de certaines fonctions urbaines et l’émergence de débats collectifs entre partenaires publics- privés (Emelianoff, 2005). Dans l’analyse, la déclinaison de ces outils d’action publique est censée porter une vision systémique du développement durable, c'est-à-dire une approche globale et multi-scalaire qui intègre les effets territoriaux de la croissance urbaine sur les systèmes humains à différentes échelles de temps (Vision-Caron, 2005). Cette conception globale du développement durable se retrouve d’ailleurs sur les documents publics de la communauté urbaine de Lyon. Dès les premières pages de l’agenda 21161, les catastrophes industrielles et environnementales qui ont marqué le territoire lyonnais sont présentées comme les points de départ de l’essor de la conscience du développement durable. Le développement durable est décrit comme « une stratégie et un programme global d’actions à

mettre en œuvre dans tous les domaines où l’activité humaine affecte l’environnement »162. Pour autant, les remaniements administratifs au sein de la mission écologie urbaine entre 2004 et 2007 contredisent cette intention de lier la politique de développement durable avec la politique de prévention et de gestion des risques.

D’une part, les missions prospectives, préventives et stratégiques de la mission écologie urbaine sont déplacées à la direction de la prospective et des stratégies d’agglomération. Cette direction se retrouve en charge de l’agenda 21 –réalisé par la communauté urbaine de Lyon pour le compte des communes– mais aussi du nouvel observatoire de l’environnement. La création de cet observatoire est pourtant un projet à l’initiative de la mission écologie urbaine. Cette dernière devient un service d’expertise technique sur les questions d’eau, d’air, de bruit,

161 Aimons l’avenir, Agenda 21 Grand Lyon, Stratégie et programme d’actions de développement durable pour le XXIème siècle, communauté urbaine de Lyon, mai 2005.

etc. La mission écologie urbaine conserve un chargé de mission « risques majeurs » mais dans une optique d’élaboration d’outils de mesure ou d’évaluation, et non de conseil pour le développement urbain ou économique. D’autre part, les agents publics en charge du développement durable eux-mêmes ne souhaitent pas établir de liens entre les services d’environnement et ceux de la prévention des risques collectifs. La personne en charge de l’agenda 21 à la communauté urbaine assure que « le volet risque ne fait pas partie de mes

missions »163. Cette affirmation n’a rien d’évidente si l’on considère que le développement durable tend à réguler les impacts négatifs de la croissance urbaine, à réarticuler les différentes échelles territoriales (comme l’habitat, le quartier, la ville ou l’agglomération) ou à provoquer une rupture dans la pratique institutionnelle sectorisée (Theys, 2002). Cette recherche de distinction d’avec le développement durable n’est pas propre à la communauté urbaine de Lyon, car elle se retrouve dans l’intercommunalité havraise.

L’élue à l’environnement de la Ville du Havre continue d’exclure toute possibilité de rattachement des risques collectifs aux thématiques du développement durable. Elle affirme :

« Moi je m’occupe de l’agenda 21 au niveau local, ça ne comprend pas la gestion des risques. Je ne me sens pas du tout investie »164. Plus récemment, une mission administrative transversale dédiée au développement durable est créée en 2006 dans la communauté d’agglomération de la région havraise. La chef de projet ne se sent pas non plus concernée par la prévention et la gestion des risques. À la question « Est-ce que vous allez travailler sur les

risques technologiques et naturel ? », elle répond :

« Je ne crois pas. Je rencontrerai [le directeur de la mission d’information sur les risques majeurs] pour voir ce qu’on peut faire, mais d’emblée je ne vois pas comment travailler avec lui car c’est moins évident qu’avec l’environnement. » Entretien A.L., chef de projet Développement Durable, CODAH, 4 décembre 2006.

À l’instar des doutes émis dans certaines analyses sur l’opérationnalité du développement durable (Jollivet, 2001) et les changements dans les pratiques institutionnelles, les agglomérations de Lyon et du Havre n’ont pas intégré une vision systémique du fonctionnement urbain. Les préoccupations de prévention et de gestion des risques sont considérées comme des approches négatives, voire péjoratives, de l’environnement. Ce constat indique que, dans les configurations territoriales qui avaient dès les années 1970 fait le choix d’une conception naturaliste de l’environnement, le concept de développement durable n’a pas permis d’intégrer les questions de prévention et de gestion des risques collectifs à une conception globale de l’environnement.

163 Entretien téléphonique avec N.M., chargée de l’Agenda 21, Grand Lyon, février 2006. 164 Extrait d’entretien avec C.S., adjointe à l’environnement, Ville du Havre, le 26 octobre 2005.

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Entre les années 1980 et 2000, le portage politique des élus locaux et la forte publicisation des politiques environnementales de type naturaliste mais aussi le succès du développement durable freinent la reconnaissance de l’approche territoriale de la prévention et de la gestion des risques. Les agents publics en charge des risques ne vont pas avoir le choix : soit ils s’autonomisent, soit ils se rapprochent des politiques d’environnement. Mais, les politiques d’environnement adoptent d’emblée un rapport de force « centrifuge » avec le domaine des risques collectifs afin de réussir à émerger de façon autonome sur l’agenda public des collectivités locales, avec bien plus de succès que l’action de prévention et de gestion des risques. Ce constat mérite de rappeler les conditions de mise à l’écart et les conséquences sur la mise sur agenda de l’approche territoriale des risques collectifs dans agglomérations.

Les politiques d’environnement sont timidement mises à l’agenda de quelques communes dans les années 1960-1970, mais rapidement leur portage politique, médiatique et social les propulse au sommet des priorités des collectivités locales des années 1990. Dans le cas où l’approche environnementale choisie est proche d’une conception naturaliste, les agents publics en charge des questions d’environnement vont chercher à mettre à l’écart les questions de prévention et de gestion des risques jugées trop proches de la sécurité civile ou des missions régaliennes. Ces choix d’une approche « naïve » de la nature –parmi d’autres possibilités de mener une action publique environnementale– ne recouvrent pas l’ensemble du rapport entre l’environnement et les risques collectifs. Il aurait dès lors été tentant de penser que le succès du concept de développement durable allait être un propulseur d’une conception globale et systémique des interactions urbaines. Or, les conditions d’application du développement durable, tardivement mis en œuvre dans les collectivités locales françaises, reproduisent les approches antérieures choisies de l’environnement.

L’étude des conditions d’émergence d’un enjeu public sur l’agenda institutionnel local ne doit pas préjuger des coopérations entre des politiques publiques connexes dans l’action publique. Les domaines d’action publique se constituent dans un rapport de force parfois centripète, parfois centrifuge, pour lequel il ne faut pas présumer des collaborations entre des domaines a priori connexes. Le rapport de force –entre, d’une part, les politiques d’environnement puis de développement durable et, d’autre part, les approches territoriales de prévention et de gestion des risques– a globalement prévalu à l’éclosion, la reconnaissance et la diffusion des politiques d’environnement dans les collectivités locales. On peut supposer que ce rapport de force permet tout de même une forme d’autonomisation de la prévention et la gestion des risques même si elle se fait par défaut et de façon conflictuelle.

Conclusion du chapitre 1 - Une approche territoriale des risques

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