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Conclusion du chapitre de présentation La configuration territoriale des risques

4. Les agents publics des collectivités locales

L’administration publique peut être définie, en théorie, comme un idéal de gestion sociale qui met à distance les dimensions émotionnelles grâce à une rationalisation des situations et une procéduralisation des réponses afin de servir l’intérêt général. Une littérature abondante a marqué la sociologie politique des années 1970-1980 par des études sur la relation entre les élus politiques et le personnel administratif dans les services de l’État ou dans les collectivités locales. Ces relations sont considérées comme le résultat de négociations entre la sphère politique et la sphère administrative.

Ces analyses s’intéressent aux leviers de pouvoirs dont dispose l’administration. Tout particulièrement, la règle générale est étudiée non pas dans son aspect formel -voire universel- mais comme une zone d’enjeux qui permet d’introduire ou non du contrôle et de l’imprévisibilité (Crozier, 1963). Pour ces analyses, les règles générales sont utilisées stratégiquement pour créer des rapports de forces. Les règles de droit et les autres attributs réglementaires de l’action publique (par exemple, l’organigramme, la relation hiérarchique ou l’évaluation) forment des systèmes d’actions et de relations de pouvoir entre acteurs cherchant à contrôler des zones d’incertitudes pertinentes par rapport aux problèmes à résoudre (Crozier & Friedberg, 1977).

Dans les années 1970-1980, les travaux qui étudient la répartition des stratégies de contrôle et de rapport de force dans l’action publique territoriale s’intéressent tout particulièrement aux départements et aux communes. Citant les travaux précurseurs de Jean- Pierre Worms en 1966102, Michel Crozier et Jean-Claude Thoenig étudient dix ans plus tard le fonctionnement des administrations départementales. Selon eux, les rapports de force entre les services de l’État (comme le subdivisionnaire de l’Équipement, le percepteur des finances publiques, mais surtout le préfet) et les notables locaux, essentiellement les élus et les grands fonctionnaires communaux, se régulent selon un système d’interdépendances croisées. (Crozier & Thoenig, 1975). Les maires n’interviennent pas directement auprès des sphères parlementaires ou ministérielles pour faire valoir leurs attentes et leurs besoins. Ils acceptent la supériorité de l’intermédiation des services de l’État départementaux à condition que ces derniers défendent les intérêts locaux des maires auprès du Gouvernement. En retour de leur intermédiation administrative, les maires assurent l’application des lois sur le territoire.

Cette littérature porte une attention salvatrice au pouvoir politique de l’administration. Elle met en avant les jeux de pouvoir entre les différentes strates de l’administration ainsi que les rapports d’interdépendance qui se nouent entre les élus locaux et les services de l’État déconcentrés. Néanmoins, trois remarques peuvent être faites.

102WORMS Jean-Pierre, Le préfet et ses notables, Sociologie du travail, vol.8, tome 3, juillet-septembre 1966, pp. 249-275.

D’abord, depuis les années 1970 et encore dans la littérature contemporaine, l’étude des personnels administratifs se réalise dans une logique de compréhension des relations entre l’État et les collectivités locales. Rarement, l’organisation et les rapports de force au sein des collectivités locales, qui plus est au sein de l’administration locale, font l’objet d’études approfondies. Certains chercheurs étudient le fonctionnement des administrations communales. Ils s’intéressent à la professionnalisation des fonctionnaires locaux, à l’organisation interne, aux rapports politiques et symboliques avec les services d’État ou avec les partis politiques (Barraqué, 1983 ; Lorrain, 1989 ; Mabileau, 1991). Déjà, ces travaux entrevoient les changements apportés à l’organisation et aux enjeux des administrations des collectivités locales par les lois de décentralisation des années 1980, par la fragmentation des politiques sectorielles et par la multiplication du nombre d’acteurs. Toutefois, ils interviennent dans un contexte de prédominance du gouvernement central marqué par le modèle de régulation croisée. Il manque dans la littérature des études contemporaines qui prennent au sérieux les évolutions des services administratifs des collectivités territoriales face aux enjeux des transformations de l’action publique locale.

En effet, les analyses de la seconde moitié des années 1990 sur les dynamiques de l’action publique locale (les trois courants de littérature présentés précédemment) insistent sur l’ouverture des politiques publiques aux différents échelons territoriaux, aux acteurs privés, à la société civile, aux investissements internationaux, etc. Ces analyses pensent les nouvelles modalités de régulation (gouvernance, contractualisation ou institutionnalisation), mais ne s’intéressent pas de façon centrale aux rôles et aux enjeux des agents publics locaux dans la nouvelle configuration des politiques publiques confrontées à la multiplication des acteurs et des échelles d’intervention.

Enfin, ces travaux sont majoritairement issus de la sociologie ou de la science politique. Leur objectif porte sur la compréhension des dynamiques de relations politiques entre les pouvoirs publics. Pour notre part, la sociologie politique est un angle d’approche et un lecteur des transformations des politiques urbaines territoriales. En effet, cette thèse étudie le travail quotidien des agents publics locaux dans les établissements publics de coopération intercommunale qui portent les politiques publiques de prévention et de gestion des risques collectifs afin de comprendre les transformations des politiques urbaines.

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Pour résumer, d’une part la mise sur agenda est peu utilisée dans le cadre de l’action publique territoriale. D’autre part, elle s’attache surtout aux modalités de portage électoral, médiatique ou lobbyiste. En l’absence de ces critères, la mise sur agenda interne à une collectivité est dite « institutionnelle ». Même dans ce cas, peu d’analyses considèrent les dynamiques propres aux services administratifs, comme si le portage administratif ne pouvait

pas être étudié avec les outils de construction de l’urgence, de stratégie d’influence, de mise en enjeu politique ou de contournement des normes.

La thèse prendra le contre-pied de ces présupposés. Elle montrera comment la mise sur agenda institutionnel d’une politique de risques collectifs est portée par un petit nombre d’agents administratifs territoriaux. Ces agents publics sont étudiés comme des acteurs politiques parties prenantes des transformations de l’action publique contemporaine. Ils sont confrontés aux stratégies des collectivités territoriales en compétition pour la captation des symboles de l’attractivité métropolitaine. Ils élaborent la mise sur agenda d’une action publique de prévention et de gestion des risques en tenant compte du contexte institutionnel et politique. Les relations que ces agents publics engagent avec d’autres acteurs –publics ou privés– sont de plus en plus temporaires et flexibles. Les procédures de travail (par exemple les règles, les critères de mesure ou l’usage d’outils d’action publique) sont l’objet de négociations constantes. Dans ces négociations, le territoire est valorisé de plusieurs manières : à la fois comme la revendication du pouvoir local face aux services d’État, comme le symbole de la formation d’un bien commun partagé et encore comme un levier rhétorique pour créer un enjeu public non-résolu.

La problématique générale de la thèse s’inscrit dans le domaine de l’aménagement du territoire et d’urbanisme. La question de recherche formulée doit permettre d’éclairer les transformations contemporaines des politiques de développement et de planification urbaine.

Pour cela, la problématique générale est la suivante : la mise sur agenda institutionnel d’une approche territoriale de prévention et de gestion des risques à l’échelle de l’agglomération entraîne-t-elle des transformations dans les modes de gouvernance et dans les orientations des politiques urbaines ? Les politiques urbaines sont ici définies comme l’ensemble des politiques qui concourent au développement urbain, notamment : les activités économiques telles que le développement des zones d’activités, l’aménagement du cadre de vie, c'est-à-dire les projets urbains et l’urbanisme réglementaire, et les politiques de service public en réseau

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