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Conclusion du chapitre 3 Une organisation administrative qui privilégie l’aspect opérationnel de régulation plutôt que

l’aménagement du territoire

Si le vote des statuts par les élus apparaît comme une ouverture de possibilités à agir, c’est pourtant lors de l’organisation administrative des services de prévention et de gestion des risques que les rapports de force politiques se mettent en place. L’étude des tâches quotidiennes et le suivi des modifications des activités dans l’organisation administrative sont souvent négligés dans les études sur l’action publique locale. Il est encore plus rare de trouver des analyses sur les services d’urbanisme ou d’aménagement du territoire qui étudient les liens entre l’organisation administrative et les transformations territoriales. En effet, les micro-actions d’organisation administrative sont considérées a priori comme des résistances aux changements ou comme des actes technocratiques et routiniers. Pourtant, ce que Virginie Gimbert appelle « les transformations discrètes du travail concret des fonctionnaires » (Gimbert, 2006) sont des enjeux primordiaux dans la mise sur agenda.

La phase d’organisation administrative de prévention et de gestion des risques est un moment de cristallisation des enjeux institutionnels et politiques. Deux modalités d’organisation se distinguent : la constitution des attributs statutaires, matériels et budgétaires du service administratif au sein de l’EPCI et la construction d’instruments d’action publique.

L’organisation administrative de l’approche territoriale de prévention et de gestion des risques ne réussit pas son inscription administrative aux côtés des politiques urbaines. La constitution statutaire valorise l’aspect opérationnel des agents de prévention et de gestion des risques. C’est par la mise en place et l’usage d’instruments d’action publique que les agents publics des risques collectifs trouvent tout de même un moyen de reconnaissance solide –et même une forme de mise en évidence– de l’approche territoriale des risques urbains.

La phase de construction de l’organisation administrative se révèle tout à fait stratégique. Avec des configurations institutionnelles différentes, les trois directions des EPCI (président et administration générale) nomment leur service de prévention et gestion des risques avec des appellations fortement connotées de sécurité civile (comme « risques majeurs » ou « direction de la sécurité urbaine »). Ces dénominations réveillent des problématiques dont les agents publics des risques collectifs avaient cherché à s’éloigner. Ce choix d’affichage externe ne correspond pas à l’approche territoriale des risques urbains. Au contraire, il nuit à la clarté de l’identification de l’approche territoriale de prévention et de gestion des risques.

Les conditions d’organisation des services de prévention et de gestion des risques sont très disparates selon les agglomérations. Mais ces disparités dans les attributions de moyens matériels, financiers et humains éclairent les efforts que les dirigeants des EPCI sont prêts ou pas à réaliser. Là encore, cette étude des micros-agencements sur les moyens budgétaires ou les ressources humaines par exemple, montre que l’aspect opérationnel des agents publics des risques collectifs est davantage valorisé que leur positionnement en amont des politiques d’aménagement des territoires. Les agents publics porteurs da la vision territoriale des risques contrecarrent cette tendance en recrutant des stagiaires et des contractuels ayant de hauts niveaux de diplôme (3ème cycle universitaire, équivalent école ou institut), avec des profils

plutôt multidisciplinaires mais axés sur l’organisation des territoires et des acteurs institutionnels locaux. On peut faire l’hypothèse que la recherche d’excellence académique est un levier de légitimation mais aussi un palliatif à l’absence initiale d’élus porteurs des questions de risques.

La structuration suscite les premiers contentieux sur les empiètements de compétences de l’EPCI vis-à-vis des acteurs de la sécurité civile au niveau territorial, c'est-à-dire les maires et les préfets. Les dirigeants s’inquiètent des conséquences du signal –qu’ils sont eux-mêmes donné– des services de prévention et de gestion des risques. Ils ne souhaitent pas être désignés comme les détenteurs des pouvoirs de police des maires.

Pour légitimer leur approche territoriale, les agents publics de prévention et de gestion des risques dans les EPCI investissent dans l’élaboration d’instruments d’action publique qui se révèlent des leviers puissants de conviction et d’imposition de « l’évidence territoriale » que la vision endo-urbaine des risques collectifs cherche à transmettre.

Très rapidement après leur prise de fonction dans les EPCI, les agents publics en charge de prévention et de gestion des risques mettent en place des instruments d’action publique. Basés sur des techniques scientifiques (c'est-à-dire quantifiables, modélisables, reproductibles, etc.), les instruments d’action publique sont utilisés comme des supports apparemment neutres mais qui traduisent la conception des risques et des territoires portée par les agents publics qui les construisent et les font fonctionner. Deux cas ont été étudiés : les instruments cartographiques et les instruments de gestion. Que ce soient les instruments de représentation des risques ou ceux de rationalisation du travail, l’usage des instruments d’action publique dans le cadre de l’action de prévention et de gestion des risques a trois séries de conséquences.

La technicité des instruments techniques mis en place –comme la gestion des logiciels de cartographie numérique ou la gestion de la base de données mutualisée des outils logistiques– confère aux agents publics une forme d’autonomie d’action. Le coût d’entrée dans l’élaboration de l’instrument technique est tel qu’il laisse de larges initiatives à ces concepteurs. D’ailleurs dans les cas présentés, les représentants politiques communautaires valident ces initiatives dans une certaine méconnaissance de l’élaboration et de l’utilisation concrète des outils proposés.

La réalisation mais surtout la finalisation et la mise en pratique de ces instruments techniques valorisent énormément les agents publics des services de prévention et de gestion des risques. Cette valorisation s’exerce particulièrement durant la période pré-électorale de mars 2008. Les élus sont attachés à cette réalisation « concrète » d’une politique jusqu’à présent « invisible » pour les populations de l’agglomération. Cette mise en lumière permet de faire connaître la prévention et la gestion des risques au sein de l’EPCI.

D’autant plus que les instruments d’action publique portent des objectifs politiques implicites. Ils traduisent et diffusent une approche systémique des territoires d’agglomération urbaine. Les agglomérations y sont représentées comme des espaces d’interactions entre des fonctions, entre des acteurs et entre des aléas. L’agglomération est le lieu décrit comme « pertinent » mais plus encore comme « évident » de la prise en compte des risques collectifs. En somme, la phase d’organisation administrative est une période importante de recomposition des rapports de force et, en cela, de consolidation de l’approche territoriale de prévention et de gestion des risques. On peut même dire que la mise en place d’instruments d’action publique produit une sorte de passage de la notion de « pertinence territoriale » à celle « d’évidence territoriale » de la vision systémique et urbaine des risques.

CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE – L’APPROCHE

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