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La création des EPCI en 1999 : une fenêtre d’opportunités pour l’émergence d’une action intercommunale de prévention et de gestion des risques

Conclusion du chapitre 1 Une approche territoriale des risques systémiques et endo-urbains qui n’apparaît pas explicitement sur

Chapitre 2 L’inscription institutionnelle de la pertinence territoriale Chronique d’un cadre annoncé

2. La création des EPCI en 1999 : une fenêtre d’opportunités pour l’émergence d’une action intercommunale de prévention et de gestion des risques

Dans les années 1990-2000, l’affaiblissement de l’audience des agents publics porteurs des risques endo-urbains, face à l’essor des politiques d’environnement ainsi que face à l’instabilité de la construction législative des structures intercommunales, freine l’ascension de l’approche territoriale de la prévention et la gestion des risques sur l’agenda des collectivités locales. En ce sens, l’institutionnalisation des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) a été une occasion incontournable d’avoir un cadre institutionnel stabilisé et des marges de manœuvre politiques pour mettre en place une politique territoriale de prévention et de gestion des risques collectifs.

Même si cette tendance est modeste, elle n’existe pas qu’à Nantes, à Lyon et au Havre. L’étude des trois cas d’agglomération permet de décrire précisément la saisie de cette opportunité. L’enquête quantitative réalisée pour le conseil national de la protection civile sur une trentaine d’EPCI montre une tendance à l’émergence de services dédiés à la prévention et la gestion des risques collectifs183. Ce constat permet de poser la question suivante : La création des EPCI ouvre-t-elle une fenêtre d’opportunité pour la mise sur agenda d’une approche urbaine des risques collectifs ?

Selon nous, la recherche d’un cadre d’action à l’échelle de l’agglomération donne aux agents publics porteurs de l’approche territoriale de prévention et de gestion des risques une identité administrative et une légitimité institutionnelle. Ces deux éléments sont essentiels dans leur mise sur l’agenda. Le discours sur la « pertinence territoriale » de l’EPCI, comme cadre adéquate pour mener une action publique de prévention et de gestion des risques à l’échelle de l’agglomération, est une construction rhétorique a posteriori.

Dans l’enquête menée pour le conseil national de la protection civile, au total –c'est-à- dire tous types d’EPCI confondus– 36% d’entre eux disposent de services dédiés à la prévention et à la gestion des risques. Le terme de « service dédié » signifie qu’il existe un service administratif dont l’unique objet est la prévention et la gestion des risques. Cela veut dire que ce n’est pas un service d’environnement ou un service d’urbanisme qui s’occupe, en plus, des risques collectifs. Cette prise en charge spécifique est surtout présente dans les communautés urbaines et les communautés d'agglomération.

67% des communautés urbaines interrogées ont des services dédiés à la « prévention/gestion des risques »184. Les communautés d’agglomération répartissent les

missions liées aux risques entre des services dédiés et d’autres services intercommunaux. Ce sont les communautés de communes qui font le plus appel à l’administration générale ou directement au président de l’EPCI (46%), mais le rôle des services intercommunaux reste important (38,5%).

Si l’on regarde avec la variable de la composition communale –c'est-à-dire le nombre de communes dont est composé l’EPCI–, ce sont les EPCI composés de plus de 20 communes qui ont des services identifiés « prévention et gestion des risques » à plus de 66%. Les EPCI composés de moins de 10 communes sont 50% à transférer ces dossiers à leur administration.

La critique récurrente des études de sociologie politique sur la prise en charge des risques collectifs concerne la segmentation entre les politiques de sécurité, d’environnement, d’urbanisme ou de réglementation (Bourrelier, 1998). On constate ici l’émergence d’une prise en charge administrative dédiée aux risques collectifs dans les EPCI. Cette tendance est particulièrement notable dans les communautés urbaines. Cette tendance n’est pas unanime, et même si rien dans l’enquête statistique ne laisse présager que cette action de prévention et de gestion des risques dans les EPCI s’alimente d’une réflexion territoriale, urbaine et systémique, elle permet de vérifier que nos trois cas d’étude ne relèvent pas de situations exceptionnelles.

184 Cette affirmation se base sur une hypothèse de départ. Le questionnaire a été envoyé par le conseil national de la protection civile à un réseau de collectivités membres

- soit de l’Association Nationale des Communes pour la Maîtrise des Risques Technologiques Majeurs (Créée en 1990, elle a l’ambition d’être le porte-parole des maires auprès des administrations d’État, des Ministères, des institutions diverses, pour faire valoir les intérêts des élus locaux et apporter l’aide adéquate) ;

- soit du Réseau IDEAL Risques (Réseau de mutualisation des connaissances et des bonnes pratiques entre collectivités territoriales sur les questions de Risques, sous l’égide des Eco-maires).

On estime que le pourcentage de réponses de la part de services « risques » est équivalent au nombre réel de services existants parmi l’échantillon, c'est-à-dire que lorsque l’EPCI dispose d’un service dédié aux risques collectifs, c’est lui qui a répondu.

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Ayant évoqué ces limites, comment retracer l’émergence d’une administration dédiée à l’approche territoriale de la prévention et la gestion des risques dans les trois EPCI de Nantes, de Lyon et du Havre ? L’enquête quantitative ne permet pas de montrer comment ces services dédiés ont été produits, ni comment ils se sont installés. Pour comprendre quels sont les intérêts des agents publics porteurs d’une approche intercommunale des risques, l’exemple de la communauté d’agglomération du Havre permet d’analyser le moment où les pouvoirs publics locaux hésitaient entre un groupement d’intérêt publics à l’échelle de l’estuaire de la Seine et la création d’une direction de prévention et de gestion des risques dans la nouvelle communauté d’agglomération.

Depuis 1999, il y a un service de prévention des risques et de gestion de crise à la direction urbaine de la sécurité civile à la Ville du Havre. Ce service regroupe les agents publics porteurs d’une vision supra-communale des risques mais ils vivent comme une relégation leur retour dans un service communal. Ils revendiquent le caractère intrinsèquement intercommunal de leur domaine d’action185. D’ailleurs, le service continue de réaliser les documents d’information préventive sur les risques majeurs pour le compte du syndicat intercommunal d’hygiène de la région havraise. Cette rancœur de leur positionnement municipal rencontre le souhait vif de l’élue à l’environnement de la Ville du Havre de se débarrasser des risques collectifs. L’élue, qui est aussi la présidente du syndicat intercommunal d’hygiène, souhaite également se défaire rapidement de la gestion du réseau des sirènes d’alerte au sein du syndicat. Rapidement, les agents porteurs d’une vision intercommunale des risques proposent un protocole d’orientation afin de permettre la création d’un office du risque majeur pour l’estuaire de la Seine (ORMES) qui permettrait « l’association et le transfert des compétences et des moyens concernés du SIHRH [syndicat

intercommunal d’hygiène de la région havraise] et de la DUSC-SPRGC [direction urbaine de la sécurité civile – service de prévention des risques et de gestion des crises] »186.

Suite à cette réunion, un des initiateurs du service « risques » de la Ville du Havre est mis à disposition du syndicat intercommunal d’hygiène « afin de mettre un terme d’ici la fin

de l’année 2000 [au] rôle du syndicat en matière de risques majeurs, [les élus ayant souhaité] largement recentrer [leur] action sur la problématique qui, à mon sens, était [la] mission première c'est-à-dire celle (…) des actions de prévention, d’hygiène et de santé publique »187.

185 Les agents publics en charge des risques à l’échelle de l’agglomération s’étaient rencontrés autour de la conviction que leur pratique professionnelle de prévention et de gestion des risques se définissait au niveau intercommunal. Ils étaient issus de la cellule départementale de gestion des risques technologiques du corps de sapeurs-pompiers et du programme d’information préventive par circonscription académique.

186 Projet de protocole d’orientation communes, Document de présentation pour la réunion des maires du syndicat intercommunal d’hygiène de la région havraise réalisé par la direction urbaine de la sécurité civile – service de prévention des risques et de gestion des crises, le 22 juin 1999.

187 Discours de la présidente du syndicat intercommunal d’hygiène de la région havraise, élue à l’environnement, Ville du Havre, mercredi 11 octobre, journées d’information sur la prévention des risques naturels et technologiques, Le Havre.

Le projet d’office des risques majeurs avance. L’enjeu est de réunir des territoires administratifs de niveaux différents (2 régions et 3 départements) autour d’un groupe d’intérêt public188. Les procédures sont très lourdes. Les élus des communes concernées par ce périmètre commencent alors à craindre la disparition de leurs pouvoirs de police. Tout de suite, le projet d’office se pose en organe d’appui et de support pour le compte de la police des maires. Tout semble converger vers une création rapide lorsque deux éléments viennent contrarier les projets des agents publics. Un institut européen des risques est crée à Honfleur dans le département du Calvados, en face du Havre, grâce à l’action de Nicole Ameline, conseillère régionale de Basse-Normandie (future ministre de la parité et de l’égalité professionnelle dans le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin de 2002 à 2005). Bien que les objectifs affichés soient très différents entre la gestion opérationnelle de l’office des risques majeurs et la gestion prospective des risques technologiques de l’institut européen, il y a eu un effet « d’herbe coupée sous le pied » selon les agents publics de l’agglomération havraise. Au même moment, le 1er janvier 2001, l’agglomération havraise devient une communauté d’agglomération disposant d’une compétence de prévention et de gestion des risques. Les agents porteurs de la vision territoriale des risques n’ont pas été associés à la décision, ni à l’écriture des compétences. Tout le service de prévention et de gestion des crises de la Ville du Havre est transféré à la communauté d’agglomération, ainsi que la gestion des sirènes d’alerte du syndicat intercommunal d’hygiène.

L’EPCI est apparu comme le seul cadre dans lequel les agents publics pouvaient réaliser leur projet de politique territoriale de prévention et de gestion des risques au niveau des agglomérations. Ce cadre « s’impose » : il est porté politiquement par l’équipe d’Antoine Rufenacht, il positionne symboliquement la région du Havre dans le champ des agglomérations françaises tout en maintenant le rôle de la Ville du Havre (80% de la population) et il permet la fusion des structures intercommunales pré-existantes.

En résumé, l’approche urbaine et systémique des risques réussit sa mise sur agenda formel dans les EPCI alors qu’elle ne dispose ni d’une légitimité traditionnelle antérieure, ni d’un contexte de crise déstabilisant les pouvoirs publics (Keeler, 1993). La création des EPCI a été une fenêtre d’« opportunité incontournable » pour la mise sur agenda d’une approche urbaine des risques collectifs. La recherche d’un cadre d’action à l’échelle intercommunale a été bien plus importante pour la mise sur agenda des risques endo-urbains que la recherche d’un périmètre institutionnel adéquate.

188 Un groupement d'intérêt public (GIP) est une personne morale de droit public en partenariat entre au moins un partenaire public et des organismes privés. Le groupement d'intérêt public a une mission administrative ou industrielle et commerciale. Il met en commun un ensemble de moyens pour une durée limitée.

* * *

Après les tentatives du législateur pour réorganiser le paysage institutionnel français, la loi de juillet 1999 créant les EPCI trouve un succès quantitatif de premier ordre. Les raisons de cette « victoire » sur le morcellement communal ne sont pas dues aux efforts de rationalisation ou de solidarité que la loi met en avant.

Les EPCI sont des configurations institutionnelles qui reflètent les représentations des fonctions d’agglomérations partagées par les principaux artisans de cette construction institutionnelle. Ce sont des éléments historiques, financiers et politiques, propres à chaque configuration territoriale, qui expliquent cet engouement.

L’histoire de l’intercommunalité dans les agglomérations de Nantes, de Lyon et du Havre est une succession de réactions locales, positives ou négatives, aux différentes lois imposant ou proposant des formules de regroupement communal. Leurs parcours reflètent des rapports de force qui s’établissent entre les élus locaux et l’État. Si la communauté urbaine de Lyon est créée dès 1966, les élus locaux de l’agglomération nantaise multiplieront les recours à des syndicats communaux pour éviter toute fusion. Dans les années 1960-1980, l’agglomération havraise n’a ni les moyens économiques, ni le poids démographique pour prendre position. Elle cumule les syndicats intercommunaux à vocation unique. Ces trois agglomérations sont des configurations institutionnelles différentes. Les périmètres successifs des regroupements de communes sont dictés par des choix politiques ou économiques à un moment donné.

Même si ces configurations institutionnelles sont diverses, la création des EPCI en juillet 1999 est, dans les trois cas, un moment d’opportunité pour inscrire les risques endo- urbains sur les agendas institutionnels. L’inscription des politiques de prévention et de gestion des risques dans les agendas des EPCI ne révèle pas du choix du territoire « pertinent ». Les agents publics porteurs des risques systémiques et urbains n’ont pas eu d’autres choix pour assurer une stabilité à leur identité administrative et à leur légitimité institutionnelle. Les EPCI ont été une fenêtre d’« opportunité obligée » incontournable.

La conclusion s’appuie sur la thèse d’Emmanuel Négriers selon laquelle ce n’est pas la constitution d’une politique publique intercommunale qui fait évoluer les territoires d’agglomération. La représentation que les acteurs publics ont d’un territoire d’agglomération est un instrument constitutif de l’action publique. En ce sens, les agents publics des risques endo-urbains ont, dès le départ, une représentation de leur territoire d’action. Ils souhaitent intervenir à l’endroit des dynamiques de transformation des agglomérations. C’est cette conviction qui les pousse à accepter et, ensuite, à revendiquer l’EPCI comme « le bon niveau de gouvernement ». Ils n’ont pas a priori une définition d’un « territoire pertinent » pour l’approche territoriale des risques collectifs.

2.

La compétence « prévention et gestion des risques » : entre la

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