4.6 Politique linguistique – Suède
4.6.1 Politique linguistique éducative – Suède
Qu’en est-il des engagements de la Suède en matière d’enseignement des langues minoritaires
au sein des institutions scolaires ? Que deviennent les langues de la migration dont le nombre
s’élève à 200
145, ce qui semble être le nombre le plus élevé de toute l’Europe ?
Le suédois, en tant que langue majoritaire, est un outil indispensable pour comprendre,
s’intégrer dans la population et profiter des services offerts par la société, en particulier pour
le marché d’emploi et le secteur de l’éducation. Les immigrants sont incités à apprendre le
suédois en vue d’acquérir une compétence langagière dans la langue du groupe majoritaire
afin de faciliter leur accès au marché de l’emploi. Cette politique linguistique éducative vise
l’intégration des étrangers dans la société d’accueil, puisque parler la langue suédoise favorise
la communication entre les migrants et la population locale. Selon Regeringskansliet
146(2004), il n’est pas obligatoire, mais très recommandé, de suivre un cours de langue suédoise
pour ceux qui veulent entrer sur le marché du travail, comme signalé dans le chapitre 4 à
propos des parents de la
FAM D. La mère formule ainsi ce qu’elle perçoit bien comme un
droit :
(40) Les étrangers ont le droit d’apprendre la langue suédoise, donc, il y a un cours de trois ou quatre mois. C’était dans une école gérée par le gouvernement. Le cours était gratuit.
La mère a en effet déposé une demande auprès des autorités municipales pour apprendre la
langue suédoise. Comme nous l’avons déjà évoqué, cet enseignement est régi par
Svenskundervisning för invandrare (cours de suédois pour les immigrants). Nous présumons
que le père a suivi le même enseignement que sa femme, bien qu’il ne nous en parle pas
lorsqu’il raconte ses expériences dans l’apprentissage de la langue suédoise. Dans les années
1980, un document publié par le ministère du Travail
147stipule que tous les migrants arrivant
en Suède et n’ayant pas de compétence suffisante dans la langue suédoise ont droit à environ
700 heures d’enseignement dans cette langue. Mais aucune mention d’un tel enseignement
n’est faite dans la Motion au Parlement suédois de 1990-91, contenue dans le document
intitulé « Immigrants et la politique des réfugiés »
148.
145
D’après Cabau-Lampa (2007), il y aurait environ un million de locuteurs qui parlent des langues de la migration.
146
Regeringskansliet. 2004. Enad satsning för integration. Pressmeddelande 18 juni 2004. [Le système suédois de gouvernance. Effort uni pour l’intégration. Communiqué de la Presse. Press release 18 juin 2004]
147
SIF (1988) Svensk Invandrar och Flyktingpolitik (éd. Gardeström Linnéa). Arbetsmarknadsdepartementet. Stockholm. [Immigrants suédois et réfugiés politiques ].
148
http://www.riksdagen.se/webbnav/?nid=410&doktyp=mot&rm=1990/91&bet=Sf609&dok_id=GE02Sf609, [réf. du 3 octobre 2011].
L’enseignement de la langue suédoise fait l’objet d’une politique dès le milieu du
XVIIesiècle.
Comme dans tous les pays protestants, la lecture de la Bible devient un objectif prioritaire et
favorise l’alphabétisation de la population (Winsa, 2005 : 265). L’auteur remarque que la
pression sociale énorme exercée par l’Église a pour conséquence de faire émerger la Suède
comme le pays le plus alphabétisé, à l’époque, de toute l’Europe. L’alphabétisation de masse
et la diffusion du suédois sur tout le territoire favorise la standardisation de la langue, qui sera
adoptée au sein des institutions scolaires et universitaires au détriment de toutes les autres.
Winsa (2005 : 266) note que les locuteurs des langues same et meänkieli ont été poussés à
l’abandonner au profit du suédois
149.
Depuis les années 60, l’idéologie monolingue de diffusion du suédois fait peu à peu place à
un processus de reconnaissance et de valorisation des langues autochtones et minoritaires, à
travers des campagnes politiques, des débats académiques et la revendication des valeurs
patrimoniales par les groupes ethniques minoritaires. Winsa (2005 : 266) observe que, dès les
années 70, « national language planning promotes active bilingualism for immigrants as well
as minorities ». Pour atteindre cet objectif, c’est-à-dire le maintien et la protection des langues
et cultures d’origines migrantes et minoritaires, plusieurs démarches ont été entreprises : une
ou deux heures par semaine d’enseignement de la langue maternelle
150, subventions accordées
aux activités culturelles, à la publication de livres, de journaux et de magazines ainsi que la
diffusion d’émissions à la radio et à la télévision. Winsa (2005) signale que, dans les années
70, des parents se sont mobilisés pour exprimer leur mécontentement face à la sous-dotation
horaire pour l’apprentissage des langues maternelles, ne permettant pas de développer une
compétence bilingue équilibrée. Suite aux revendications « from the Swedish Finnish
movement resulted in the establishment of the first home language classes »
151. Winsa (2005 :
283-284) explique que la communauté finnoise a eu un rôle de modèle pour les communautés
migrantes en Suède. Cette modalité d’enseignement n’a pas été acceptée facilement par les
autorités suédoises ; elle est le résultat d’un rapport de forces qui a permis d’améliorer la
situation des langues minoritaires. Nygren-Junkin (2004 : 135) indique que l’inclusion de la
Hemspråk (langue du foyer) dans le curriculum scolaire « was preceded by a vote in a
parliament in 1976 that approved this educational reform, the so-called Hemspråkreform
149
Dans un long-métrage de fiction finno-suédois intitulé “Näkymätön Elina” (L’invisible Elina), le réalisateur Klaus Härö (2003) illustre l’interdiction de l’usage du finnois au sein d’un établissement scolaire dans la région Tornadélie, la région frontalière entre la Suède et la Finlande.
150
Le terme langue maternelle a été remplacé par langue du foyer en 1997 (Winsa, 2005 : 284). Mais, si un élève appartenant aux groupes ethniques Roms, Tornédaliens, ou Same, ne parle pas la langue minoritaire à la maison, il peut faire une demande pour recevoir un enseignement dans cette langue, pour autant qu’elle soit effectivement parlée dans son environnement. Boyd (2001 : 188-189) explique que le terme “langue maternelle” doit être compris comme langue première de l’élève, autrement dit, la langue dans laquelle l’enfant a appris à parler et qui est encore un moyen de communication dans la vie quotidienne.
151
(Home Language Reform) ». Boyd (2001) signale que la Suède a été le premier pays européen
à donner son aval au financement d’une politique linguistique éducative renforçant la langue
du foyer pour les enfants d’immigrés.
L’inscription aux cours de langues parentales n’est pas obligatoire ; la responsabilité de leur
enseignement incombe aux municipalités qui, selon Winsa (2005 : 288) « may define its own
policy for language teaching of immigrants ». Un rapport officiel de 1997 du gouvernement
suédois
152propose que les dispositions pédagogiques concernant cet enseignement s’étendent
à toute la scolarisation. Dès la crèche, le développement de la langue familiale et du suédois
doit être favorisé. Le rapport suggère également d’abolir la condition exigée d’un minimum
de cinq élèves de même origine pour dispenser un tel enseignement. On note par ailleurs, dans
le même rapport que les familles migrantes nouvellement arrivées en Suède bénéficient d’un
service de traduction et d’interprétariat, notamment au sein des établissements scolaires.
D’après Nygren-Junkin (2004 : 136), autrefois, « the provision of Home Language Instruction
was required of the school, even if just a single family demanded it for a child ». Maintenant,
il doit y avoir au moins cinq élèves pour former un groupe de « langue du foyer » afin que les
parents puissent faire une demande pour créer un enseignement dans cette langue. Les
enseignants sont recrutés et rémunérés par les municipalités. En d’autres termes, les
enseignants des langues du foyer doivent se déplacer d’école en école pour pouvoir exercer
leur activité professionnelle.
Nous trouvons par ailleurs les « écoles libres »
153où l’enseignement est d’ordinaire dans une
autre langue que le suédois. On y trouve aussi les écoles confessionnelles comme les écoles
juives, islamiques ou catholiques où il est possible de recevoir un enseignement de l’arabe
coranique, de l’hébreu, ou d’autres langues. Des écoles libres existent pour les langues
finnoise, anglaise, allemande, estonienne et hébraïque. Dans les écoles libres de confession
musulmane
154, Winsa note que le suédois est la langue d’enseignement pour la plupart des
matières et que l’arabe est enseigné uniquement pour permettre l’étude du Coran.
152
SOU (1997a : 121) Skolfrågor - Om skola i en ny tid. Slutbetänkande av Skolkommittén. Utbildningsdepartementet. Stockholm.
153
À l’instar des charter schools aux USA, les écoles libres sont des établissements issus d’un projet éducatif à l’initiative des parents des groupes ethniques minoritaires et peu privilégiés. Les parents sont les acteurs principaux de ces écoles, qui visent à sauvegarder leur patrimoine culturel et linguistique. Le financement des écoles libres reste à la charge de l’État, mais les parents ou le comité de l’établissement s’occupent de l’organisation des emplois du temps, du recrutement des professeurs (formés ou non) et du contenu des programmes (voir http://www.lefigaro.fr/international/2011/09/02/01003-20110902ARTFIG00629-rentree-le-royaume-uni-teste-les-ecoles-libres-free-schools-faites-par-les-parents.php, [réf. du 29 septembre 2011].
154
Une free school peut être créée sur la base de la religion ou indépendamment de la religion. Lors d’un débat émis sur France Culture, le 30 septembre 2011, dans le cadre du programme “Culturesdumonde”, nous avons entendu une femme anglaise qui souhaitait instaurer ce système de free school dans sa commune pour que ses enfants puissent aller à l’école près de chez eux. La création de free schools ne répond donc pas forcément à un besoin religieux ou ethnique.
Parmi les langues de l’immigration potentiellement concernées, l’arabe, l’assyrien, le grec,
l’espagnol, le finnois, le turc, le bosniaque, le croate et le serbe peuvent être des langues
d’enseignement dans les écoles. L’albanais, le kurde, le polonais, et environ 110 autres
langues sont aussi enseignées en tant que Hemspråk (Lainio 2001 : 34). Nous tenons à
signaler que l’enseignement de ces langues intervient soit à la crèche, soit à l’école primaire
ou secondaire. D’après Taguma et al. (2010 : 30), les enfants d’immigrés « receive a first
language support », ce qui n’explique pas si la langue de la migration est langue
d’enseignement ou langue enseignée. Les mêmes auteurs précisent néanmoins que
l’enseignement comprend l’histoire, la culture et la littérature du pays d’origine, mais que les
cours sont souvent prévus hors du temps scolaire. Les auteurs précisent que « some subjects
may be offered in their mother tongue, while they learn Swedish »
155. Taguma et al. notent
que dans la municipalité de Botkyrka, les élèves d’immigrés apprennent les mathématiques en
arabe avec un enseignant de même origine.
Winsa (2005) indique que 61 600 élèves d’origine migrante sont inscrits en 1995-96 en
langue suédoise L2. Environ 16 % des élèves inscrits dans l’enseignement obligatoire ont une
langue parentale autre que la langue majoritaire du pays d’accueil, selon Biseth (2009 : 244).
En ce qui concerne les langues indiennes, il semble qu’il y a très peu d’écoles qui proposent
un enseignement dans ces langues. Néanmoins, nous ne trouvons aucune mention concernant
cet enseignement au sein des établissements scolaires dans les études menées sur la politique
linguistique éducative de la Suède. Dans la mesure où environ 15 263 personnes appartenant à
la communauté indienne et vivant en Suède sont dénombrées en 2008 (Merimaa et Kiviniemi,
2010 : 17), nous pensons qu’il doit exister une demande pour l’enseignement des langues
indiennes dans les écoles suédoises.
Lainio (2001 : 46) observe que, malgré la ratification de la Charte européenne des langues
régionales et minoritaires, il s’avère que le statut des langues minoritaires en Suède reste
faible, notamment depuis 1990, lorsque la plupart de ces cours ont été supprimés du cursus
scolaire ou organisé en dehors du temps scolaire. Boyd (2001 : 187) attribue ce recul à
l’influence du parti politique de droite, « Ny demokrati ». D’après Boyd, ce parti étant opposé
à l’installation de populations migrantes et de demandeurs d’asile politque sur le sol suédois,
ses membres ont argué que l’enseignement des langues migrantes coutait énormément à l’État
et qu’un tel enseignement freinait l’acquisition de la langue majoritaire du pays. De fait, selon
ces politiciens de droite, l’intégration de la communauté migrante dans la société d’accueil
devient problématique dès lors que les langues migrantes sont encouragées au sein des
155
établissements scolaires, et permettent de développer de l’animosité envers les élèves, les
parents et les enseignants appartenant au groupe majoritaire. Boyd (2001) attire notre
attention sur une autre raison expliquant la dégradation des cours de Hemspråk. Il s’agit de
l’audit mené par un organisme national
156, qui préconise un financement à la baisse pour cet
enseignement. Les recommandations de ce rapport n’ont pas obtenu de soutien au sein du
parlement, mais la plupart des municipalités ont tout de même supprimé le programme des
Hemspråk de leur cursus scolaire. De plus, la difficulté à trouver des enseignants qualifiés
pour dispenser des cours de Hemspråk représente un autre problème considérable. Un article
de presse de 2011
157s’interroge sur la mise en pratique de l’enseignement des langues de la
migration en Suède et relève que les parents sont peu motivés pour inscrire leurs enfants dans
un tel programme. On peut déjà remarquer cette tendance à l’assimilation dans les années 80
quand, d’après Ekstrand (1980 : 412), les familles immigrantes désiraient s’identifier le plus
vite possible aux familles suédoises et souhaitaient que leurs enfants deviennent suédois. Ces
cours donnés en dehors du temps scolaire constituent une surcharge pour les élèves. Étant
donné que toutes les municipalités n’offrent pas de cours de Hemspråk, les élèves sont censés
se rendre dans une autre école pour les suivre. Selon Myrvold (2011 : 84), il est clair que le
problème de l’enseignement des langues parentales persiste toujours pour les élèves issus de
la migration, notamment pour les sikhs. L’auteure écrit à ce sujet « in many places these
programs [home-language education] have functioned very well, while at others it has been
difficult to gather together the number of pupils required for setting up courses in Punjabi
(that is, five pupils within a municipality) ».
En Suède depuis 2002
158, un débat porte sur le test de langue préalable à l’acquisition de la
nationalité suédoise. Les textes législatifs concernant la citoyenneté suédoise pour les
immigrants n’exigent pas de compétences minimales dans la langue d’accueil. Les cours de
langues d’accueil justifiés par la politique d’intégration de la société d’accueil, dont les
pionners étaient les Pays-bas et la Suède, ont servi de modèle pour d’autres pays européens,
comme le montre le rapport d’Esser (2006 : 30). Mais, selon ce même rapport, il est difficile
de prouver l’efficacité de ces cours pour les immigrants adultes dans ces deux pays.
Nous évoquerons brièvement le choix proposé par les autorités locales en langues étrangères
dans les établissements scolaires en Suède. Le premier choix proposé aux élèves suédois est
l’anglais. Depuis 1962, l’anglais est imposé comme première langue étrangère au cours de la
156
RRV (The national Swedish audit bureau), 1990, Invandrarundervisning i grundskolan. Revisionsrapport.
157
Sweden’s hemspråk : teaching kids their parents’ language, publié 12 mai, 2011.
http://www.thelocal.se/33736/20110512/, [réf. du 22 décembre 2011].
158