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4.5 Politique linguistique nationale – France

4.5.1 Politique linguistique éducative – France

La politique linguistique éducative en France repose sur la politique linguistique nationale

française qui accorde l’exclusivité de l’enseignement à la langue française. Elle est à la fois

une matière obligatoire au sein des établissements scolaires, mais aussi capitale dans

l’éducation de toute personne vivant sur le territoire français. Il est donc inimaginable de

concevoir à large échelle un enseignement en dehors de la langue française, ce qui serait vécu

comme une mise en cause de l’attachement ou de l’affiliation à la République. Le français

standard est non seulement un vecteur d’intégration dans la société, mais il apparait comme le

seul moyen permettant d’acquérir un savoir valide et légitime.

Depuis la création de la I

er

République, l’enseignement du français est le garant de

l’indivisibilité de la République (De Saint Robert 2000 : 27). Et cette conception est toujours

valide. L’auteure rappelle l’existence d’une circulaire, datée du 30 décembre 1976, qui stipule

que dans l’enseignement supérieur : « tous les cours, stages, cycles de formation destinés aux

Français et aux étrangers [sont] donnés en français, sauf exception dûment justifiées . . . »

127

.

Le monolinguisme devient en quelque sorte une norme en France par le truchement de cette

conception républicaine, alors qu’en Inde, pays démocratique et république laïque reposant

124

La réforme du contrôle de la connaissance de la langue française par les candidats à la nationalité. Ministère de l’Intérieur, des collectivités territoriales et de l’immigration. Paris, mercredi 12 octobre 2011.

125

Business Language Testing Service

126

http://www.news-eco.com/communiques/ile_de_france/services_aux_entreprises/agence_bpr_france_23118.php, [ref du 13 octobre 2011].

127

sur les mêmes principes civils et juridiques que la France, le bilinguisme, voire le

plurilinguisme, est une norme (cf. Pandit 1978).

La France monolingue s’inscrit tout de même dans la politique européenne des langues, dont

l’objectif est de promouvoir le plurilinguisme (européen). Le Conseil de l’Europe encourage

les politiques linguistiques éducatives de ses États membres permettant à leurs jeunes citoyens

de devenir plurilingues. La mobilité et les échanges, à travers le travail, les éudes ou les loisirs

sont vivement encouragés afin de développer une identité européenne. En France, le

plurilinguisme obtient une reconnaissance officielle dans l’enceinte des écoles où plusieurs

langues européennes vivantes ou classiques sont enseignées. Eloy (2003 : 142) s’interroge

toutefois sur la viabilité de ce « plurilinguisme européen » qui, d’après lui, vise « au

plurilinguisme élitaire ou élitiste, qui a toujours été estimé dans la culture des lettrés, mais pas

au bilinguisme ou plurilinguisme des gens ordinaires qui, pourtant, est loin d’être rare :

bilinguisme de régions, dont les langues sont devenues mineures par surimposition du

français au pouvoir, bilinguisme des migrants, individuels ou par vagues . . . ». 22 langues

128

sont classées comme premières langues vivantes (LV1) : allemand, anglais, arabe, arménien,

cambodgien, chinois, danois, espagnol, finnois, grec moderne, hébreu, italien, japonais,

néerlandais, norvégien, persan, polonais, portugais, russe, suédois, turc et vietnamien. Dans

les épreuves de langues vivantes 2 et 3, se trouvent les langues régionales suivantes : basque,

breton, catalan, corse, créole, langues mélanésiennes, occitan, tahitien. À cette liste s’ajoutent

les langues mélanésiennes de la Nouvelle Calédonie : paici, ajië, drehu et nengone qui

figurent comme option facultative au baccalauréat (Cerquiglini, 1999). Parmi les langues

indiennes, l’hindi et le tamoul peuvent être choisies lors de l’épreuve facultative écrite. Il

convient de signaler que l’enseignement des langues obligatoires est assuré par l’école, mais

pas celui des langues facultatives. Il faut ajouter à cette liste les langues anciennes ou

classiques que les élèves peuvent choisir en cinquième (pour le latin) et en troisième (pour le

grec).

D’après Hélot (2003 : 259), depuis 2000, l’enseignement des langues régionales dès le

primaire à l’école est théoriquement possible

129

. Dès lors, l’auteure considère que la France

n’est plus un pays monolingue et que des langues régionales sont désormais reconnues

comme une richesse individuelle et collective. Mais la plupart des élèves sont plus enclins à

apprendre une langue “étrangère/vivante” plutôt qu’une langue régionale, et le plus souvent,

128

Le nombre total des langues dans les épreuves obligatoires est de 22 alors que, pour les épreuves facultatives il est de 58 langues, réparties comme suit : 22 obligatoires, 25 facultatives, 11 régionales. Source :

http://www.education.gouv.fr/cid206/les-langues-vivantes-etrangeres.html#a-l-ecole et

http://eduscol.education.fr/cid46511/textes-de-reference-epreuves-de-langues-vivantes.html, [réf. du 24 juin 2011].

129

l’anglais est privilégié par les élèves comme par les parents (Hélot, 2003 : 260). Rappelons

qu’en Inde, l’anglais est également privilégié par rapport aux langues régionales et aux autres

langues indiennes modernes, autant par les élèves du nord que par les élèves du sud. Dans le

cadre du plurilinguisme européen, les instances gouvernementales sont enclines à promouvoir

l’enseignement de l’anglais en tant que matière obligatoire dès le primaire. En 2011, le

ministre de l’Éducation nationale, Luc Chatel, a souhaité que les élèves commencent à

apprendre l’anglais dès l’âge de trois ans

130

. De fait, l’enseignement de l’anglais est offert aux

élèves à partir du

CE1

alors qu’ils/elles sont âgé-e-s de 7 ou 8 ans.

Avec l’augmentation des mouvements migratoires en France, il est difficile pour les

responsables des politiques éducatives de ne pas se soucier des modalités de scolarisation des

enfants de migrants. Cette scolarisation implique l’enseignement obligatoire du français pour

accélérer l’accès à une formation scolaire. Notons toutefois l’existence d’un enseignement des

langues d’origine (Hélot, 2003 : 257-258), terme qui renvoie aux langues apportées par les

flux migratoires. L’auteure explique plus loin que, faute d’une loi exhaustive qui détermine le

rôle, le statut des langues en question et fixe les objectifs précis ainsi que les modalités de leur

enseignement, les “langues d’origine” ne peuvent être reconnues en France. Cette

dénomination sert en fait à “épingler” l’origine étrangère des élèves et vise à les préparer à

réintégrer leur pays d’origine au lieu de leur permettre de construire un plurilinguisme fondé

sur la reconnaissance et la valorisation des cultures des communautés migrantes.

En France, il existe des accords bilatéraux avec neuf pays

131

pour l’enseignement des langues

parentales aux enfants des travailleurs immigrants dans les établissements scolaires. Ces

accords sont concrétisés dans le cadre de l’Enseignement des langues et cultures d’origine

(Elco)

, qui a pour but de faciliter le retour des enfants lorsque leurs familles rentreront dans

leur pays d’origine. Ces cours sont davantage conçus comme un message d’encouragement au

retour plutôt que comme un encouragement à transmettre le patrimoine linguistique et culturel

des migrants établis sur le sol français. L’État compte sur le fait que les familles migrantes

retourneront vivre dans leur pays d’origine (Hélot, 2003 ; Haque, 2010c). Billiez (2002 : 88)

relève aussi que le programme « des langues et cultures d’origine (

LCO

, puis

ELCO

) est censé

consolider et développer le bilinguisme acquis par les enfants dans la sphère familiale ».

130

Voir Le Figaro, 27 janvier 2011. http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2011/01/27/01016-20110127ARTFIG00473-premiers-cours-d-anglais-les-pratiques-en-europe.php

131

L’Algérie, la Croatie, l’Espagne, l’Italie, le Maroc, le Portugal, la Serbie (aussi appelée République Fédérale de Serbie et de Monténégro), la Tunisie et la Turquie. Les années dans lesquelles ces accords ont été réalisés sont ainsi : 1973 - avec le Portugal, 1974 - avec la Tunisie et l’Italie, 1975 - avec le Maroc et l’Espagne, 1977 - avec l’ex-yougoslave (la Croatie et la Serbie), 1978 - avec la Turquie et 1981 - avec l’Algérie. De fait, il conviendrait de souligner également que, vers cette époque-là (dès 1977), le gouvernement français met « un dispositif d’aide au retour au pays d’origine » (Varro 1992 : 141).

Nous avons constaté (Haque, 2010c) que les formations effectuées dans le cadre de l’

Elco

sont

sujettes à de nombreuses polémiques. Nous examinerons de plus près les facteurs qui ont

soulevé de très vives controverses parmi les responsables de l’éducation. L’un des points

principaux sur lequel les accords bilatéraux sont fondés entre la France et les neuf pays

concernés stipule que seul le pays d’origine prend en charge l’enseignement des langues et

cultures d’origine des enfants issus de l’immigration sur le sol du pays d’accueil. En d’autres

termes, la variété des langues à enseigner, le curriculum et les manuels sont choisis, élaborés

et diffusés par les États signataires alors que la mise en place, le contrôle et l’animation de ces

enseignements sont assurés par les autorités françaises (

CRDP

1994). Les enseignants sont

recrutés à l’extérieur du système scolaire français par les responsables éducatifs du pays

d’origine. Par exemple, nous avons rencontré de jeunes étudiants étrangers d’origine

magrébine travaillant comme enseignants de la langue arabe au sein d’établissements

scolaires dans le cadre de l’

Elco

. Varro (1992 : 146) note que les enseignants étrangers, dans la

plupart de cas, ne possèdent pas de formation pour enseigner les langues et qu’ils ont peu de

contacts avec l’équipe française. Il apparait aussi que les enseignants ne maitrisent pas

suffisamment la langue française (Masthoff 1998 : 61) et qu’ils sont marginalisés du fait

qu’ils ont le sentiment de ne pas être “bien” acceptés dans les écoles. Qui plus est,

l’enseignement de la langue arabe n’est pas suffisamment suivi par les élèves dont la langue

première est le français ou qui parlent une variété vernaculaire d’arabe. L’auteur note que les

enseignants marocains n’ont pas suivi de formation pour l’enseigner l’arabe comme langue

étrangère et qu’en plus ils suivent « des habitudes pédagogiques dépassées et rigides, basées

sur l’apprentissage par coeur et la répétition »

132

.

Un autre problème surgit dans le cas de l’enseignement de l’arabe ; c’est le choix de la variété

d’arabe à enseigner aux enfants, nés et scolarisés en France. Billiez et Trimaille (2001 : 109)

font remarquer qu’il y a une différence « entre curriculum réel et curriculum caché »,

c’est-à-dire que les contenus effectivement dispensés s’éloignent largement du programme prévu.

Billiez (2002) observe que cet enseignement de l’arabe ne favorise pas une construction

linguistique et identitaire bilingue et biculturelle pour les enfants d’origine magrébine. De

manière plus générale, les langues pratiquées au sein des foyers migrants (arabe vernaculaire,

berbère, kabyle, kurde, catalan, napolitain, etc.) sont parfois très éloignées de celle enseignée

au sein de l’école. Le problème de l’aménagement des langues, du choix d’un alphabet et

d’un système d’écriture, est également crucial. De Ruiter et Obdeijn (1998 : 4-5) constatent,

apparemment un brin dépités, que « les dialectes arabes et la langue berbère n’ont même pas

132

de convention d’écriture universellement reconnue, qu’ils diffèrent les uns des autres ». Ces

auteurs soulignent dans le cas de l’

Elco

marocain que, bien que les enseignants marocains

émettent un avis favorable pour l’enseignement du vernaculaire, le problème des conventions

d’écriture ainsi que le manque de matériel didactique approprié demeure insoluble. En outre,

le cours d’arabe standard ressemblerait, selon Calvet (1994 : 256) et d’un point de vue non

dépourvu d’ethnocentrisme, à « des cours de formation islamiste et les enseignants

ressemblent plus à des imams qu’à des professeurs de langue vivante » (Haque, 2010c).

D’après Varro (1992 : 146-147), dans un accord signé avec la Turquie, il existe un chapitre

sur la « connaissance religieuse » précisant que les cours doivent « faire accepter aux enfants

les principes moraux de l’Islam ». La même auteure souligne que, dans un autre accord signé

avec le Maroc, l’on prévoit des contenus consacrés au Coran et à l’éducation religieuse

islamique. Néanmoins, Lorcerie (1994) (cité par Masthoff 1998) rejette ces reproches émis à

l’encontre du cours d’arabe. D’après l’auteure (ibid : 32), « il est peu vraisemblable que les

cours de

LCO

relevant des pays du “monde musulman” donnent lieu à des dérivés

antilaïques ». Masthoff (1998 : 59), lui-même, considère également que « la place accordée à

l’islam dans les manuels et supports didactiques est limitée ». Citant une enquête réalisée en

1991-1992

133

, l’auteur explique qu’il existe un malentendu à l’égard des cours d’arabe : « les

accusations d’intégrisme parfois portées contre les enseignants semblent surtout dues à une

rumeur, amplifiée par l’ignorance dans laquelle se trouvent maitres et inspecteurs de ce qui se

passe dans les classes »

134

.

En ce qui concerne les élèves indiens dans les écoles françaises, notre échange de courriel

135

avec une Inspecteure des langues du service du rectorat de l’académie de Grenoble nous

apprend que “les langues indiennes ne font pas partie des langues enseignées dans l’académie

dans les établissements publics ou privés sous contrat”. Il est donc évident que les systèmes

éducatifs dans la région de Grenoble, où vit la

FAM A

, ne dispensent pas de cours de langues

ni de culture d’origine indienne. Le courriel de l’Inspecteure des langues rejoint les dires des

parents et des enfants de la

FAM A

qui ont également souligné l’absence d’un enseignement de

la langue hindie dans les écoles à Grenoble.

133 MEN (1992). 134 Ibid., pp. 59 et ss. 135