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III. Résultats

1) Des points communs sur les structures de soins somatiques et de soins psychiques

Un des éléments clés de la prise en charge, retrouvé dans la quasi-totalité des entretiens réalisés, était l’importance du relationnel avec la création d’une relation humaine de confiance, où le sujet traumatisé était reconnu en tant qu’être humain à part entière et traité avec bienveillance. Le tissage de ce lien requérait du temps mais était nécessaire pour permettre une libération de la parole.

« Ce n’est pas à un premier venu, même si c’est un médecin, qu’ils vont toute de suite dire. Mais, plus on les revoit et plus la parole se délie et se libère ». E9

Il contribuait aussi à l’élaboration d’une demande de soins qui pouvait, parfois, être formulée, facilitant alors l’orientation vers d’autres structures de soins.

« Elle avait tissé un lien suffisant avec lui pour lui dire qu’il n’allait peut-être pas très bien et que cela avait peut-être du sens de rencontrer quelqu’un ». E6

Un autre élément essentiel était la création d’un maillage autour du patient afin de maintenir une surveillance et contenir un éventuel effondrement. Ceci nécessitait un travail de collaboration au sein d’un même dispositif. Des professionnels de fonctions différentes pouvaient alors être amenés à prendre en charge une même personne en fonction de l’évolution de son état physique et/ou psychique. Une psychologue d’une association l’expliquait ainsi :

« C’est vrai que quand un patient va trop mal, je vais voir le médecin et je lui dis : il faut m’aider là, ce n’est pas suffisant de parler ». E5

Ce travail coopératif pouvait aussi avoir lieu entre plusieurs institutions avec la mobilisation de soignants voire de travailleurs sociaux.

« On fait ça en coopération, c’est-à-dire, on arrive à faire des prises en charge médecine générale, PASS et infirmière EMPP ». E4

De plus, accueillir un public d’origine étrangère au sein d’une structure de soins amenait aussi les soignants à réfléchir au rapport qu’ils entretenaient avec l’altérité. Ils étaient alors amenés à prêter attention aux différences culturelles qui pouvaient être sources d’incompréhensions ou de décalages. Certains soignants ont ainsi évoqué un fonctionnement différent des systèmes de soins d’un pays à l’autre, ce qui conduisait à une agressivité de certains patients qui ne saisissaient pas l’importance des rendez-vous. C’est le cas, par exemple, des Albanais puisque dans leur pays, il suffisait de se présenter à la consultation d’un spécialiste pour être reçus. D’autres insistaient plutôt sur l’interprétation prudente des symptômes du fait de raisonnement et de logiques de pensées différents.

« J’ai au moins cette préoccupation-là de ne pas plaquer de manière systématique, un raisonnement occidental sur des pathologies qui ne le sont pas et qui peuvent effectivement obéir à d’autres logiques ». E12

D’autres encore insistaient sur la nécessité de prendre en compte les croyances des patients ainsi que les représentations qu’ils pouvaient avoir de la psychiatrie, la confiance accordée aux psychiatres et aux psychologues n’étant pas toujours acquise d’emblée. Ces éléments pouvaient alors compliquer une orientation vers des structures de soins psychiques, ou inciter certaines personnes à refuser l’hospitalisation qui leur était proposée.

« Les populations africaines, le psychiatre, il fait un peu peur parce qu’il y a la vision de la psychiatrie en Afrique ». E10

Enfin, ces migrants étant aux prises avec un parcours administratif vulnérabilisant, il paraissait important d’être en capacité d’accompagner ce processus afin de les prendre en charge dans leur globalité. Cela passait, souvent, par une évaluation sociale afin de faire le point sur l’ouverture de leurs droits à la Sécurité sociale, ou de faire des démarches par rapport à l’AME lorsqu’ils étaient déboutés. Cet échange permettait aussi d’évaluer s’ils avaient repéré les associations aidant sur le plan administratif et juridique, et éventuellement de leur fournir les informations qui leur manquaient. Il s’agissait aussi, pour les autres soignants, de pouvoir répondre aux demandes de documents formulées, soit par les patients eux-mêmes, soit par l’intermédiaire de tiers comme les avocats ou les travailleurs sociaux. Bien que les professionnels de santé se questionnaient sur le poids des documents produits, les psychologues pouvaient être amenés à rédiger des attestations de suivi tandis que les médecins étaient sollicités pour des certificats. Il pouvait s’agir de certificats à destination de l’OFII afin de faciliter un accès à un hébergement, puisque depuis la réforme, une priorité est donnée aux plus vulnérables.

« Les seuls certificats que je peux faire, c’est effectivement quand, juste attester leurs maladies, ce qui, des fois, peut faire accélérer des logements ». E8

Il pouvait aussi s’agir de certificats descriptifs à destination de l’OFPRA ou de la CNDA attestant de la présence de cicatrices physiques, notamment de celles qui ne peuvent pas être montrées. Cette situation-là existait surtout sur les structures de soins somatiques.

« Quelqu’un qui a des cicatrices, quelque chose de vraiment important, eh bien, je décris les

cicatrices, mais je ne fais pas la relation entre leur histoire ». E2

Il pouvait encore s’agir de certificats pour l’OFPRA pour signaler une vulnérabilité afin que la conduite de l’audience soit adaptée, possibilité qui existe depuis la réforme du droit d’asile de juillet 2015. En effet, l’OFPRA porte davantage attention aux violences liées au genre, aux victimes de torture, aux victimes de la traite des êtres humains, aux femmes victimes de violences ainsi qu’aux mineurs étrangers isolés.

« Quand les gens me le demandent et quand effectivement ils ont des réactions émotionnelles qui sont tout à fait désadaptées, quand ils sont susceptibles d’être très inhibés, de se mettre en colère ou d’avoir des troubles de la mémoire, je le signale et je dis qu’il est légitime que la Cour en tienne compte dans la conduite de l’audience ». E12

Lorsque ces éléments ont été identifiés, la durée de la procédure peut être adaptée tout comme la conduite de l’audience : les demandeurs d’asile peuvent choisir le sexe de l’officier de protection et de l’interprète et peuvent être accompagnés d’un psychiatre, d’un psychologue ou d’une psychothérapeute. Par contre, il est important de noter que les praticiens ne se positionnaient pas tous de la même manière face à cette rédaction avec, parfois, des refus alors qu’il ne s’agissait pas de certificats de complaisance.