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B.1 Profil des « migrants avec un parcours de demande d’asile » souffrant d’ESPT

V. Conclusion

Cette étude qualitative, multicentrique, réalisée auprès de professionnels travaillant au sein de PASS psychiatriques, de PASS somatiques et d’associations, a permis d’effectuer un état des lieux de la prise en charge des « migrants avec un parcours de demande d’asile » souffrant d’ESPT, du point de vue des moyens existants, mais aussi de l’ensemble des actions proposées par les professionnels sous forme de soins ou d’orientation.

Il a d’abord été possible de caractériser le public étudié à partir des constatations faites sur les différents lieux de soins. Il s’agit d’hommes et de femmes, essentiellement originaires d’Afrique, du Moyen-Orient et des Balkans, qui sont amenés à quitter leurs pays suite à des événements potentiellement traumatiques, souvent liés aux conflits armés actuels. Leur santé mentale est affectée par des facteurs cumulatifs de vulnérabilité tels que les traumatismes vécus avant ou pendant le parcours migratoire, l’exil, la procédure d’asile et les conditions de vie précaires qui en découlent. L’ESPT fait partie des trois grandes problématiques psychiques observées avec les pathologiques psychiatriques anciennes et les troubles de l’adaptation liées à des situations de vie complexes. Sa prévalence semble élevée, mais elle n’a pas pu être chiffrée de manière précise. Les tableaux cliniques présentés sont souvent complexes du fait de la multiplicité des présentations cliniques avec, au premier plan, des signes non spécifiques présents dans d’autres catégories nosographiques, comme les somatisations ou les troubles du sommeil. La pathologie post-traumatique peut être masquée par ces symptômes qui doivent alors être recontextualisés et analysés. Son identification peut aussi être facilitée par l’utilisation d’un quadruple référentiel de lecture, celui du trauma, de l’exil, de l’interculturalité et de la clinique psycho-sociale.

Il a ensuite été possible d’évaluer les différents moyens existants en Rhône-Alpes pour prendre en charge cette population. Les structures interrogées correspondent à des dispositifs d’accueil et d’orientation, mais aussi de prise en charge, provisoire pour les PASS, et plus pérenne pour les associations dispensant des soins de santé mentale. Leurs fonctionnements sont variables, en termes de gestion de l’accès aux droits et aux soins, de moyens humains et financiers ainsi que de partenaires, ce qui rend uniques leurs inscriptions sur chacun des territoires couverts. On a aussi pu identifier des axes communs du fait des caractéristiques de la population accueillie. Le respect de l’altérité passe alors par un accueil qui se veut le plus humain possible, et par le recours à l’interprétariat professionnel en cas d’allophonie, notamment dans le cadre des soins psychiatriques. Le travail en équipe et en réseau permet de créer un maillage autour des patients impliquant des professionnels issus de champs différents (médical, médico-social et social). Des temps interstitiels, par le biais d’échange informels, de réunions cliniques, ou encore d’analyse de la pratique sont nécessaires pour permettre aux soignants de rester vivants psychiquement, en raison du poids des prises en charge individuelles et des responsabilités qu’elles engagent. Quant aux professionnels travaillant au sein de ces structures, ils

n’ont pas, pour la plupart, bénéficié de formations spécifiques. Ils ont alors appris les spécificités de cette prise en charge au fil des consultations, au contact des autres membres de l’équipe, voire par un travail personnel. Ils présentent à la fois des qualités d’écoute, de bienveillance et de courtoisie que tout soignant devrait avoir, ainsi que d’autres qualités considérées comme nécessaires : être structuré, être engagé tout en trouvant la juste distance et être créatif.

Il a aussi été possible de mieux connaître les prises en charge proposées à ce public dans le cadre de l’ESPT. Des points importants ont été identifiés par les différents professionnels interrogés : celui du relationnel où il est primordial d’établir une relation humaine de confiance et celui de leur implication dans la procédure d’asile par le biais de la rédaction d’attestations de suivi et/ou de certificats médicaux à destination de l’OFII ou de l’OFPRA et de la CNDA. L’accès aux soins psychiatriques peut se faire de façon indirecte, après un passage par les structures de soins somatiques où la prise en charge consiste en un travail classique de débrouillage afin d’éliminer une pathologie somatique grave, suivie d’un abord de la souffrance psychique amenant à l’orientation vers des soins psychiatriques. Cet accès peut aussi être direct par les urgences suite à une crise suicidaire, ou par les PASS psychiatriques et les associations dispensant des soins psychiques. Les professionnels de santé mentale interrogés axent leur travail autour de la psychothérapie, ce qui est conforme aux recommandations de bonnes pratiques. Cela passe par la création d’une relation de confiance, dans un cadre bienveillant et contenant, ce qui permet, avec le temps, d’aborder les questions traumatiques. Une pharmacothérapie peut aussi être mise en place, parfois à défaut de psychothérapie ou en parallèle d’un travail de parole. Des prescriptions de molécules, issues de toutes les familles de psychotropes peuvent alors être réalisées sans qu’il soit possible de connaître exactement leurs indications.

Pour finir, on a pu dénombrer trois difficultés principales auxquelles les professionnels sont confrontés. La première correspond à la barrière de langue. La plupart des soignants s’entendent sur un recours à l’interprétariat professionnel en cas d’allophonie, mais on note une réticence chez certains d’entre eux. Une sensibilisation à cette question pourrait alors être intéressante, l’interprète pouvant devenir un véritable partenaire du soin, en améliorant la qualité et la justesse de la communication, tout en permettant, en cas de travail dans la durée avec un patient, une co-création de la relation thérapeutique. La deuxième difficulté est liée à l’inscription des patients dans le processus de demande d’asile. Ceci fait co-exister des temporalités antinomiques : celle de la démarche administrative et celle du soin. Les instances administratives demandent aux migrants de fournir, dans un délai relativement court, un récit de vie performatif et détaillé comportant les événements traumatiques les ayant conduit à quitter leurs pays d’origine, tandis que le travail thérapeutique tient compte de leur temporalité psychique, ce qui limite le risque que la sidération s’installe à nouveau. De même, l’incertitude face à l’avenir et la précarité des conditions de vie contribuent à freiner le soin, à la fois en écrasant la temporalité, et en interrompant le soin, du fait d’une priorisation des besoins fondamentaux, mais aussi du fait de changements d’hébergement éloignant des lieux de soins. La

dernière difficulté concerne l’organisation du système de santé, avec une population qui vient exploser les cadres conventionnels, à la fois au niveau des dispositifs de prise en charge et des tableaux cliniques présentés, qui ne correspondent pas toujours aux catégories nosographiques habituelles. Les relais sur le droit commun sont alors très compliqués voire impossibles, ce qui conduit à une saturation des dispositifs existants, notamment des PASS. Certaines font alors le choix de se décaler de leurs missions en proposant des suivis qui perdurent, là où elles devraient se contenter d’orienter.

Ce travail a conduit à proposer des pistes d’améliorations impliquant des modifications des politiques de gestion de l’immigration et de la santé publique. Ainsi, il s’agirait de considérer ces migrants comme des êtres humains ayant les mêmes droits que les autres et notamment, ceux d’être hébergés et soignés. Ceci impliquerait de replacer la question du soin de ce public dans le champ de la santé publique et de généraliser le recours à l’interprétariat dans le système de soins. La formation des professionnels de santé sur l’ESPT et sur les thèmes de la migration, de l’interculturalité et de la précarité pourrait être améliorée. La création de nouveaux dispositifs pourrait aussi contribuer à l’amélioration de la prise en charge des « migrants avec un parcours de demande d’asile » souffrant d’ESPT. Il s’agirait de dispositifs de coordination mais aussi de dispositifs spécialisés de même type que ceux qui sont membres du réseau francophone de soins et d’accompagnement pour les exilés victimes de torture et de violence politique (RESEDA).

Les améliorations sont proposées ici pour les « migrants avec un parcours de demande d’asile ». Or, cette population correspond à un sous-ensemble du public identifié sous le terme « migrants précaires », ce dernier prenant aussi en compte les migrants engagés dans d’autres procédures de régularisation, dont celle pour raison de santé, qui est une des voies utilisée suite au rejet de la demande d’asile. On pourrait alors s’interroger sur le devenir des personnes déboutées qui tentent de rester sur le territoire français : ne risquent-elles pas de se marginaliser davantage, contribuant alors à l’augmentation du nombre de sans-abri et de « grands précaires » ? On pourrait aussi avancer l’idée que faire le choix de modifier le système de santé et d’adapter les pratiques à ce public de « migrants précaires » placé en marge de la société serait probablement bénéfique à l’ensemble des personnes atteintes de pathologies psychiatriques, mais aussi à l’ensemble de la population française.