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III. Résultats

3) Difficultés liées à l’organisation du système de soins

Ces difficultés pouvaient être regroupées en trois catégories : celles liées aux missions des dispositifs existants, celles liées aux relais compliqués sur le droit commun et leurs explications potentielles, et celles liées au travail en réseau. Tout d’abord, les dispositifs accessibles pour « les migrants avec un parcours de demande d’asile » correspondaient à des dispositifs d’orientations tels que les urgences, ou à des structures de prises en charge à court terme comme les PASS ou les EMPP.

De fait, le caractère provisoire des prises en charge ne permettait pas toujours un travail autour du traumatisme puisque ce dernier nécessitait du temps.

« Je ne suis pas sûre non plus qu’au niveau de l’EMPP, ils bossent beaucoup sur le traumatisme, la torture qui a eu lieu. C’est tellement du long terme, parce que l’EMPP aussi, c’est du transitoire ». E4

L’organisation de ces structures ne permettait pas non plus la mise en place de thérapies spécifiques puisque ces dernières requeraient un suivi régulier avec des séances hebdomadaires ce qui n’était pas réalisable en pratique.

« Comme j’ai très peu de temps, je ne peux pas m’engager dans des prises en charge très spécifiques de type EMDR, hypnose, relaxation, enfin des choses comme ça ». E12

De plus, ces structures ont pour missions de permettre un retour sur le droit commun. Or, ce passage était souvent compliqué dans la réalité, bien que des relais ponctuels parvenaient à être organisés. Certains professionnels avaient alors recours à des moyens détournés en travaillant avec des associations d’aide aux victimes, ou avec le réseau de périnatalité, ou encore avec la protection maternelle infantile pour les femmes enceintes et/ou avec des enfants en bas âge. D’autres, étaient amenés à détourner les missions initiales des dispositifs type PASS en continuant à suivre des migrants alors qu’ils avaient des droits ouverts.

« On fonctionne un peu comme un CMP pour migrants, ce qui n’est pas notre vocation ». E12

Cela conduisait forcément à une augmentation progressive de la file active sans qu’il n’y ait véritablement de rotation des personnes prises en charge avec, à terme, un risque de saturation des dispositifs.

« S’il y en a finalement plus qui restent dans la file active que ceux qui partent, avec ceux qui arrivent, je vais forcément arriver à moment où je ne pourrais plus ». E12

Cela pouvait aussi conduire à une perte de pertinence de ces dispositifs qui proposaient alors un premier rendez-vous plusieurs semaines après la demande, alors qu’il s’agit de structures ayant normalement la capacité d’être réactives en termes de délais.

« Beaucoup de premiers rendez-vous sont tellement loin que les gens ne viennent pas ». E12

Les différents professionnels interrogés ont tenté d’expliquer pourquoi ces relais étaient quasiment impossibles. Plusieurs ont avancé l’hypothèse de la barrière de la langue avec des structures extra-hospitalières n’ayant que peu de possibilités de recours à l’interprétariat professionnel. Un recours à la liste du personnel hospitalier parlant une langue étrangère pouvait alors avoir lieu, mais il nécessitait que le soignant accepte de modifier sa pratique du fait de la présence d’un tiers traducteur.

« On pourrait imaginer, des fois, des relais qui n’existent pas, notamment du fait de la langue essentiellement ». E13

D’autres ont parlé de la réticence des secteurs extra-hospitaliers, notamment les CMP, à prendre en charge ce type de public. Une des raisons pouvait être l’existence d’une file active déjà relativement

importante avec la crainte de créer un appel d’air en accueillant des migrants.

« Les CMP nous disent : Nous, on ne veut pas être phagocyté par les migrants ». E3

D’autres encore, ont fait le lien avec la sectorisation et donc avec la domiciliation des migrants en évoquant un possible amalgame entre les patients migrants et les patients SDF. Ces derniers n’acquièrent pas toujours d’adresse stable, tandis que les migrants peuvent avoir un hébergement instable durant une période mais par contre, s’installer définitivement lorsqu’ils obtiennent le statut de réfugié.

La dernière difficulté concernait le travail en réseau avec des relations parfois tendues avec les partenaires. Ceci pouvait être lié à des interprétations différentes des comportements, ou des symptômes présentés par les migrants, mais aussi à des représentations différentes des soins qui pouvaient être proposés dans le cadre de la pathologie post-traumatique. Ainsi, quand une association tentait de mettre en place un dispositif pérenne reposant sur des dispositifs des groupes, elle pouvait être confrontée à des demandes de suivi individuel pour la raison suivante :

« Souvent, les gens avaient envie d’orienter vers un psy, d’ailleurs plutôt dans un référentiel psychiatrique, un psy qui va peut-être pouvoir prescrire quelque chose et ensuite, apaiser et peut- être même clore quelque chose ». E6

On pouvait aussi retrouver une méconnaissance des missions des autres partenaires, ce qui amenait à l’orientation de public n’entrant pas dans les critères de prise en charge du dispositif. Ceci créait des tensions qui pouvaient être exacerbées par le vécu d’impuissance ressenti par les professionnels et qui pouvaient engendrer des relations de compétition entre les structures.

« Un des trucs vicelards dans cette pratique, c’est que les professionnels sont, tous, confrontés à beaucoup d’impuissance. Et du coup, cela suscite vite des rivalités institutionnelles et parfois, une incapacité à travailler ensemble ». E6