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A l’exception de l’Adjarie entre 1992 et 2003, l’offre d’opportunités de carrière ou de financements a toujours été plurielle, ce qui distingue fortement la situation actuelle de la période soviétique où le PC en avait le monopole. La compétition partisane prend, lors des élections, des formes très particulières de lutte d’un « clan » contre un autre. Les logiques d’allégeance à tel ou tel homme politique ou « businessman » entraînent des pratiques électorales particulières. Ainsi, les différentes circonscriptions sont en concurrence pour la meilleure participation, pour le meilleur score, etc. même parfois à l’encontre de la volonté des états-majors. Certains militants rapportent ainsi que lors des élections locales de 1998, l’état-major de l’UCG, voyant que le taux en leur faveur dans certaines circonscriptions dépassait les 90 %, envoyait des consignes aux administrations locales pour qu’elles abaissent le pourcentage de voix revenant à l’UCG, et obtiennent des résultats plus compatibles avec des élections démocratiques35.

On assiste donc au déplacement de la compétition au sein d’un parti ou d’une coalition, d’une part, d’autre part à l’importance des jeux en amont, du ralliement ou de la défection en fonction des résultats attendus.

Le parti du pouvoir était, sous le régime précédent, le lieu d’un certain pluralisme. E. Chévardnadzé maintenait un équilibre entre différents groupes d’intérêt cooptés. Or les orientations politiques pouvaient constituer une ligne de partage entre ceux-ci. Ainsi, son entourage se composait notamment d’un groupe d’anciens cadres issus de la nomenklatura, politiquement conservateurs et plutôt pro-russes, et d’un groupe de « réformateurs » pro-occidentaux, autour de la figure de Z. Jvania. Issu du petit parti Vert, il devient secrétaire de l’UCG en 1993, puis président du parlement élu en 1995. C’est lui qui attire à l’UCG d’autres jeunes réformateurs tels M. Saakachvili.

Les logiques d’anticipation jouent également un rôle fondamental, et les élections ne sont donc qu’une procédure d’enregistrement de changements d’équipe qui ont eu lieu en amont. Le meilleur exemple en est les élections

de janvier 2004, où tout le monde s’est rallié à M. Saakachvili après la « révolution des roses ». Dans le sud du pays, en Djavakhétie, parmi les deux « clans » traditionnels qui s’opposent étaient parvenus à se faire coopter tous deux par l’équipe d’E. Chévardnadzé, l’un est devenu chef de campagne de MS, l’autre a obtenu des candidats sur la liste de Z. Jvania – N. Burdjanadze36. On anticipe sur quel candidat miser, en amont et si l’on sait

lequel va gagner, on cherche à se rallier à lui le plus tôt possible. Le nombre de voix que l’on est capable de lui apporter constitue la marque de l’allégeance, le tribut qui lui est délivré, et autant de promesses de nomination à un poste enviable dans la bureaucratie locale. La concurrence se fait donc entre ceux qui sont capables d’assurer le plus de voix possibles, de préférence avec le moins de fraude possible.

Il est trop tôt pour juger les effets du volontarisme politique de la nouvelle équipe au pouvoir, même si les premiers résultats ne sont pas encourageants, et l’opposition plus affaiblie que jamais. Mais il est impossible d’imputer aux autorités la responsabilité entière de la difficulté à transformer le système. Les obstacles sont considérables en raison du poids des héritages soviétiques : socialisation dans le cadre du parti unique, force des réseaux informels à tous les échelons de la société, utilisation généralisée des « ressources administratives », notamment au niveau local, etc. Le mode de gouvernement d’E. Chévardnadzé, qui reposait sur l’équilibre et la concurrence entre différents clans cooptés, a pérennisé ces pratiques. De cette manière, il a pu contribuer au maintien du système politique, mais le prix à payer a été son incapacité à agir pour le bien public. Son éviction de la vie publique est imputable à cet échec.

Conclusion

Les partis ne sont pas parvenus à jouer un rôle majeur sur la scène politique, à la différence de l’Europe de l’Est. Ils n’ont pas constitué des arènes de débat, ne sont pas, ou sont peu des lieux ou des agents de socialisation. Les principaux acteurs ont toujours été les milices paramilitaires et les réseaux oligarchiques autour d’E. Chévardnadzé et d’A. Abachidzé. Le cas géorgien montre que la diversité de l’offre partisane n’est pas nécessairement corrélée au pluralisme des options politiques. La faiblesse de la scène partisane dément le présupposé – parfois partagé par les acteurs – que le passage du parti unique au multipartisme disqualifiait automatiquement de la scène politique les pratiques et logiques qui lui étaient liées et met à mal une vision téléologique de la transition.

Toutefois, les valeurs portées par le multipartisme, au-delà des pratiques qu’il a échoué à transformer, n’ont-elles pas trouvé à s’incarner dans d’autres institutions ? La montée en puissance et le rôle joué par la « société civile » lors de la « révolution des roses », et notamment par les ONG, ont pu un temps laisser penser qu’elles pourraient se substituer aux partis. La tendance, depuis 2004, est à leur affaiblissement, d’autant que leurs principaux ténors ont rejoint les rangs du gouvernement … ou des partis d’opposition. En réalité, la faiblesse des partis renvoie incontestablement à l’échec de la démocratisation.

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