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L’action de la Cour constitutionnelle en faveur d’un espace partisan pluraliste

L A C OUR CONSTITUTIONNELLE DE R USSIE ET LE PLURALISME POLITIQUE

M ARIE E LISABETH BAUDOIN

I. L’action de la Cour constitutionnelle en faveur d’un espace partisan pluraliste

La jurisprudence constitutionnelle atteste de la protection accordée à la construction d’un espace partisan. La Cour constitutionnelle de Russie est ainsi intervenue en amont, au niveau de l’enregistrement des partis politiques (A), et en aval, au niveau du déroulement des campagnes électorales (B).

A. L’INTERVENTION EN AMONT DE LA COUR

CONSTITUTIONNELLE

L’avènement du pluralisme politique requiert la réunion de certaines conditions, notamment en ce qui concerne la création et l’existence des partis politiques. Ceux-ci doivent être dotés d’une certaine lisibilité et d’une certaine représentativité. La Cour constitutionnelle de Russie a rendu plusieurs décisions qui s’inscrivent dans cette dynamique et qui participent à la stabilisation progressive du multipartisme en Russie.

Dans une décision du 15 décembre 2004 (n°18-P), la Cour constitutionnelle est venue préciser les conditions de création des partis politiques. Elle avait été saisie à propos de la loi sur les partis politiques dans sa rédaction du 11 juillet 2001, dont l’article 9 alinéa 3 interdisait la création de partis politiques sur le fondement de la profession, de la race, de la nationalité ou de l’appartenance religieuse. Dans le cadre de cet examen de la constitutionnalité de la loi, la Cour constitutionnelle a donné une définition précise des partis politiques en s’appuyant sur le rôle essentiel qu’ils jouent dans la démocratie représentative, étant chargés de garantir la participation des citoyens à la vie politique, les relations entre la société civile et l’Etat. Elle les a distingués des organisations religieuses qui sont créées pour défendre des intérêts religieux. Rappelant le principe de la laïcité, la Cour a indiqué qu’une organisation religieuse ne peut se substituer à un parti politique, elle est « au-dessus des partis et apolitique ». Un parti, à l’inverse, du fait de sa nature politique, ne peut être une organisation religieuse, il est « au-dessus des confessions et en dehors des confessions ».

En l’espèce, la Cour avait été saisie par le Parti orthodoxe de Russie – qui invoquait une violation de son droit à s’associer – ainsi que par le Parti démocrate-chrétien de Russie et le Parti « Union nationale russe » qui s’étaient vu opposer un refus d’enregistrement par le Ministère de la Justice. La Cour a estimé que la création de partis sur un fondement religieux ouvrirait la voie à une politisation de la religion et au fondamentalisme politique. De même, la création de partis sur un fondement national pourrait conduire à la domination des organes élus par des représentants des intérêts

des grands groupes ethniques, au détriment des minorités ethniques, portant ainsi atteinte au principe constitutionnel de l’égalité en droit. Soulignant le caractère multinational et multiconfessionnel de la Russie, la Cour constitutionnelle a donc conclu que le principe constitutionnel de l’Etat démocratique et laïc n’autorisait pas la création de partis politiques reposant sur une appartenance nationale ou religieuse. Elle a ainsi tracé des limites claires quant à la création des partis politiques.

La Cour constitutionnelle de Russie a rendu, le 1er février 2005, une autre

décision (n°1-P) importante pour l’évolution de l’espace partisan russe et l’avenir des partis politiques. Elle avait été saisie d’une plainte individuelle déposée par le Parti républicain de la Baltique à propos de la loi fédérale sur les partis politiques dans sa rédaction du 21 mars 2002. Cette dernière prévoyait que pour pouvoir être enregistré, un parti devait compter au moins 10.000 membres9 et avoir une assise régionale dans plus de la moitié

des sujets de la Fédération de Russie (soit dans 45 entités fédérées). Le requérant invoquait notamment une violation de la liberté d’association ainsi que de la liberté d’activité des organisations sociales (article 30-1 de la Constitution), une atteinte au caractère fédéral de l’Etat russe (article 1-1 de la Constitution) ainsi qu’une violation de l’article 13-3 de la Constitution garantissant le pluralisme politique. En l’occurrence, le requérant – le parti républicain de la Baltique –, qui avait été enregistré en septembre 1998 en tant qu’organisation politique de la région de Kaliningrad, avait été dissous en 2003 et avait perdu son statut d’organisation politique parce qu’il ne satisfaisait pas aux exigences de la loi. La Cour constitutionnelle n’a pas satisfait la demande des requérants.

Elle a rappelé que la Constitution russe est silencieuse quant à l’échelon territorial sur lequel sont formés les partis politiques (national, régional, local). De même, elle n’interdit pas la création de partis régionaux. De la sorte, la prescription introduite par le législateur quant à la création et au fonctionnement des partis au seul niveau fédéral constitue une restriction au droit constitutionnel de former un parti politique qui n’est légale que dans la mesure où elle est nécessaire à la défense des valeurs constitutionnelles.

La Cour constitutionnelle s’est alors attachée à démontrer la constitutionnalité des limitations introduites par le législateur fédéral. En effet, les partis politiques constituent une institution indispensable de la démocratie représentative garantissant la participation des citoyens à la vie politique de la société et la stabilité du système politique. C’est pourquoi le législateur est autorisé à établir des conditions supplémentaires pour la création des partis politiques. Ainsi, le législateur a distingué, à bon escient, les partis politiques des associations politiques régionales. Les partis

politiques sont appelés à former la volonté politique du peuple russe dans son ensemble et à exprimer les intérêts de la nation tout entière. Leurs activités ne sauraient être associées exclusivement à la représentation des intérêts d’une région particulière. De leur côté, les associations politiques à caractère local ou régional ne sont pas des partis politiques, et dès lors n’ont pas le droit d’utiliser le terme « parti » dans leur dénomination.

La structuration de l’espace politique ainsi opérée par le législateur est destinée à lutter contre l’émiettement des forces politiques et contre l’apparition d’une multitude de petits partis créés artificiellement (surtout en période de campagne électorale). La Cour constitutionnelle a toutefois insisté sur le caractère transitoire de cette réglementation, lié au contexte spécifique de la Russie dont la société n’est pas encore acquise aux rouages de la démocratie et à la menace que pourrait représenter la création de partis régionaux dont les intérêts pourraient conduire à détruire l’intégrité de l’Etat et l’unité du système du pouvoir d’Etat. Elle a ainsi estimé que la réglementation sur l’implantation exclusivement nationale des partis politiques participait du processus de formation d’un véritable multipartisme et d’une institutionnalisation des partis qui s’avérait nécessaire dans le contexte d’établissement de la démocratie et de l’Etat de droit propre à la Russie.

La Cour constitutionnelle a, ensuite, souligné que la Constitution russe ne contenait aucune indication sur le nombre de partis ou sur le nombre de membres requis pour constituer un parti politique. Dès lors, il était loisible au législateur de déterminer le nombre minimal de membres d’un parti politique en s’appuyant sur le principe de proportionnalité. De prime abord, cette position du juge constitutionnel pourrait apparaître comme un blanc- seing donné au Parlement – et de manière sous-jacente – au Président Poutine pour orchestrer la vie politique et empêcher l’émergence de partis d’opposition. Et ce, d’autant plus qu’entre le moment du dépôt de la saisine et son examen par la Cour constitutionnelle, la loi a été de nouveau modifiée et le seuil élevé à 50.000 membres. Cependant, la Cour constitutionnelle n’a statué que sur la requête qui lui était présentée et elle a ajouté, de surcroît, une limite importante à la discrétion du législateur, limite qui résonne en guise d’avertissement : la Cour précise, dans sa décision, que les critères quantitatifs peuvent acquérir un caractère inconstitutionnel si leur application a pour résultat d’empêcher l’exercice réel du droit de former un parti politique et si, en violation du principe constitutionnel du multipartisme, sur leur fondement, n’est créé qu’un seul parti politique. La Cour met ainsi en garde contre le spectre du parti unique mais derrière le passé – encore proche de la période soviétique – se cache peut-être également le présent et la Cour constitutionnelle rappelle peut-être à l’ordre le pouvoir actuel contre toute tentation – voire tentative – de monopole du pouvoir et de l’échiquier politique.

Près de deux ans plus tard, la Cour constitutionnelle a rendu une nouvelle décision concernant les conditions de création et de fonctionnement des partis politiques. Elle avait reçu une requête en date du 20 décembre 2004 émanant du « Parti ouvrier communiste de Russie – Parti russe des communistes » représenté par son premier secrétaire, le député V.A. Tyulkin. Ce dernier contestait la constitutionnalité de l’article 3 alinéa 2-3 de la loi sur les partis politiques dans sa rédaction du 20 décembre 2004, selon lequel un parti politique doit comporter au moins 50.000 membres et doit avoir des sections régionales d’au moins 500 membres dans plus de la moitié des entités fédérées et d’au moins 250 membres dans les autres entités. En cas de non-respect de ces conditions, le parti politique est dissous par une décision de la Cour suprême de Russie. De plus, en vertu de l’article 18.1 de la loi, lors de l’enregistrement des sections régionales du parti politique, il est requis de présenter la liste nominative des membres.

La loi conférait aux partis qui ne remplissaient pas ces conditions un délai de deux ans (jusqu’au 1er janvier 2007) pour se transformer en

organisation sociale ou se dissoudre. En cas de non-respect, la dissolution était prononcée par la Cour Suprême, comme ce fut le cas pour le parti requérant par une décision du 24 mai 2007. Selon le requérant, une telle législation portait atteinte au droit constitutionnel pour les citoyens russes de se réunir en parti politique ; en outre, l’obligation de présenter la liste des membres du parti s’apparentait à une forme de contrôle de l’Etat exercé sur le pluralisme idéologique et sur la liberté de pensée et de parole.

Dans sa décision rendue le 16 juillet 2007 (n°11-P), la Cour constitutionnelle a rappelé que le pluralisme idéologique et politique ainsi que le multipartisme sont une caractéristique première de la démocratie et que les partis politiques eux-mêmes sont l’institution indispensable à son fonctionnement dans un Etat de droit. Selon la Cour constitutionnelle, seuls des partis politiques suffisamment importants et bien structurés peuvent refléter les intérêts et les besoins de la société tout entière. De ce fait, la nouvelle législation sur les partis politiques ne constitue pas un obstacle insurmontable à la création et au fonctionnement des partis mais est une étape dictée par l’établissement d’un système partisan.

La Cour constitutionnelle a donc estimé que la nouvelle rédaction de la loi sur les partis politiques n’était pas contraire à la Constitution et qu’il était loisible au législateur d’établir certaines exigences quantitatives concernant la composition des partis dans la mesure où celles-ci n’étaient pas arbitraires mais déterminées de manière objective en fonction de l’état du système politique. De plus, ces nouveaux critères ne présentaient pas un caractère discriminatoire puisqu’ils s’imposent à tous les partis existants. La Cour constitutionnelle a invoqué à l’appui de son raisonnement la pratique qui a été faite de la loi. Il en ressort que le droit de former un parti politique n’a pas été remis en cause puisque d’après les données du ministère de la

Justice, au 1er janvier 2007, sur les 33 partis politiques existants, 17 ont

apporté la preuve qu’ils répondaient aux exigences de la législation fédérale, tandis que 3 ont pris la décision de se transformer en organisation sociale.

Par sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle encourage un multipartisme « encadré », « ordonné ». Elle contribue à structurer l’espace partisan russe. Mais le multipartisme ne suffit pas à donner naissance à un pluralisme politique réel. Encore faut-il que les partis – via leurs représentants – puissent accéder à l’exercice du pouvoir.