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L'invention et l'institutionnalisation du pluralisme partisan en Pologne à travers la codification de la compétition politique (1986-2006)

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La Revue d’Etudes Politiques et Constitutionnelles Est-Européennes a succé-dé à la Revue de Justice Constitutionnelle Est-Européenne. Elle s’inscrit dans la continuation de la démarche et de l’esprit de ses fondateurs. Elle a été conçue comme un nouvel instrument de diffusion des activités scientifiques d’un réseau de recherches articulé autour du rapproche-ment du Groupe de Recherche sur le Droit et la Transition (GRDT) de l’Université d’Auvergne et du Centre d’Etudes et de Recherches sur les Balkans (CEREB) de l’Université Montesquieu – Bordeaux IV.

Ce numéro spécial – intitulé L’expression du pluralisme politique dans le

post-communisme – symbolise cette volonté de rapprochement, puisqu’il

propose aux lecteurs les actes d’un colloque organisé et financé par l’Université de Bordeaux IV (CEREB) et l’Université d’Auvergne (GRDT).

Le Comité Scientifique de la Revue de Justice Constitutionnelle

Est-Européenne était, à son origine, composé comme suit :

Comité Scientifique :

Président : M. le Doyen Georges VEDEL (g) Antal ADAM (Hongrie – Université de Pécs) Sergueï ALEXEEV (Russie – Université d’Ekaterinbourg) Georg BRUNNER (Allemagne – Université de Cologne) (g) Youri CHOULJENKO (Russie – Institut de l’Etat et du Droit)

Patrick GUILLAUMONT (CERDI – Université d’Auvergne) Peter KRUG (Etats-Unis – Université d’Oklahoma)

Michel LESAGE (Université de Paris I) Jean-Pierre MASSIAS (Université d’Auvergne) Slobodan MILACIC (Université Montesquieu, Bordeaux IV)

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Sous la direction de

Philippe CLARET et Jean-Pierre MASSIAS

L’expression du pluralisme politique

dans le post-communisme

Les pays d’Europe centrale et orientale

et de la Communauté des Etats Indépendants

Actes du Séminaire de Bordeaux

organisé le 21 septembre 2006

par le Centre d’Etudes et de Recherches sur les Balkans

(CEREB – GRECCAP, Université Montesquieu - Bordeaux IV) & le Groupe de recherche sur le Droit et la Transition en Europe de l’Est (GRDT – OMEE, Université d’Auvergne – Clermont I)

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SOMMAIRE

Présentation du Séminaire 7 Jean-Pierre MASSIAS - Le pluralisme, fondement de la transition

démocratique ...9 Slobodan MILACIC - La consolidation de la démocratie pluraliste dans les

pays d’Europe centrale et orientale : de l'âge idéologique à l'âge politique...27 Aude MERLIN - Le pluralisme politique en Russie : destin d’une peau de

chagrin ? ...47 Marie-Elisabeth BAUDOIN - La Cour constitutionnelle de Russie et le

pluralisme politique ...63 Silvia SERRANO - Le cas géorgien : un multipartisme sans pluralisme ?.83 Jérôme HEURTAUX - L’invention et l’institutionnalisation du pluralisme

partisan en Pologne à travers la codification de la compétition politique (1986-2006) ...101 François RICHARD - Permanence et changement des clivages en Europe

centrale post-communiste : quelques réflexions après les dernières élections en Pologne, République tchèque et Slovaquie ...123 Anne GIROLLET - Le pluralisme politique par la pluralité des modes

d’expression : les initiatives populaires comme palliatif des insuffisances de la représentation ?...143

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L’

EXPRESSION DU PLURALISME POLITIQUE

DANS LE POST

-

COMMUNISME

LES PAYS D’EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE ET DE LA

COMMUNAUTE DES ETATS INDEPENDANTS

Le deuxième numéro spécial de la Revue d’Etudes Politiques et

Constitutionnelles Est-Européennes, après celui paru en 2006 sur « Les Systèmes

post-communistes. Approches comparatives », témoigne de la coopération étroite désormais établie entre le Centre d’Etudes et de Recherches sur les Balkans (CEREB – GRECCAP, Université Montesquieu Bordeaux IV) et le Groupe de Recherche sur le Droit et la Transition en Europe de l’Est (GRDT - OMEE, Université d’Auvergne Clermont 1). Ce numéro spécial de la revue, pour l’année 2007, propose une série de contributions présentées lors de la Journée d’études organisée conjointement par les deux Centres de recherches, à Bordeaux le 21 septembre 2006.

Les articles publiés dans ce dossier viennent enrichir un ensemble déjà important, il est vrai, de travaux réalisés par les politistes et les juristes sur le pluralisme politique dans les Etats post-communistes. Ils concernent, plus particulièrement, l’analyse comparée des modes d’expression du pluralisme partisan dans les deux grands ensembles de pays concernés, les pays d’Europe centrale et orientale (PECO) et ceux de la Communauté des Etats indépendants (CEI). Cette analyse repose, dans un premier temps, sur une double réflexion fondamentale : d’une part, sur les conditions d’émergence d’une société pluraliste dans des Etats profondément marqués par l’idéologie communiste (S. Milacic); d’autre part, sur la place et les enjeux du pluralisme politique dans la consolidation démocratique des Etats post-communistes (J-P. Massias).

L’analyse privilégie ensuite, pour chacun des deux groupes d’Etats, les cas les plus typiques ou les plus emblématiques du processus d’établissement et des pratiques du pluralisme partisan. Pour les pays de la CEI, il s’agit d’abord de la Russie, avec un essai d’évaluation générale de l’état du pluralisme politique aujourd’hui (A. Merlin) et une mise en perspective de la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle au regard des exigences du

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pluralisme politique (M-E Baudoin). Le cas de la Géorgie est également étudié, qui offre le paradoxe d’un multipartisme sans pluralisme (S. Serrano).

Pour les Etats d’Europe centrale, le cas de la Pologne est naturellement privilégié: d’une part, à travers une analyse socio-historique du processus de « partisanisation » et de codification de la compétition politique depuis 1989 (J. Heurtaux) ; d’autre part, dans le cadre d’une étude comparative, avec la République tchèque et la Slovaquie, concernant les phénomènes de permanence et de changement des clivages partisans dans la société politique (F. Richard).

La représentation politique démocratique rencontre toutefois, dans les Etats post-communistes, de réelles difficultés, analogues – du moins en apparence – à celles caractérisant depuis longtemps les démocraties d’Europe occidentale. C’est pourquoi, au-delà de la représentation partisane des idées et des intérêts, la question de la participation directe des citoyens doit être aussi posée dans ces Etats, au titre du pluralisme des modes d’expression politique (A. Girollet).

Philippe CLARET

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L

E PLURALISME

,

FONDEMENT DE LA

TRANSITION DEMOCRATIQUE

J

EAN

-P

IERRE

MASSIAS

Professeur à l’Université d’Auvergne

L’interaction des concepts de transition démocratique et de pluralisme est incontestable En effet, la transition démocratique se conçoit d’abord comme un processus politique, juridique et social de rétablissement du pluralisme dans un cadre étatique dont l’organisation totalitaire ou autoritaire avait artificiellement nié son existence et sa réalité. Le pluralisme est donc le but de tout processus transitionnel. Toutefois, il ne saurait être question de se limiter à cette première observation et à ne voir dans le pluralisme que la représentation d’un objectif à atteindre, il est – spécialement dans le cadre de la transition démocratique - un moyen de transformation sociale. Il participe à la construction du processus transitionnel et à l’émergence du nouveau régime et témoigne parfois des difficultés rencontrées. Il est, en fait, un phénomène d’une telle densité qu’il convient d’en préciser les aspects les plus importants.

I. Pluralisme, transition démocratique et remise en

cause du totalitarisme

La notion de pluralisme est, tout à la fois, l’objectif que vise tout processus de transition, mais également un des instruments même de celle-ci. L’exemple des Etats d’Europe de l’Est montre très clairement combien l’instillation de « doses » de pluralisme au sein des institutions de l’Etat socialiste a conduit à une contradiction, elle-même fatale au régime marxiste léniniste. Cette première illustration de la relation entre pluralisme et transition démocratique réside dans le cadre de l’application de la Constitution totalitaire et correspond à une profonde crise de celle-ci. Alors que, paradoxalement, ce mouvement s’appuie sur une volonté de renforcement du totalitarisme par l’adoption de nouvelles logiques constitutionnelles, le plus souvent, ce genre de processus va, au contraire, entraîner ou accompagner la disparition du totalitarisme et l’enclenchement du processus transitionnel.

Le moteur de cette évolution est donc étroitement associé à la notion de crise du totalitarisme et, plus particulièrement, à une forme spécifique du

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totalitarisme que l’on pourrait qualifier d’ « essoufflement » totalitaire. C’est une période qui, le plus souvent s’intègre dans un contexte spécifique : le régime totalitaire (ou autoritaire) est en place depuis une période assez longue, il a déjà complètement mis en application ses fondements idéologiques et installé l’ensemble de ses institutions. Lorsque cette crise survient, plusieurs symptômes convergents sont apparus et se développent, montrant non pas a priori exclusivement l’émergence d’un mouvement de contestation de plus en plus puissant – qui ferait d’un seul coup pencher la balance en sa faveur –, mais un affaiblissement progressif de la capacité coercitive du régime, lequel ne semble plus pouvoir fonctionner en utilisant les mêmes vecteurs de domination et se trouve dans l’incapacité de se régénérer. Dans cette situation, qui trouve son explication dans des facteurs pluriels (disparition ou vieillissement du leader autoritaire historique, effondrement du système économique, disparition des soutiens internationaux, incapacité idéologique à entraîner l’adhésion d’une partie significative de la population, limites de la répression policière) et correspond à un stade « logique » d’évolution des dictatures, le pouvoir va s’orienter dans le sens d’une stratégie constitutionnelle spécifique. Dès lors, les gouvernants peuvent être tentés par l’adoption de réformes sociales qui s’expriment au travers d’un certain nombre de révisions constitutionnelles, et dont l’objet est d’adapter le système constitutionnel afin qu’il puisse dépasser cette crise et se maintenir dans ses fondements idéologiques.

Il est d’ailleurs intéressant de relever que ces mutations peuvent revêtir deux formes principales : soit il s’agit pour les gouvernants de s’opposer à toute idée de remise en cause du régime totalitaire – les mutations ayant alors pour objet de renforcer sa capacité coercitive face à l’opposition, au risque d’accentuer les tensions, de décupler l’intensité des crises et de provoquer un choc transitionnel violent –, soit, au contraire, les détenteurs du pouvoir décident d’aller dans le sens de revendications et d’atténuer le totalitarisme, afin de lui permettre de s’adapter, avec, encore une fois, le danger d’autoriser partiellement l’expression de certains mécontentements et donc d’accentuer la pression sur le système lui-même. C’est donc par le développement d’un pluralisme limité (ou du moins par sa traduction institutionnelle) que la transition s’est amorcée et s’est accomplie. Il s’agissait pour le pouvoir en place de « relancer » le régime, ce, par une tentative d’ouverture susceptible de permettre une adhésion populaire et sans toutefois remettre en cause les fondements idéologiques existants.

La transition s’est donc développée dans le cadre de ce pluralisme « altérité » : la reconnaissance (même limitée) d’un « autre légitime » a contribué à la fois à saper l’autorité (et à exacerber les contradictions…) de l’unité du pouvoir d’Etat socialiste (elle-même censée reproduire l’unité sociale), tout en posant les fondations d’un nouveau pluralisme «

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post-totalitaire ». Cette stratégie transitionnelle pluraliste s’est notamment exprimée dans le cadre de la transition polonaise (par le biais de l’activité entre 1986 et 1989 du tribunal constitutionnel) ou même soviétique (avec la première loi électorale de 1989 conduisant à l’élection du congrès des députés du peuple de l’URSS et de la création du groupe parlementaire « inter-régional »).

La portée de ce phénomène est particulièrement forte et trouve une illustration à travers les premiers mois de fonctionnement de la juridiction constitutionnelle polonaise (à partir de 1986) dans un régime – encore – socialiste.

L’étude de la jurisprudence du tribunal constitutionnel polonais révèle, en effet, que celui-ci a – dès sa mise en place en 1986 – immédiatement joué un rôle de contre-pouvoir juridique en constituant un lieu d’expression privilégié des tensions existant au sein de la société polonaise des années 1980. En effet, saisir le Tribunal d’une contestation envers un acte juridique adopté par le gouvernement équivalait à un des rares moyens « d’officialiser » un conflit avec ce gouvernement. Auparavant, dans l’Etat socialiste, la contestation des actes des organes gouvernementaux qui exprimaient officiellement « la volonté de la classe ouvrière » ne pouvait procéder que de comportements hérités de l’époque pré-révolutionnaire et était non seulement impossible en pratique, mais inconcevable idéologiquement. Avec la création du Tribunal constitutionnel, cette contestation apparaît désormais légitime.

Ce phénomène s’exprime par l’extension du nombre des organes autorisés à saisir le Tribunal. Alors que dans l’Etat socialiste, seuls les principaux organes du pouvoir d’Etat disposaient du droit de déclencher des procédures de contrôle, la création d’une juridiction constitutionnelle correspond à un développement très important du nombre de ces organes et aussi, dans la pratique, à une multiplication de la saisine de la juridiction constitutionnelle. En effet, l’analyse des règles concernant la saisine du Tribunal constitutionnel laisse apparaître deux orientations : un accroissement quantitatif du nombre des titulaires de ce droit et, surtout, la volonté d’ouvrir cette compétence à de nombreux organes non officiels. Les apports de la loi du 29 avril 1985 sur le Tribunal constitutionnel sont donc conséquents. L’arrêté du Conseil d’Etat du 14 juillet 1979 (relatif à l’exercice du contrôle de l’application de la constitution par le Conseil d’Etat) prévoyait (toutes procédures confondues) que neuf catégories d’institutions ou de personnes pouvaient déclencher l’examen d’un acte juridique devant le Conseil d’Etat. Ce chiffre est amené à dix-sept dans les dispositions de la loi sur le Tribunal constitutionnel.

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Au-delà de l’accroissement du nombre des personnes habilitées à saisir la juridiction constitutionnelle, c’est aussi la multiplication des procédures de saisine qui reste significative.

En effet, depuis 1985, les règles polonaises prévoient deux types de recours : l’un abstrait et l’autre concret, un certain nombre d’organes pouvant, au cours d’un procès, transmettre une requête à la juridiction constitutionnelle afin que cette dernière procède à l’examen de la conformité d’un acte juridique évoqué au cours dudit procès. Cette multiplication des possibilités de déclenchement de la procédure de contrôle de constitutionnalité semble porter en germe une profonde mutation. L’ouverture de ce droit à des organes non directement gouvernants procède de la reconnaissance – implicite, mais sans équivoque – d’une possibilité de contestation par des organes non-gouvernementaux d’actes juridiques émis par les organes gouvernementaux les plus élevés de l’Etat et donc de la légitimité d’une telle relation conflictuelle dans le sens gouvernés/gouvernants, dans le cadre du contrôle de constitutionnalité, c’est-à-dire d’une rupture avec les fondements du modèle constitutionnel socialiste. Cette légitimité de la contestation est d’autant plus « affirmée » que la loi sur le tribunal constitutionnel permet de distinguer quatre groupes de requérants potentiels véritables prémices de la reconnaissance de la pluralité de la société polonaise.

Le premier groupe est composé par les organes du pouvoir politique à l’échelon central : le Parlement (par l’intermédiaire de sa présidence, mais aussi par cinquante députés ou par une commission parlementaire), l’organe permanent de ce dernier (Conseil d’Etat) et le Conseil des Ministres. Le second groupe est composé des organes politiques agissant à l’échelon des entités locales (Conseil du peuple des Voivodies). Le troisième représente les organes juridictionnels et para-juridictionnels intervenant dans le domaine de la légalité (Cour constitutionnelle, Tribunal d’Etat, Président de la Chambre Suprême de contrôle, Président de la Cour Suprême, de la Haute Cour Administrative, de l’arbitrage économique d’Etat et procureur général). Le quatrième groupe, enfin, rassemble les organes non-étatiques (organisations syndicales coopératives et socioprofessionnelles, Mouvement patriotique pour la Renaissance Nationale et indirectement les citoyens). Ainsi, chacun d’eux représente une composante de la société polonaise susceptible d’entrer en conflit avec les trois autres.

La saisine du juge constitutionnel apparaît ici, à la fois, comme pouvant révéler directement une opposition entre une décision « politiquement souhaitée » par les titulaires du pouvoir et une norme juridique supérieure, et comme exprimant également une opposition d’ordre essentiellement politique entre l’administration et les citoyens. La Cour constitutionnelle, dans un processus classique, va donc intégrer un conflit politique « de type primaire (Etat/citoyen) » dans un processus de type juridique, c’est-à-dire un

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« conflit de type secondaire » entre une norme juridique contestée et une norme de référence. Déjà vérifiée en Europe occidentale, cette intégration va prendre toute son importance dans le cadre post-socialiste remettant en cause non seulement l’idée d’illégitimité de la contestation d’une décision du pouvoir, mais aussi de l’asservissement du droit à la politique. Ce double postulat (multiplier le nombre des organes disposant du droit de déclencher une procédure de contrôle et prendre en compte les principales « tensions » de la société) débouche en Pologne sur un très large usage des potentialités ainsi offertes, comme le montre l’analyse des saisines du Tribunal constitutionnel polonais entre 1986 et 19881. Sur les 40 procédures

engagées, aucune ne trouve son origine dans la démarche d’un organe d’Etat (Diète, Conseil de l’Etat et Conseil des Ministres), une seule se rattache au second groupe. En revanche, 21 affaires ont été directement impulsées par des organes appartenant au troisième groupe (composé des juridictions et des organes chargés du respect du droit) et 18 au quatrième groupe, c’est-à-dire les organes non étatiques. Le Tribunal constitutionnel n’a finalement eu à connaître que des requêtes « ascendantes », c’est-à-dire dirigées par des organes non-gouvernementaux contre des décisions de ces derniers. Il s’agit de l’intégration d’un phénomène de contestation, donc de conflit, au sein du processus de contrôle de constitutionnalité.

Encore faut-il noter que le Tribunal constitutionnel polonais a limité le nombre des affaires traitées dans le but d’éviter d’être submergé par un grand nombre de dossiers, alors que sa position apparaissait encore très fragile. Mais cette prudence n’empêche pourtant pas le Tribunal de recevoir un très grand nombre de lettres et plaintes de la part des citoyens. D’après les services du Tribunal constitutionnel, on peut estimer que chaque année près de 600 lettres sont expédiées au Tribunal. Ainsi, en 1988, celui-ci a reçu 591 plaintes de citoyens et d’organisations diverses2 (568 plaintes

provenaient de personnes physiques et 23 d’entreprises ou d’organisations sociales et syndicales). Le point commun de toutes ces lettres est d’exprimer un conflit avec le gouvernement (ou l’administration) dans des domaines très variés, cette contestation pouvant s’exprimer directement (la lettre met directement en cause un agissement de l’administration ; en 1988 cela concernait les deux tiers des lettres) ou indirectement (la lettre attire l’attention du Tribunal constitutionnel sur la mauvaise application de ses

1 Les données concernant les origines des saisines du Tribunal constitutionnel polonais sont

extraites d’une publication éditée par cette juridiction : Informacja o istotnych problemach

wynikajacych z dzialalnosci i orzecznicta trybunalu konstitucyjnego prl w 1988 (Informations sur les

questions essentielles résultant de l’activité et de la jurisprudence du Tribunal constitutionnel de la RPP en 1988), Varsovie, 1989.

2 Toutes ces données sont extraites du recueil Informations sur les questions essentielles résultant de l’activité et de la jurisprudence du Tribunal Constitutionnel dans la R.P.P. en 1988.

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propres décisions par l’Administration ; en 1988, cela représentait 177 lettres envoyées au Tribunal).

De même, en URSS, à la suite de la réforme électorale introduisant un certain nombre de considérations en faveur d’un pluralisme limité (création de trois groupes de députés au sein du Congrès des députés du peuple, modification des règles de présentation des candidatures aux élections et abandon du principe de la candidature unique), les élections de 1989 vont révéler un développement significatif de la diversité électorale, elle-même à l’origine de la construction des bases du multipartisme, mais encore de la construction d’un pouvoir parlementaire fondamentalement stabilisateur du pouvoir soviétique.

Le premier constat qui s’impose à l’observation de la pratique est le développement d’une diversité électorale certaine. Ainsi, sur les 1500 sièges à pourvoir au Congrès des députés du peuple, seuls 384 ont donné lieu à une candidature unique. Pour 953 sièges, deux candidats se sont affrontés et les 163 sièges restants comptaient de 3 à 12 candidats par circonscription. Au total, c’est plus de 1.000 sièges qui vont donner lieu à des élections dans lesquelles apparaît un affrontement électoral.

Sur l’ensemble du territoire soviétique, 7.531 candidats ont été désignés par les assemblées d’électeurs (et autres structures habilitées), 2.895 ayant finalement passé le cap des assemblées préélectorales de circonscription. Ces observations doivent être tempérées par l’observation de certaines disparités régionales. La densité des affrontements n’a pas été la même sur tout le territoire soviétique. Dans ce cadre, trois zones semblent avoir concentré la plus grande partie des affrontements électoraux : il s’agit d’abord de la région de Moscou – où 27 sièges étaient à pourvoir et ou 82 candidats ont été enregistrés –, de celle de Leningrad – avec 88 candidats pour 15 sièges – et enfin les pays baltes – 42 sièges en République de Lituanie pour 147 candidats et 36 sièges en Estonie pour 104 candidats. Pour la République de Lituanie, plus d’un tiers des circonscriptions comptaient entre 4 et 8 candidats.

Cet ensemble de résultats va considérablement accélérer l’évolution de la société soviétique vers le multipartisme. Ainsi, un certain nombre d’enquêtes démontrent que la société soviétique, au-delà des réserves qui peuvent être faites, adhère à une conception pluraliste des relations politiques. Deux sondages, réalisés à quelques mois d’intervalle, méritent d’être comparés. Le premier a été réalisé à Moscou en février 1989 (avant les élections législatives), alors que le second a été organisé un an plus tard. Dans la première enquête, 46 % des personnes interrogées soutenaient l’introduction

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du pluralisme en U.R.S.S., ce chiffre passant à 95 % en 19903. . Les élections

législatives et le fonctionnement du parlement ont donc contribué à légitimer le pluralisme politique en U.R.S.S.

De même, les élections de 1989 vont-elles contribuer au développement des forces politiques en U.R.S.S. Sur les 1500 sièges à pourvoir au suffrage universel, 236 n’ont pas été attribués au soir du premier tour, soit en raison d’une participation trop faible, soit parce qu’aucun candidat n’avait obtenu la majorité absolue. 168 sièges ont donné lieu à de nouvelles élections et 68 à un second tour. Près de 20 % des candidats présentés et soutenus par le PCUS ont été battus. Ce fut notamment le cas dans la région de Leningrad (les premier et second secrétaire régional et le premier secrétaire de la ville ont été battus), de même les 5 premiers secrétaires régionaux en Ukraine. Les élections vont donc remplir un double rôle : favoriser l’expression des divergences existant au sein du PCUS en arbitrant ces oppositions au détriment des adversaires des changements, mais aussi autoriser progressivement l’expression d’une opposition globale au PCUS.

L’autre apport de la réforme de 1988 est d’avoir initié un processus qui va conduire le déplacement du centre de décision politique en U.R.S.S. du P.C.U.S. vers les organes d’Etat et notamment le Parlement. Ce déplacement peut se mesurer à partir de deux éléments. Le premier est d’ordre quantitatif. L’activité normative du nouveau parlement a été beaucoup plus importante que par le passé. Ainsi, en 1989, le Congrès des députés du Peuple va adopter 3 lois constitutionnelles et un ensemble de 64 actes. Dans le même temps, le Soviet Suprême de l’U.R.S.S. adopte 18 lois et plus de 210 actes. Cette activité ne se ralentira pas en 1990 (le Soviet Suprême adoptera 48 lois). Le second est qualitatif. A partir de 1989, le Congrès des députés du peuple et le Soviet Suprême de l’U.R.S.S. vont devenir des lieux d’expression des antagonismes politiques avec la constitution, sous l’autorité d’Andréï Sakharov, d’une opposition structurée : le groupe inter-régional animé par Gavril Popov (futur maire de Moscou) et Youri Afanassiev. Ce groupe, comptant près de 400 députés, va, à de très nombreuses occasions, manifester son opposition au PCUS et réclamer l’abolition de l’article 6 de la Constitution. Plus tard, il se transformera en un véritable Parti politique – le « bloc de la Russie démocratique » – et contribuera à l’élection de Gavril Popov à la mairie de Moscou et d’Anatoly Sobtchak à Leningrad.

3 Ces enquêtes sont extraites, pour la première, du Journal des élections, numéro 7, Mars-Avril

1989, p.25, tandis que la seconde est largement commentée dans Kent L. Tedin, « Popular support for competitive elections in the Soviet Union », Comparative Political Studies Volume 27, numéro 2, Juillet 1994, pp. 241 et suivantes.

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II. Pluralisme, transition démocratique et complexité

Cette association « naturelle » du pluralisme et de la transition démocratique ne doit toutefois pas faire oublier la complexité (et parfois même les contradictions) de l’idée de pluralisme.

Le développement du pluralisme (spécialement au sein d’une société post-socialiste) revient à retrouver toute la diversité sociale et à garantir son expression par le biais d’institutions spécifiques. Dès lors, il est évident qu’il ne faut pas se limiter – comme on a parfois tendance à le faire – à une vision idéologique et idéalisée du pluralisme. C’est un phénomène dont la complexité s’exprime tant par la variété de ses manifestations que par les contradictions qu’il reste susceptible de générer.

Dans ce cadre, il est important, tout d’abord, de distinguer entre le pluralisme « vertical », c'est-à-dire la diversité des idéologies et des options politiques au sein de la société (aboutissant le plus souvent à la constitution de partis politiques s’affrontant dans le cadre d’une compétition électorale), et le pluralisme « horizontal » qui autorise l’expression de la diversité nationale et ethnique par la reconnaissance de communautés sub-étatiques spécifiques disposant de droits garantis et – parfois – de statuts territoriaux particuliers. Ainsi, le processus de transition se doit de reconnaître ces deux dimensions du pluralisme, mais aussi de leur garantir une expression institutionnelle spécifique. Si le principe même de cette complexité du pluralisme ne soulève guère de débats, il convient de relever l’impact parfois négatif qu’il peut avoir sur le processus même de transition.

En effet, il apparaît souvent qu’une transition visant au rétablissement d’un pluralisme vertical soit perturbée – si l’on songe à l’exemple yougoslave ou soviétique – par les revendications horizontales. L’équilibre reste très délicat à obtenir entre deux visions pas toujours compatibles, le pluralisme vertical visant à la cohabitation au sein d’un même ensemble institutionnel de différences idéologiques et sociales, alors même que le pluralisme horizontal milite pour la consécration de l’unité spécifique de groupes humains en réaction face à une démarche d’intégration. La construction démocratique doit tenter de trouver un équilibre entre ces deux aspirations par le biais de solutions complexes et sophistiquées (fédéralisme, statut des minorités nationales), mais, le plus souvent, c’est l’idée de la sécession et de la violence qu’elle peut impliquer qui vient perturber le schéma transitionnel, voire remettre en cause le principe même de la démocratisation. Les Etats post-soviétiques démontrent assez aisément combien le détournement des aspirations horizontales peut entraîner de remises en cause du pluralisme vertical et de toute idée de démocratisation. Il y a, dans cette perspective, un paradoxe complexe à réaffirmer la légitimité du pluralisme, mais aussi – et surtout – à permettre la pluralité des pluralismes (politiques et ethniques)

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que, pour l’instant, peu d’Etats en transition en Europe centrale et orientale ont réussi à obtenir. L’exemple des Etats post-soviétiques est bien connu à cet égard : les revendications identitaires et indépendantistes réelles ou instrumentalisées qui ont trouvé dans la Perestroïka gorbatchévienne le support de leur expression ont finalement fait échouer le projet de démocratisation globale du territoire soviétique et ont entraîné l’émergence d’Etats dont le discours identitaire a très largement obéré la réalité démocratique.

Toutefois, et l’on touche certainement ici à l’essentiel de la problématique pluraliste, ce concept est porteur de contradictions pouvant remettre en cause l’idée même de transition et de consolidation démocratique. Le pluralisme, à l’expérience de l’Europe de l’Est, ne se limite pas en l’émergence – reconnue institutionnellement – de la diversité et de la pluralité, il implique aussi la construction d’un mode de régulation spécifique de cette diversité permettant à la fois son expression et la limitation des effets antagonistes qu’elle pourrait susciter.

Le pluralisme réside au sein d’une société démocratique dans la capacité de confrontation qu’il sous-tend, mais encore dans le contrôle de cette confrontation par l’édiction de règles et de standards visant à garantir à tous – et spécialement aux minoritaires – la sécurité de leur existence. Tout pluralisme réel est un pluralisme limité, assis sur un contrôle de l’intensité des antagonismes et sur la construction d’une collaboration minimale quant au fonctionnement des institutions.

Dans le cadre des Etats d’Europe centrale et orientale, cette exigence a parfois été remise en cause pour aboutir à un pluralisme limité et même dénaturé.

Le pluralisme a pu dans un premier temps être justifié, immédiatement après la proclamation du changement de régime politique, par la volonté de préserver le nouveau régime de toute possibilité de « retour en arrière ». Cela s’est alors traduit par un ensemble de dispositions constitutionnelles, lesquelles ont eu pour objet de pérenniser les acquis démocratiques, tout en pouvant revêtir des formes limitant considérablement le développement du pluralisme et des logiques démocratisantes qu’il induit.

Cette première stratégie présente une double caractéristique. D’abord, elle repose principalement sur des moyens extra-institutionnels souvent en contradiction avec les règles récemment créées par le nouveau régime. Il s’agit en fait de sauver la démocratie contre ses ennemis … au risque de se démarquer dans un premier temps des principes démocratiques défendus. On peut évidemment penser à la tenue de processus d’apuration du totalitarisme dans toutes les structures sociales (dé-communisation, ouverture des archives, réhabilitations, lustration, procès des anciens

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dictateurs…), mais aussi – et parfois – à des moyens plus radicaux (mesures illégales, mise sous contrôle de la presse, état d’urgence).

Elle peut, ensuite s’accompagner d’un discours, et parfois d’une pratique, de démocratisation rapide par la mise en place de procédures exceptionnelles de décisions (délégations des compétences parlementaires au chef de l’Etat pour « accélérer » le processus de décision et donc de démocratisation). Cette stratégie « de guerre », très souvent limitée aux premiers mois du régime démocratique, et qui prend son origine dans la période pré-constituante la plupart du temps, peut trouver un prolongement au-delà même de son contexte d’expression rationnel par l’intégration au texte constitutionnel de dispositions « légalisant » les pratiques utilisées illégalement auparavant – leur conférant ainsi une certaine pérennité – et par le développement d’une certaine rhétorique absolutiste chez les acteurs dominants, qui exprime un discours légitimant les « arrangements » avec la Constitution.

Dans ce cadre, le Droit constitutionnel révèle l’existence d’un véritable paradoxe : le nouveau régime démocratique revendique, pour sa protection, la mise en place de procédures dérogatoires et d’une véritable « légalité de crise » qui, le plus souvent, se révèle très dangereuse pour la pérennité démocratique du régime. Dès lors, les règles constitutionnelles « démocratisantes » doivent également – et prioritairement – être destinées à révoquer les pratiques totalitaires et à les expurger de la réalité institutionnelle. Ces processus de rupture d’avec le totalitarisme vont produire des effets constitutionnels spécifiques, diversifiés et parfois contradictoires. Ainsi, un des aspects les plus spécifiques et intéressants de la jurisprudence constitutionnelle développée en Europe de l’Est s’est incarné dans l’obligation de « retour en arrière » qui a été faite aux juges constitutionnels pour juger de lois qui intervenaient à titres divers, comme des mesures de réaction, de réparation aussi, face aux pratiques totalitaires antérieures. Ce type de décisions présente certainement une difficulté majeure compte tenu du contexte dans lequel il intervient et – surtout ? – compte tenu de l’affrontement d’éléments contradictoires qui se télescopent : sentiment de justice et tentation de revanche, sentiment majoritaire et légalité, Démocratie et Constitutionnalisme. Ce jugement du passé qui a pu prendre diverses formes, tant partielle que globale, apparaît fondamental. Il s’agit, au travers et au moyen du juge, pour la nouvelle société, de confronter les pratiques passées avec les valeurs de la transition. Ces mesures de réaction soumises au contrôle des Cours constitutionnelles sont intervenues dans de nombreux domaines, tant économiques et sociaux, ou encore celui du droit pénal.

Face à une première série de mesures de rétablissement de l’autoritarisme, on peut, dans un second temps, évoquer une autre stratégie

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consistant en la réinterprétation des règles juridiques dans un sens plus unilatéralement favorable à l’acteur en charge de leur exécution. Ce concept de l’interprétation autoritariste est un élément essentiel du processus étudié, tant la nature même des règles de droit autorise l’interprète à faire – selon la formule célèbre – de son interprétation un acte de volonté tout autant qu’un acte de connaissance, et que le contexte de la phase immédiatement post-constitutionnelle nécessite un très grand nombre d’interprétations pour des normes qui n’ont pas encore été suffisamment appliquées pour que leur sens soit durablement précisé. Cette pratique est d’autant plus significative qu’elle s’inscrit dans une globalité et dans une dynamique et qu’elle soulève la question des capacités du régime à pouvoir se prévaloir de ce type de conduite. Dans le cadre des nouvelles démocraties, face à une société civile en devenir et à un système partisan à reconstruire, les garanties institutionnelles sont amenées à jouer un rôle majeur de prévention de ce révisionnisme latent. La Constitution doit ici être spécifiquement considérée tant par le fait qu’elle précise, préalablement à son application, la répartition et les limites des compétences de chaque acteur, mais aussi en raison de sa structure normative, qui lui confère une autorité spécifique de nature à préserver le caractère obligatoire de cette répartition.

Toutefois, si l’instrument constitutionnel est fondamental, il ne faut pas surestimer sa potentialité : la Constitution, pour être ici un instrument de consolidation démocratique de nature à se prémunir contre cette forme de régression, doit révéler un grand nombre de caractéristiques. Elle doit, d’abord, être un texte suffisamment équilibré et cohérent pour ne pas autoriser directement ces pratiques, suffisamment précis pour ne pas conférer aux acteurs – et spécifiquement aux acteurs dominants… – une capacité interprétative trop importante et suffisamment garanti pour que parallèlement à l’auto-interprétation (l’acteur qui interprète est celui qui applique directement la disposition en cause) puisse intervenir une exo-interprétation (la disposition est interprétée par un acteur extérieur à son application et chargé de son contrôle) indépendante. Ces trois conditions juridiques doivent, pour être applicables, s’intégrer dans un environnement sociopolitique favorable, tenant à la fois à la qualité du processus constituant et aux choix institutionnels qui en découlent, ainsi qu’au contexte post-constituant dans lequel l’équilibre des forces politiques doit éviter toute domination « systémiquement excessive » d’un acteur et favoriser l’indépendance des contre-pouvoirs potentiels. Ainsi, plus qu’un instrument de consolidation démocratique, le Droit constitutionnel permet-il l’observation des mécanismes de réduction de la démocratie. Cette forme de consolidation démocratique – et donc ce risque de régression – repose sur le concept de « dénaturation de la logique constitutionnelle » : s’il n’y a pas de mesures spécifiquement dangereuses, il existe, en revanche, un certain nombre d’indices de cette dénaturation (nombre et fréquence de révisions

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constitutionnelles, diminution ou évolution du fonctionnement d’une institution…) qui, progressivement, dénaturent l’équilibre des institutions tel qu’il avait été défini dans le texte originel et font évoluer le régime vers une réalité incompatible avec ses postulats idéologiques.

Cette stratégie de réinterprétation s’intègre tout à fait dans la réflexion concernant le pluralisme. Ainsi, la nomination du Premier ministre de la Fédération de Russie démontre parfaitement comment, d’une part, la pluralité politique et institutionnelle ne « suffit » pas à l’émergence du pluralisme et, d’autre part, comment une relecture des dispositions constitutionnelles peut entraîner une régression démocratique post-transitionnelle. En effet, la Russie a connu, au cours de l’année 1998, une vie politique mouvementée, marquée par une succession de crises gouvernementales et constitutionnelles et le renvoi de deux Premiers Ministres. La Douma d’Etat saisit la Cour constitutionnelle dès la première crise, le 15 avril, alors que la candidature de S. Kirienko était présentée une deuxième fois pour investiture. Elle voulait savoir si le Président de la Fédération avait le droit de présenter trois fois au Parlement le même candidat à la fonction de Premier ministre. Il s’agissait donc d’analyser le sens de l’article de la constitution russe qui prévoit qu’après trois propositions présidentielles rejetées par les parlementaires, le Président russe pouvait prononcer la dissolution de la Douma. Cette condition constitutionnelle s’entendait-elle comme imposant au président de proposer trois candidats différents avant de mettre fin au mandat parlementaire ou bien l’autorisait-elle à proposer trois fois le même nom face à des parlementaires résistant à son autorité ? De la réponse apportée, la relation établie au sein de la pluralité institutionnelle russe relèverait du dialogue ou du bras de fer…

La décision rendue 11 décembre 1998, soit longtemps après que le Gouvernement Primakov ait été investi, fut très limitative du pluralisme russe. En effet, après que le Président Eltsine ait proposé trois fois la candidature de S. Kirienko à l’investiture de la Douma, la Cour constitutionnelle n’a pu qu’entériner a posteriori cette pratique. Elle a ainsi déclaré que l’article 111.4 autorisait le Président de la Fédération à proposer deux ou trois fois le même candidat à la fonction de Premier ministre ou de proposer chaque fois une personne différente. Dès lors, le pluralisme « altérité » fondateur de la transition fait place à un pluralisme d’affrontement et non de collaboration.

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III. Pluralisme, transition et consolidation

démocratique

Le pluralisme, enfin, dans le cadre de la transition démocratique n’est pas une notion figée, mais s’inscrit au contraire tout au long de la conduite des mutations dans une démarche évolutive, faite de réformes radicales et de consolidation progressive comme régulière de la démocratie.

Le concept de Droit constitutionnel des transitions démocratiques ne peut être seulement appréhendé dans sa dimension systémique. Il convient, par ailleurs, de replacer ce droit dans une perspective chronologique, laquelle permet de prendre en compte sa spécificité en tant que facteur de changements sociaux et de construction progressive d’une nouvelle société. Cette vision « chronologique » du Droit constitutionnel – qui reste extrêmement imbriquée dans la logique de la transition – remet a priori en cause un certain nombre de fondements de l’analyse « classique » de ce Droit et substitue une vision socio-historique de la Constitution à la conception normative. Dans ce cadre, une des fonctions de la Constitution n’est pas de produire des effets juridiques temporellement indifférenciés, mais de jouer un rôle spécifiquement défini par rapport à la période historique à laquelle elle s’applique. On peut donc ici parler d’une vision à la fois finalisée du Droit constitutionnel, sociologiquement déterminée, et temporellement limitée.

Toutefois, même si cette vision écarte un certain nombre de concepts relatifs à la neutralité du Droit ou à des considérations tenant à la validité normative des dispositions constitutionnelles comme seul mode de détermination de leur existence, il ne s’agit pas, pour autant, de nier le caractère obligatoire de la norme et de dispenser tel ou tel acteur du respect de son contenu en raison de la primauté des faits sur le Droit ou au regard de telles ou telles fonctions sociales. Il s’agit simplement de considérer que la construction d’une société démocratique reste un processus tant global – construire une société de plus en plus démocratique – que progressif, qui correspond à une logique de succession d’étapes. Dans ce contexte, la Constitution doit à la fois reproduire cette logique finale de démocratisation et respecter la spécificité de chacune des étapes nécessaires à sa mise en place. Ce concept de périodisation de la Constitution repose donc sur un découpage temporel des fonctions constitutionnelles, tout en inscrivant ce découpage dans la perspective d’une logique globale de renforcement démocratique.

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Le Droit constitutionnel de la transition s’exprime ainsi dans une succession de moments constitutionnels qui correspondent chacun à un stade spécifique d’avancée du processus transitionnel et témoignent d’une mission spécifique de la règle de droit dans le cadre de sa participation à la mutation sociopolitique. La périodisation constitutionnelle repose sur une modélisation chronologique de la Constitution et de sa finalité sociale. Cela consiste en la détermination d’étapes du processus transitionnel, lesquelles concourent à sa réalisation et à l’émergence d’un régime démocratique. Dans cette optique, on considère qu’à chacune des étapes transitionnelles correspond un « moment » constitutionnel, c'est-à-dire l’application finalisée d’un ensemble de règles et de procédures qui manifestent entre elles une cohérence suffisante pour être rattachées à la même logique. L’idée développée est alors que le Droit constitutionnel de la transition démocratique en tant que Droit du processus de construction de la démocratie se décompose en autant de sous-catégories que l’on peut déterminer d’étapes fonctionnelles de sa réalisation. Cette conception – qui fait du Droit constitutionnel un vecteur privilégié de démocratisation – implique de dépasser les limites positivistes de promulgation et d’abrogation du texte constitutionnel comme seul élément structurant son applicabilité, et, au contraire, de considérer qu’intégrée dans le processus spécifique de la transition, la Constitution reflète l’instabilité et la finalité du processus.

Dans ce cadre, l’application d’un texte constitutionnel peut témoigner de logiques et de fonctions spécifiques, lesquelles évoluent selon la chronologie transitionnelle et assignent à chaque période donnée une fonction particulière, alors même que le texte constitutionnel reste en application. Dans le cadre de la transition démocratique, l’adoption d’une Constitution n’est qu’une étape supplémentaire dans le déroulement d’un processus global et ne saurait en constituer la fin. L’adoption de la Constitution correspond au passage à une nouvelle étape et, de ce fait, représente une évolution majeure de la transition et de sa traduction constitutionnelle. Pour autant, le processus transitionnel n’est pas éteint par ce passage à une phase post-constitutionnelle. La nouvelle Constitution, tout en symbolisant une avancée du processus de démocratisation, est conçue comme un instrument lui-même démocratisant, ayant, dans cette optique, un certain nombre de fonctions à remplir et participant de ce processus. Chaque fonction peut être spécifiquement définie au regard de son implication dans le processus transitionnel et correspond à une période donnée. En matière de pluralisme, cette construction chronologique peut se vérifier par la détermination d’indicateurs sociaux qui témoignent d’une crise de la démocratisation. Il convient toutefois de relever qu’il ne s’agit pas ici de juger le fonctionnement des institutions au regard de critères extérieurs de démocratie idéale, mais au regard de critères internes. Il n’est donc pas

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question d’apprécier le niveau général de développement démocratique, mais d’étudier la dynamique démocratique de l’Etat, depuis que le processus de transformation a été déclenché et que les dispositions constitutionnelles censées structurer la démocratie naissante sont entrées en vigueur.

L’observation d’indicateurs (alternance politique, nombre de formations participant aux élections, stabilité des partis politiques, participation électorale, nombre de décisions – défavorables au pouvoir en place – rendues par les juridictions constitutionnelles…) peut révéler trois situations distinctes.

Dans un certain nombre d’Etats, les progrès démocratiques sont réguliers et substantiels, témoignant d’un fonctionnement démocratisant des institutions (même si au regard des indicateurs des Etats démocratiques « stabilisés », ces Etats possèdent encore une marge de progression importante) et en tout état de cause « globalement » conforme aux valeurs fondatrices du système. On parlera alors de « cohérence systémique » et de « consolidation démocratique », le propre de cette situation n’étant pas d’apprécier un degré de démocratie, mais un indice de démocratisation, témoignant ici d’une cohérence des institutions vis-à-vis des valeurs et d’un comportement des acteurs permettant non seulement la sauvegarde des valeurs « revendiquées » lors du moment transitionnel, mais également le développement de ces valeurs dans la société.

Dans un second groupe d’Etats, le constat est plus nuancé : le système ne connaît pas de réelle ni substantielle évolution depuis les premiers moments de la transition, et si le principe de la démocratisation est bien contenu dans les dispositions constitutionnelles et ne semble pas remis en cause par les acteurs, la stagnation démocratique révèle un certain nombre de dysfonctionnements, sans pour autant montrer une rupture fondamentale dans le système transitionnel. Ces dysfonctionnements peuvent trouver leur origine soit dans des facteurs extérieurs aux institutions (crise économique…), soit dans une inadaptation des solutions constitutionnellement retenues ou des comportements d’acteurs incapables de s’adapter à l’évolution sociale.

Il est enfin possible de déterminer, à l’aide de ces critères, un troisième groupe d’Etats qui, soit ne montrent pratiquement aucune évolution par rapport à la période totalitaire (dirigeants élus avec des scores de plus de 80 % des suffrages exprimés, absence totale de fonctionnement des juridictions constitutionnelles…), soit – et c’est certainement cet exemple qui apparaît le plus révélateur du concept de réaction anti-systémique – des Etats dont les critères retenus démontrent un recul régulier de la démocratisation depuis le déclenchement de la transition. Dans cette troisième catégorie, la dynamique de démocratisation est alors inversée et révèle à la fois une adaptation a priori satisfaisante des institutions initialement mises en place, mais aussi une

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modification du comportement des acteurs de nature à stopper puis à inverser la dynamique démocratisante. A travers ce dernier exemple, il est intéressant, suite aux constats primaires faits au regard des indicateurs, de rechercher une évolution du discours ou des pratiques institutionnelles des acteurs, et éventuellement des révisions constitutionnelles adoptées, pour tenter de comprendre les causes de ce dysfonctionnement institutionnel tardif et apprécier d’éventuelles réactions au sein du système constitutionnel ;

- le premier de ces critères prend en compte les modalités d’évolution et les formes suivies pour exprimer la réaction. Dans ce cadre, toute réaction peut être considérée a priori comme étant en rupture avec la logique démocratisante de la transition, si elle est conduite selon des procédures dérogatoires au texte constitutionnel (les formes de la révision constitutionnelle n’ont pas été respectées) ou qu’elle trouve sa justification au terme de détournements de procédures manifestes. Cette première série d’indices est d’autant plus importante que les acteurs à l’origine de ces réactions utilisent régulièrement l’argument des « circonstances exceptionnelles » pour légitimer ce type de détournement. Dans cette perspective, il est nécessaire de rappeler que le propre des circonstances exceptionnelles… est justement qu’elles soient exceptionnelles, et que ces périodes soient nécessairement limitées dans le temps ;

- une seconde série d’indices réside enfin dans une analyse globale de l’ensemble des révisions constitutionnelles opérées, des interprétations rendues et même de discours de légitimation produits dans le cadre du fonctionnement général des institutions. L’hypothèse fondatrice de cette approche est de déterminer, d’une part, s’il existe une cohérence globale du discours et des pratiques institutionnelles depuis le début de la démocratisation et, d’autre part, d’observer si la cohérence révélée indique une évolution anti-systémique du régime. Pour être conforme aux valeurs affirmées de démocratisation, le système constitutionnel doit respecter un certain nombre de principes organisationnels de base qui prohibent, par exemple, le monopole d’exercice du pouvoir en faveur d’une ethnie, d’une formation politique ou même d’une institution, le principe même d’une Constitution démocratique – et démocratisante – étant de respecter le principe du fondement populaire du pouvoir politique, d’organiser un certain équilibre entre les institutions dépositaires du pouvoir d’Etat, de permettre la contestation de décisions du pouvoir devant des organismes indépendants et de faire en sorte que ces éléments ne fassent l’objet d’aucune remise en cause substantielle. Dans ce cadre, si l’analyse combinée de l’évolution des pratiques institutionnelles démontrait une réorganisation constitutionnelle mettant en cause ces principes, par le renforcement régulier d’une institution par exemple, on pourrait valablement en déduire

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l’existence d’une stratégie de réaction anti-systémique, de nature à remettre en cause l’idée même de démocratisation.

Ces quelques propos introductifs n’ont pour objet que de souligner des paradoxes de départ concernant le thème de nos travaux. Les interventions qui vont être faites au long de cette journée vont nous permettre d’approfondir, de compléter et – j’en suis certain – de dépasser ces réflexions.

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(27)

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A CONSOLIDATION DE LA DEMOCRATIE

PLURALISTE DANS LES PAYS D

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CENTRALE ET ORIENTALE

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GE IDEOLOGIQUE A L

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LOBODAN

MILACIC

Professeur à l’Université Montesquieu - Bordeaux IV Directeur du Centre d’Etudes et de Recherches sur les Balkans

Le système pluraliste, qui est l’appellation scientifiquement et politiquement « contrôlée » pour l’Etat de droit – démocratique, semble aujourd’hui poser quelques problèmes à toutes les démocraties. Aussi bien aux « vieilles » démocraties, dites « avancées », qu’aux « jeunes démocraties » en construction1 de l’ex-Est européen. Le constat est important à dresser

d’emblée, puisque les pays de l’Europe Centrale et Orientale trouvent leurs sources d’inspiration, référents de « standardisation » et logistiques d’« aide et soutien », dans les systèmes démocratiques occidentaux, notamment européens. Or, dans les démocraties avancées, qui servent d’exemple, on observe en général une « crise », un « déclin » ou, en tout cas, une « mutation » du politique2 et de sa primordiale structure pluraliste. On

1 En transition ou en consolidation.

2 Au profit de l’économique, du scientifique ou de l’idéologique.

Le Marché devient le référentiel primordial, voire écrasant, avec ses valeurs et logiques (rationalité) propres, qui pénètrent plus ou moins glorieusement ou, alors, implicitement, tous les autres champs de la vie collective et les réflexions qui les accompagnent. Il en va aussi du Droit et de la Science politique, largement conquis par la sémantique conceptuelle propre à l’économie du marché. Le culturel subit, lui-même, dans les faits et dans les idées, l’emprise de la logique marchande, s’exclament quelques auteurs critiques.

La Science semble désormais devenir, à la place du politique, le critère préféré de la légitimation. A ce titre, elle préside de plus en plus souvent aux arbitrages, toujours au nom de la démocratie, alors que la démocratie n’est pas un système scientifique, avec une gouvernance fondée sur la vérité alias rationalité technocratique. Le génie propre du système démocratique est d’ordre politique et consiste à arbitrer entre les idées politiques, derrière lesquelles se profilent des valeurs générales et des intérêts particuliers. La démocratie pluraliste assure et assume la gouvernance des différences, tensions et conflits inter-pluralistes, au nom de l’intérêt commun, global ou « général ». La sémantique à la mode préfère évoquer « la concurrence » ou « la compétition », plus proches du langage économique.

Malgré le mythe « en vigueur » sur le déclin, voire la disparition des idéologies, il semble qu’il s’agisse d’un leurre. Car, si le conformisme consensualiste ambiant écrase la diversité

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constate d’abord une dépréciation de la différence légitime comme valeur fondatrice. Le consensus et la convergence deviennent plus légitimants que « la simple majorité », et l’opposition, de son côté, risque d’être considérée comme un obstacle au consensus, voire comme la contestation radicale – dissidente – du système et non seulement du pouvoir en exercice. Cette éclipse du principe pluraliste (comme valeur fondatrice) et du débat démocratique3 (qui en est en quelque sorte le débouché procédural) se

concrétise à travers le malaise des partis politiques, principaux vecteurs des identités politiques et la dilution des idées politiques, qui en sont la substance.

De ce fait, la qualité représentative du débat public et de la délibération collective s’en trouve affaiblie, en termes d’idées et de diversité, et avec elle la signification pertinente du vote. Celui-ci n’a de sens que celui que dégage la confrontation préalable des idées, émanations des identités politiques. Or, celles-ci relèvent d’une expression collective, comme tout le politique. C’est pourquoi le rôle des partis reste, malgré tout, irremplaçable, en tant qu’agents « cristallisateurs » ou « condensateurs » des identités plurielles. Les constitutions démocratiques l’affirment très clairement de nos jours. Et pourtant, en même temps, on observe avec le néolibéralisme un certain retour à la démocratie individualiste des débuts, celle d’avant les partis politiques modernes. On constate une promotion nouvelle4 de la

« démocratie citoyenne »5 (comprise au sens de la somme des citoyens

individuels), de la « démocratie des droits »6 (surtout « fondamentaux »

c'est-à-dire individuels, de l’homme ou, éventuellement, du citoyen), voire même de la « démocratie d’opinion »7 (qui, elle aussi, au jour le jour et au coup par

coup, transcende, voire ignore les clivages politiques partisans). Cette tendance nouvelle et forte du néolibéralisme comprime la démocratie pluraliste en la privant d’une bonne partie de sa pertinence, voire de sa

idéologique au profit des « valeurs communes » ou « partagées », la pensée unique ou, en tout cas dominante, est par excellence idéologique. C’est elle qui dicte l’unique « politiquement correct », en évacuant tout choix réel, toute alternative légitime. Le discours sur « le patrimoine commun des valeurs » fondamentales, ainsi que les droits (et éventuellement devoirs) qu’elles génèrent est global (à vocation universelle) et cohérent. Il a toutes les caractéristiques d’une vraie idéologie. Ce n’est pas parce qu’il a tendance à devenir le discours unique (par sa globalité et sa sonorité) qu’il est moins idéologique ; bien au contraire.

3 Au sens large, impliquant le « débat d’idées » et la délibération collective – politique –

incluant la négociation (comme processus) et le compromis (comme résultat).

4 Dans les discours surtout, en tant que référentiels récurrents, mais aussi en tant

qu’institutions et pratiques émergeantes.

5 « De participation » ou « de proximité », par définition toujours très localisée…

6 Qui tend, formellement ou implicitement, à devenir la nouvelle appellation générique de la

démocratie.

7 Dont la forme dominante est celle de l’enquête d’opinion par sondage. L’échantillon

statistique étant constitué par les représentants individualisés des différentes catégories sociologiques de la société civile et non point politiques.

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performance systémique. En ébranlant la légitimité des partis (et, par effet induit, celle du politique), on atteint l’efficacité des arbitrages pluralistes, au profit des valeurs et techniques libérales, primordialement individuelles. Désormais, les droits de l’homme (en tant que droits individuels) et même les droits du citoyen (saisi dans sa dignité propre, en tant que citoyen – individu – d’abord) ont tendance à s’articuler sur les normes directement régulatrices du « marché politique », critère de légitimité qui monte en puissance au détriment des institutions représentatives classiques (parlements et partis, notamment). Dans les démocraties bien établies, consolidées et même culturellement enracinées, le pluralisme politique8

s’éclipse au profit de l’Etat de droit ; la culture politique, même pluraliste et concurrentielle, semble s’affaiblir au profit de la culture juridique, légaliste et conformiste, puisque le positivisme postule une lecture unique du « sens et de la portée » des textes et de leur esprit. La logique principale de l’Etat de droit étant celle de la fidélité, de l’orthodoxie ou de la proximité par rapport au texte, par rapport à l’intention de ses auteurs9 ou au contexte (générateur

ou celui d’application).

Mais, ceci rappelé, la logique de l’Etat de droit est essentiellement moniste : la norme ne peut avoir qu’un sens légitime, celui de sa conformité avec les exigences de la hiérarchie des normes. La constitution ne peut donner lieu qu’à une interprétation « authentique ». La vérité et la légitimité ne sont pas ici partagées. La concurrence n’y a pas sa place, sous forme de négociation débouchant sur le compromis, décision politique c'est-à-dire arbitrale par excellence. La décision juridictionnelle qui, par excellence, « dit le droit », n’obéit pas à la logique démocratique.

C’est pourquoi il est nécessaire de prendre pleinement conscience du fait que notre système est complexe, constitué par une étroite et fondamentale symbiose entre le juridique et le politique ; entre l’Etat de droit et la Démocratie politique, stricto sensu. Car, la norme n’est légitime en démocratie que si les conditions politiques de sa légitimité sont réunies. Une norme juridique, dans un système démocratique, alias pluraliste, n’est efficace, de façon durable (ce qui est sa vocation principale) que si elle exprime un compromis équilibré10, c'est-à-dire si elle est issue d’une négociation

8 Qui ne se confond, en aucune manière, avec « la diversité des idées et des opinions » qui est

une référence à la fois chaotique (au jour le jour, selon le rythme médiatique) et individuale (les regroupements conjoncturels – transidentitaires).

9 Constituants, législateurs, juges, gouvernements éventuellement. 10 Entre les valeurs, idées et intérêts en tension ou en conflit.

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pluraliste adéquate11. C’est la légitimité de la norme en amont qui garantit

son efficacité en aval12.

Dans ces conditions, l’Etat de droit peut-il gagner là où la démocratie politique perd ! Ou réciproquement ?

C’est dans cette perspective de l’équilibre, à la fois fondamental et délicat, entre le juridique et le politique, entre l’Etat de droit – libéral et la démocratie politique (à la fois majoritaire et oppositionnelle), qu’il apparaît nécessaire (ou utile) de ressourcer nos systèmes à ce que nous avons appelé, par esprit de symétrie, le « néodémocratisme »13.

Dans les pays postcommunistes, la problématique en émergence au sujet de la construction d’un système politique – pluraliste et, a fortiori, d’une culture pluraliste destinée à l’enraciner, se présente de façon nouvelle. La culture pluraliste y est même largement à inventer, après un long règne de l’autoritarisme traditionnel et du totalitarisme marxiste, au moins aux débuts et avant l’usure ! Avec, cependant, quelques ouvertures historiques des régimes représentatifs, plus ou moins libéraux, durant le XIXe siècle ; puis, quelques expériences de régimes démocratiques – parlementaires – plus ou moins fragiles, entre les deux guerres mondiales.

Or, ces pays accèdent aujourd’hui, pour la plupart, au stade de la consolidation démocratique qui ne peut se concevoir – durablement – sans une culture pluraliste. Autant la réforme de la transition juridique par l’Etat de droit pouvait paraître relativement facile et, par conséquent – rapide, autant la culture, elle, ne se décrète pas, mais se construit selon le rythme générationnel, dans la durée historique, propre à la mutation des valeurs et des mentalités14. La consolidation est toujours culturelle, nous semble-t-il.

Pour s’enraciner durablement, dans les contextes relativement nouveaux des pays postcommunistes, l’Etat de droit, plus ou moins « importé », doit être accompagné par un processus de culturation juridique. C’est à cette seule condition qu’il deviendra une réalité sociale crédible, efficace et durable.

11 Représentative du pluralisme des forces ou des tendances plus ou moins « profondes » ou

stables, en présence.

12 La norme juridique est, à son tour, un phénomène complexe. Sa nature, voire sa substance

même est, à la fois, politique et juridique. Elle épouse la forme juridique ainsi que les moules des concepts juridiques. Mais son contenu est l’expression d’un compromis politique, auquel on aura toujours un recours utile pour en dégager « le sens et la portée ».

13 Pour des développements plus systématiques et plus amples autour de cette idée, voir notre

analyse « Faut-il réinventer la démocratie ? Du “néodémocratisme” pour rééquilibrer le “néolibéralisme”», in Revue hellénique des droits de l’homme, 2005, n°27, pp. 725-739 et la revue

Politéïa, 2004, n°6, pp. 445-453.

14 On se souviendra utilement de la formule célèbre du sociologue allemand, Ralf

Dahrendorf, dans les années quatre-vingt dix, qui disait, en substance, qu’il faut six mois pour faire une constitution, six ans pour organiser le marché et soixante ans pour construire une culture libérale et démocratique.

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C’est encore plus vrai pour la démocratie, système politique pluraliste qui avait commencé, lui aussi, par le droit politique, plus ou moins formel. Le Droit constitutionnel, d’abord, noblesse oblige, mais aussi droit électoral, parlementaire, celui des partis politiques (création, financement, etc.) et quelques autres règles concernant le nouveau marché politique et sa régulation.

Mais, tout comme dans le cas de l’Etat de droit transitionnel, qui doit être accompagné par une culture juridique adéquate pour passer du stade formel à celui du droit réel, dans le cas de la démocratie, aussi, le droit politique ne suffit pas ; encore faut-il une culture pluraliste pour qu’il puisse produire ses pleins effets attendus. Et la culture pluraliste – politique se construit principalement à travers les partis politiques et le système de partis qui en sont le noyau dur. Les partis pour exprimer les principales différences et le système de partis pour rendre efficace la gouvernance.

I La consolidation démocratique par

la culture pluraliste

La démocratie comme système politique15 et comme tout système social

d’ailleurs, ne se définit que dans la durée ; à travers sa capacité de répondre efficacement à toutes les diversions, voire perversions internes et à toutes les provocations ou agressions externes. Par hypothèse, il n’y a de système que stable, capable de s’autoréguler sur la base de ses principes fondateurs. C’est en cela que l’on peut prétendre que la consolidation est la dernière étape de

15 La démocratie, comme système politique, s’oppose aux grands systèmes idéologiques, alias

totalitaires, qui ont dominé le XXe siècle : le marxisme, le fascisme et le nazisme. Elle postule l’autonomie du politique, comme un débouché du principe général de l’autonomie de la volonté, à la base de tous les systèmes libéraux. Or, comme « le politique, ce sont d’abord les idées », il s’agit essentiellement de l’autonomie du jeu des idées politiques. Par ailleurs, la démocratie est fondamentalement politique, sans dogme fondateur, religieux ou idéologique, si ce n’est le principe pluraliste qui est, en réalité, un principe anti-dogmatique. Il s’agit, en effet, d’un système laïc au sens large du concept. En tant que tel, le système qui est le nôtre a commencé sa construction historique – fondamentale bien qu’indirecte – à partir du XVIe « siècle italien », puis du XVIIIe « siècle français » ; celui de la Renaissance ayant entamé la séparation du religieux et du civil et celui des Lumières ayant fait éclore la Raison compréhensive, critique et analytique. Ainsi, l’autonomie du politique que postule la démocratie, avec tout le poids spécifique des idées et des choix rationnels qu’elle implique, permet-elle d’endiguer les velléités dominatrices et finalement totalitaires de toutes les idéologies gouvernantes, de tous les dogmes fondateurs. Aussi bien le dogme marxiste (classiste), fasciste (corporatiste) ou nazi (raciste) d’hier, que l’idéologie nationaliste, populiste, voire économiste, en émergence aujourd’hui.

La substance même du principe pluraliste est anti-dogmatique, précisément parce qu’il prévoit non seulement la coexistence, mais aussi la collaboration (au moins systémique, à défaut d’être politique) des concurrents légitimes au sein de la même règle du jeu.

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nos
jours,
on
trouve
 un
peu
partout
des
journées
ou
ateliers
contes.
Proche
d'une
séance
de
psychanalyse,
ces


Dans la suite de Lacan et au-delà, est présenté un dispositif qui prend en compte la relation au réel et la symbolisation analytique, et qui tient à s’écarter de la passe selon

Problème au sens de problématique scientifique et didactique, problématique scolaire, problème au sens d’énigme, problème reformulé par l’élève dans un