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Joanne CLAVEL

Université de Liège. Médiation esthétique et théorie de la réception.

MOTS-CLÉS : ÉCOLOGIE – MÉDIATION – ART ÉCOLOGIQUE – DANSE –

VULGARISATION

RÉSUMÉ : Les chercheurs en Écologie sont confrontés à l’urgence d’enjeux sociétaux : réduire

rapidement les pressions anthropiques sur les milieux naturels. La communication avec le public est donc le prolongement indispensable de leurs recherches. Nous étudierons l’art comme outil de médiation de l'Écologie en focalisant notre propos sur des artistes principalement nord américains en présentant des démarches de plasticiens et de chorégraphes.

ABSTRACT : Ecology researchers have to deal with an urgent social issue : rapidly reduce human

pressures on natural environments. Communication with the public is a crucial extension of research. We will study Art as a scientific mediation of Ecology focusing our discussion on North American artists, by presenting approaches of plastic artists and choreographers.

J.-L. MARTINAND et É. TRIQUET éditeurs, Actes JIES XXX, 2009

1. INTRODUCTION

L’utilisation grandissante de la nature par l’Homme et les changements globaux menacent fortement la biodiversité au niveau du globe (Chapin et al. 2000). C’est dans le cadre de cette prise de conscience qu’est née, en écologie, la biologie de la conservation, (Soulé, M. 1986). Pour cela les écologues utilisent différents outils (Rosenzweig 2003) qui focalisent soit directement sur la biodiversité par la réhabilitation ou la mise en réserve d’espaces naturels soit indirectement sur la réduction des pressions anthropiques et la prise de conscience générale des enjeux sociétaux (Clavel & Servais submitted). La transmission au public est donc, pour les écologues, le prolongement indispensable de leurs recherches : il faut faire savoir pour tenter de provoquer des changements. Une grande quantité d’informations a été transmise par les médias classiques et des avancées notables sont à relever. Par exemple, en 2002 lors de la conférence de Johannesburg, 190 pays se sont engagés à réduire l’érosion de la biodiversité d’ici 2010 (Balmford et al. 2005). Ou encore, l’intérêt suscité par le changement climatique permet de mobiliser les politiques internationales avec une rapidité sans précédent (même si cet intérêt résulte de la conjonction de facteurs qui n’ont

a priori rien à voir avec une éthique environnementale (Collin 2002).

Il s’avère aujourd’hui que la vulgarisation scientifique classique ne permette pas la prise de conscience attendue (Simon 2006). D’abord, la diminution des pressions anthropiques sur la biodiversité exige une réorganisation sociétale, un changement de comportement individuel et collectif que l’on peut illustrer par la mise en place d’un Développement Durable qui repense entièrement l’économie actuelle (Boullier 2002, Latour 2002). Ensuite, la médiation elle-même de l’écologie est mitigée, elle ne permet pas d’envisager un changement de comportement individuel. En effet, le discours culpabilisant et moralisateur sur nos devoirs envers certains non humains ne permettait ni un dialogue ni, a fortiori, de rendre le public acteur. De plus, ce sentiment de culpabilité s’est porté au niveau individuel alors que les pressions anthropiques majeures portent sur les activités industrielles collectives comme par exemple nos systèmes de production alimentaire. Une médiation artistique des sciences pourrait constituer une alternative ou un complément prometteur à la médiation classique (Simon 2006). Si d’un côté l’écologie, et plus particulièrement la biologie de la conservation, s’inscrit dans une démarche interdisciplinaire en y associant les sciences humaines et économiques, les éco-artistes synthétisent de leur côté les représentations, les pratiques sociales et les dimensions biologiques ou physiques d’un milieu. Il peut être utile de faire le point sur ces démarches convergentes.

Dans cet article nous reviendrons, dans un premier temps, sur la notion de médiation afin de cadrer notre propos. Puis nous étudierons l’art comme outil de médiation de l'Ecologie en focalisant notre

J.-L. MARTINAND et É. TRIQUET éditeurs, Actes JIES XXX, 2009

propos sur des artistes principalement nord américains en présentant des démarches de plasticiens et de chorégraphes.

2. LA MÉDIATION ÉCOLOGIQUE UN RENOUVEAU ÉSTHETIQUE ET ÉTHIQUE ?

Le terme « médiation » est aujourd’hui largement utilisé dans une multitude de domaines et revêt différentes définitions, nous le déterminons ici comme la relation entre l’individu et le collectif (Servais 2005). Ainsi, la médiation confère à la fois la prise en compte d’une singularité et le renvoi à des normes. De ce point de vue, le terme « médiation » est un concept décrivant un phénomène qui est au fondement de toute culture et qui en explicite, parallèlement à d’autres approches, la dimension communicationnelle (Servais 2005). Dans le domaine des sciences de la communication, le terme « médiation » remplace celui de « communication » afin de sortir de l’idée de contrôle de message et de manipulation du récepteur, il réhabilite la place du destinataire par une « appropriation singulière du collectif ». La médiation classique engage une relation pédagogique et un engagement du public à distance. On peut même proposer que l’écologie scientifique subit une médiatisation plus qu’une médiation, c'est-à-dire que le discours de l’écologie se coupe de son récepteur en fonctionnant sur l’indistinction du particulier (Servais 2005). Et lorsque le discours sur l’écologie reprend la prise en compte de sa réception c’est dans un contexte de culpabilisation ne permettant pas une appropriation personnelle complète.

La médiation par l’art permet de s’adresser à un public de façon productive et non passive, par l’affect et par l’interprétation qui lui sera complètement personnelle. De plus, sa dimension esthétique inscrit l’échange partagé entre l’œuvre et le récepteur dans le travail des formes, dans l’expérience vécue à travers le plaisir des perceptions sensorielles et celui du sens symbolique (Lamizet 1995). Les deux arts que nous allons étudier ici, à savoir l’art plastique et l’art chorégraphique, sont non langagiers. Ainsi ils deviennent des outils interculturels contournant la barrière linguistique ce qui va aider à sa diffusion (Lipiansky 1995). La danse quant à elle engage particulièrement le spectateur qui s’identifie, par des réseaux complexes sensoriels, au corps du danseur. Par un effet miroir, le corps de l’autre immerge le récepteur qui reste « autre » par la conscience de son propre sens gravitaire (Bernard 2001). Ainsi, une pulsion auto affective imprègne le spectateur, dimension auto affective ou auto réflexive définie par Michel Bernard comme « ce désir constitutif de tout processus expressif, au sens étymologique du mot, du retour de la corporéité à et sur elle-même dont toute manifestation visible n’est que l’ombre portée de sa dynamique invisible. » (Bernard 2001, p. 209). Cette notion d’immersion est commune aux deux arts étudiés ici. La contemplation, si présente dans toute l’histoire de la représentation picturale, est bouleversée

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par les éco-artistes et par l’art contemporain plus généralement. La propagation des idées scientifiques de l’écologie a développé une « esthétique verte » qui s’exprime dans les arts plastiques « l’expérience » de la nature, sa présentation et non plus sa représentation. Ainsi, comme le développe Loïc Fel dans sa thèse (2008), l’esthétique verte implique le récepteur comme l’artiste au coeur même de la nature dont l’idée développée ici est très proche de la notion d’écosystème c'est-à-dire un ensemble complexe d’interactions, dynamique dans le temps et dans l’espace. Nous sortons du cadre de la relation esthétique contemplative et statique pour aboutir à une relation d’échange constant, une esthétique tournée vers l’expérience (Fel 2008). Cette inclusion de l’homme au cœur même de la nature, cette décentralisation de l’expérience concerne ainsi le rapport à l’éthique et dans ce cadre la relation est plus complexe.

Les expériences n’ont plus les mêmes critères et notamment elles ne se fondent plus exclusivement sur des codifications formelles du beau. De plus, une certaine éthique vis-à-vis de la Nature basée sur un principe de responsabilité environnementale s’intègre pleinement dans ces nouvelles expériences. Ceci est particulièrement vrai en art plastique où le mouvement d’éco-artistes s’engage aussi sur les modes de production et de fabrication des œuvres. Dans ce cadre l’éthique environnementale apparaît comme un principe structurant l’expérience esthétique. En parallèle la philosophie et le développement des éthiques environnementales aident à repenser le rapport des hommes avec la nature ou le rapport des humains avec les non-humains. On ne se limite pas à des considérations éthiques portant sur la technique mais on repense la morale, les droits et les devoirs que la cohabitation homme/non-humain nécessite (Larrère 2009). Ces philosophies se déclinent en différents courants en passant historiquement par une vision utilitariste de la nature, à une vision plus « bio-centrique » donnant une valeur intrinsèque à la nature et l’intégrité du vivant jusqu’à l’« éco-centrisme » où la responsabilité humaine est élargie à une communauté de non humain (Larrère 2001). Enfin, quand l’objet de la médiation porte sur des enjeux sociétaux, comme dans le cadre de l’écologie, la question de la réception individuelle s’élargit aux devoirs moraux et éthiques. Le récepteur objet sensible peut-il être au même moment un récepteur « citoyen de la Terre » ?

3. ART PLASTIQUE

Un mouvement écologique d’artistes issu du « land art » a vu le jour dans les années soixante. Le

Land art s’inspirait directement de la nature en la prenant comme matière première, conduisant

souvent à de grandes constructions éphémères et cherchant l’expérience d’une œuvre par un public plus que sa matérialité (Lailach et Grosenick 2007). Loin des pelleteuses modelant le paysage architecturalement, une seconde génération d’artistes de ce courant a donné une valeur, un respect à