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PLACE ET FONCTION COGNITIVE DE L’IMAGE DANS L’ALBUM ET LA SITUATION DIDACTIQUE

LE DESSIN DE FICTION : SOURCE DE QUESTIONNEMENT SCIENTIFIQUE ET ÉPISTÉMOLOGIQUE EN BIOLOGIE

MOTS-CLÉS : DESSIN DE FICTION – ÊTRE VIVANT – ALBUM DE JEUNESSE – RÉCIT

2. PLACE ET FONCTION COGNITIVE DE L’IMAGE DANS L’ALBUM ET LA SITUATION DIDACTIQUE

2. 1 Une brève analyse a priori de l’album

Le récit de fiction Un poisson est poisson présente la particularité de référer intimement à des phénomènes biologiques dans le sens où le ressort de l’intrigue repose sur la compréhension de notions relatives au vivant (Bruguière et all, 2007b). Dans ce récit illustré, l'image investit l'ensemble de la double page et s'étend à fond perdu alors que le texte s'inscrit dans un espace « désémantisé » de l'image, c'est-à-dire à un endroit où l'on ne trouve pas de représentations figuratives porteuses de sens (Van der Linden, 2006) ; le texte tend d'autant plus à faire partie de l'image que la frontière de la page ne sépare pas ces deux instances. C'est un document scripto- visuel, qui donne un texte à lire et des dessins à voir de façon associée, dans lequel on peut considérer que l’unité visuelle est la double page. On en dénombre quatorze. Chaque double page suit le même protocole graphique ce qui permet une grande homogénéité visuelle et une continuité

J.-L. MARTINAND et É. TRIQUET éditeurs, Actes JIES XXX, 2009

de lecture d'une double page à l'autre. Ainsi, la ligne de séparation entre l'eau et l'air se répète d'une page à l'autre dans une parfaite continuité. Tantôt précise, tantôt floue, elle entraîne le lecteur sous le niveau de ce tracé, parfois au-dessus. Le jeu graphique fonctionne par couches réparties en zones, mais l'ensemble reste plat. Les dessins, crayonnés au pastel par un système de hachures colorées légèrement, offre des formes qui ne sont pas cernées et donc non closes ; le passage de couleurs s'opère aisément des personnages au décor. Ce fondu visuel renforce l'idée d'intégration matérielle et sensorielle des protagonistes (le poisson et la grenouille) à leur environnement. La gamme colorée correspond au code des couleurs du poisson, de la grenouille, de l'étang et des berges : l'eau est bleue, parfois teintée de vert, la terre est brun rouge, les plantes aquatiques vertes… Ces choix chromatiques donnent un caractère de vraisemblance aux personnages et à leur environnement. Notons que la grenouille et le poisson sont vêtus de la même couleur verte travaillée de rouge, que leurs expressions sont semblables ce qui leur donne un « petit air de famille ». Cette connivence visuelle matérialise la relation amicale et crée le paradoxe entre ressemblance physique et appartenance à une espèce différente, à l'origine des diverses questions scientifiques posées par ce récit. Toutefois, les modalités de représentation d'un monde référant au réel sont rompues lors des projections imaginaires du poisson. Le monde imaginaire ne s'exprime pas de façon identique à celui de la réalité, car les couleurs y sont vives, l'espace y est indéfini, et la ligne de niveau d'eau disparaît. Ces représentations donnent à voir une reconstruction d’un réel à partir d’éléments connus qui nous semblent particulièrement intéressante pour s’interroger sur ce qu’est un être vivant, sur ce qui en fait son unité. Prenons l’exemple de la double page n° 7 de l’album qui visualise comment le poisson se représente une vache à partir de la description que lui en fait la grenouille et de ce qu’il connaît des êtres vivants.

La double page n° 7 de l’album Un poisson est un poisson (Lionni, 1981)

Le poisson imagine une vache par rapport à des caractéristiques relatives au poisson. Ainsi, les écailles sont remplacées par des poils ; des pattes, un pis et des cornes apparaissent sur un corps

J.-L. MARTINAND et É. TRIQUET éditeurs, Actes JIES XXX, 2009

conservant une morphologie de poisson. Ce dessin de vache présente des caractéristiques physiques nouvelles qui semblent pour le poisson, suffisantes pour caractériser une vache et pour le lecteur, non pertinentes. C’est dans ce conflit cognitif créé par les deux points de vue, celui du personnage et celle du lecteur que se situe pour nous un espace propice au questionnement scientifique et épistémologique, car ici le savoir scientifique apparaît comme quelque chose de discutable. C’est ce que nous avons voulu exploiter dans le cadre de la situation didactique proposée au sein de l’atelier.

2. 2 La situation didactique

La situation de dessin dans laquelle ont été plongés les participants de l’atelier s’inspire donc de celle vécue par le poisson à la double page n° 7 et peut être considérée comme une situation-image au sens de Mottet (1996). Elle se décompose en trois temps dont nous précisons ci-après les objectifs :

- 1er temps : une lecture du début de l’album (double page n° 1 à 6), avec présentation des

illustrations de l’auteur, est faite aux participants afin qu’ils rentrent dans le récit et que l’identification au poisson soit possible au moment de la réalisation du dessin. L’intrigue produit par la lecture de ces six premières double pages peut se résumer comme suit : deux amis inséparables, un poisson et un têtard vivent au fond d’un étang jusqu’au jour où le têtard devenant une grenouille quitte l’étang pour le monde terrestre. De retour au bord de l’étang, la grenouille décrit au poisson les « choses extraordinaires » qu’elle a rencontrées.

- 2e temps : Il est demandé à chacun des participants de se mettre à la place du poisson qui

imagine « les choses extraordinaires » décrites par la grenouille et de dessiner selon ce point de vue imposé, une vache telle que le poisson pourrait se la représenter. Les participants n’ont pas connaissance de la représentation « poisson-vache » de l’auteur. La description de la vache donnée par l’auteur via la grenouille est en revanche fournie aux participants : « Des vaches »,

dit la grenouille. « C’est drôle, les vaches ! Elles ont quatre pattes, des cornes, elles mangent de l’herbe et elles portent des sacs roses pleins de lait ». L’enjeu est ici d’opérer chez les

participants un changement de point de vue nécessaire pour qu’ils puissent jouer dans leur dessin sur des variations par rapport à la vache réelle qu’ils connaissent.

- 3e temps : par groupe, les participants comparent leurs dessins « vache » et dressent un tableau

qui met en relief leurs points communs et leurs différences. L’enjeu est ici de faire apparaître la limite entre les dessins « vache » et les dessins « non vache » pour pouvoir distinguer ce qui est essentiel de ce qui ne l’est pas pour reconnaître mais aussi identifier une vache.

J.-L. MARTINAND et É. TRIQUET éditeurs, Actes JIES XXX, 2009

On rend compte à travers cette situation des trois propriétés de figuration, de schématisation et de modélisation de l’image, auxquelles nous proposons de rapporter les fonctions indexicale (en désignant par un signe un événement singulier), iconique (en faisant voir de l’objet les informations pertinentes) et symbolique (en incorporant le signe dans le discours symbolique de la science) théorisées par Peirce. L’image n’est pas ici prise comme dépendante de la réalité dont elle serait une sorte de double reproductif, mais est conçue au contraire comme un système symbolique et comme une formalisation qui permet de modéliser et donc de représenter la réalité.