• Aucun résultat trouvé

MOTS-CLÉS : COLLABORATION – ART ET SCIENCE – CRÉATION – SCÈNES DE MÉNINGES

LA CONCILIATION DES ARTS VIVANTS ET DES SCIENCES : LA PISTE COLLABORATIVE DE « SCÈNES DE MÉNINGES »

MOTS-CLÉS : COLLABORATION – ART ET SCIENCE – CRÉATION – SCÈNES DE MÉNINGES

RÉSUMÉ : Le projet « Scènes de méninges » a pour vocation de diffuser, programmer et aider à la

création de spectacles vivants sur les sciences. Il s'agit de s'interroger sur les outils mis en place pour atteindre ses différents objectifs et notamment la voie de la collaboration et du réseau.

ABSTRACT : « Scènes de Méninges » project aims to diffuse, to program and to help to creation

of shows on sciences. Our purpose is to present differents tools developped for this projet and particulary collaboration and network.

J.-L. MARTINAND et É. TRIQUET éditeurs, Actes JIES XXX, 2009

Comment concilier arts vivants et sciences dans un juste équilibre ? En 2003, le Centre de Culture Scientifique Technique et Industrielle (CCSTI) - La Rotonde Saint-Étienne & Loire se lançait dans un projet de festival de théâtre de sciences. À l’aube de la 4e édition qui se déroulera en novembre 2009, le projet a largement évolué et a aujourd’hui trois objectifs principaux : l’aide à la création, la diffusion et la programmation de spectacles vivants sous toutes leurs formes artistiques (théâtre, danse, cirque, conte…).

Ces objectifs ont été peu à peu définis par l’évolution de notre perception des spectacles vivants à thèmes scientifiques, de nos rencontres avec les professionnels des arts vivants et de nos investigations. La définition même de ce que l’on appelait le « théâtre de sciences » en 2003 reste ouverte. Cette situation peu confortable, nous empêche de catégoriser ces créations en un type « spectacles scientifiques ». La majorité des artistes refusent d'être classés dans un genre.

Les rapports « arts et sciences » sont trop complexes pour être abordés de manière linéaire. Nous sommes face à deux cultures, deux langages, capables de parler de la même chose sans se croiser ni se comprendre. Nos « formatages » culturels de scientifiques ou d’artistes (sauf rares exceptions), nous inhibent et empêchent de trouver l’alchimie entre art et science, où l’art n’est pas illustratif et la science dénaturée.

Pour tenter de répondre à cette complexité, nous expérimentons la voie collaborative : associer vulgarisateurs scientifiques et programmateurs de théâtre pour la programmation, artistes et scientifiques pour les créations, créer un réseau de professionnels de la culture scientifique et du spectacle vivant pour la diffusion.

Les projets « Art et sciences » sont souvent perçus de manière sublimée par les médiateurs scientifiques. C’est en quelque sorte notre quête du Graal : la recherche du projet juste qui allie les deux disciplines. Cependant, réaliser un projet qui les associe de manière sensible et appropriée n’est pas une mince affaire, en voici quelques raisons :

L’art ne peut être perçu comme un simple média. Il ne s’agit pas de faire la publicité de la science, de la rendre ludique ou esthétique. Il doit être plus que cela et apporter un éclairage sur une idée, un fait, une question en lien avec la science. L’art peut apporter à la science :

– un autre point de vue, – un éclairage différent,

– une possibilité d’interrogation.

La science quant à elle ne peut être perçue comme une simple thématique. Examinons-la comme une manière de considérer une question, ce qu’on appelle la fameuse « démarche scientifique ». Cette démarche, en tant que médiatrice scientifique, je l’ai comprise comme telle : le point de départ est une question, plusieurs hypothèses pour y répondre sont émises, les hypothèses sont

J.-L. MARTINAND et É. TRIQUET éditeurs, Actes JIES XXX, 2009

expérimentées, puis sont validées ou rejetées. La science est construite par une somme de concepts jugés valides à un certain moment de notre histoire, mais qui peuvent être remis en question, notamment avec l’évolution des techniques. Les techniques quant à elles évoluent également parallèlement au savoir scientifique. À l’image des Shadocks, on pompe, on pompe, et on a l’impression d’avancer… De plus la science est collaborative, elle n’est pas (ou presque jamais) le fait d’un seul homme.

La démarche de création d'un spectacle semble peu différente. Cependant, l'expérimentation n'offre pas de réponse, mais plutôt des choix possibles et la validité d'une création est de l'ordre du sensible et du crédible. Ces différences sont fondamentales et génèrent des difficultés à concilier art et science.

Interrogeons-nous également sur la capacité de créer ou de comprendre des spectacles scientifiques. Un constat, un peu facile, mais qui a son importance, fait mention des formatages scolaires qui semblent renvoyer à des orientations soit cartésienne et scientifique, soit à tendance littéraire et artistique, empruntés par un individu dès le collège. Il est difficile de se sortir de ce schéma grossier où la pensée « sensible » se différencie d'une pensée qui serait logique et raisonnée. Pour Paul Valéry : « Science et art sont des noms grossiers, en opposition grossière. Dans le vrai, ce sont des choses inséparables. Je discerne mal les différences, me plaçant naturellement au point où il n’y a que des travaux de pensée ». Ceci étant dit, il reste très difficile de jongler habilement avec les deux disciplines. Il semble que l'une soit toujours privilégiée par rapport à l'autre en fonction de la sensibilité de l'auteur principal de la création (auteur ou metteur en scène). Il en va de même pour le public lorsqu'il s'agit de comprendre une œuvre.

En 2002, nous nous sommes lancés dans l’organisation du festival de théâtre de science « Scènes de

Méninges ». Nous pressentions déjà le « conflit » que pouvait générer l'association des deux

disciplines, mais aussi l'intérêt de les associer, c'est ainsi que ce jeu de mot est devenu notre titre (nous avons appris par la suite que Raymond Devos l'avait déjà évoqué). Ce festival est une biennale qui présente un éventail de formes artistiques et de thèmes scientifiques ou en relation avec des sujets de science et société. En moyenne, une vingtaine de spectacles sont présentés pendant une semaine dans des lieux culturels variés de Saint-Etienne et sa région (théâtre, musées, bibliothèque, lieux désaffectés…).

À l’époque de sa conception, l’ambiance du CCSTI La Rotonde à Saint-Étienne, créé et dirigé par Hervé Jacquemin, était à la culture alternative et aux croisements des arts et des sciences. La structure était toute jeune quand je l'ai rejointe comme médiatrice scientifique fraîchement sortie du DESS de communication scientifique de Strasbourg. J'avais également une compétence en dessin et

J.-L. MARTINAND et É. TRIQUET éditeurs, Actes JIES XXX, 2009

une idée précise de ce que je voulais expérimenter en vulgarisation scientifique : la fiction de science. Le contexte du CCSTI La Rotonde était idéal pour moi. Ainsi nous expérimentions l’écriture de fictions de sciences à travers divers médias (internet, multimédia, expos…). Tous les projets, même les plus fous, étaient permis. Outre plusieurs pièces de théâtre coécrites ou produites avec des compagnies locales, nous programmions également des spectacles issus pour la plupart d’autres CCSTI. L'idée du festival nous est venue assez naturellement. Quelques dossiers de subvention plus tard, le projet était lancé (sans certitude de financement !).

Nous avions une vision de vulgarisateurs avec des certitudes, des objectifs et beaucoup de naïveté. Nous ne connaissions rien (ou presque) au théâtre, mais étions prêts à forcer les portes pour imposer notre projet aux structures culturelles, convaincus de la justesse de notre mission. Nous n’avons pas rencontré de problèmes avec nos habituels partenaires des musées de sciences et de techniques. Cependant, les programmateurs des salles (nombreuses à Saint-Étienne, ville du théâtre populaire de Jean Dasté) ne travaillaient pas par rapport à un thème, ce qui posait un problème pour la collaboration. Nous leur avons rétorqué « pourquoi pas ? ». Les gens de théâtre aiment l'utopie et n'en ont pas peur (quoique prudents). Ils nous ont laissé faire la première édition en prêtant leur salle, en assurant la technique, etc.

Et nos financeurs (le ministère de la Recherche, la Région Rhône-Alpes et la Ville de Saint-Étienne) nous ont suivis.

Pour la programmation de « Scènes de Méninges », nous avions tenté de regrouper des experts de la question « théâtre de sciences ». Ce qui est ressorti des discussions très théoriques et ce que j'ai compris à l'époque, c'est que personne n'en savait rien. Pragmatique par essence, et m'inspirant des débats de mes pairs, j'ai proposé une définition pour commencer à rassembler les informations sur les spectacles : « le théâtre de sciences » est une « intention » de parler de science à travers le théâtre. À défaut de mieux, cette affirmation semblait convenir à tout le monde. Ce postulat a tenu deux semaines. Un théâtre stéphanois, partenaire du Festival, nous a proposé de programmer « Tempus Tic-tac » de la compagnie Avec vue sur la mer. Stéphane Verrue, le metteur en scène, n’avait eu aucune intention de faire de son spectacle sur le temps un spectacle de science. Et pourtant, on pouvait le considérer comme tel. En une heure pile, il présentait les différentes théories scientifiques, philosophiques et les propos poétiques sur le temps. La forme de one-man show emportait le public du rire aux larmes. Les propos scientifiques étaient présentés comme des éléments de la connaissance indissociable des autres disciplines et accessibles à tous.

En 2003, nous avons réussi à créer une liste de 27 spectacles vivants abordant un thème scientifique (physique, médecine, géologie, mathématiques…) et nous en avons programmé 23. Pour créer cette liste, la méthode fut quelque peu archaïque : le bouche à oreille et des moteurs de recherche sur internet. Si certaines pièces ne posent aucun problème pour être reconnues comme scientifiques,

J.-L. MARTINAND et É. TRIQUET éditeurs, Actes JIES XXX, 2009

(car elles ont une thématique claire et des objectifs affirmés), d’autres demandent une étude poussée sur la réalité ou la justesse de leur contenu scientifique. C'est le cas, par exemple, pour des spectacles sur la nature, un thème depuis longtemps abordé par les artistes, qui peut être traité de façon poétique tout en reprenant des éléments des sciences naturelles.

Cependant, le contenu scientifique seul ne permet pas forcément d’identifier un spectacle de sciences, il faut parfois prendre en compte son contexte. Un exemple très précis est celui du spectacle de Bruno Boussagol, « Helena ou la mémoire du Futur ». Cette pièce est inspirée par le prologue à La supplication de Svetlana Alexievitch où témoigne la femme d’un des premiers pompiers parti éteindre le feu lors de la catastrophe de Tchernobyl. Il n’y a quasiment pas de science – la radioactivité et les causes de l’accident ne sont pas expliquées – et pourtant il offre une réflexion extraordinaire sur ses effets. Ce spectacle ouvre le débat, c’est du théâtre de sciences.

Fervente adepte d’internet et du partage des savoirs, j’ai créé un site pour informer mes collègues médiateurs (www.scenesdemeninges.com). Ce site présente simplement une base de données regroupant des fiches informatives sur les spectacles et un moteur de recherche. J’ai également suivi les travaux des compagnies, les ai filmés, photographiés et fait, de temps en temps, une lettre électronique rassemblant les informations sur les spectacles que j’avais vus. Le bouche à oreille, la communication nationale sur le festival et ce petit outil d’informations ont permis de créer un réseau de professionnels de la programmation culturelle de tout bord (musées, théâtres, festivals, villes…), d'artistes et de scientifiques impliqués dans des créations de spectacles vivants et dont la vocation est d’aider à la mise en relation, à la diffusion et à l’aide à la programmation. Aujourd’hui, environ 200 compagnies sont recensées pour 400 spectacles, et une cinquantaine de structures culturelles.

Dès la première édition en 2003, nous avons ouvert la programmation à toutes les formes artistiques du spectacle vivant. La majeure partie des spectacles était théâtrale, mais nous avons programmé également de la danse, du conte et du cabaret. L'éventail des formes comme l'exposition spectacle, le clown, l'installation, le spectacle de rue est venu enrichir le panel des formes au fil des éditions. Nous connaissons aujourd'hui de très bons spectacles de jonglage, de cirque ou de musique, le thème scientifique ne semble pas limiter le chant de la recherche artistique. Ainsi toutes les sciences peuvent être évoquées et nous avons même des spectacles sur la très effrayante physique quantique. Il n’est plus nécessaire de courir après l’information et les dossiers des spectacles arrivent également dans ma boîte mail. Il est impossible de les voir tous, mais il y a toujours quelqu’un du réseau qui a vu le spectacle et qui peut donner son avis. Nous aurions pu mettre en place un blog de critiques des spectacles, mais la critique écrite semble trop dogmatique. C’est souvent en discutant

J.-L. MARTINAND et É. TRIQUET éditeurs, Actes JIES XXX, 2009

de vive voix qu’on dégage une analyse plus juste d’un spectacle, notre but étant de le programmer ou pas, de savoir s’il correspond à un public, à un évènement, à une démarche, etc. De plus, se téléphoner permet de se parler, de se connaître, on se rencontre parfois et c’est en cela que Scènes de Méninges est un vrai réseau. Internet est un moyen de mise en relation extraordinaire, mais il a ses limites, ou plutôt nous avons les nôtres.

Finalement, c'est le public qui est au cœur des programmations. Soucieux de casser la mauvaise réputation des sciences, nous avions envie de faire un festival de théâtre qui ne soit pas élitiste, où chacun pourrait y trouver sa sensibilité. En 2003, jeunes et inexpérimentés, nous avions ciblé les spectacles essentiellement pour notre public scolaire, mais chose inattendue c'est le « tout public » qui a le mieux réagi. En 2005 et 2007 nous avons choisi les spectacles qui permettaient de rêver, de rire et/ou de se questionner. Spectacles humoristiques, dénonciateurs, philosophiques, anecdotiques…

La manière d'aborder les sciences par les artistes est toujours surprenante ! Elle crée un décalage qu’il est difficile de juger avec des arguments scientifiques. Elle replace la science comme un élément de réponse et non comme une réponse à tout.

Bien entendu cela pose certains problèmes. Une critique de notre projet « Scènes de Méninges » est assez récurrente : laisser des artistes sans garde-fous face à la science est une position « dangereuse ». La mise en place d’un comité scientifique est alors envisagée. Toutefois, de nombreuses questions se posent : Quelle serait la tâche des experts ? Qui sont-ils et quelle est leur légitimité ? Les artistes resteraient-ils maîtres de leurs propos ? Une éventuelle censure serait-elle à craindre ? La censure. Voilà un risque que nous n’avons pas pris. Les meilleures créations qui mêlent art et sciences sont un équilibre entre la forme et le message, c'est une histoire d'alchimie, de mariage, de composition, d'alliage. Il doit être impossible de les dissocier. Et notre ambition est de programmer ces alchimies !

Pour y parvenir, nous avons mis en place, au fil des éditions, un système de programmation collaboratif (programmateurs, scientifiques, vulgarisateurs…) par un réseau très complexe qui correspond comme au lieu de programmation, au ciblage du public et à la rencontre artistique. Ce croisement innovant « art et science » nous obligeait à inventer les outils de communication et la méthode de travail. Dans l'état actuel, la validation d'un comité de pilotage, en plus du groupe des programmateurs (qui financent en partie le festival), pourrait devenir une véritable usine à gaz, tuant toute innovation, voire l’essence même du projet.

Cependant, le problème de l’exactitude de la science dans les productions d’art vivant n’est pas à négliger. Plutôt qu’un couperet qui déciderait de valider tel ou tel spectacle et dicterait des règles

J.-L. MARTINAND et É. TRIQUET éditeurs, Actes JIES XXX, 2009

d'écriture, j’ai préféré partir à la recherche de nouveaux outils et de nouvelles expériences collaboratives pour minimiser les approximations faites par les artistes. Ainsi sont nés en 2008, à la Rotonde, les « labos de sciences à l'art scénique ». Ces résidences ont pour objectifs d'être une pépinière pour l'écriture ou la réécriture de spectacles sur les sciences ou sur les relations entre science et société et de donner un temps de réflexion sur l’intégration de thèmes scientifiques à des formes artistiques. Il ne s'agit pas de produire entièrement des spectacles, mais de proposer aux artistes une étape de création au cœur de laboratoires de recherche, en contact avec le monde de la science, et de la recherche régionale et en contact facilité avec les centres de recherche régionaux pour alimenter leur compréhension et leur imaginaire. Chaque collaboration entre artistes et scientifiques se met en place en fonction du projet, et des besoins des artistes. Le chercheur se met alors au service de la création pour conseiller, relire et parfois proposer de nouvelles pistes de scénario.

Le champ d’expérimentation « art et science » est vaste et passionnant, il nous oblige à travailler ensemble, à respecter le savoir de l’autre. Il ne se dégagera certainement pas de mouvement artistique de « théâtre de science », car manipuler l’art et la science est un prétexte pour créer du savoir, de l’échange et du lien social. La quête est certainement bien plus passionnante que la découverte du Graal.

J.-L. MARTINAND et É. TRIQUET, Actes JIES XXX, 2009

MÉDIATION ARTISTIQUE DE L’ÉCOLOGIE