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La place de la source dans le processus d’énonciation

Partie 3 : La mise en discours médiatique, positionnement et parti pris

A. L’affranchissement de la responsabilité informationnelle

2. La place de la source dans le processus d’énonciation

Si le témoignage est utilisé comme une preuve informationnelle, l’ensemble du processus ne peut reposer sur son unique recours. En effet, chaque information ne peut être confirmée par un témoin, car les témoins ne sont pas à disposition, les chaînes doivent dans l’urgence chercher ces témoignages. Toutefois certaines informations ne sont pas communiquées aux témoins anonymes. Ces derniers ne communiquent uniquement que sur ce qu’ils entendent ou voient mais n’ont pas un pouvoir suffisant pour prendre de la hauteur sur les événements. Pour y remédier, et toujours dans cette logique de justification, les chaînes accordent une importance particulière aux sources.

a) La monstration de la source, un moyen de déresponsabiliser la chaîne

Lorsqu’aucun témoignage ne peut confirmer (TF1 et France 2) ou introduire (BFM TV) une information, les chaînes de télévision rendent visibles les sources. Visuellement, le fil d’actualité, signe que le téléspectateur est aussi lecteur149 (Devars), renvoie à la

fois à ce qui se joue en plateau et au fil des actualités qui parviennent à la chaîne, incarnant la logique du « Non stop » des dispositifs instantanéistes150 (Devars).

149 Thierry Devars, La politique en continu, vers une BFMisation de la communication : Les petits matins, 2015,

112p.

Les bandeaux ainsi que les fils d’actualité utilisés sur les différentes chaînes (seule France 2 n’utilise aucun fil d’actualité), participent à la création du discours médiatique des chaînes.

Sur BFM TV, les informations du fil d’actualité défilent à grande vitesse. Environ toutes les 5 secondes, les informations défilent et se répètent. Ce déroulé participe à l’intensification de la logique instantanéiste, donnant l’illusion qu’à chaque instant un flux continuel d’informations arrive à la chaîne. Le recours à ce fil d’information qui, parfois, informe plus rapidement encore que les intervenants (sur la mise à jour du nombre de victimes par exemple), démontre que la chaîne inscrit son traitement informationnel dans l’immédiateté et que les informations lues témoignent d’une instantanéité entre ce qui est lu et ce qu’il se passe sur place. Le téléspectateur serait alors aux premières loges, d’où la notion de témoin oculaire151 (Lochard, Soulages).

Les fils d’actualité de BFM TV font, pour la plupart, apparaître la source en fin de phrase (« Des fusillades ont éclaté dans les dixièmes et onzième arrondissement de Paris faisant au moins 18 morts (police). », « Fusillades meurtrières à Paris : une prise d’otages est en cours au Bataclan, dans le onzième arrondissement (préfecture). »). Mise entre parenthèse, la source est directement rattachée à l’information, et cela concerne également les informations signées par la chaîne. Ces dernières sont aussi signées BFM TV (« Les attaques en série à Paris et près du Stade de France ont fait au moins 40 morts et des dizaines de blessés (BFM TV) »). Quelques fois la source est mentionnée mais simplement en étant évoquée dans la phrase (« C’est une horreur », a déclaré le président François Hollande en réaction aux attaques en série qui ont frappé Paris »), « Attaques en série : la ville de Paris invite les parisiens à rester chez eux et à attendre les instructions des autorités »).

Cette formulation, même si elle laisse également entrevoir la source des informations, est moins explicite. La première formulation avec la mise entre parenthèse de la source est d’ailleurs la plus utilisée par la chaîne et c’est également celle qui fait ressortir au mieux la source, pour chacune des informations communiquées.

151 Guy Lochard et Jean-Claude Soulages, « Les scénarisations visuelles », pp.101-127 dans Patrick Charaudeau, La télévision et la guerre, déformation ou construction de la réalité. Le conflit en Bosnie 1990-1994 : De Boeck

Les images diffusées, même si leur source n’est pas toujours communiquée, laisse régulièrement entrevoir leur provenance. Ainsi en début d’émission, de nombreuses photos amateurs sont diffusées sur les trois chaînes. Même si elles ne sont pas signées, ces images sont suffisamment explicites pour que le téléspectateur puisse comprendre qu’elles proviennent de témoins sur place (par leur emplacement à l’intérieur de cafés, la médiocre qualité des tirages…).

Le reportage le plus médiatisé et faisant l’objet de nombreuses répétitions (également dans les journaux télévisés) sont des images tournées par un voisin dont l’appartement se trouve en face d’une des sorties du Bataclan. Ces images sont assez violentes car elles laissent entrevoir la panique à l’intérieur de la salle (de nombreux spectateurs sortent de la salle en courant, certains tentent de s’évader par la fenêtre…) et le son laisse clairement entendre des cris de panique et des détonations. Ces images sont signées par un journaliste du journal Le Monde, David Psenny.

La vidéo sera diffusée sur le site du journal et agrémentée de verbatim. Les trois chaînes diffuseront à plusieurs reprises ces images et aucune d’entre elles ne substituera les verbatim, ou alors la source. Les images seront diffusées telles quelles et seront rattachées à leur source.

Notons qu’il s’agit d’ailleurs d’une des images les plus « chocs » diffusées durant les deux premiers jours du traitement médiatique des attentats du 13 novembre 2015. D’une certaine manière, les chaînes se désolidariserons de la responsabilité de la diffusion de ces images.

b) L’évocation de la source et journaliste-témoin, vers un discours descriptif

Si nous avons vu que la monstration des sources occupe une place importante dans le processus visuel de l’information, les échanges aussi, sont construits autour de la justification et de la preuve. Nous avons d’ores et déjà évoqué que les éditions spéciales reposent essentiellement sur une priorité donnée au direct et aux témoignages, passant eux même par une mise en avant des duplex et des envoyés spéciaux. Les médias adoptent ainsi un point de vue synoptique152 (Lochard,

Soulages), plaçant l’instance d’énonciation informative dans une position de surplomb par rapport à l’événement. Cette instance énonciative, adapte son discours en suivant cette logique de création de la preuve informationnelle, logique visant à dédouaner l’énonciateur des informations qu’il communique.

Ainsi, le journaliste témoin s’affranchit de sa responsabilité informationnelle en s’écartant lui-même des informations qu’il communique (« Pour tout vous dire, je reçois sur mon téléphone des messages de proches retranchés dans des restaurants à Paris », « Un policier m’a dit : « Vous n’avez pas de gilet par balles ? Vous voulez vous faire tuer ? ». J’ai demandé au policier où étaient les tireurs et ils m’ont répondu qu’ils sont partout », « Selon nos informations, d’après ce que nous a dit un témoin », « Trois terroristes seraient tués durant cet assaut, ce sont les mots de la police », [BFM TV] ; « selon deux sources concordantes », « les deux témoignages nous disent la même chose, les tireurs ont criés Allahu Akbar et revendiquent des actions pour la Syrie », « On parle d’environ 100 morts, ce sont des sources fiables qui nous donnent ce bilan », [France 2] ; « Des témoins parlent de scènes de guerre », « Une France Beyrouthisé (propos rapportés d’une députée LR) » [TF1]).

Les sources ici, même lorsqu’elles ne sont pas clairement identifiables (on parle de source sans savoir quelles sont ces sources), sont tout de même mentionnées. Le journaliste ne prend pas la responsabilité de communiquer une information vérifiée, dans l’instantanéité, ce dernier n’a pas le temps de vérifier ces informations.

152Guy Lochard et Jean-Claude Soulages, « Les scénarisations visuelles », pp.101-127 dans Patrick Charaudeau,

La télévision et la guerre, déformation ou construction de la réalité. Le conflit en Bosnie 1990-1994 : De Boeck

Les rédactions font alors le choix de les communiquer, toutefois, ces dernières restent reliées à leur source initiale, une certaine façon de s’affranchir de la responsabilité de sa diffusion mais également, d’assumer le manque de temps nécessaire à l’entière vérification et l’appropriation de ces informations, et donc de laisser place à l’incertitude.

D’une certaine manière, les journalistes orienteraient-ils leurs discours de cette manière pour contrer les précédentes accusations relatives aux attentats de janvier ? Serait-ce une façon de regagner la confiance des téléspectateurs ?