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Partie 3 : La mise en discours médiatique, positionnement et parti pris

A. L’affranchissement de la responsabilité informationnelle

1. La dimension de la preuve informationnelle

a) Le discours médiatique, un discours spécifique

Nous avons évoqué en introduction la particularité du contexte médiatique en termes d’analyse de discours. Mais qu’entendons-nous par discours ?

Si le discours peut être entendu comme un substantif non comptable pour désigner des domaines ou un ensemble de pensées, nous nous intéresserons à son substantif comptable144 (Maingueneau) se référant à des évènements de parole. Constitué d’un

ensemble de phrases, le discours engage des partenaires dans un acte d’échange qui est pris en charge pas un sujet145 (Maingueneau). Il est naturellement orienté parce

144 Dominique Maingueneau, Dictionnaire d’analyse du discours, dans Patrick Charaudeau (dir.) : Seuil, 2002,

p.17

qu’il est conçu en fonction de la visée du locuteur mais aussi parce qu’il se développe dans le temps et se construit au fil de la discussion146 (Maingueneau).

Ce discours est produit par un ensemble de propos poursuivant un objectif oratoire.

Dans le cadre de notre recherche, nous nous intéresserons aux discours des médias et à leur positionnement quant aux attentats du 13 novembre. Si nous avons d’ores et déjà introduit la notion du contexte particulier du discours médiatique, il est à noter que l’interactivité du discours, qui est un de ses éléments constituants, requiert une particularité par la mise en place d’une interactivité constitutive. Ainsi, le téléspectateur ne participe pas à l’échange mais il joue un rôle dans sa construction. Le discours est pensé et érigé par les médias en fonction de ce qu’ils pensent être représentatif des attentes du téléspectateur (voir la partie 2 et la mise en scène des émotions). Le discours médiatique est aussi spécifique en sa capacité à jouer entre les discours147

(Maingueneau). A la fois aire de production discursive, les médias sont aussi tributaires de la réflexion d’autres discours mis en scène (voir partie 1). Pour cela, la télévision construit un discours qui tient compte de l’interaction de ce dernier avec d’autres médias.

En reprenant notre objet d’étude, les éditions spéciales du 13 novembre 2015 doivent à la fois conjuguer avec des téléspectateurs déjà au courant des événements que ce soit par le biais d’autres chaînes, des réseaux sociaux ou d’autres canaux, et d’autre part avec des téléspectateurs qui atterrissent sur la chaîne et prennent connaissance des événements en direct. Cette tension conditionne en partie le discours, qui doit être suffisamment intelligible pour tout nouveau téléspectateur tout en intégrant de nouvelles informations et une complémentarité de connaissances pour fidéliser l’audience.

b) Le témoin, objet de preuve et de confiance

146 Ibidem. p.186

Toutes les tensions évoquées au cours de ce mémoire témoignent de la capacité réactionnelle des médias et contextualisent les modalités de mises en récit étudiées. Elles témoignent également d’une certaine maîtrise éditoriale, possible même dans l’imprévu et le direct.

Nous l’avons évoqué, lors des attentats étudiés, nous assistons à un éclatement des missions journalistiques et le journaliste de carrière est apprêté du rôle de témoin journaliste. Ce que révèle l’introduction de ce rôle, au-delà même de la structure de l’émission, c’est l’importance de la preuve informationnelle. Cette preuve, souvent apparentée à la source, est parfois communiquée publiquement, mais très généralement, ces sources font l’objet d’une protection148. Pourtant, lors des attentats

de novembre, l’ensemble du processus informationnel repose sur la preuve.

Le journaliste, nous l’avons vu, légitime son discours par sa position de témoin sur place. La plupart des informations communiquées à l’antenne sont justifiées par une preuve, d’où la volonté de rendre visible le témoin. Bien évidemment, il est parfois difficile de faire parler des témoins d’autant plus que les secteurs sont sécurisés par les forces de l’ordre et que les passants sont éloignés. Pour cela, le journaliste en duplex intervient et se présente comme un témoin.

Son discours s’oriente uniquement autour de ce qu’il a vu et entendu afin de justifier de sa position testimoniale. C’est d’ailleurs pour cela, comme nous avons pu l’évoquer en première partie, que les missions journalistiques sont disjointes.

Lorsque cela est possible, des images viennent aussi confirmer le discours. Par exemple, lorsque le présentateur ou des experts commentent l’intervention du président, un split screen vient diviser l’écran en deux parties, sur la première la captation du discours de l’expert et de l’autre une retransmission des images de la déclaration du président.

148 Aude Casco, La Croix, [En ligne], <https://www.la-croix.com/Economie/Medias/Pourquoi-sources-

journalistes-sont-elles-protegees-2019-02-06-1201000688 >, mis en ligne 06 février 2019, consulté le 02 août 2019

D’une même logique, le recours fréquent à la figure du voisin (voir partie 1) elle aussi participe à la monstration de la preuve et confirme le discours médiatique par l’association d’un témoin de l’agitation du quartier.

Sur BFM TV, tout le discours informationnel tourne autour du témoin, chaque nouvelle information avant d’être communiquée et reprise sur les bandeaux est d’abord introduite par un témoin au téléphone. Ce n’est qu’ensuite que le journaliste (déjà au courant) confirme et précise l’information. La figure du témoin est ainsi au cœur du discours médiatique des attentats mais elle représente ici non pas simplement un vecteur d’émotion par la monstration de l’impact de la violence, mais aussi, un élément de démonstration de la véracité du discours.