• Aucun résultat trouvé

Partie 3 : La mise en discours médiatique, positionnement et parti pris

B. La mise en scène de la prudence

2. Les médias face au terrorisme

a) Le terrorisme : un tabou médiatique

Si la prudence se ressent dans la sélection d’informations à communiquer, elle est aussi présente dans la qualification des faits. Ainsi, l’ensemble du champ lexical du terrorisme n’est pas directement associé aux faits.

Les médias prendront certaines précautions avant de prononcer certains mots à l’antenne. C’est le cas du mot « terrorisme ». Si TF1 fait exception et qualifie très rapidement les faits en parlant « d’attentat », BFM TV et France 2 prendront quelques précautions et préféreront les termes : d’assaillants, de tireurs, d’attaques…

Dans un premier temps, l’alerte info de BFM TV utilisera a de nombreuses reprises le terme « fusillade », terme nullement associé au terrorisme. Dans un second temps, les « fusillades meurtrières à Paris » laisseront place à une autre anaphore sur ses bandeaux, celui « d’attaques en série ». Imaginairement, ce syntagme se rapproche de la définition du terrorisme. Ainsi, l’attaque est textuellement liée à la ville de Paris et son accord au pluriel démontrent que ces attaques simultanées prennent pour cible la capitale. Ce syntagme sera d’ailleurs préféré à celui « d’acte terroriste » par la chaîne jusqu’à la fin de l’édition spéciale.

Le champ lexical du terrorisme ne sera utilisé concrètement, qu’une fois que le président de la République aura lui-même qualifié les actes « d’attentats » lors de son allocution. France 2 d’une même manière, ne parlera pas de « terroristes », préférant le terme plus neutre de « tireurs ».

Ce contournement opéré par les chaînes, témoigne d’une certaine appréhension quant à l’utilisation du vocabulaire relatif au terrorisme. Cette attitude aurait-elle un lien avec l’abstention volontaire de la communication des informations concernant les terroristes ? Serait-ce une manière de ne pas attirer l’attention sur les auteurs du crime ? Si nous ne pouvons répondre à ces questions sans preuves, nous constatons toutefois que ces réserves lexicales participent à la stratégie de dramatisation de la figure du méchant (voir partie 2).

a) Une distanciation du discours qui laisse toutefois suggérer un parti pris anticipé Si l’ensemble du champ lexical du terrorisme est évité par les chaînes avant que les actes ne soient qualifiés officiellement, nous verrons que cela n’altère en rien leur suggestion.

Ainsi, la mise en discours des chaînes, par le vocabulaire employé et le recours à certains stéréotypes liés au terrorisme, parvient à faire entendre aux téléspectateurs ce que les chaînes pensent. A plusieurs reprises, le mot « explosion » est utilisé pour évoquer les attaques. Ce terme, directement associé aux procédés kamikazes, dans lesquels le recourt à la bombe est fréquent, s’associe tout aussi bien à l’univers du terrorisme. En effet, de nombreux kamikazes revendiquent leur appartenance à des groupes terroristes. Il s’agit d’ailleurs d’une des méthodes fréquemment utilisées pour semer la terreur.

Autrement, le terrorisme est depuis quelques années régulièrement rattaché à la Syrie, car s’y situe l’une des plus grandes organisations terroristes : Daesh. Si cette organisation est fort médiatisée, les téléspectateurs sont avertis à son sujet car les précédents attentats de Charlie Hebdo furent eux aussi revendiqués par Daesh155.

Si le nom de l’organisation n’est pas communiqué, de nombreuses références à la Syrie, constitutives d’une orientation vers une qualification des faits en acte terroriste, sont remarquées.

Sur BFM TV et France 2, différentes évocations de la Syrie sont à dénoter : (« Il y en a un qui a dit « Nos frères sont morts en Syrie et nous on est là », « les deux témoignages nous disent la même chose, les tireurs ont criés Allahu Akbar et revendiquent des actions pour la Syrie », « Le lien avec la Syrie ne fait aucun doute » [France 2] ; « Un des tireurs aurait crié à l’intérieur du Bataclan : « C’est pour la Syrie ! » », « Certains des assaillants auraient parlé de la Syrie pour expliquer leurs actes » [BFM TV]).

155Cathy Lafon, Sud Ouest, « « Charlie Hebdo », Montrouge, Hyper Cacher : il y a quatre ans, les attentats de

janvier 2015 »[En ligne], <https://www.sudouest.fr/2017/01/07/charlie-hebdo-montrouge-hyper-cacher-il-y- a-deux-ans-les-attentats-de-janvier-2015-3083084-6093.php >, mis en ligne le 07 janvier 2017, consulté le 06 août 2019

Si les terroristes sont appelés « tireurs », l’invocation de la Syrie, dont la situation est connue par la plupart des téléspectateurs, ne laisse aucun doute sur un éventuel acte terroriste.

Les références à la Syrie ne sont pas les seuls éléments issus de stéréotypes du terrorisme. L’expression « Allahu Akbar », généralement décriée par les terroristes et très médiatisée, renvoie à cet univers.

Les deux chaînes reviendront à de nombreuses reprises sur les témoignages (anonymes) confirmant que les tueurs auraient crié « Allahu Akbar » (« Des assaillants qui auraient tiré dans la foule en criant Allahu Akbar » [BFM TV] ; «Ils auraient criés Allahu Akbar avant de tirer sur la foule », « Ils ont tirés en plein dans la foule en criant Allahu Akbar », « Les deux témoignages nous disent la même chose, les tireurs ont criés Allahu Akbar et revendiquent des actions pour la Syrie » [France 2]).

Les deux derniers exemples diffusés dans l’édition spéciale du 13 novembre 2015 sur France 2 démontrent une utilisation particulière des temps de conjugaison.

Cet exemple témoigne de l’importance du conditionnel lorsque les informations ne sont pas certifiées. Toutefois, lorsque la chaîne enregistre un deuxième témoignage délivrant les mêmes informations, celles-ci sont ensuite considérées comme étant vérifiées. Elles seront par la suite délivrées au passé composé, l’un des temps de l’indicatif considéré comme le mode de la « réalité »156.

Ainsi, si le lexique du « terrorisme » est évité, cela n’empêche en rien sa suggestion par les chaînes de télévision. Cette mise en discours participe d’ailleurs à dramatiser la figure du méchant, par la stimulation d’imaginaires sociaux, méthode déjà évoquée ci-dessus (voir partie 2).