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Le rôle pionnier de la BIRD dans l’élaboration de règles applicables aux projets financés par les banques multilatérales de développement

Dans le document L'ouvrage public et le droit international (Page 153-156)

CHAPITRE III. L’AMENAGEMENT DES RESSOURCES EN EAU PARTAGEES

Section 1. Les obligations substantielles de l’Etat maître de l’ouvrage public

A. Sources des obligations

2. Le rôle pionnier de la BIRD dans l’élaboration de règles applicables aux projets financés par les banques multilatérales de développement

Si l’ensemble des regards sont tournés vers les obligations internationales coutumières te conventionnelles applicables aux Etats lorsqu’ils entreprennent l’aménagement de la ressources partagée, le droit interne de la BIRD sur la question est de prime importance. La Banque a su accompagner, si ce n’est précéder par moment, l’évolution du droit international en la matière. Forcée d’opérer en l’absence de règles claires au début de son mandat (a), la BIRD a rapidement défini des règles applicables aux projets financés sur le territoire d’un Etat emprunteur et susceptibles d’affecter les ressources en eau partagées (b).

a. L’approche originelle. Le traitement indifférencié accordé par la Banque aux projets financés sur les voies d’eau internationales

La pratique originelle de la Banque était marquée par une assez large indifférence à l’égard des conséquences attachées aux projets financés sur les fleuves internationaux. A la création de la BIRD, les prêts étaient souvent accordés aux Etats emprunteurs sans réelle surveillance sur le contenu du projet, de telle sorte que les sommes décaissées étaient fréquemment employées à la libre discrétion des bénéficiaires. L’activité de la Banque s’orienta rapidement vers le financement de projets d’infrastructures dans de nombreux Etats partageant des fleuves avec leurs voisins, tant et si bien qu’il est possible de considérer que la Banque commença à financer des projets sur les fleuves internationaux à partir de la fin des années 1940. A cette époque, la Banque ne faisait aucune distinction substantielle entre les projets financés sur des fleuves intégralement placés sous

souveraineté nationale et les projets implantés sur des fleuves internationaux. Certains de ses premiers projets ne suscitèrent par ailleurs aucune opposition des Etats riverains, ce qui n’incitait pas l’Institution à préciser plus en avant sa politique en matière de financement. Ainsi, la construction, en 1950, d’un barrage sur le fleuve Damodar, l’un des affluents du Gange, ne suscita aucune opposition des autres riverains (Népal, Bangladesh et Pakistan). Il en fut de même pour la construction du Wadi Tharthar project (1950) sur les rives irakiennes du Tigre, sans aucune protestation de la Turquie et de la Syrie. Le caractère « international » des fleuves n’était donc pas analysé par la BIRD comme justifiant une action particulière de sa part. Au demeurant, à cette époque (fin des 1940’s- début des 1950’s) le droit international était particulièrement pauvre quant aux utilisations autres que la navigation des fleuves internationaux : la BIRD ne pouvait donc s’en remettre à aucun principe directeur susceptible de guider son action en la matière, alors que les besoins de reconstruction étaient immenses. L’état des connaissances techniques n’inclinait pas non plus à opérer de distinction en fonction de l’internationalité des espaces aménagés : les fleuves, qu’ils soient ou non internationaux, étaient uniquement utilisés pour la navigation et les techniques industrielles d’irrigation et d’hydroélectricité étaient balbutiantes.

Comme cela pouvait être attendu, la Banque se trouva rapidement dans l’obligation d’élaborer des règles guidant son action dans l’utilisation des fleuves internationaux à des fins autres que la navigation à mesure que les projets d’irrigation et d’énergie commençaient à susciter l’inquiétude et/ou l’opposition des autres Etats riverains304. Confrontée au risque de financer des projets suscitant l’opposition des Etats riverains, la BIRD décida de conduire une réflexion sur la meilleure façon de gérer ces projets. Ce travail était d’autant plus complexe que le droit international d’alors ne comportait aucun principe communément accepté régissant les utilisations des fleuves internationaux. Le déclin de la navigation et la montée en puissance des utilisations « à des fins autres que la navigation » ne fut pas accompagné par le développement de règles claires et contraignantes applicables aux utilisations autres que la navigation sur les fleuves internationaux. L’action de la BIRD en matière d’utilisation des fleuves internationaux à des fins autres que la navigation ne pouvait non plus s’appuyer sur une interprétation claire du juge international. Il existait alors peu d’arbitrages ou de décisions susceptibles de guider son action (River Oder, Fonderie du Trail, Lac Lanoux, Détroit

de Corfou). L’affaire de la Fonderie du Trail exerça toutefois une influence déterminante sur les

travaux de la BIRD.

L’élaboration de règles claires guidant l’action de la Banque dans le financement de projets sur les fleuves internationaux était également commandée par les Statuts de l’institution. Aux termes

304

V. notamment les projets Draining of the Ghab Project, Youssef Pasha Multipurpose Project, Aswan High Dam

de l’article III, Section 4 (v) desdits Statuts, la Banque à l’obligation d’agir prudemment et de respecter les intérêts de l’Etat d’accueil du projet mais également de l’ensemble des Etats membres de la Banque : « En accordant ou en garantissant un prêt, la Banque examinera avec soin la probabilité que l'emprunteur et, dans le cas où l'emprunteur n'est pas un Etat membre, que le garant soit en mesure de faire face aux obligations afférentes à ce prêt ; de plus, la Banque doit agir avec prudence, dans

l'intérêt tant de l’Etat membre particulier sur les territoires duquel le projet doit être réalisé que de la collectivité des Etats membres »305.

La Banque décida dans un premier temps (1949-1950) de modifier son action selon que le fleuve international devant accueillir le projet fut l’objet ou non d’un différend entre certains de ses Etats riverains. Conformément à ses Statuts, la Banque a l’obligation d’agir prudemment et doit donc tout mettre en oeuvre pour éviter de participer d’une façon quelconque à un différend international. Cette approche fut retenue pour la première fois en 1949, lorsque la Banque envisageait d’apporter ses concours financiers aux projets Bakhra-Nangal en Inde et Lower Sind Barrage au Pakistan. Ces deux projets prévoyaient l’aménagement des eaux de l’Indus qui faisaient, depuis 1948, l’objet d’un différend entre ses Etats riverains. Des questions similaires se posèrent à la Banque quant au financement du barrage d’Assouan sur le Nil, alors que les eaux du fleuve faisaient l’objet d’un différend entre l’Egypte et le Soudan. La construction du barrage d’Assouan devait entraîner, entre autres conséquences, l’inondation d’une partie du territoire soudanais et, conséquemment, la réinstallation d’un nombre très importants de personnes. La Banque subordonna dans un premier temps l’octroi de son financement à la conclusion d’un accord entre l’Egypte et le Soudan et éventuellement les autres Etats riverains. Au fur et à mesure de l’avancement des négociations autour du projet, l’éventualité d’aboutir à un accord international associant l’ensemble des Etats riverains fut abandonnée au profit d’un accord bipartite associant uniquement l’Egypte et le Soudan.

L’action de la Banque au Moyen-Orient à partir de 1950 constitue le point de départ d’une réflexion plus générale sur l’élaboration de règles devant guider son action dans l’utilisation des fleuves internationaux à des fins autres que la navigation. Deux projets de la BIRD sur l’Euphrate (Youssef Pasha Project) et l’Orontes (Ghab Project) au profit de la Syrie exercèrent une influence déterminante sur l’action future de l’institution. Le projet Youssef Pasha consistait en la construction d’un barrage sur l’Euphrate. Face à l’absence d’accord international entre les riverains (Turquie, Syrie, Irak), la Banque exigeât d’eux qu’ils coopèrent avant d’envisager de financer l’ouvrage. L’intensité de cette coopération restait à déterminer et plusieurs solutions furent évoquées. La conclusion d’un accord international associant les trois Etats riverains en vue d’instituer une commission mixte chargée de la gestion de l’Euphrate fut rapidement abandonnée, faute d’accord

politique envisageable entre les principaux intéressés. Des problèmes similaires se posèrent dès 1953 avec la construction du Ghab Project sur le fleuve Ontares partagé par le Liban, la Turquie et la Syrie. Le projet, d’une ampleur inédite, devait permettre l’irrigation d’environ 41.000 hectares de terres syriennes grâce à la construction d’un ensemble d’ouvrages. Cet objectif ne pouvait toutefois être atteint que par une diversion des eaux du fleuve effectuée au préjudice de la Turquie, Etat d’aval. Confrontée à l’aménagement conflictuel de deux fleuves internationaux, la Banque entreprit de systématiser son approche.

Hypothèse 1. Amener les Etats riverains à créer une autorité régionale chargée de la

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