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CONCLUSION DU TITRE

Dans le document L'ouvrage public et le droit international (Page 143-147)

Le droit international garantit à tout Etat souverain le droit d’aménager les espaces sur lesquels s’exerce sa souveraineté ou qui relèvent de sa juridiction. Ainsi, le droit international n’interdit pas la réalisation de certains ouvrages : il encadre au contraire l’ensemble des étapes de la décision publique et impose la conciliation de la poursuite de l’intérêt national avec le respect des droits et intérêts des Etats tiers. Deux dimensions devaient être étudiées parallèlement : la mise en évidence de la liberté de l’Etat d’aménager son territoire au moyen de l’ouvrage public garantie par le droit international (première dimension) ainsi que la protection de cette liberté (seconde dimension).

Le droit international garantit avant tout à l’Etat le droit d’aménager son territoire. Notre

analyse fut menée en deux temps. D’abord, nous avons étudié les règles présidant à l’exercice unilatéral par l’Etat de sa liberté d’aménagement. Ensuite, nous sommes revenus sur la question particulière de l’exercice conjoint de cette liberté, matérialisée par la construction et l’exploitation en commun d’un ouvrage public par plusieurs Etats.

S’agissant des règles présidant à l’exercice unilatéral par l’Etat de sa liberté d’aménagement, le droit international structure en premier lieu la construction de l’ouvrage public par l’obligation qui est faite à l’Etat de prévenir la survenance de dommages transfrontières à l’environnement et sa portée. Cette obligation se déduit du principe de l’utilisation non dommageable du territoire reconnue en droit international coutumier. La Cour internationale de Justice a fort opportunément rappelé le caractère coutumier de cette obligation de prévention dans l’affaire des Usines de pâte à papier sur

le fleuve Uruguay. L’affirmation de ce devoir n’est pas suffisante : pris isolément il ne permet pas

d’identifier avec précision les obligations précises de l’Etat maître de l’ouvrage, induites par l’obligation générale de prévention. Cela revient à dire que pour déterminer l’existence d’un dommage transfrontière à l’environnement l’Etat doit procéder à une évaluation d’impact environnemental attestant de l’innocuité du projet et prendre les mesures d’atténuation et/ou d’évitement des impacts du projet en conséquence. Or, rien n’est dit par la Cour sur ce point : certes le caractère coutumier de l’obligation de procéder à l’impact environnemental fait partie du droit coutumier, mais son contenu et ses modalités sont abandonnées à l’Etat. La solution retenue manque singulièrement d’audace au regard de l’évolution du droit international conventionnel qui offre pourtant des critères minimaux permettant d’attester du sérieux de l’évaluation et d’éclairer pleinement la puissance publique sur les conséquences attachées à la construction de l’ouvrage public.

Ce premier mouvement de structuration (l’exigence d’un aménagement innocent) est doublé, en droit international, de l’obligation d’un espace aménageable : l’Etat est libre de procéder aux

aménagements de son choix dans le limites indiquées ci-dessus mais à la condition que l’espace aménagé relève de sa souveraineté ou de sa juridiction. Quand l’ouvrage public est construit en vue de consolider une prétention territoriale, bref quand il s’agit d’aménager des espaces faisant l’objet de revendications concurrentes par plusieurs souverains, le droit international rechigne à prendre en compte cette catégorie particulière d’effectivités. Nous sommes alors revenus brièvement sur les règles générales dégagées par le juge international afin de trancher les prétentions territoriales contraires, en examinant plus particulièrement le sort des ouvrages publics. Nous avons vu que le juge ne leur accorde que des effets relatifs et que le droit international prive de toutes conséquences en droit international les ouvrages publics imposés après la date critique du différend. Nous avons illustré ces difficultés au moyen d’un exemple pratique tiré de la construction d’ouvrages publics en mer de Chine. Une fois ces règles présentées, nous avons intégré dans notre réflexion l’activité des bailleurs de fonds multilatéraux amenés à financer la construction d’un ouvrage public dans un espace disputé. La nature particulière de la banque (qui relève juridiquement de la catégorie des organisations internationales) et de ses activités (les prêts sont entérinés par le Conseil d’administration de la Banque au sein duquel siègent les représentants des Etats) imposent un devoir de vigilance accrue sur ce point. On admettrait difficilement en effet que des fonds destinés au développement soient utilisés pour consolider des prétentions territoriales. La politique opérationnelle 7.60 de la Banque mondiale relative aux projets sur les voies d’eau internationales repose sur le principe selon lequel la Banque doit prendre en compte l’ensemble des intérêts (et non pas uniquement ceux de l’Etat emprunteur) et ne causer aucun dommage appréciable aux Etats riverains. La Banque a étendu ces principes aux projets situés sur des zones faisant l’objet d’une contestation territoriale. Nous avons ensuite présenté le contenu la politique opérationnelle 7.60 en détaillant son champ d’application et les obligations contenues dans ce texte. Ainsi, lorsque le texte est applicable la politique opérationnelle 7.60 est applicable, la Banque a l’obligation de refuser de financer un projet sur une zone contestée sauf à ce qu’il ne rentre dans l’une des exceptions limitativement énoncées par le texte. Les principes dégagés s’appliquent en toute circonstance et nous les complèteront ultérieurement par les règle spéciales tirées de l’aménagement des ressources en eaux partagées et de la construction d’ouvrages public en mer.

S’agissant, dans un second temps, de la question particulière de l’exercice conjoint de cette liberté, nous nous sommes ensuite employés à souligner la spécificité des travaux transfrontaliers. La construction et l’exploitation d’ouvrages publics en communs, très fréquente en pratique, nécessite l’intervention préalable des États concernés, qui, dans un accord international, détermineront le cadre juridique de l’opération transfrontalière. Cette dernière sera réalisée à l’intérieur de ce cadre, selon les termes et conditions qui résultent de l’accord international et des conventions d’exécution, parmi lesquelles figure le contrat de construction. Nous avons également ménagé une place dans nos

développements à la question particulière de la coopération transfrontalière entre collectivités publiques infraétatiques qui sont des acteurs particuliers des relations internationales. Cette coopération transfrontalière entre des entités qui ne sont pas des Etats (mais peuvent engager sa responsabilité internationale) s’effectue en marge des procédés classiques du droit international. De nombreuses organisations internationales – Conseil de l’Europe et Union européenne en tête – ont ainsi adopté à son égard une attitude de promotion par l’édiction d’outils juridiques mis à la disposition des décideurs locaux. Affirmée, la coopération transfrontalière en matière d’ouvrage public dispose désormais d’un cadre juridique en pleine consolidation.

Le droit international protège la liberté de l’Etat d’aménager son territoire au moyen de l’ouvrage public. Une fois identifiés les contours de la liberté de l’Etat d’aménager son territoire au

moyen de l’ouvrage public, il nous fallait isoler en premier lieu les règles de protection substantielle de la liberté d’aménager qui s’exprime par deux thématiques : la protection du choix et du résultat de l’ouvrage public, résultat de l’opération d’aménagement.

Nous sommes revenus dans un premier temps sur le droit de l’Etat le droit à déterminer lui- même les ouvrages publics devant être construits sur son territoire. En situation d’occupation, lorsque s’exerce l’autorité de la Puissance occupante, le droit de l’occupation prohibe à cette dernière de procéder à certains aménagement. Lorsqu’elle procède à la construction d’ouvrages publics sur le territoire occupé, la Puissance occupante est tenue par les obligations découlant du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes mais également des obligations découlant du droit de l’occupation, et plus particulièrement du Règlement de La Haye de 1907 et de la Ive Convention de Genève.

Nous avons ensuite rappelé que le droit international encadre les attaques dirigées contre les ouvrages publics en situation de conflit armé. La première protection, générale, est ordonnée autour du principe de distinction entre ouvrages publics civils et militaires et de plusieurs principes relatifs aux méthodes et moyens de combat : principe de précaution, principe de proportionnalité, et le principe de limitation des moyens de nuire à l’ennemi. La seconde protection, spéciale, est octroyée à certains ouvrages publics bénéficient d’une protection renforcée contre les attaques en raison des risques que leur destruction fait peser sur la population civile : les « ouvrages d’art ou installations renfermant des forces dangereuses ».

Nos travaux nous ont conduit à analyser la façon dont le juge international protège la liberté d’aménager de l’Etat. Les Etats ne disposant d’aucun droit de veto sur les projet entrepris par leurs semblables, le recours au juge est souvent le seul moyen de trancher le différend.

Dans cette optique, le contentieux conservatoire des travaux publics joue un rôle central dans la protection de la liberté d’aménager. Le « fait accompli » redouté du fait de la construction de l’ouvrage ne dispense pas l’Etat demandeur souhaitant se prémunir des effets des travaux et de

l’ouvrage public d’apporter la démonstration de l’existence des conditions nécessaires à l’indication de mesures conservatoires. L’ordonnance rendue par la chambre spéciale du TIDM dans le différend entre le Ghana et la côte d’Ivoire contribue à ouvrir largement le contentieux du droit de la mer aux mesures conservatoires. Le Tribunal a notamment relevé l’existence d’une obligation de ne pas altérer la structure physique des espaces disputés avant le règlement au fond du différend.

Nous avons conclu cette partie de l’étude en revenant sur certains points choisis de contentieux international. Au plan procédural, nous sommes brièvement revenus sur l’accès au prétoire du juge international grâce à la concurrence des titres de compétence (tirés notamment des clauses compromissoires insérées dans les traités relatifs à l’ouvrage public) ainsi que sur la question probatoire (envisagée sous l’angle de la détermination de la charge de la preuve des effets environnementaux de l’ouvrage public mais également de la participation des experts au procès). Au plan substantiel, nous sommes revenus sur le contrôle de proportionnalité effectué par le juge lorsque le droit de l’Etat d’aménager son territoire rentre en conflit direct avec les droits et intérêts d’un tiers.

Dans le document L'ouvrage public et le droit international (Page 143-147)

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