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Hypothèse Le contrat de construction est passé par l’entité concessionnaire

Dans le document L'ouvrage public et le droit international (Page 70-75)

T ITRE 1 L E DROIT DE L ’E TAT D ’ ENTREPRENDRE

Section 2. L’exercice conjoint de la liberté d’aménager

B. La réalisation de l’opération transfrontalière

2. Hypothèse Le contrat de construction est passé par l’entité concessionnaire

Selon cette formule, les Etats ne sont pas les maîtres d’ouvrage immédiats. Ils mettent en place une entité avec laquelle ils passent le contrat de concession (a). C’est cette entité qui passera ensuite les différents contrats de construction et d’exploitation de l’ouvrage transfrontalier (b).

a. La mise en place d’une concession

La concession de l’exploitation d’un ouvrage d’infrastructure n’est pas seulement un moyen de gestion de cet ouvrage une fois construit, il est aussi et surtout un moyen de remboursement des fonds qui ont permis sa construction. Pour les grands travaux transfrontaliers qui ne peuvent être construits sur financement public des Etats concernés, la concession présente l’avantage de pouvoir réunir plus facilement des fonds importants, en faisant intervenir des entreprises intéressées qui sont implantées dans tous les pays concernés.

En application de l’accord interétatique, le contrat de concession est conclu entre les Etats et les sociétés concessionnaires, une pour chaque Etat. En réalité, il s’agit donc d’une double concession, aux termes de laquelle les entreprises concessionnaires s’engagent à faire financer, construire et exploiter l’ouvrage transfrontalier. Les deux concessionnaires se font représenter auprès de l’organe intergouvernemental et les Gouvernements par un organe mixte. L’article 13.1 du traité de 1986 du tunnel sous la Manche prévoit que « les concessionnaires agissent conjointement vis-à-vis des Gouvernements et sont représentés auprès d’eux par un exécutif unique. Ils sont responsables conjointement et solidairement pendant toute la durée de la concession ».

Le statut du concessionnaire est loin d’être identique dans tous les cas de figures. Ainsi, l’article 13 de la convention franco-italienne du tunnel du Fréjus prévoit la constitution d’un organisme commun auquel les deux concessionnaires donnent mandat d’exploiter pour leur compte les installations concédées. La convention de 1972 entre la France et l’Italie concernant le tunnel routier de Fréjus prévoit la construction et l’exploitation du tunnel par deux concessionnaires, une société française et une société italienne, choisies d’un commun accord par les deux Gouvernements. Les deux concessionnaires se partageront les dépenses par moitié. Le traité prévoyait également la possibilité de la création dans l’avenir d’une société unique, concessionnaire des deux

Gouvernements, si le droit européen le permettait144. Le même traité prévoyait la création par les sociétés concessionnaires d’un organisme commun d’exploitation du tunnel une fois construit. Selon l’article 13, « cet organisme commun pourra être une société, ayant son siège social soit en France, soit en Italie, dont le capital sera souscrit par moitié par les deux concessionnaires et restera reparti par moitié entre eux et dont le conseil d’administration comprendra un nombre égal de représentants de chaque concessionnaire. Sous réserve de l’application des dispositions découlant du Traité de Rome instituant la CEE, les modifications au droit des sociétés qui interviendraient dans le pays du siège après la constitution de la société ne seront applicables qu’avec l’accord des Gouvernements. Cet organisme commun pourra prendre la forme d’une société de droit européen s’il apparait possible au cours de la concession de créer une telle société ».

L’intervention des Etats, considérable dans le premier traité de 1973, qui n’est jamais entré en vigueur faute de ratification par le Parlement britannique, a été sensiblement réduite dans le traité en vigueur, signé en 1986. Aux termes de l’article 2 de la première convention, « Les Hautes Parties contractantes s’engagent à assurer en commun la construction, l’exploitation, l’entretien et l’extension d’un ouvrage ferroviaire sous la Manche »145. Il est significatif que la formule utilisée dans l’article 1er du traité de 1986 est bien plus souple : « Les Hautes Parties contractantes s’engagent à permettre la construction et l’exploitation par des sociétés privées concessionnaires d’une liaison fixe trans-Manche (…) ». Le nouveau traité reflète le rôle prépondérant des sociétés concessionnaires, dû essentiellement au mode de financement choisi (financement sur projet). Le traité de 1986 (art. 1er) exclut expressément la participation étatique dans le financement du projet transfrontalier : « La liaison fixe trans-Manche sera financée sans qu’il soit fait appel à des fonds des Gouvernements ou à des garanties gouvernementales de nature financière ou commerciale». Pour le traité de 1973, assurer en commun la construction du tunnel signifiait essentiellement fournir les moyens administratifs et financiers nécessaires. Le complexe juridique qui devait être mis en place pour assurer la construction et l’exploitation de l’ouvrage prévoyait quatre niveaux d’intervenants : les deux gouvernements ; l’Autorité, organe intergouvernemental qui ne s’identifiait pas tout à fait avec les Gouvernements qui gardaient un certaine autonomie d’action au sein du projet146 ; les deux Organismes publics

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Art. 3 Concession de l’ouvrage (5). « S’il est possible dans l’avenir de constituer une seule société de droit européen, les parties contractantes se concerteront en vue de prendre toutes dispositions utiles pour favoriser la constitution d’une telle société, qui sera concessionnaire des deux Gouvernements.

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La même formule a été utilisée dans la convention de 1972 entre la France et l’Italie pour la construction du tunnel du Fréjus. Art. 1 : « Les parties contractantes s’engagent à assurer en commun la construction et l’exploitation d’un tunnel routier entre Modane et Bardonèche ».

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V. en particulier l’article 8 (8) de la convention de 1973, selon lequel l’Autorité était tenue de se conformer aux instructions qu’elle recevait des Gouvernements agissant conjointement. En outre, l’Autorité répondait de l’exécution de ses missions devant les Gouvernements.

nationaux147 et les deux sociétés nationales, qui devaient assurer la construction de l'ouvrage au moyen d’accords passés directement avec les Gouvernements français et britannique148.

Le schéma était lourd mais conforme au rôle important que se réservaient les Etats. L’Autorité devait exercer sa mission fondamentale d’exploitation de l’ouvrage par l’intermédiaire des deux organismes nationaux, dont les administrateurs seraient nommés par les gouvernements149. Aussitôt l’ouvrage achevé, il devait être remis immédiatement aux Gouvernements, qui devaient le mettre à la disposition des organismes nationaux150. L’Autorité devait gérer l’ouvrage comme une entreprise commerciale en concurrence avec les autres moyens de transport à travers la Manche et respecter le principe de non discrimination entre le trafic routier et le trafic ferroviaire, sans que cela fasse obstacle à la mise en œuvre de pratiques commerciales normales151.

Le traité de 1986 adopte un schéma moins compliqué, adapté au faible degré d’intervention étatique dans la réalisation et l’exploitation du projet. La Commission intergouvernementale y représente les deux Gouvernements auprès des entreprises concessionnaires et les tiers. La Commission est autorisée à prendre des décisions au nom des deux Gouvernements pour l’exécution de la concession, mais elle n’est plus dans le nouveau traité l’instrument central du projet. Les organismes publics nationaux ont également disparu. La concession règle tous les problèmes de la construction et de l’exploitation de l’ouvrage, alors que, dans la convention de 1973, la construction semple être assurée directement par l’autorité, les accords avec les sociétés à cet égard devant être passés directement avec les Gouvernements et non pas avec les organismes publics nationaux, dont la mission essentielle était l’exploitation de l’ouvrage.

La liberté d'action des concessionnaires est tributaire du degré d'intervention des Etats dans la réalisation et dans l'exploitation de l'ouvrage transfrontalier. Selon l'article 12 du traité de 1986 sur le tunnel sous la Manche, les concessionnaires jouissent d'une liberté de gestion suffisante pour permettre le remboursement des prêts consentis et l'amortissement du capital investi152.

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V., pour l’organisme français, la loi n°74-1104 du 26 décembre 1974 portant création de l’établissement public national du tunnel sous la Manche qui a été abrogée par la loi n° 87-384 du 15 juin 1987.

148 Il s’agissait de la Société Française du Tunnel sous la Manche et The British Channel Tunnel Company Ltd. Les sociétés devaient également prendre participation dans le capital des organismes nationaux.

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Convention de 1973, art. 9 (2). Après l’entrée en service de l’ouvrage, d’autres administrateurs des organismes publics nationaux pourraient être nommés parmi des personnes proposes par les sociétés nationales (art8(3)b).

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Convention de 1973 art. 9 (8). 151 Convention de 1973, art 8 (3).

152 Traité de 1986, art. 12, 1) : Les deux Gouvernements garantissent aux Concessionnaires, dans le cadre des droits nationaux et communautaire, la liberté de fixer leur politique commerciale, leurs tarifs et la consistance des services offerts, pendant la durée de la Concession. Contra, v. La solution retenue par la convention du tunnel du Fréjus. Aux termes de l'article 12 (Péages) de cette convention : « Les concessionnaires percevront, des usagers du tunnel, des péages dont les tarifs maximaux seront fixés d'un commun accord par les Gouvernements après avis de la Commission et dont les tarifs d'application seront approuvés par la Commission. Les tarifs maximaux et les tarifs d'application tiendront compte des charges des concessionnaires ».

b. Le contrat de construction

Le contrat de construction passé par l'entité concessionnaire est un contrat entre parties privées, dont le caractère international n'est pas à démontrer. Il pose trois problèmes qui influent sur la configuration à la fois de l'ensemble contractuel et du contrat de construction lui-même : le problème de la mise en place du complexe contractuel pour la réalisation de l'ouvrage transfrontalier, le problème de l'harmonisation des trois principaux instruments adoptés dans le cadre de l'opération, à savoir du traité, de la concession et du contrat, et le problème de la synthèse des deux droits nationaux.

La logique veut que, dans un tout premier temps, les deux Etats se concertent pour mettre en place le cadre de l'opération et la structure qui sera chargée de la réaliser; que la concession soit mise en place dans un second temps et que le contrat de construction soit passé entre l'entité concessionnaire et le constructeur dans un troisième temps. En réalité, les trois phases de l'opération transfrontalière s'imbriquent dès la première phase du projet. La décision de procéder à la réalisation du projet, enregistrée dans le traité bilatéral, repose sur une étude préalable de faisabilité qui apporte des réponses satisfaisantes à tous les problèmes techniques, financiers et institutionnels de l'opération. Le choix du concessionnaire est effectué sur la base de son offre, qui incorpore l'offre du constructeur que ce dernier aura déjà faite au concessionnaire retenu par les Gouvernements. Dès ce premier stade, les entreprises de construction ont donc un rôle important à jouer. Un consortium est mis en place auquel participent des entreprises des deux pays concernés. La nationalité des constructeurs est un problème essentiel qui doit être résolu au niveau du traité153.

Pour rédiger les conditions générales du contrat de construction, les parties doivent procéder à une synthèse des droits nationaux impliqués. Le lieu de construction de l'ouvrage est un élément important de l'opération internationale de construction. Le droit international privé en tire les conséquences pour la détermination du droit applicable. Or, le contrat de construction d'un ouvrage transfrontalier est exécuté par le même entrepreneur sur le territoire d'au moins deux Etats. Certes, la plupart des questions sont réglées dans l'accord de couverture. La détermination d'un droit applicable perd ainsi beaucoup de son utilité. Il n'empêche que des questions peuvent être posées, notamment pour interpréter les clauses contractuelles. Le contrat de construction du tunnel sous la Manche donne un bon exemple de cet effort de synthèse, car la concession demandait, sur certains points, à être conciliée avec la législation française. L’harmonisation visait plus particulièrement, au regard du droit

153 Par exemple, la convention franco-italienne pour la construction du tunnel du Fréjus met à la charge des concessionnaires l'obligation de lancer un appel d'offres au niveau communautaire. Aux termes de l'article 13.2 du traité du tunnel sous la Manche, les concessionnaires doivent respecter les règles communautaires applicables à la construction et à l'exploitation de la Liaison Fixe.

des entreprises en difficulté, l’introduction dans la concession du mécanisme de substitution et de sûretés prenant en compte les particularités du financement de projet d’art (art. 31 et 32). Ces règles étaient ignorées du droit français, mais il était important de garantir leur application en l’espèce. Le caractère dérogatoire de certaines clauses se justifiait par l’importance de l’ouvrage, l’origine privée du financement et la longueur des délais de réalisation. Il tenait aussi à l’option fondamentale d’assurer un régime juridique unique à l’ouvrage de part et d’autre de la Manche154. L'harmonisation des différents textes est également assurée par le jeu des clauses d'entrée en vigueur. L'ordre de commencer les travaux n'est donné que lorsque le traité et la concession sont entrés en vigueur. De même, le maître de l'ouvrage se voit attribuer la possibilité de mettre fin au contrat, si, pour quelque raison que ce soit, le traité ou la concession prennent fin. Toujours est-il que le concessionnaire se voit attribuer une sorte de prérogative de droit public traditionnellement réservée à un maître de l'ouvrage public. C'est ce qui différencie le concessionnaire d'un ouvrage transfrontalier d'un maître de l'ouvrage ordinaire.

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La spécificité des travaux transfrontaliers nécessite l’intervention préalable des États concernés, qui, dans un accord international, détermineront le cadre juridique de l’opération transfrontalière. Il s’agira dans un premier temps d’instituer une commission paritaire amenée à faciliter la prise de décision lors de la vie opérationnelle de l’ouvrage. Il s’agira ensuite de déterminer des questions aussi importantes que le régime de propriété ou la fixation de la frontière internationale. La réalisation de l’opération, c’est-à-dire la construction de l’ouvrage public, sera réalisée à l’intérieur de ce cadre, selon les termes et conditions qui résultent de l’accord international et des conventions d’exécution, parmi lesquelles figure le contrat de construction. es conditions dans lesquelles l’opération transfrontalière sera réalisée sont tributaires du degré dans lequel les Etats concernés souhaitent s’y engager, au-delà de leur intervention initiale ayant pour objet de lui fournir le cadre juridique nécessaire. Ainsi, le contrat de construction pourra être passé soit directement par l’un des Etats ou par un organisme public entièrement contrôlé par les Etats, soit par une entreprise concessionnaire commune, à laquelle les Etats concèdent la construction et l’exploitation de l’ouvrage. Dans la première hypothèse, le contrat de construction est un contrat Etat. Dans le seconde, le contrat d’Etat est l’accord de concession, alors que le contrat de construction est un contrat international comme un autre, passé entre deux personnes privées.

Nous comparerons cet encadrement juridique avec celui qui est applicable à la coopération transfrontalière des collectivités publiques infraétatiques. Cette coopération transfrontalière entre des

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V. not. Loi n°87-384 du 15 juin 1987 portant approbation en tant que de besoin de la concession concernant la conception, le financement, la construction et l’exploitation du tunnel sous la Manche (JO, 16 juin 1987).

entités qui ne sont pas des Etats (mais peuvent engager sa responsabilité internationale) s’effectue en marge des procédés classiques du droit international, ce qui souligne incidemment des limites de la portée structurante du droit international à l’égard de l’ouvrage public.

§2. Les ouvrages publics transfrontaliers communs à plusieurs collectivités publiques infraétatiques

Les collectivités publiques infra-étatiques sont des acteurs particuliers des relations internationales. La coopération transfrontalière en matière d’ouvrage public ne saurait être négligée en raison de son caractère dérogatoire par rapport au droit international public. De nombreuses organisations internationales – Conseil de l’Europe et Union européenne en tête – ont adopté à son égard une attitude de promotion par l’édiction d’outils juridiques mis à la disposition des décideurs locaux. Affirmée (A), la coopération transfrontalière en matière d’ouvrage public dispose désormais d’un cadre juridique en pleine consolidation dont il convient d’étudier les modalités (B).

A. L’affirmation de la coopération transfrontalière infraétatique en matière d’ouvrage

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