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L’affirmation de la coopération transfrontalière infraétatique en matière d’ouvrage public

Dans le document L'ouvrage public et le droit international (Page 75-79)

T ITRE 1 L E DROIT DE L ’E TAT D ’ ENTREPRENDRE

Section 2. L’exercice conjoint de la liberté d’aménager

A. L’affirmation de la coopération transfrontalière infraétatique en matière d’ouvrage public

Si le tunnel sous la Manche et la station d’épuration commune exploitée par les communes de Sarreguemines et Sarrebruck155 sont juridiquement des ouvrages publics exploités en commun, le droit international public semble n’avoir un rôle à jouer que pour la première de ces deux réalisations. Bien au contraire, la coopération transfrontalière, si « […] elle se réalise entre collectivités publiques infra-étatiques », « résulte d’un accord international »156. L’inopérance du droit international en ce domaine n’est pas absolue. S’il n’est « ni pertinent, ni approprié pour régler des problèmes d’évacuation des eaux sales ou de lignes d’autobus », sa place ne saurait être minorée. Son inadaptabilité, relative (2), rend plus que nécessaire une véritable coopération transfrontalière en matière d’ouvrage public (1), préfigurant l’étude des modalités juridiques utilisées par les collectivités concernées.

155 Convention entre la ville de Sarreguemines et le « Abwasserverband Saar », établissement public, à Sarrebruck, pour la construction en commun d’une station d’épuration des eaux, doc. O.C.D.E., ENV/TFP/77.7, p. 18

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SALMON J. (dir.), Dictionnaire de droit international public, v° « Coopération », spéc. « Coopération transfrontalière », p. 271.

1. L’établissement de rapports juridiques internationaux entre collectivités publiques infraétatiques

Loin des imposantes constructions étatiques, la coopération transfrontalière en matière d’ouvrage public obéit à la satisfaction des besoins élémentaires des populations157. Dans la mesure où les relations entre les deux pays voisins sont telles que la coopération est possible, celle-ci est régie par les principes de la complémentarité et de la subsidiarité des services existants d'un côté ou de l'autre de la frontière. En matière d'ouvrages publics, l'approvisionnement en eau d'agglomérations à partir de sources situées de l'autre coté de la frontière, phénomène fréquent, peut-être assuré par des techniques juridiques diverses : accord intergouvernemental réglant directement la question, accord- cadre entre gouvernements autorisant et encourageant les collectivités locales à coopérer, notamment en formant des syndicats, en concluant des arrangements de droit public et en constituant des groupes de travail communaux ou contrats directement conclus entre collectivités locales. S'agissant de l'assainissement et de l'épuration des eaux, la coopération se déroule moins souvent au niveau intergouvernemental : en fait, la plupart des accords qui la prévoient réunissent des collectivités ou des services publics locaux ou régionaux. Il s'agit presque toujours de réaliser des opérations très concrètes, soit sur le plan des études de la surveillance, soit dans le domaine de la planification soit en construisant ou en utilisant en commun des stations d'épuration. Dans un domaine comparable, le traitement des déchets solides, dans un certain nombre de cas, les contrats entre pouvoirs locaux prévoient que cette opération sera assurée par les services d'une municipalité pour des communes situées au-delà de la frontière.

C'est le droit constitutionnel de chaque Etat qui déterminera quels sont ceux qui peuvent participer à des activités transfrontalières : le degré de centralisation ou de décentralisation propre à chaque Etat a une importance capitale à cet égard. La coopération entre gouvernements centraux et organes déconcentrés est la forme la plus traditionnelle de la coopération. Elle se situe incontestablement dans le cadre du droit international puisque ce sont des gouvernements, représentant leurs Etats respectifs, qui entrent en contact et s'engagent, même si l’objet de l'engagement est ponctuel avec une importance régionale, voire locale. Les formes juridiques que revêt la coopération sont celles du droit international : accords intergouvernementaux parfois conclus, par ailleurs, vue la portée limitée des engagements, en forme simplifiée. Toutefois, les traités les plus importants intervenus en la matière sont soumis à la ratification ou du moins confient aux parties

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LEVRAT N., Le droit applicable aux accords de coopération transfrontière entre collectivités publiques infra-étatiques, Paris, P.U.F., Publications de l’Institut universitaire de hautes études internationales de Genève, 1994, pp. 25-34.

contractantes le soin d'accomplir les formalités prévues par leurs procédures constitutionnelles respectives158.

Les Etats ont toutefois progressivement accepté de reconnaître à leurs collectivités publiques infra-étatiques une certaine marge de manœuvre pour entreprendre des projets de coopération, laissant entrevoir l’établissement d’un cadre juridique consolidé.

2. L’inadéquation du droit international à la coopération transfrontalière infraétatique

La coopération transfrontalière entre autorités régionales ou locales relevant d’Etats limitrophes prend, dans la pratique contemporaine, plusieurs formes selon que les intéressés ambitionnent d’établir des consultations ou concertations réciproques, de conclure des accords écrits ou de constituer des structures ou organismes de coopération. Cette dernière possibilité, la plus élaborée, est celle qui entretient les liens les plus étroits avec la notion d’ouvrage public. Revêtues ou non de la personnalité juridique, ces structures peuvent simplement servir de support à la concertation et à la coordination mais également « exercer les missions qui présentent un intérêt pour chacune des personnes publiques participantes et de créer et gérer des services publics et les équipements

afférents »159. Ces organismes ne doivent pas être confondus avec les commissions mixtes frontalières160 nées de la coopération entre gouvernements d’Etats voisins ou avec les établissements publics internationaux161. Les structures opérationnelles permettent aux autorités frontalières de porter ensemble un projet transfrontalier commun. Leur vocation peut être généraliste162 ou circonscrite163 à la gestion d’un service public ou à une maîtrise d’ouvrage. La création d’organismes de coopération transfrontalière entre entités publiques infra-étatiques, quels que soient leurs buts et moyens, s’est longtemps heurtée à de considérables obstacles juridiques et politiques.

L’unité de l’Etat dans l’ordre international est à ce titre une des justifications théoriques les plus souvent avancées, basée sur le monopole étatique de la personnalité juridique internationale : seul le gouvernement possède la compétence pour engager l’Etat par un accord conclu avec une autorité publique étrangère. En conséquence, les collectivités locales ou autorités publiques décentralisées

158 Ce fut le cas de la convention franco-italienne du 28 septembre 1967 relative à l'approvisionnement en eau de la ville de Menton.

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Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales, art. 187 insérant un article L.1115- 4-1 dans le Code général des collectivités territoriales, J.O. n° 190 du 17 août 2004

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Créées par traités, elles constituent des lieux de discussion de toutes les politiques de voisinage que les Etats concernés jugent bon de coordonner.

161 Créés par traités, ils sont investis par les Etats d’une tâche déterminée de service public, par exemple la gestion d’un ouvrage public le plus souvent frontalier.

162 Par exemple le développement socio-économique et la coopération culturelle.

163 Elles peuvent alors être qualifiées, selon l’expression d’un auteur, de « structures opérationnelles à objet unique » : LEJEUNE Y., « La nature juridique des organismes de coopération transfrontalière entre autorités régionales ou locales »,

in LEJEUNE Y. (dir.), « Le droit des relations transfrontalières entre autorités régionales ou locales relevant d’Etats

seraient dépourvues du pouvoir de contracter avec leurs homologues transfrontaliers à moins d’y avoir été antérieurement autorisées, soit par un traité international préalable, soit par habilitation dans l’ordre interne par l’autorité supérieure compétente. A défaut, l’Etat risquerait de se voir engagé contre sa volonté dans l’ordre international par le contrat transfrontalier : « sauf à considérer une telle méconnaissance comme une « violation manifeste » du droit interne, dans le sens de l’article 46 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, le droit international n’a pas à connaître du statut interne de l’organe ayant agi internationalement »164. Le dictum de la CIJ. dans l’affaire des Emprunts

norvégiens est également avancé : « au point de vue du droit international, ces personnes publiques

se confondent avec l’Etat […] »165. Cette argumentation est confirmée par les articles 4 et 5 du projet de la CDI consacrés à l’imputation du fait internationalement illicite qui considèrent comme faits de l’Etat les comportements de ses démembrements166 « [habilités] par le droit de cet Etat à exercer des prérogatives de puissance publique »167. La raison principale se trouve dans le fait que ces démembrements ne bénéficient de prérogatives de puissance publique que parce qu’elles leur sont déléguées par l’Etat qui en est le véritable titulaire dans la mesure où elles dérivent de la souveraineté. La jurisprudence internationale, via la question de la responsabilité des Etats fédéraux du fait des comportements de leurs Etats membres, consacre fermement cette solution168.

Cette approche, contredite par l’évolution juridique, l’est également par la logique : M. Dupuy relevait, en 1977, qu’une approche moins stricte du principe de l’unité de l’Etat dans l’ordre juridique international apparaissait nécessaire, « […] à moins de se satisfaire de l’idée que, dans beaucoup de cas, les seuls Etats d’Europe occidentale sont aujourd’hui engagés dans des accords internationaux contre leur gré, et, parfois, en violation de leurs règles internes, ce qui traduirait pour le moins un fâcheux laxisme de la part des administrations centrales ! »169. Le droit, prisonnier de ses propres schémas et préjugés, a pris du retard sur le fait social ; ces relations de « frontière » qui passent par- dessus les frontières politiques des Etats mais se situent également à la frontière de beaucoup de savoirs spécialisés : « résultats des viols répétés de la géographie par l’histoire, ou de l’écologie par la politique, ou de la culture par les intérêts économiques et des raisons de prestige étatique, les frontières actuelles ont été fixées pour des raisons historiques qui pour la plupart, ont cessé d’être des

164 D

UPUY P.-M., « La coopération régionale transfrontière et le droit international », AFDI, 1977, p. 845. 165

C.I.J., « Affaire des emprunts norvégiens », arrêt du 6 juillet 1957, Rec. C.I.J., Mémoires et plaidoiries, 1957, p. 72. 166 « Cette expression vise les communes, les provinces, les régions, les cantons et les Etats membres des Etats fédéraux, les administrations autonomes des territoires dépendants, mes établissements publics et même les personnes morales de droit privé investies de prérogatives de puissance publique » : PELLET A.,DAILLIER P.,FORTEAU M., Traité de droit

international public, 2010, p. 778. 167

Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, art. 5, in

ACDI, 2001, vol. II (2), pp. 96-100.

168 S.A., « Montijo » (Etats-Unis c. Colombie), 26 juillet 1875, R.A.I., t. III, p. 663 ; C.I.J., « Application de la Convention de Vienne sur les relations consulaires » (Paraguay c. Etats-Unis), Ord. En indication de mesures conservatoires, 9 avril

1998 ; Comm. Des réclamations France-Mexique, « Pellat », 7 juin 1929, R.S.A., vol. V, p. 534. 169 D

raisons »170. Comme l’écrit J. Verhoeven, « sans doute le droit dans l’abstraction et la formalisation que lui a données l’Occident, implique-t-il nécessairement une manière de défiguration de la réalité qui est aussi configuration pour les besoins d’un langage particulier ; il est propre cependant au droit des gens d’avoir démesurément étendu ces déformations en s’efforçant d’ordonner l’Histoire à partir d’un postulat : la communauté des Etats, qui en paralyse les évolutions fondamentales »171.

B. Les modalités juridiques de la coopération transfrontalière infraétatique en matière

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