• Aucun résultat trouvé

Aspects procéduraux des différends internationaux portant sur l’ouvrage public

Dans le document L'ouvrage public et le droit international (Page 136-139)

T ITRE 1 L E DROIT DE L ’E TAT D ’ ENTREPRENDRE

Section 2. La garantie juridictionnelle de la liberté d’aménager

A. Aspects procéduraux des différends internationaux portant sur l’ouvrage public

Les Etats sont amenés à conclure de nombreux traités dont les dispositions intéressent l’ouvrage public (que l’on songe aux traités d’exploitation en commun d’un ouvrage public, étudié précédemment, ou aux traités de gestion concertée d’une ressource naturelle dont nous traiterons abondamment ultérieurement). Ces instruments prévoient fréquemment des clauses compromissoires en vue d’anticiper le recours au juge international. Vu l’importance accordée à ce dernier dans le cadre de notre étude, nous examinerons brièvement la question de la concurrence des titres de compétence qui peuvent élargir très opportunément l’accès au prétoire du juge international (1). Une fois cette étude menée, nous reviendrons sur la question probatoire. Les différends internationaux portant sur l’ouvrage public posent invariablement la question de la preuve des impacts sur l’environnement. Dans l’affaire des Usines de pâte à papier la Cour à eu l’occasion d’examiner les conséquences du principe de précaution sur le fardeau de la charge de preuve et le rôle grandissant joué par les experts (2).

1. La concurrence des titres de compétence

La construction d’ouvrages publics dans les espaces partagés (fleuves internationaux, aquifères transfrontaliers, espaces maritimes) est souvent appréhendée par l’entremise de traités spécialement conclus par les Etats en vue d’ordonner la gestion commune de l’espace considéré. L’exemple type est celui du traité conclu par tout ou partie des Etats riverains d’un fleuve international. Ces instruments conventionnels contiennent fréquemment des dispositions relatives au règlement juridictionnel des différends. Un grand nombre d’entre eux donnent à cet effet compétence à la Cour internationale de Justice. Nous souhaiterions revenir ici sur les questions de compétence qui peuvent être soulevées devant le juge international, et plus particulièrement celles portant sur l’existence de titres concurrents. La situation la plus fréquente est celle d’une compétence sur la base des clauses facultatives cumulée avec une compétence fondée sur les clauses compromissoires ou juridictionnelles contenues dans un traité. Qu’advient-il si un différend portant sur l’ouvrage public est porté devant la Cour en application d’une clause compromissoire contenue dans le traité de gestion

de la ressource naturelle considérée mais que l’un des Etats a antérieurement déposé une déclaration facultative d’acceptation de la juridiction obligatoire plus restrictive ?

Dans cette hypothèse, la Cour se trouve confrontée à plusieurs titres de compétence applicables en même temps. Le principe général applicable en la matière est celui de l’indépendance et de l’égalité des titres de compétences : ils peuvent être additionnés les uns aux autres pour déterminer le champ concret dans lequel la Cour pourra exercer sa compétence. Cette règle connaît quelques exceptions, par exemple lorsqu’un titre de compétence précise expressément qu’il reste subordonné à tel autre titre de compétence et qu’il ne s’appliquera que subsidiairement à lui. Hormis l’existence d’une telle exception, le domaine de compétence de la Cour correspondra à la somme du champ des titres applicables en l’espèce. Le domaine de compétence fixé par une clause compromissoire peut ainsi être élargi par les clauses facultatives (qui peuvent permettre de connaître de l’ensemble du droit international général dans le même litige). Ce principe a été énoncé pour la première fois par la Cour permanente de Justice internationale dans l’affaire de la Compagnie

d’électricité de Sofia et de Bulgarie : « [l]a multiplicité d’engagements conclus en faveur de la

juridiction obligatoire atteste chez les contractants la volonté d’ouvrir de nouvelles voies d’accès à la Cour plutôt que de fermer les anciennes ou de les laisser se neutraliser mutuellement pour aboutir finalement à l’incompétence. [...] [O]n ne saurait se prévaloir du traité pour empêcher que lesdites déclarations [facultatives] produisent leurs effets et que le différend soit ainsi soumis à la Cour »288. Ce principe interdit donc de transférer les réserves contenues dans un titre vers un autre, sauf stipulation expresse en ce sens289. Le principe ne permet pas non plus de déduire d’une déclaration facultative postérieure et plus restrictive la volonté de l’Etat de ne se soumettre que de manière plus limitée à la compétence de la Cour, si bien qu’une clause compromissoire antérieure et plus large devrait être considérée comme ayant subi une dérogation.

Les titres supplémentaires ne seront toutefois pas nécessairement applicables automatiquement ou d’office. La partie intéressée à l’élargissement de la compétence doit les invoquer à son bénéfice devant la Cour.

2. La question de la preuve dans les différends internationaux portant sur l’ouvrage public

Les différends internationaux portant sur l’ouvrage public posent invariablement la question de la preuve des impacts sur l’environnement. Dans l’affaire des Usines de pâte à papier la Cour à

288

CPJI, Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, Exceptions préliminaires, 1939, CPJI, sér. A / B, n° 77, p. 76. 289

Il sera donc impossible d’arguer que les réserves contenues dans la déclaration facultative doivent s’appliquer aussi dans le cadre d’une clause compromissoire / juridictionnelle ou vice versa.

eu l’occasion d’examiner les conséquences du principe de précaution sur le fardeau de la charge de preuve (a) et le rôle grandissant joué par les experts (b).

a. Le principe de précaution et la charge de la preuve

Dans l’affaire des Usines de pâte à papier, l’Argentine soutenait que, en vertu du principe de précaution, la charge de la preuve reposait sur l’Uruguay, ce dernier ayant l’obligation de démontrer que l’usine ne causait pas de dommage significatif à l’environnement. L’Uruguay contestait cette position, affirmant que la charge de la preuve devait reposer sur le demandeur, faute de disposition conventionnelle prescrivant cette inversion de la charge. La Cour, conforme à sa jurisprudence antérieure, a réaffirmé que le contentieux environnemental ne modifiait pas la règle fondamentale qui fait peser la charge de la preuve pèse sur le demandeur. L’approche de précaution inhérente aux problématiques environnementales n’entraîne donc aucun renversement de la charge de la preuve290. La Cour va toutefois répartir la charge de la preuve entre les deux parties, et affirmer que si « [le] demandeur doit naturellement commencer par soumettre les éléments de preuve pertinents pour étayer sa thèse », « [cela] ne signifie pas pour autant que le défendeur ne devrait pas coopérer en produisant tout élément de preuve en sa possession »291.

b. Le rôle de l’expert

Dans un domaine aussi complexe que la protection des écosystèmes, l’expertise a un rôle majeur à jouer292. L’affaire des Usines de Pâte à papier a montré les ornières d’un débat d’experts techniques, à la fois nombreux et peu en accord entre eux. Les experts sont appelés à exprimer leur opinion sur des domaines techniques dans lesquels ils possèdent des connaissances spéciales. Ils peuvent être appelés par la Cour ou par les parties. L’expert est auditionné par la Cour et peut être interrogé par les conseils de la partie adverse. Il est possible de soulever des objections à la qualification de l’expert, que ce soit pour répondre à certaines questions précises ou en général sur l’ensemble de l’objet de son intervention. Dans l’affaire des Usines de pâte à papier, la Cour a pu déplorer la confusion des genres. Relevant que l’Argentine et l’Uruguay ainsi que la Société financière internationale (SFI) ainsi que la SFI ont présenté nombreuses études établies par des experts et des consultants, la Cour a indiqué que « [c]ertains de ces experts se sont également présentés devant la Cour comme conseils de l’une ou l’autre Partie pour fournir des éléments de

290 CIJ, Usine de pâte à papier sur le fleuve Uruguay, préc., §§ 162-164. Ce serait « demander l’apport d’une preuve négative souvent qualifiée de probatio diabolica. (...) les faits négatifs ne se prouvent pas » : CAZALA J., Le principe de

précaution en droit international, Anthémis, 2006, p. 418. 291

Ibid., § 163. 292 R

preuve »293. Elle rappellera toutefois les parties à plus de rigueur quant au choix d’inclure des experts dans leurs conseils : « la Cour aurait trouvé plus utile que les Parties (...) les présentent en tant que témoins-experts en vertu des articles 57 et 64 du Règlement de la Cour. Elle considère en effet que les personnes déposant devant elle sur la base de leurs connaissances scientifiques ou techniques et de leur expérience personnelle devraient le faire en qualité d’experts ou de témoins, voire, dans certains cas, à ces deux titres à la fois, mais non comme conseils, afin de pouvoir répondre aux questions de la partie adverse ainsi qu’à celles de la Cour elle-même »294.

Les Etats sont amenés à conclure de nombreux traités dont les dispositions intéressent l’ouvrage public et prévoient des clauses compromissoires en vue d’anticiper le recours au juge international. Vu l’importance accordée à ce dernier dans le cadre de notre étude, nous avons examiné la question de la concurrence des titres de compétence qui permettent d’élargir l’accès au prétoire du juge international. Le principe est le suivant : sauf stipulations exprès, les titres de compétence concurrents s’ajoutent et ne s’excluent pas, à la condition que l’Etat l’ait demandé au juge. Nous sommes ensuite revenus sur la question probatoire. Les différends internationaux portant sur l’ouvrage public posent invariablement la question de la preuve des impacts sur l’environnement. Dans l’affaire des Usines de pâte à papier la Cour à eu l’occasion d’examiner les conséquences du principe de précaution sur le fardeau de la charge de preuve (il n’opère aucun renversement) et le rôle grandissant joué par les experts dans le procès. Nous analyserons ci-après une question, non plus d’ordre procédural, mais substantielle : la question du contrôle de proportionnalité du juge.

Dans le document L'ouvrage public et le droit international (Page 136-139)

Outline

Documents relatifs