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TABLEAU DES OBLIGATIONS CONSENTIES PAR JEAN LEMOINE

10 CABAC_MIKAN 3065991, [1725].

2.2. Pierre Alexis Monière (1720-1768)

Le seul fils Monière ayant atteint l’âge adulte est né en 1720 alors que son père avait quarante ans188. Son parrain était un voisin et ami de longue date de Jean Alexis, Pierre Trottier Desauniers189. La marraine était sa tante paternelle, Madeleine, qui avait épousé en secondes noces l’officier René Godefroy de Linctôt. Placé en nourrice chez « la Buette » à Lachine, le petit Monière a eu comme frère de lait un garçon prénommé Alexis190 du nom de son propre parrain, le maçon Tabeau. Monière père portait lui-même le prénom de son parrain, l’oncle Jacques Alexis Fleury Deschambault. Alors que Jacques Giasson, âgé de treize ans, était accueilli par son oncle en 1721, le petit Pierre Alexis, devenu orphelin de mère, était confié aux soins de sa tante. Chez Marie Anne Lemoine (Giasson) à Boucherville191, le garçonnet a côtoyé quelque temps ses cousines, les demoiselles Giasson : Marie, Louise et Marguerite192. Devenu adulte, sauf lors de séjours à Québec, à la côte des Vertus et à Lachine, Pierre Alexis Monière a vécu dans la maison de son père sur la rue Saint-Paul jusqu’au

règlement de la succession de ce dernier en 1757.

Éducation humaniste d’un futur négociant

La formation élémentaire des garçons de Montréal avait été assumée par le séminaire de Saint-Sulpice à compter de 1666. N’ayant trouvé aucun frais pour un maître privé, nous supposons que le petit Alexis a fait ses études primaires chez les sulpiciens qui ont disposé à compter de 1725 de trois classes dans un nouveau bâtiment193. Après que la nouvelle famille Monière se soit agrandie de deux fillettes (Josette en 1727 et Amable en 1728), Lisette et

188 RPQA – 45360. 1720-05-20.

189 Il est le père de Pierre, négociant et syndic des marchands de Québec, qui s’est fixé près de Bordeaux à la fin

de la guerre de Succession d’Autriche et celui des demoiselles Desauniers qui furent expulsées de leur magasin du Sault-Saint-Louis par le gouverneur La Jonquière en 1749.

190 Alexis Buette est né le 5 août 1720. Le fils de l’ancienne nourrice a été engagé par Jean Alexis pour Gareau &

Leduc. Greffe L. C. Danré de Blanzy, 1743-06-24. Probablement demeuré célibataire, il a été témoin au mariage d’un de ses cousins à Lachine en 1750. Son sort est inconnu du RPQA.

191 On trouve en page 504 du Journal no 1 la liste du linge que Monière a fourni à sa sœur pour le petit garçon. 192 Voir Jonathan Fortin, Le célibat féminin à Québec et à Montréal au XVIIIe siècle : travail, famille et sociabilité, mémoire de M.A. (histoire), Université de Sherbrooke, 2016

193 Ollivier Hubert, Les Sulpiciens de Montréal. Une histoire de pouvoir et de discrétion. 1657-2007, Montréal,

Charlotte, deux filles du premier lit, ont été mises en pension chez les Ursulines194. Pierre Alexis, âgé de dix ans, a aussi été envoyé à Québec en 1730 puisque le projet d’un collège jésuite pour les jeunes gens de Montréal ne s’était pas réalisé195. Il est intéressant de noter que l’enseignement des mathématiques avait été ajouté au curriculum du collège de Québec dès 1651 pour répondre aux besoins des commerçants196. Monière fils a toutefois reçu une éducation de type « humaniste », comme le montre la liste des livres que son père a payés197. Entre l’âge de dix et treize ans, Pierre Alexis a appris des rudiments de latin, matière pourtant jugée inutile pour les négociants. Dans la chambre où il logeait à son décès, il y avait trois dictionnaires latins, une grammaire anglaise, une Méthode de tous les plans, l’Ordonnance de

la Marine, un dictionnaire géographique, deux volumes d’histoire romaine, la Coutume de Paris, les Mémoires de Pierre Legrand198… Le fils Monière possédait aussi une grande carte de la France et une autre de la Nouvelle Angleterre199. De plus, Pierre Alexis a certainement pu consulter à loisir le Dictionnaire du Commerce de son oncle René de Couagne qui a réussi à en conserver trois volumes jusqu’à la fin de sa vie, malgré l’incendie de 1765200.

On retrouve sporadiquement l’écriture maladroite du jeune Pierre Alexis à compter de 1731 dans les livres de comptes de son père. En 1735, il s’essayait même à différentes

signatures. À compter de 1736, il vérifiait les comptes sous la supervision de Jean Alexis qui apportait ensuite des corrections. Alors qu’il n’était pas destiné au notariat, on retrouve Pierre

194 C’est Louise Douaire qui s’est occupée de régler la pension de 235 livres des fillettes. Cahiers Ursulines de

Québec : Journal 1715-1746, « Le receu des Pensionnaires » pour le mois de mars 1730, du mois de juillet 1730 et du mois d’octobre 1730. Charlotte est décédée chez sa tante Gatineau à la fin de l’été 1730. PRDH – 109716.

195 Archives du Séminaire, C-8, [Grand livre 1730-1739] p. 108-109. C-17, [Brouillard recettes. 1730-1738]. C-

18 [Brouillard auxiliaire; recette dépense. 1732-1749]. Un jeune de Couagne et un Duplessis Faber doivent partager avec Pierre Alexis les frais de charrette pour leurs bagages, de la barque jusqu’au collège.

196 Roger Magnuson, Education in New France, Montreal & Kingston, McGill-Queens Universtiy Press, 1992, p.

160. Des collèges en France offraient aussi des programmes adaptés aux besoins de cette clientèle. « Le marchand à l’école » dans F. Angiolini et D. Roche (1995), p. 159-398.

197 Dominique Julia, « L'éducation des négociants français au 18e siècle » dans F. Angiolini et D. Roche (1995),

p. 215-256. Voir aussi le chapitre VI pour une discussion sur le changement de formation des négociants en Europe au cours du XVIIIe siècle.

198 Cette énumération n’est pas exhaustive. 199 Greffe P. Panet de Méru, 1768-12-28.-

200 Greffe P. Panet de Méru, 1767-12-29. Inventaire fait dans la maison de la veuve du maçon Valade. Les

Alexis durant quelques mois chez le notaire Claude Porlier l’année suivante201. Âgé de près de dix-sept ans, le jeune Monière y apprenait sans doute l’écriture (calligraphie) et la rédaction d’actes notariés, ce qui lui a été grandement utile puisqu’il a rédigé plus tard des ententes sous seing privé. Nous n’avons trouvé aucune trace de paiement envers le notaire Porlier alors qu’il y en existe pour la pension de Pierre Alexis au séminaire et de ses sœurs chez les religieuses, ainsi que pour les maîtres d’écriture et d’arithmétique de ses cousins Despins202, de son demi- frère Paul et de sa demi-sœur Marguerite203.

Apprentissage en ville

Les jeunes hommes qui étaient des fils de marchands établis à Montréal au début du XVIIIe siècle, comme Ignace Gamelin fils, pouvaient désormais ne pas quitter la ville. Ils n’ont pas fait d’apprentissage dans la traite à titre de voyageurs, mais ils ont été formés dans leur entourage et ils sont devenus marchands. Pierre Alexis n’a pas non plus été engagé comme voyageur dans l’Ouest. Il n’a pas été commis chez d’autres marchands de Montréal204. Nous ignorons auprès de quel membre du réseau de son père Pierre Alexis a reçu sa formation négociante. Cependant, compte tenu de sa manière de tenir les livres, de la révision périodique des comptes de son père et de ses partenariats rochelais, nous croyons qu’il a fait un stage à Québec205. Monière fils a commencé sa carrière officieuse aux côtés de son père en 1737 alors que son cousin Antoine s’exerçait à la tenue de livres206.

201 Cette découverte est fortuite car Porlier est le dépositaire des obligations envers la Compagnie des Indes que

nous analysions. À titre de témoin, Pierre Alexis signe d’abord Moniere puis il ajoute une initiale, peut-être à la suggestion du notaire afin d’être distingué de son père. Pour un temps, il signera P Moniere.

202 Jean Alexis a noté dans divers cahiers toutes les dépenses qu’il a faites pour Antoine et Thérèse Despins, les

orphelins dont il avait pris la charge. Nous n’avons pas retrouvé l’acte de tutelle.

203 Petit Livre no A, folios 155, 163 et 165 (années 1744-1746) et Livre Extrait no C, folio 75, année 1735.

Marguerite Thérèse Despins a été envoyée chez les sœurs de la Congrégation à Boucherville en 1738. Brouillard no A, p. 795.

204 Ce qui est le cas de ses cousins Despins et d’autres jeunes hommes lors de la signature d’engagements ou à

l’occasion de procès alors qu’ils doivent déclarer leurs « qualité et emploi ».

205 Le négociant Veyssières avait pris pension chez Louise Douaire. Pierre Alexis a pu le croiser lors de ses

études à Québec.

206 Antoine Despins est le rédacteur probable d’une transcription réorganisée des entrées du 29 septembre 1737

au 14 septembre 1738 du Journal no 4. Cahier originalement attribué à François Baby. Collection Baby, archives de l’Université de Montréal.

À compter de 1741, Pierre Alexis a révisé les comptes de Monière pour les mettre en ordre et il a modifié la manière de tenir les livres207. Il a aussi commencé à vendre au détail, à son compte, des souliers que lui fournissaient les cordonniers de Montréal. Il faisait payer comptant ce qui lui permettait de « prêter » de petites sommes à son père et de jouer au « banquier208 ». En France, les marchands étaient réputés « majeurs pour leur commerce et banque » à compter du moment où ils faisaient des affaires à leur compte particulier209. Comme le montrent les biographies des marchands canadiens (entre autres dans le DBC), les fils n’attendaient généralement pas leur majorité légale à vingt-cinq ans pour se lancer en affaires, seul ou en société. Son père lui faisant de plus en plus confiance, le jeune Monière a agi à titre de procureur en 1742 pour l’engagement des voyageurs de ses cousins Giasson.

En 1743, Pierre Alexis s’est occupé de superviser des travaux importants sur la terre de son père à la côte Vertu. Après l’examen des comptes par son fils, Jean Alexis a commencé à intenter des procès pour se faire payer et le fils a noté les intérêts qui étaient désormais dûs par sentence judiciaire210. Durant toute la guerre de Succession d’Autriche, Pierre Alexis a été occupé à gérer les affaires de son père (commerce, traite et terre de Vertu) et il s’est rendu chaque année à Québec avec lui. Alors qu’on était en pleine guerre, Pierre Alexis achetait pour Guiton de Monrepos, un officier de justice qui était leur pensionnaire et à qui la vente au détail était interdite, du vin et du sucre auprès des forains venus à Québec211. Il s’y trouvait au moment du décès de son jeune demi-frère en octobre 1748. Avant son départ pour la Louisiane en 1747, le sieur Michel, commissaire ordonnateur et ancien locataire de Jean Alexis, avait accordé la ferme de La Baie à Monière, Clignancourt et Léchelle pour trois ans. Malgré son deuil, Jean Alexis a profité de son séjour dans la capitale pour faire part de ses préoccupations

207 Voir les annexes 6 et 7 pour la liste des livres de comptes des deux Monière.

208 Ces transactions sont notées à la fin du Petit Livre no A (1740-1747) qui ne comporte que les soldes des

comptes des autres clients.

209 Article 6 de l’Ordonnance de 1673 et Jacques Savary (édition de 1675), vol. I, page 10. La majorité fut

ramenée à 21 ans sous le régime anglais. José E. Igartua, The Merchants and Negociants of Montreal, 1750-1775 : aSstudy in Socio-economic History, thèse de Ph. D. (histoire sociale), Michigan State University, 1974, p. 64.

210 Journal no 4, page 341. Le cousin René de Couagne ne semble pas avoir procédé de cette manière, puisqu’il y

avait des obligations impayées datant de 1721 au moment de la tenue de son inventaire en 1767. José Igartua, « Couagne, René de », notice dans le DBC.

211 Les marchands représentant les firmes de La Rochelle et d’ailleurs désignent ainsi les négociants et les

au gouverneur La Galissonière. Il a obtenu une réduction de la ferme pour 1748 et un délai pour payer celle de 1749. Pierre Alexis avait pour sa part obtenu ses premiers congés pour La Baie.

Les activités commerciales de Jean Alexis et de son fils Pierre Alexis, sont

véritablement devenus indissociables à compter de 1749. Aucun document n’atteste de ce partenariat familial, mais il est très visible dans la tenue des livres de comptes et dans les archives notariales. Il faut d’ailleurs lire les documents et non pas les simples résumés

mentionnant « Alexis Monière », afin de distinguer les signatures très différentes du père et du fils dans les divers contrats. Le père signe simplement « moniere » et le fils, « AP Moniere », inversant les lettres de son prénom, ce qui est plus facile à calligraphier et forme une sorte de sigle. Pierre Alexis Monière n’a jamais utilisé le vocable « Le Moyne », que l’on retrouve sous la plume d’autres individus, et que son père avait abandonné depuis de nombreuses années.

Après une éducation et une formation commerciale de base, Jean Alexis Lemoine dit Monière est allé se former sur le terrain. Il a pagayé et portagé, il a judicieusememnt investi ses gages pour ensuite engager lui-même des voyageurs et se rendre faire la traite avec les Autochtones et les Français dans les postes-clés de Détroit et Michillimackinac. Assez rapidement, il s’est révélé capable de fournir des marchandises à d’autres voyageurs (y

compris son frère aîné) et même de faire des engagements pour ceux qui restaient dans le Pays d’en haut. Pour sa part, Pierre Alexis Monière a bénéficié d’une éducation humaniste dans un collège. Comme les fils d’armateurs et de négociants, il a commencé sa carrière aux côtés de son père. Il n’a pas eu besoin de se rendre dans l’Ouest, ni même d’être commis chez un autre marchand. Il a bénéficié de la position déjà bien établie de Monière, de son expérience

commerciale et des capitaux de celui-ci.

Le chapitre qui suit fera connaître la période méconnue de la carrière de Monière père (1726-1754), un équipeur qui avait « le vent dans les voiles » au moment de son remariage. Quant à son fils, alors qu’il avait été bien préparé au métier de négociant, il devra faire face à une période de grands bouleversements (1754-1768) dont il ne pourra pas se relever.

CHAPITRE III

Essor et déclin du commerce des Monière (1726-1768)

Nous venons de voir l’entrée en scène du fils Monière qui va seconder son père pendant plusieurs années. Nous allons maintenant suivre l’entreprise familiale dans la phase ascendante qui s’annonce, puis celle de Pierre Alexis, après le décès de Monière, à travers les difficultés croissantes résultant de la conjoncture. Il importe, nous l’avons dit en introduction, de suivre cette histoire jusqu’à la fin, l’historiographie ayant insisté (à la suite de Louise Dechêne) sur le Monière d’avant 1725. Nous allons nous pencher sur les trente années globalement prospères qui ont suivi et sur les difficultés vécues par le fils, emblématiques de l’ensemble des marchands équipeurs montréalais d’expression française1. L’ambition de ce chapitre sera de suivre les grandes lignes de l’évolution du commerce des Monière, équipeurs de père en fils, dans des conditions changeantes.