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Perversion et monomanies

Dans le document tel-00780176, version 1 - 23 Jan 2013 (Page 91-98)

Esquirol introduit la doctrine des monomanies dès 1816 dans l’article

« Folie » du Dictionnaire des sciences médicales24, suivis en 1818 de l’article

« manie25 », puis en 1819 de l’article « monomanie26 ». De cette histoire bien connue27, on ne retiendra ici que ce qui relève des conditions d’ouverture du champ d’objets que seront les perversions sexuelles28. La doctrine des monoma-nies possède une double fonction épistémologique essentielle en regard du concept de perversion, qui repose sur le même élément central : la psychologie des facultés qui caractérise la conception esquirolienne des maladies mentales. La monomanie se définit comme un délire partiel29 ; elle annexe le délire exclusif constitué par la mélancolie ou encore l’hypocondrie30 chez Pinel31. Il faut néan-moins préciser deux éléments. Esquirol a d’abord proposé une conception des monomanies au tableau symptomatologique relativement unifié32, la monomanie

24. ESQUIROL, 1816, article « folie », Dictionnaire des Sciences médicales, vol. 16, Paris : Panc-koucke, 151-240.

25. ESQUIROL, 1818a, 437-472.

26. ESQUIROL, 1818b, article « Monomanie », Dictionnaire des Sciences médicales, vol. 34, Paris : Panckoucke, 114-125.

27. On en trouvera un limpide exposé dans KAGEYAMA, J., 1984, « Sur l’histoire de la mono-manie », dans Évolution psychiatrique, 49, 1, 155-162.

28. Nous revenons par la suite sur le rôle essentiel qu’ont pu jouer les conceptualisations esquiro-liennes, notamment celle de « monomanie instinctive ». Chapitre 5.

29. « Délire sur un seul objet, délire partiel ». Esquirol, 1818b, 114.

30. ESQUIROL, 1818b, 114-115.

31. « Le terme de manie indique plus particulièrement un délire général avec plus ou moins d’agitation ou un état de fureur. De même un délire exclusif sur un objet ou sur une série particu-lière d’objets, prend le nom de mélancolie » PINEL, 1809, IV.

32. Ces symtpomes sont les idées fixes (« fixité et concentration des idées ») et les états identiques à l’exaltation maniaque (« elle participe […] de la manie par l’exaltation des idées et par l’activité physi-que et morale »). ESQUIROL, 1818b, 115. Cette fixité des idées et de l’attention constitue pour Fodéré le caractère principal de ce délire partiel qu’il nomme indifféremment monomanie ou mélancolie. FODÉRÉ, 1816, vol. 1, Traité du délire, 480. Par ailleurs, pour Esquirol en 1818,

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se définissant comme un désordre intellectuel d’origine affective, un délire intel-lectuel consécutif à un « délire des facultés affectives33 », ses différentes espèces se distinguant relativement aux objets de ce délire. Elle est ainsi, dans sa première conception, analogue à la mélancolie pinélienne ; sa définition comme monomanie est fondée sur le « caractère monoidéique d’objets d’idée34 ». Cette définition objective fut vite acceptée, et l’on vit fleurir une cohorte de nouvelles maladies mentales, classées sous le même genre : misanthropie, érotomanie ou monomanie érotique, panophobie, monomanie homicide, monomanie incendiaire, monomanie religieu-se, etc., sont les espèces immédiatement issues de cette définition objective et inflationniste. De ce point de vue, la majorité des aliénistes s’accorde, jusqu’aux années 1840, sur l’existence de la monomanie, sa définition objective comme déli-re exclusif qui en divise les espèces, et sa pertinence comme entité nosographi-que. Mais, cette première conception ne constitue pourtant pas la doctrine finale d’Esquirol, qui est issue d’une double modification de la conception de 1816 dont il n’est pas l’auteur.

Le futur médecin-chef de Charenton distingue en effet en 1816 deux formes pathologiques, la monomanie et la lypémanie ; les deux sont caractérisées par l’existence d’un délire exclusif marqué par les idées fixes ; mais le terme de

« monomanie » est réservée au délire partiel à forme « exaltée » ou gaie, dont les états sont identiques à l’exaltation maniaque, tandis que la « lypémanie » est mar-quée par un abattement triste du sujet. La généralisation de cette nouvelle caté-gorie tend à traverser cette dichotomie : après avoir assimilé la monomanie à la mélancolie, la plupart des aliénistes retiennent sa définition comme délire exclu-sif présentant des idées fixes, la déployant ensuite en deux formes, une « triste » et une exaltée35.

l’origine de la monomanie est toujours la passion qui réagit sur l’intelligence : « dans la mélanco-lie ou la monomanie […] la source du mal est dans le cœur ; c’est toujours une passion qui réagit sur l’intelligence […] la mélancolie est le délire des facultés affectives, entraînant le trouble et le désordre de l’intelligence ». ESQUIROL, 1818a, 439. On verra plus bas qu’en 1838, la triparti-tion qu’il introduit ne permet plus de conserver ce modèle unifié de la causalité affective du délire.

33. « Dans la mélancolie ou la monomanie […] la source du mal est dans le cœur ; c’est toujours une passion qui réagit sur l’intelligence […] la mélancolie est le délire des facultés affectives, entraînant le trouble et le désordre de l’intelligence », Esquirol, 1818a, 439.

34. ESQUIROL, 1818b, 157.

35. C’est ce que fait Georget en 1820. GEORGET, 1820, 112. Les différents formes décrites à partir de l’objet du délire sont ensuite autant de sous-espèces de ces deux espèces. Le Dictionnaire de Médecine donne en 1825 pour « lypémanie » : « nom sous lequel M. Esquirol a indiqué la mo-nomanie dans laquelle domine les affections morales tristes et pénibles ». GEORGET, 1825a, article « lypémanie », Dictionnaire de Médecine, vol. 13, Paris : Béchet Jeune, 415. Cette modifica-tion introduite par Georget est vite généralisée ; la mineure Dissertamodifica-tion sur les différentes espèces de

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La seconde modification, plus importante, est l’articulation de la manie sans délire de Pinel à la monomanie d’Esquirol, réalisée par Georget en 1825, puis Marc en 183336. Esquirol réfute premièrement l’existence de cette manie sans délire en 181837 ; il finit par accepter son existence, comme en témoigne son tex-te de 183838, modifiant ainsi profondément son épistémologie de la subjectivité.

Pinel décrit la « manie sans délire », dite parfois aussi « folie raisonnante » ou

« manie raisonnante » (bien que cette dernière en soit parfois distinguée, notam-ment par Esquirol en 1838, les regroupenotam-ments ou les distinctions sur ce sujet variant selon les médecins39) comme un type spécifique de folie partielle dès 1797 dans sa Nosographie philosophique40. Son tableau dans la première édition du Trai-té de la manie41 dépeint des cas où apparaît exclusivement une altération des sen-timents, doublée d’impulsions aux actes violents en lesquelles le sujet ne se re-connaît pas ; elle ne constitue donc une espèce de la manie que dans la mesure où elle présente les symptômes propres à l’exaltation maniaque42.

Cette catégorie de la « manie sans délire » subira des transformations impor-tantes au long du siècle mais ouvre un espace conceptuel essentiel pour toute la psychiatrie : la description d’états psychopathologiques sans altération intellec-tuelle. Elle constitue à ce titre un foyer non seulement d’élaboration conceptuelle mais aussi de visibilité clinique important, offrant nom et figure – nosographie et symptomatologie - à des cas cliniques ne tombant pas sous les espèces caractéri-sées par l’atteinte des facultés cognitives que sont la mélancolie, la manie, la dé-mence et l’idiotie. Mais toute catégorisation est aussi génératrice et productrice : la description de la manie sans délire ouvre un nouvel espace de visibilité et dé-voile des phénomènes qui peuvent ainsi être constitués en cas nouveaux de cette

monomanie de François-Rodolphe Rapin en 1825, dont le seul mérite est d’opérer une synthèse, présente une conception proche : les espèces de monomanie sont définies par leurs objets et peu-vent présenter des formes tristes ou exaltées. RAPIN, François-Rodolphe, 1825, Dissertation sur les différentes espèces de monomanies, Strasbourg : Levrault.

36. Ce dont témoignent les textes. Ainsi, celui de Rapin fait bien de la manie sans délire une des principales espèces de monomanies (RAPIN, 1825, 5) ; il invoque en cela Georget, pour qui l’annexion de la manie sans délire au groupe des monomanies est une nécessité.

37. ESQUIROL, 1818a, 452-454.

38. ESQUIROL, 1838, vol. 1, 98.

39. Voir infra.

40. PINEL, 1797, Nosographie philosophique ou méthode de l’analyse appliquée à la médecine, première édition, 3 Volumes, Paris : Maradan.

41. PINEL, an IX (1802), 149-155.

42. Voir chapitre 5. Cette articulation, sur laquelle nous reviendrons, entre cette perversion des facultés affectives, l’impulsion à l’acte violent, et la pathologie mentale dégagée du délire est his-toriquement importante ; il s’agit en effet d’un foyer d’élaboration de la perversion sexuelle.

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nouvelle folie. Pinel pose ainsi le premier jalon d’une psychopathologie qui se dégagera complètement quelques décennies plus tard du primat du délire, et constitue la matrice des transformations à venir43. A ce titre, la manie sans délire appartient aux conditions de possibilité conceptuelles et cliniques de la perver-sion sexuelle, qui se définira bien comme psychopathologie de laquelle le délire est absent44.

La conceptualisation d’une folie sans délire intellectuel amène donc avant Esquirol à définir des folies partielles bien distinctes de la mélancolie45. Par défi-nition, la manie sans délire repose en effet sur une épistémologie spécifique du sujet et de ses facultés qui la conditionnent, puisqu’il s’agit justement d’isoler les troubles des fonctions affectives de ceux des autres fonctions46. Le regroupement de la manie sans délire avec les autres espèces de monomanie se révèle pour cette raison historiquement et épistémologiquement important ; elle potentialise l’idée d’une atteinte exclusive de certaines fonctions, et ainsi le caractère partiel de cer-taines folies. Cette articulation est d’abord réalisée par Étienne Georget en 182547, dans le texte qu’il dédie aux grands procès criminels du temps ; mais l’aliéniste propose une distinction qui ne se fonde plus tant sur les objets que sur l’atteinte pathologique des facultés que désigne la perversion :

« L’aliénation mentale peut présenter dans ses symptômes deux ordres de troubles fonctionnels : 1°. Un état de perversion des penchans [sic], des affections, des passions, des sentimens [sic] naturels ; la manifestation de penchans [sic], d’affections, de pas-sions et de sentimens opposés à ceux dont était doué l’individu. 2°. Un état d’aberration des idées, de trouble dans les combinaisons intellectuelles ; la manifestation d’idées bi-zarres, de jugemens [sic] erronés, etc. Ces deux ordres de phénomènes sont ordinaire-ment compris sous les noms de lésions de la volonté, et de lésions de l’intelligence ou délire48 »

Georget conserve la conception duelle des facultés du sujet héritée de Pinel, et fait coïncider la manie sans délire de ce dernier avec une monomanie

43. Kageyama souligne ainsi un élément essentiel de la nosographie pinélienne : classer la manie sans délire comme espèce de la manie, c’est bien affirmer que le critère n’est pas en premier lieu le délire, mais l’excitation ; i.e. l’état des facultés du sujet. KAGEYAMA, 1984, 157.

44. Sauf dans certains cas, correspondant notamment à des cas de conviction délirante d’appartenir à l’autre sexe.

45. Qui, elle, se définit toujours par le délire.

46. Chez Pinel, cette distinction se limite encore à une division du sujet entre entendement et volonté.

47. GEORGET, 1825b, 69-70.

48. Idem, 69.

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sée par les lésions de la volonté au sens strict – les « penchans » –, et des affects,

« les affections, passions, sentimens », que son concept de volonté englobe. Il réalise cependant une opération supplémentaire, en déplaçant le critère de définition de la monomanie des objets aux facultés49. Marc poursuit les spécifications en iden-tifiant en 1833 la première monomanie d’Esquirol – le délire exclusif –, à une

« monomanie raisonnante », mais surtout, en nommant la manie sans délire de Georget, i.e. la monomanie de la volonté, « monomanie instinctive50 ».

Ces opérations de définition et de distinction des monomanies sont définiti-vement achevées par Esquirol en 1838. Il redéfinit, d’une part, les espèces de monomanie par une tripartition se référant non aux objets mais aux sièges pro-chains de la maladie, c’est-à-dire aux fonctions touchées par la pathologie ; il ajoute une distinction supplémentaire, en scindant clairement la « volonté » de Georget en deux fonctions qui sont respectivement la « volonté » et les

« affects » – ne faisant par là que reprendre la tripartition classique volon-té/sensibilité/intelligence. Il entérine, d’autre part, sa reconnaissance d’une pa-thologie dont la symptomatologie est celle de la manie sans délire de Pinel51 ; par là, il fait la place dans son système à la réalité d’une psychopathologie non déli-rante52. Les trois types de monomanie sont ainsi l’intellectuelle, l’affective où les affects et le caractère sont « pervertis », le malade justifiant toutefois logique-ment ses inconvenances (Esquirol la nomme « monomanie raisonnante53 », expres-sion qui n’a donc pas la même signification que chez Marc), distinguée de la mo-nomanie instinctive qui touche spécialement la volonté, amenant le sujet à des actes irrépressibles. Il démembre alors la manie sans délire pinélienne, en désar-ticulant du point de vue symptomatologique l’atteinte des facultés affectives et

49. Kageyama propose ainsi, pour comprendre ce déplacement, de distinguer le délire exclusif, défini par sa relation à son objet, i.e. la première monomanie d’Esquirol, et le délire partiel qui, lui, se caractérise par l’atteinte des facultés.

50. MARC, Charles Chrétien Henri, 1833, « Considérations médico-légales sur la monomanie et particulièrement sur la monomanie incendiaire », Annales d’hygiène publique et de médecine légale, série 1, 10, Paris : Masson, 357-468. « Il faut donc, puisque les faits l’exigent, admettre deux sortes de monomanie, dont l’une est instinctive, l’autre raisonnante […] la première porte le monomaniaque, par sa volonté malade, à des actes instinctifs automatiques qu’aucun raisonne-ment ne précède, l’autre détermine des actes qui sont la conséquence d’une association d’idées », 378.

51. Cette reconnaissance est déjà patente en 1827 dans les notes de la traduction de la Médecine légale d’Hoffbauer. HOFFBAUER, J.C., 1827, Médecine légale relative aux aliénés et aux sourds muets, traduit de l’allemand par A.-M. Chambeyron et annoté par Esquirol et Itard, Paris, Londres : Baillière. Voir notamment les notes des pages 29, et 309 et ss.

52. Ce qui n’était pas le cas en 1818, puisqu’il réinterprétait tous les cas de pseudo-manie sans délire comme des délires cachés ou mal décelés. ESQUIROL, 1818a.

53. ESQUIROL, 1838, vol. 2, 5.

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l’irrésistibilité des actes, et en introduisant dans la nosographie la très importan-te idée d’une stricimportan-te lésion de la volonté mise en regard d’un certain instinct, dessi-nant un axe essentiel à l’histoire de la perversion sexuelle54.

Deux remarques s’avèrent ici nécessaires. Il faut premièrement noter la labi-lité nosographique de l’usage de l’expression « monomanie raisonnante » : elle correspond au délire intellectuel chez Marc, et au délire affectif chez Esquirol ; elle apparaît aussi parfois comme synonyme de la monomanie sans délire de Georget – caractérisée par les lésions de la volonté et des affects. La nosographie esquirolienne des monomanies ne constitue donc pas une référence constante, et l’on trouve sous différentes plumes tantôt la nosographie de Marc, tantôt celle de Georget. Au-delà des classifications et des dénominations, l’attention doit donc se porter sur la description des symptômes des cas déployés par les aliénistes. Mi-chéa fera ainsi du cas du nécrophile Bertrand un exemple de « monomanie rai-sonnante », en décrivant pourtant tous les symptômes de la monomanie instinc-tive esquirolienne55.

Deuxièmement, la référence aux objets de la monomanie ne disparaît pas chez Esquirol, qui parle bien de « monomanie érotique », « homicide » ou

« incendiaire56 ». Si le déplacement de la référence première du côté du sujet si-gne une transformation importante dans sa conception, il n’en reste pas moins que le discours organisé autour des objets du délire continuera à s’imposer pour décrire la monomanie57. Le modèle de l’aliénation doublement partielle, aussi bien du côté de l’objet que du côté du sujet58, ouvre la possibilité de formuler un dis-cours sur la monomanie de l’instinct sexuel. Cette même épistémologie double sera présente dans les dernières décennies du siècle au sein de la

54. Voir chapitre 5.

55. MICHÉA, 1849. Il considère bien que Bertrand est atteint de monomanie affective, qu’il as-simile à une folie raisonnante dont il fait l’équivalent de la monomanie sans délire : « chez Ber-trand, l’aberration porte exclusivement sur les facultés morales ou affectives : c’est la folie raison-nante, la monomanie sans délire, que les magistrats français s’obstinent encore à méconnaître, qu’il regardent comme une chimère, où le médecin croit trouver un nouveau domaine à exploiter, dont l’avocat s’empare en façon de pis-aller dans une cause désespérée », idem, 339.

56. Il ne s’agit donc pas de distinguer strictement comme le fait Kageyama une épistémologie du délire exclusif fondée sur les objets du délire, et une épistémologie du délire partiel fondée sur la distinction des facultés qui sont les sièges prochains des folies.

57. Il suffit de regarder les titres des articles ayant pour objet la monomanie dans les Annales d’hygiène publique pour s’en convaincre. « On gardera l’habitude d’appeler monomanie toutes sor-tes d’acsor-tes morbides (incendie, vol, meurtre, ivresse, suicide, etc.), qu’ils soient strictement impul-sifs ou partie et conséquence d’un état délirant, voire d’un autre cadre clinique tel que manie, démence, idiotie. Les monomanies sont ainsi à cheval entre le plan des symptômes et celui des syndromes », BERCHERIE, 2004a, Histoire et structure du savoir psychiatrique. Les fondements de la clinique 1, Paris : L’Harmattan, 35.

58. Partielle et exclusive, si l’on préfère.

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gie de la sexualité, ce qui témoigne de sa conservation et de sa pérennité ; la per-version sexuelle sera en effet définie comme pathologie d’une fonction sexuelle, tandis que ses espèces seront distinguées par le recours aux différents objets des aberrations sexuelles59.

Ce couplage de l’objet et de la fonction n’ouvre pas simplement un champ de conceptualisations possibles, mais aussi un espace de visibilité : l’aliéniste peut constituer en symptômes des conduites sexuelles excentrées, et les décrire de manière cohérente comme l’expression d’une maladie spécifique de l’instinct sexuel. En effet, la doctrine d’Esquirol fait passer le partage du normal et du pa-thologique au cœur même de l’individu, dont la subjectivité n’est atteinte que de manière limitée et qui reste donc normale par ailleurs. Les étrangetés sexuelles qui semblent les seuls désordres chez certaines personnes, n’engageant aucun autre trouble en apparence, peuvent désormais être décrites de manière ration-nelle comme des symptômes d’une monomanie spécifique. Cette ouverture trouve son renforcement épistémologique dans le fait que les différentes monomanies sont directement caractérisées et définies par la perversion des différentes fonc-tions :

« La monomanie […] est un délire partiel, chronique et apyrétique, borné à une seule idée, ou à une série d’idées, ou une perversion d’une ou plusieurs facultés affectives, les autres facultés de l’intelligence et les autres penchans [sic] s’exerçant avec une intégri-té plus ou moins complète60 »

Rien d’étonnant : dans la mesure où toute folie est perversion des facultés, la monomanie, folie partielle affectant une faculté spéciale, ne pouvait être que per-version d’une fonction particulière. L’idée d’une perper-version pathologique de la fonction sexuelle devient alors pensable.

59. S’exhiber, aimer les morts, aimer les personnes du même sexe, aimer la cruauté, etc. Voir chapitre 7.

60. GILLET, Auguste, 1829, Dissertation sur la monomanie, Paris : Levrault, 1.

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