• Aucun résultat trouvé

Un concept plurivoque

Dans le document tel-00780176, version 1 - 23 Jan 2013 (Page 59-82)

Dualités

L’urgence de distinguer le vice de la maladie repose sur leur dangereuse in-discernabilité. Le risque de cette confusion apparaît au cœur même du langage de la perversion. Les significations du terme, ainsi que ses emplois dans le champ psychiatrique, sont traversés tout au long du XIXe siècle par plusieurs dualités qui s’articulent, tout en maintenant un ensemble d’équivoques, dont la principale tient à l’oscillation entre dimensions morale et médicale. Cette dernière apparaît très clairement dans l’analyse sémantique du terme « perversion » à partir des dictionnaires. Fort instructive, cette analyse n’a cependant qu’une modeste voca-tion d’indicateur des difficultés posées concrètement aux individus hors de l’enregistrement auquel s’adonne le collecteur de mots. Elle indique que le terme

« perversion », s’il possède un emploi technique, reste aussi au long du XIXe siècle un mot du langage ordinaire qui apparaît comme tel dans les traités médicaux ; cette coexistence des dimensions ordinaire et scientifique ne va pas sans poser un certain nombre de problèmes.

Le Dictionnaire Bescherelle de 1856 donne du mot « perversion » les défini-tions suivantes, qui impliquent la morale comme la religion, ou la pathologie générale :

« Perversion,s.f. : (définition 1) Action de pervertir ; résultat de cette action. Change-ment de bien en mal.

(définition 2) - se dit particulièrement en fait de religion et de morale. La soif des riches-ses et des honneurs cause la perversion des mœurs. On dit mieux Corruption.

(définition 3) - Trouble, changement. De cette perversion du genre de vie naissent une foule de maux par les contrariétés qu’éprouvent le jeu des organes (Virey).

(définition 4) - Pathol. Un des quatre modes d’altération des fonctions dans l’état de ma-ladie. Les trois autres sont l’augmentation, la diminution, l’abolition. // Altération des

tel-00780176, version 1 - 23 Jan 2013

liquides dans la doctrine des humoristes [sic] // perversion de la tête, des os et des mus-cles61 »

Tout d’abord, la référence à la sexualité est absente ; elle n’apparaîtra dans les dictionnaires qu’au XXe siècle62. Les usages médicaux généraux du terme

« perversion » précèdent donc bien son application à la sexualité. Ce sens général fut assez constant tout au long du XIXe siècle ; on le trouve dès la fin du

XVIIIe siècle63 en français, jusqu’au début du XXe siècle. Contrairement à une cer-taine vulgate, lorsque le terme est employé par les psychiatres de la fin du

XIXe siècle pour qualifier des pathologies psycho-sexuelles, il ne s’agit donc abso-lument pas d’une translation directe d’un concept du champ de la morale vers le champ de la psychologie, mais au contraire d’un vocable médical consacré depuis au moins un siècle.

Ensuite, ces définitions du Bescherelle dévoilent l’ensemble des dualités qui traversent la perversion. Usage général et usage technique : la perversion vient qua-lifier génériquement une dynamique du bien au mal (définition 1), ou un chan-gement (définition 3), mais elle correspond aussi à un mode spécifique d’altération pathologique, qualitatif et non quantitatif (définition 4). Usage des-criptif et usage évaluatif : la perversion est, certes, un processus d’altération pou-vant être décrit objectivement (définitions 3 et 4), comme la luxation64 ou le trouble du comportement, mais elle est aussi passage du bien au mal (définition 1), ce qui engage une axiologie implicite. Usage médical et usage moral : si la perver-sion peut qualifier tout processus de transformation négatif (définition 1), elle concerne néanmoins généralement morale et religion (Définition 3) ; pourtant, son usage technique appartient au champ de la pathologie (Définition 4). À ces

61. BESCHERELLE, Louis-Nicolas, 1856, article « perversion », Dictionnaire national ou Diction-naire universel de la langue française, 2 volumes, Paris : Garnier Frères, vol. 2, 855.

62. Tandis que la psychopathologie de la sexualité est à son apogée, ni le Dechambre médical de 1885 (DECHAMBRE, Amédée, 1885, article « perversion », Dictionnaire usuel des sciences médica-les, Paris : Masson, 1221) ni la 16e édition du Nysten de 1886 (NYSTEN, Pierre-Hubert, 1886, article « perversion », Dictionnaire de médecine, de chirurgie, de pharmacie, des sciences accessoires et de l’art vétérinaire de P.-H. Nysten, 16e édition, Paris : Baillière) ne font référence à l’entrée

« perversion » – le Dechambre encyclopédique ne proposant même pas cette entrée entre 1864 et 1899 – pas plus que le Littré-Gilbert de 1908 (LITTRÉ, Émile, GILBERT, Augustin,1908, arti-cle « perversion », Dictionnaire de médecine, de chirurgie, de pharmacie, et des sciences qui s’y rappor-tent, Paris : Baillière, 1255) qui ne fait que reprendre les termes du Littré de 1873 (LITTRÉ, 1873, article « perversion », Dictionnaire de médecine, de chirurgie, de pharmacie, et des sciences qui s’y rapportent, 13e édition, Paris : Baillière, 1162), qui restent proches de celle du Bescherelle de 1856.

63. Voir infra.

64. Le Panckoucke rappelle que l’on dit la « perversion de la tête des os » pour qualifier une luxa-tion. MÉRAT, François-Victor, 1820, article « perversion », Dictionnaire des sciences médicales, par une société de médecins et de chirurgiens, vol.41, Paris : Panckoucke, 45.

tel-00780176, version 1 - 23 Jan 2013

trois dualités on peut en ajouter une quatrième : la perversion est à la fois une notion dynamique et statique : elle vient qualifier tant un processus qu’un état (définition 1). Cet ensemble définitionnel n’est cependant pas déstructuré. Il est organisé autour d’un pôle sémantique fort : la perversion vient généralement désigner un processus de transformation négatif, désigné d’un nom générique

« altération ».

Usages généraux, signification technique

La définition technique de la perversion la restreint à être une altération qua-litative des fonctions, se distinguant bien des altérations quantitatives comprises sous le schème de l’excès et du défaut qui sont l’augmentation, la diminution, et l’abolition. Comme l’a souligné Arnold Davidson, cette définition d’une altération fonctionnelle appartient aux conditions d’un discours sur les perversions sexuel-les, car elle autorise l’assignation de déviations d’une fonction spécifique, l’instinct sexuel, qui ne soient pas simplement des altérations organiques et subs-tantielles, ouvrant ainsi la possibilité d’une conceptualisation de la psycho-sexualité65. Ce sens étroit correspond effectivement à un usage psychiatrique spécialisé du mot « perversion », qui s’ajoute à son sens dynamique général. Ain-si, chez Krafft-Ebing, la perversion est comprise sous cette dernière acception, espèce nosographique définie comme « paresthésie », qui se distingue des trois autres types de névroses cérébrales66 occasionnant des troubles sexuels : l’anesthésie, l’hyperesthésie67, et la paradoxie68. La perversion correspond de prime abord à un syndrome unifié, l’attirance pour des objets « inadéquats ».

Cette définition étroite coexiste toutefois avec d’autres significations plus larges, dont on trouve de nombreuses occurrences dans la littérature psychiatri-que qui va des débuts de l’aliénisme jusqu’à l’orée du XXe siècle. Même au cœur de la période la plus riche et la plus achevée de la psychopathologie de la sexuali-té du XIXe siècle, le terme « perversion » reçoit souvent une acception générale

65. DAVIDSON, Arnold, 2005 (2001), L’Émergence de la sexualité. Épistémologie historique et for-mation des concepts, traduction de DAVIDSON, Arnold, 2001, The Emergence of Sexuality. Historical Epistemology and the Formation of Concepts, Cambridge, Mass : Harvard University Press.

66. Les psychoses, définies comme des pathologies cérébrales 67. Augmentation anormale de l’instinct sexuel.

68. La paradoxie comme la présence de l’instinct sexuel en dehors des périodes normales, i.e.

durant l’enfance et la vieillesse. KRAFFT-EBING, 1895, 53. Ce qui correspond parfaitement au quatre types d’altérations décrites dans la définition du Bescherelle.

tel-00780176, version 1 - 23 Jan 2013

renvoyant à toutes les « aberrations sexuelles », ou encore « génésiques69 », la perver-sion au sens étroit devenant alors une espèce d’aberration parmi d’autres. Le sa-disme, le masochisme et le fétichisme côtoient alors la nymphomanie et le saty-riasis70, et des syndromes très différents sont regroupés, de l’aberration sexuelle isolée des individus décrits comme « supérieurs » au comportement des idiots et crétins, en passant par les effets sur la conduite sexuelle de la neurosyphilis71.

Cette oscillation entre signification médicale large et sens plus étroit ou technique persistera au moins jusque dans les deux premières décennies du

XXe siècle. Dans la mesure où ces définitions sont contemporaines et apparaissent dans des discours appartenant au même champ de savoir et de pratiques, nul cri-tère n’autorise à disqualifier l’une des définitions en érigeant l’autre au titre de

« signification moderne72 ». Dès lors, l’histoire du concept de perversion sexuelle au XIXe siècle ne peut être le récit du passage d’un stade préscientifique à un stade de rationalité scientifique, rationalité qui serait marquée par un lexique techni-que, spécifitechni-que, débarrassé des emplois vagues et ordinaires des catégories.

L’objectivation des perversions n’a jamais atteint un tel stade qui lui aurait per-mis l’accession à un vocabulaire descriptif univoque et purifié de tous les élé-ments non médicaux – l’articulation continuée de la perversion sexuelle aux pro-blèmes moraux indiquant assez clairement l’échec d’une description objective qu’aurait garantie la définition purement fonctionnelle.

Ces oscillations conceptuelles peuvent cependant amener, si l’on n’y prend garde, à ériger une des définitions de la perversion en critérium épistémologi-que, ce qui disqualifie immédiatement les autres et conduit à exercer une force de torsion et de déformation sur les textes, ainsi qu’à sélectionner implicite les sour-ces en rejetant de la part du corpus où apparaissent des significations distinctes.

Il est probable que les thèses positiviste et relativiste sur la perversion sexuelle soient toutes deux issues d’une telle lecture partielle et fragmentaire des textes, affectés d’indétermination par la coïncidence et la contemporanéité des usages.

En effet, le choix de mettre l’accent sur le sens large mène facilement à une

69. Pour reprendre le terme de MOREAU (DE TOURS), 1887 (1877), Aberrations du sens génési-que, Quatrième édition, Paris : Asselin et Houzeau. On trouve parfois aussi « génésiaque ». Voir infra.

70. Voir notamment MOREAU (DE TOURS), 1887. On trouve encore cela dans la communica-tion essentielle de DUPRÉ sur les « Perversions instinctives » en 1912 au congrès de Tunis.

DUPRÉ, Ernest, 1925 (1912), « Les perversions instinctives », Pathologies de l’imagination et de l’émotivité, Paris : Payot, 357-427.

71. Paralysie générale.

72. DAVIDSON, 2005, 47-48.

tel-00780176, version 1 - 23 Jan 2013

ture relativiste qui ignore la rationalité interne de la psychopathologie des per-versions, en réduisant d’emblée la nosographie à être un catalogue sans rationali-té d’espèces exotiques non organisées, c’est-à-dire à un chaos. Cela pose alors un obstacle de principe à l’interrogation des critères de classification et de limite entre le normal et le pathologique en disqualifiant a priori l’existence même de ces critères. À l’opposé, ériger la définition étroite de la perversion en critère épistémologique disqualifie immédiatement les autres occurrences et amène à mal évaluer la chronologie des perversions.

Celle que propose Arnold Davidson se heurte à cet écueil. Il privilégie la dé-finition stricte de la perversion, appliquée à la sexualité : la perversion sexuelle est une altération fonctionnelle de l’instinct sexuel. En faisant jouer cette défini-tion stricte, il affirme que le savoir moderne des perversions ne commence pas avant le milieu du XIXe siècle, se développant surtout dans ses dernières décen-nies du siècle73. Mais il existe une contradiction entre la chronologie de David-son et David-son propre critérium : si l’on prend David-son critère au sérieux, on trouve de la perversion sexuelle dès la fin des années 1820. En effet, l’idée d’une perversion de l’instinct sexuel définie comme altération d’une fonction est indéniablement pré-sente chez Broussais en 1828. Ce dernier souligne une « dépravation74 [synonyme exact de perversion] de l’instinct génital » pour décrire la nymphomanie75. En 1837, Bayard, dans un examen médico-légal sur un cas de nymphomanie, parle de « dépravation d’instinct », de « dépravation du penchant à l’instinct sexuel », et de perversion sexuelle en référence à Broussais76. Doit-on alors considérer que ces premières perversions sont conceptuellement identiques avec le fétichisme, le sadisme, et le masochisme, etc., tous définis dans les trois dernières décennies du

XIXe siècle, dans un cadre psychiatrique tout à fait distinct ? Il est au contraire important de différencier les perversions du début de siècle de leurs héritières, et

73 . DAVIDSON, 2005, 28-30.

74. Le Dictionnaire de médecine donne, en 1823, la définition suivante : « dépravation : corruption, perversion. Ce mot, qui, en pathologie, est en général synonyme d’altération, a dans quelques cas une acception particulière. C’est ainsi que la dépravation du goût, de l’appétit, de l’odorat, n’indique pas seulement que ces sensations sont altérées en plus ou en moins, mais qu’elles se montrent avec un caractère insolite, bizarre […] », Jacques Raige-Delorme, article

« dépravation », Dictionnaire de médecine, vol.6, Paris, Béchet Jeune, 502. Cette définition, qui indique clairement une altération qualitative et non quantitative, apparaît tout au long du siècle, l’accent étant de plus en mis sur la dimension « bizarre » et « insolite » des sensations, jusqu’à ce que cette dernière signification soit seule conservée.

75. BROUSSAIS, 1828, De l’irritabilité et de la folie, Paris : Delaunay, 365-366.

76. BAYARD, Henri Louis, 1837, « Examen médico-légal de cette question : la nymphomanie peut-elle être une cause d’interdiction, ou les faits qui tendraient à l’établir sont-ils non perti-nents ? » Annales d’hygiène publique et de médecine légale, Série 1, 18, Paris : Baillière, 416-477.

tel-00780176, version 1 - 23 Jan 2013

de rendre compte de la transformation de ce premier modèle de perversion sexuelle au second, tout en indiquant leurs continuités ; toutes choses impossi-bles s’il l’on érige en critère normatif une définition du terme au détriment de l’autre77.

On peut tirer deux implications du constat de ces difficultés. Premièrement, l’histoire de la définition de la perversion est indicative mais insuffisante pour rendre compte de l’histoire du concept. Elle ne peut guère fournir que des indi-ces, non des critères. Ensuite, il est nécessaire de prendre en compte les occur-rences psychiatriques de « perversion » dans leur pure positivité, comme des faits immanents au champ du discours psychiatrique, sur lesquels l’historien ou le philosophe n’ont aucunement à exercer de sélection de quelque point de vue que ce soit. On peut alors déployer les transformations du concept et de son espace de rationalité, sans chercher à définir a priori quelles seraient ses conditions sé-mantiques et conceptuelles nécessaires en érigeant un moment pontuel de son histoire en critérium absolu et normatif de ce que doit être la perversion.

Un sens descriptif

La perversion est aussi un concept descriptif, séméiologique et diagnostique, décrivant les changements pathologiques chez le sujet. Elle permet de nommer toute altération – humorale, physiologique, fonctionnelle –, effet et signe de la pathologie. Une dimension plus spécialisée de ce changement apparaît chez les aliénistes, et ce dès la première édition du Traité de la manie de Pinel78 : la per-version qualifie les altérations comportementales et affectives brutales marquant l’entrée dans la folie, ce qui correspond aussi à la référence au « trouble » et au

« changement » qui anime la troisième définition du Bescherelle.

Comme indiqué plus haut, ce sens descriptif est présent dans le champ médi-cal en France dès la fin du XVIIIe siècle. Le dictionnaire de Lavoisien de 1793 donne ainsi la définition suivante :

77. Le choix de Davidson relève aussi du corpus qu’il a sélectionné. C’est en effet dans le texte de Krafft-Ebing que la distinction entre les différents types d’altération est la plus poussée et la plus cohérente. Partir de ce texte mène alors assez facilement à considérer que les définitions plus larges de la perversion sont « imparfaites » ou « inexactes ».

78. PINEL, Philippe, an IX (1802), Traité médico-philosophique de l’aliénation mentale, ou la manie, Paris : Richard, Caille et Ravier. La manie sans délire se caractérise ainsi par la « perversion dans les fonctions affectives », (155).

tel-00780176, version 1 - 23 Jan 2013

« Perversio, s. f., perversio, depravatio, du verbe latin pervertere, corrompre, gâter ; action par laquelle les liqueurs du corps sont corrompues, gâtées79 »

Ce premier usage médical s’inscrit dans le cadre de la théorie humorale à la-quelle fait clairement référence la quatrième définition du Bescherelle80. Si, dans la première moitié du XIXe siècle, le terme « perversion » continuera à qualifier des altérations substantielles81, il tendra par la suite de plus en plus à désigner des transformations fonctionnelles, ne pointant plus tant la dégradation des corps que celle des puissances du corps et de l’âme.

Cet usage descriptif dynamique est bien antérieur à son inscription dans le champ de la médecine. La perversion vient en effet d’abord qualifier une trans-formation de bien en mal dans les domaines moral et religieux82. Ainsi, les dic-tionnaires de l’Académie française de 1762 et 1798 donnent-ils la même défini-tion du terme :

« Changement de bien en mal, en matière de religion et de morale83 »

L’édition de 1718 ne donne même pas d’entrée pour le substantif

« perversion », mais définit le verbe « pervertir » comme suit :

« (1) Faire changer de bien en mal dans les choses de la Religion ou de la morale […]. (2) On dit pervertir l’ordre des choses pour dire troubler un ordre établi84 »

79. LAVOISIEN, Jean-François, 1793, Dictionnaire portatif de médecine, d’anatomie, de chirurgie, de pharmacie, de chymie [sic], d’histoire naturelle, de botanique et de physique, Paris : Théophile Barrois, 447. Nous ne prétendons pas dater l’usage médical de « perversion » grâce à la définition du dictionnaire, puisqu’on peut rencontre parfois le terme dans certains traités médicaux antérieurs.

80. « La doctrine des humoristes ».

81. Comme en témoigne la définition 4 du Bescherelle de 1856, ainsi que cette définition du Dic-tionnaire des Sciences Médicales de 1820 : « Perversio, de pervertere, déranger, altérer. On donne quelquefois ce nom aux changements nuisibles qui arrivent aux liquides et aux solides. C’est ainsi qu’on dit perversion des humeurs, pour indiquer leur altération ; la perversion de la tête des os, pour luxation, etc. » MÉRAT, 1820, 45.

82. Voir définition 2 du Bescherelle de 1856.

83. ACADÉMIE FRANÇAISE, 1762, article « perversion », Dictionnaire de l’Académie françoise, quatrième édition, Tome 2, Paris : Veuve Brunet, 357 ; ACADÉMIE FRANÇAISE, 1798, article

« perversion », Dictionnaire de l’Académie Française, revu, corrigé et augmenté, Tome 2, Paris : Smits, 273. Comparer avec FÉRAUD, Jean-François, 1787, Dictionnaire critique de la langue française, tome troisième, Marseille : Mossy, 144: « pervertir, perversion, se disent d’un changement de bien en mal ; comme convertir, conversion, d’un changement de mal en bien, en fait de religion ou de morale […]. On dit pervertir simplement pour changer dans cette phrase : pervertir l’ordre des choses ; et pour altérer ou mal interpréter : pervertir le sens d’un passage de l’Écriture Sainte ».

84. ACADÉMIE FRANÇAISE, 1718, Nouveau dictionnaire de l’Académie Françoise, Paris : Coi-gnard, 258.

tel-00780176, version 1 - 23 Jan 2013

La perversion médicalement entendue n’en est pas pour autant la traduction d’un concept essentiellement moral dont la norme médicale serait alors la ratio-nalisation ad hoc. Il s’agit bien, au XVIIIe siècle, d’une catégorie dynamique à vo-cation descriptive, appliquée à la morale, à la religion et, plus largement, à un

« ordre établi » non spécifié. Cet usage, ancien, présent jusqu’à la fin du

XIXe siècle85, a subi une translation de ces domaines vers la médecine sur le fon-dement de son caractère descriptif qui rend possible sa labilité.

Ce sens dynamique de la perversion précède aussi sa signification statique.

On a pu constater que le Bescherelle de 1856 décrivait la perversion comme un état et un processus, voire une action (définition 1). En comparant les textes cités de Brierre de Boismont et de Michéa, on trouve bien les deux types de significa-tion : si Brierre de Boismont décrit les changements d’humeur et de comporte-ment dans la période précédant l’explosion de la paralysie générale, Michéa op-pose deux états possibles du sujet sous les figures respectives de la perversion maladive et de la perversité. Des deux significations, c’est celle qui fait de la per-version un processus qui est historiquement première. Une définition de 170186 le met en évidence : la perversion est définie exclusivement comme une action.

Insister sur ce sens primitivement dynamique du terme met tout d’abord en lumière la relation hiérarchique et génétique entre processus et état : il n’y a per-version des facultés que parce que les facultés ont été perverties, la perper-version-

Insister sur ce sens primitivement dynamique du terme met tout d’abord en lumière la relation hiérarchique et génétique entre processus et état : il n’y a per-version des facultés que parce que les facultés ont été perverties, la perper-version-

Dans le document tel-00780176, version 1 - 23 Jan 2013 (Page 59-82)