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La gestion du désordre érotique

Dans le document tel-00780176, version 1 - 23 Jan 2013 (Page 123-152)

Qu’il s’agisse des pyromanes ou des auteurs fous de lettres obscènes, on reste pourtant confiné à un problème d’imputabilité et de pénalité, limitant ce

« dehors », auquel la psychiatrie se confronte, au système judiciaire76 – qui est, comme l’indique Robert Castel, son « premier dehors », mais pas le seul77. Ce-pendant, il existe une autre urgence au cœur même de l’ordre civil et familial : peut-on différencier l’immoralité sexuelle de la perversion érotique pathologique pour fonder médicalement l’internement, l’isolement du milieu familial perturbé par les conduites indécentes et scandaleuses qui représentent également un dan-ger pour le malade, et la mise sous tutelle ? S’articulent alors le recodage de la

75. L’article 64 de 1810.

76. Ce qui tendrait du coup à limiter la généalogie des perversions à l’histoire de la relation entre crime et folie.

77. « La première percée claire que fait l’aliéniste hors de l’asile consiste à s’imposer comme une pièce indispensable au fonctionnement de l’appareil judiciaire ». CASTEL, 1976, 174.

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perversité en perversion sexuelle pathologique, l’intervention de la psychiatrie dans la famille, et la tâche hygiéniste de gestion et d’administration de la maladie mentale. Tous trois supposent le partage des pervers.

Recoder la perversité

Il est ici nécessaire de retracer le cadre légal et pénal dans lequel s’intègrent les désordres érotiques et leur gestion dans la première moitié du XIXe siècle.

L’ensemble de réformes législatives à la suite de la Révolution a entraîné une réforme pénale importante portant sur les questions relatives aux mœurs. Avant 1791 existe en effet un ensemble de « crimes de luxure » indexés aux péchés du même nom qui comptent les contre-natures de la théologie morale définies de-puis le XIIIe siècle78. Thomas d’Aquin définissait ainsi les espèces de péchés de luxure : fornication, rapt, adultère, inceste, sacrilège, et péché contre-nature79. Ce dernier était le plus grave parmi les péchés de luxure80, qualifiant la masturba-tion, toutes les pratiques « monstrueuses et bestiales », la sodomie comprise comme relations entre individus de même sexe, et le pire, la bestialité81. Les « crimes de luxure et de fornication » du droit pénal français reprennent la plus grande part de cette échelle peccamineuse dont elle fait un ensemble de crimes, qui sont ainsi, par ordre de gravité l’adultère, la polygamie, le stupre, le concubinage, le maque-rellage, le viol, le rapt82, l’inceste, la sodomie et la bestialité, « le plus atroce de tous83 ». Il faut noter que la sodomie mentionnée ici est, depuis le Moyen Âge,

78. CORBIN, 2007, 250-253.

79. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, Prima Secundae, Partie III, Question 154, art. 1 à 11.

Jordan, Mark D., 2006 (1998), L’invention de la sodomie dans la théologie médiévale, Paris : EPEL, traduction de Jordan, Mark D., 1998, The Invention of Sodomy dans Christian Theology, Chicago : University of Chicago Press, 159-183 sur Thomas d’Aquin, la luxure et la sodomie. Le terme de « sodomie » est apparu au XIème siècle (chez Pierre Damien). Son concept est issu d’un double mouvement : la réduction du péché de sodome au péché sexuel entre hommes par une interprétation spécifique des textes (à la fin période patristique, l’interprétation sexuelle du péché sodome est arrêtée), et l’émergence d’une catégorie nouvelle, la luxure (Idem, 40-50).

80. THOMAS D’AQUIN, Summa Theologica, Prima Secundae, Partie III, Question 154, art. 12.

81. Idem.

82. Le rapt peut être par violence ou par séduction. Dans le dernier cas, il s’agit d’une catégorie pénale permettant de pénaliser le départ volontaire de femmes contre l’avis paternel.

83. MUYART DE VOUGLANS, Pierre-François, 1757, Institutes au droit criminel, ou Principes généraux en ces matières, suivant le droit civil, canonique, et la jurisprudence du royaume. Avec un traité particulier des crimes, Paris : Imprimerie de Le Breton, 551. C’est totalement conforme à la concep-tion aquinienne et au texte du Levitique (Levitique, XX, 14 et 16).

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une catégorie de la théologie juridique84, qui recouvre largement les actes sexuels entre hommes ou entre femmes, mais aussi les pratiques « ne se servant pas de la voie ordinaire pour la génération » comme l’onanisme « dernière espèce de ce crime qui se commet sur soi-même »85. Il ne s’agit donc pas d’une catégorie descrip-tive, et elle désigne pas toujours cet acte particulier qu’est le coït anal86.

Dès 1764, Beccaria, dont on sait l’influence qu’il eut en Europe sur les réfor-mes pénales des décennies suivantes87, appelait à la décriminalisation de l’adultère, mais aussi de la sodomie et de la bestialité88. La réforme de 1791 par l’assemblée constituante réalise ce projet et introduit sur les questions de mœurs des modifications substantielles. Elle élève, dans le Code criminel, l’ensemble des

« crimes pour luxure » au statut de « crimes et attentats contre les personnes89 », les faisant basculer du côté des atteintes aux individus, et non à la nature et à l’ordre divin. Elle continue à pénaliser le viol90, le rapt, sous le nom d’« enlèvement » (mais seulement sur les jeunes filles de moins de quatorze ans91), la polygamie92. Elle dépénalise la sodomie et la bestialité, leur ôtant toute existence juridique en faisant silence sur le sujet93. La réglementation des maisons de prostitution

84. JORDAN, 2006. L’auteur a montré dans quelle mesure la sodomie constitue une idée essen-tielle de la théologie médiévale, une catégorie très vague, très large, qui a pour fonction de

« rassembler et réifier, juger et punir » (Idem, 18).

85. MUYART DE VOUGLANS, 1757, 478-505. « Se commet par un homme avec un homme, ou par une femme avec une femme. Il se commet aussi par un homme avec une femme, lorsqu’ils ne se servent pas de la voie ordinaire pour la génération », 509. Voir ARIÈS, Philippe, 1982,

« Réflexions sur l’histoire de l’homosexualité », dans ARIÈS, Philippe et BÉJIN, André,

« Sexualités occidentales. Contributions à l’histoire de la sociologie des sexualités », Communica-tions, 35, Paris : Seuil, 56 -67 : 58. Pierre Hurteau a montré que les définition de la sodomie, à partir de Thomas d’Aquin qui tend à la réduire au coït anal, sont diverses. Toutefois l’opinion commune tend à désigner sous le vocable de « sodomie » l’ensemble des relations entre person-nes de même sexe. HURTEAU, Pierre, 1993, « Catholic Moral discourse on male sodomy and masturbation in the Seventeenth and Eighteenth Centuries », Journal of the History of Sexuality, 4 (1), 1-26 : 9-10.

86 JORDAN, 2006, 41 : « En tant que catégorie, elle est fortement investie de notions diverses : péché, châtiment, responsabilité et faute. Cette catégorie n’a jamais prétendu être neutre et des-criptive, et il est douteux qu’une quelconque opération puisse la purifier de ses origines théologi-ques ».

87 FOUCAULT, 1975, 106-134 ; DEBUYST, DIGNEFFE, PIRÈS, 2008, 111-174.

88. BECCARIA, Cesare, 2009, Des délits et des peines. Dei delitti e delle pene, Lyon : ENS Éditions, 2009. Article 36. Il sera suivi par Jeremy Bentham qui consacre en 1785 un essai à la pédérastie, publié pour la première fois en 1931. BENTHAM, 2003 (1785), Essai sur la pédérastie, Montpel-lier : GKC.

89. GUICHARD, Auguste-Charles, 1792, Code de Police et Code criminel, 2 volumes, Paris : Gui-chard, vol. 2, 431.

90. Articles 29 et 30, idem, 450.

91. Article 31, ibidem, 451. Ce qui disparaît donc est l’empêchement juridique pour une femme de quitter la famille avec un homme. De fait cette loi dépossède partiellement l’autorité paternelle.

92. Article 33, ibidem, 451-452.

93. SIBALIS, Michal David., 1996, « The regulation of male homosexuality in Revolutionary and Napoleonic France. 1789-1815 », dans MERRICK J. et RAGAN B.T., (ed.), Homosexuality in

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ve elle aussi de la police correctionnelle, tout comme la gestion des délits, dont la première catégorie est celle des « délits contre les bonnes mœurs94 » :

« Ceux qui seraient prévenus d’avoir attenté publiquement aux bonnes mœurs, par ou-trage à la pudeur des femmes, par actions déshonnêtes, par exposition ou vente d’images obscènes, d’avoir favorisé la débauche, ou corrompu les jeunes gens de l’un ou l’autre sexe, pourront être saisis sur le champ95 »

Cette catégorie juridique large va donner naissance aux « outrages publics » du code napoléonien. Le Code pénal français de 181096 ne remet pas en cause la dépénalisation de la sodomie et de la bestialité. Par ces articles 330 à 335, il cir-conscrit en effet le domaine des « attentats aux mœurs » très clairement : c’est ce-lui de l’outrage public à la pudeur, du viol, mais aussi du viol sur les mineurs de moins de 15 ans, et de la corruption de mineur, autrement dit du proxénétisme.

La Restauration, en dépit de la réaction politique et morale qu’elle entraîne97, ne modifiera pas ces points. Il faut attendre la Monarchie de Juillet pour que, en 1832, une importante modification apparaisse, donnant le signal d’une série de réformes successives sur la pénalité du viol. Ces dernières amèneront notamment à élever le seuil de l’enfance en fixant un âge (11 ans en 1832) au-dessous duquel tout acte sexuel, même sans violence physique, sera considéré comme un viol98. Comme l’a bien montré Georges Vigarello, ces réformes ont participé à la trans-formation et à l’approfondissement de la sensibilité face au viol en définissant un espace pour les attentats à la pudeur sans violence, et ainsi pour la violence mo-rale99. Ce seuil sera à nouveau modifié en 1863 pour être porté à 13 ans. Cette pénalisation sera étendue aux personnes commettant un attentat à la pudeur sur un aliéné. Sur les autres points, le code ne subira aucune modification

Modern France, New York : Oxford University Press, 80-101 : 80-81. Comme le note Sibalis, ce silence ne relève pas tant d’une volonté franche de dépénalisation que des conséquences de la redéfinition de l’ontologie des illégalismes.

94. Articles 8 et 9 du Code de Police. Voir GUICHARD, Auguste-Charles, 1794, Code de police.

Deuxième édition, 3 volumes, Paris : Garnery, vol. 1, 39.

95 Article VIII du Code de police.

96. ANONYME, Code pénal de l’empire français. Édition conforme à celle de l’imprimerie impériale, 1810, Paris : Prieur, Belin, Merlin, 50-51.

97. Retour de la religion catholique comme religion d’État, loi sur la censure de la presse, loi sur le sacrilège.

98. DUVERGIER, J.-B., Code pénal annoté : édition de 1832, contenant l’indication des lois analogues, des arrêts et décisions judiciaires, les discussions sur la loi du 28 avril 1832 et les opinions des auteurs, A.

Guyot et Scribe, Paris, 1833.

99. VIGARELLO, 1998, Histoire du viol, XVIe-XIXe siècle, Paris : Seuil, 156-162.

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tielle : le domaine de la pénalité continuera à couvrir le scandale public, la violen-ce, et l’atteinte aux mineurs.

Autrement dit, en droit, tous les actes privés ayant lieu avec le consentement mutuel éclairé des protagonistes sont censés ne pas regarder la loi. L’intimité érotique semble alors protégée. Il ne faut cependant pas se leurrer sur cette libé-ralité. Le chef d’« outrage public à la pudeur », relevant d’une police dont Napoléon a fait un des fers de lance de l’ordre et du quadrillage social, est en effet suffi-samment large pour absorber les actes sur lequel le code est dorénavant muet, et c’est de facto ce qui se passe100. Le quadrillage policier des communautés homo-sexuelles existant depuis le XVIIIe siècle dans les grandes villes d’Europe101, pas-sant par la mise en place d’un « vaste réseau de renseignement »102, est bien connu103, comme celui du monde prostitutionnel, avant même le réglementaris-me qui s’épanouit sous la monarchie de Juillet104. Vern Bullough insiste ainsi sur l’usage répressif de l’outrage public par la police à l’égard des prostitués mascu-lins105. Il existe deux autres facteurs de rappel à l’ordre, l’un relevant de la police, l’autre de la demande familiale.

Premièrement, l’outrage public peut être indifféremment appliqué à ce qui est perçu comme de la débauche ou du libertinage remettant en cause les diffé-rentes normes de conduites traversant le corps social.

100. Micheal Sibalis a insisté sur le fait que cet usage des « attentats aux mœurs » pour crimina-liser les homosexuels se durcira sous le second Empire. SIBALIS, 1996, 96.

101. SIBALIS, 1996, 81, décrit le style de vie spécifique des « sodomites » dans les grandes villes d’Europe depuis le milieu du XVIIIème siècle, en citant les travaux de référence de Michel Rey sur le sujet.

102. REY, Michel, Rey, 1982, « Police et sodomie à paris au XVIIIème siècle : du péché au dé-sordre », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 29, 113-124 : 113.

103. Voir notamment REY, 1982. L’auteur a bien décrit la mise en place d’un réseau policier quadrillant la communauté « sodomite », qui commence au XVIIème siècle, en mettant en évi-dence qu’il ne s’agit pas d’une question de péché, mais d’un souci de contrôle de « la circulation des personnes dans l’espace parisien » (116), afin d’éviter l’extension d’un désordre par sa propagation sociale, permise par les rencontres entre individus de classes différentes (la sodomie est alors conçue comme un vice aristocratique qui risque de se propager au peuple), mais aussi dans une volonté de protection de la jeunesse et de la famille (118), qui visent elle aussi à éviter la propaga-tion. Voir aussi ARON, Jean-Paul, et KEMPF, Roger, 1978, Le Pénis et la démoralisation de l’Occident, Paris : Grasset, 44, pour la répression des homosexuels sous le premier Empire, et SIBALIS, 1996, 81, et 84-87 : « The original intention of revolutionary and napoleonic législa-tion was to control public acts, while leaving private ones alone. The prefect of police, however, punished even private sexual behavior that he judged scandalous or immoral », Idem, 94.

104. CORBIN, 1982 (1978), Les filles de noce. Misère sexuelle et prostitution au XIXe siècle, Paris : Aubier, 13-53.

105. BULLOUGH, Vern L., 1979, Homosexuality, a history, from ancient Greece to gay libération, New York : New American Library, 5.

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Deuxièmement, la demande familiale face au scandale ne peut, certes, plus passer par la voie des lettres de cachet abolies en 1790106, et qui sont dorénavant perçues comme des symboles de l’arbitraire monarchique, mais cette demande se perpétue à l’égard des membres causant un désordre familial par leurs conduites érotiques ou mettant en danger le patrimoine107. Elle ne disparaît pas sous le Premier Empire mais se transforme, passant à la fois par une demande de police, selon les mots de Michelle Perrot108, et pour les cas qui nous occupent par la demande de séquestration (asilaire) reposant sur l’interdiction (mise sous tutel-le109), qui concerne les cas d’aliénation.

Ainsi, la libéralité apparente du Code Napoléon représente un progrès dans l’histoire de l’intimité et de sa privatisation, mais ne doit pas laisser accroire que la société du Premier Empire est libérale sur les conduites sexuelles. La recher-che de l’ordre public et privé est au contraire effective, et restera une constante politique jusqu’à la fin du XIXe siècle. De plus, les anciens péchés de luxure ne disparaissent pas de l’espace social. Alain Corbin a en effet bien montré qu’ils ont pris, depuis le XIIe siècle, une place de plus en plus prépondérante, jusqu’à oc-cuper le haut de la hiérarchie peccamineuse dans la seconde moitié du

XIXe siècle110, ceci dans le cadre d’une tâche politique de l’Église qui cherche à faire front au développement d’un érotisme conjugal et de pratiques anticoncep-tionnelles111. C’est dans ce cadre surveillé et normé que la question du désordre

106. Qui constituaient auparavant un moyen par lesquel les familles pouvaient éloigner leurs membres fous, scandaleux ou importuns. Farge, Arlette, Foucault, Michel, 1982, Le désordre des familles, Paris : Gallimard Julliard. Turcot, Laurent, 2008, « Arrestation et encadrement du fou au XVIIIème siècle par la police parisienne », in Arveiller, J. (éd.), 2008, Psychiatries dans l’histoire, Caen : PUC, 365-374. On arrête le fou non par désir du roi, mais d’abord familial. L’auteur a étudié le cas parisien, et a bien montré comment la demande familiale était parfois motivée par bien peu de choses (voir notamment les pages 368-370).

107 Michel Rey a ainsi montré que les familles des sodomites réclamaient l’intervention policière, afin de protéger leur réputation. « La police se sert donc aussi de la famille et du quartier comme mailles d’un filet qui recouvre de plus en plus finement les conduites individuelles. Pour la pre-mière fois sans doute une population est systématiquement surveillée » REY, 1982, 123

108. « Mais souvent, aussi, la famille est complice et, en proie à ses propres doutes, ou affrontée à ses difficultés et à ses conflits internes, demandeuse de police. Si bien que le contrôle social n’est pas seulement la pesée d’un regard extérieur, l’efficace renforcée du panoptisme, mais un jeu infi-niment plus complexe de désirs et de plaintes », PERROT, Michelle, 1987, « Fonctions de la famille », in ARIES, Philippe, DUBY, Georges (ed.), 1987, Histoire de la vie privée. 4 : De la Révo-lution à la Grande Guerre, Paris : Seuil, 105-119 : 106.

109. Mesure de mise sous tutelle précédant le nouveau régime de tutellarisation défini en 1832, voir infra.

110. CORBIN, 2007, 253-254.

111. Idem, 182, 319, 332. Pour la question des pratiques anti-conceptionnelles dans le cadre de l’érotisme conjugal au XVIIIe siècle, voir FLANDRIN, Jean-Louis, 1981, « Contraception, maria-ge et relations amoureuses dans l’Occident chrétien », Le sexe et l’Occident. Évolution des attitudes et des comportements, Paris : Seuil, 109-149.

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érotique et de sa gestion aliéniste prend place, ce qui apparaît de manière exem-plaire dans le travail consacré à la nymphomanie par Henri Bayard.

Le titre même du texte de Bayard, Essai médico-légal sur l’utéromanie112, est éclairant ; celui de l’important mémoire de 1836 dans les Annales d’hygiène Publi-que113 l’est encore plus : « Examen médico-légal de cette question : la nymphomanie peut-elle être une cause d’interdiction, ou les faits qui tendraient à l’établir sont-ils non pertinents114 ? ». Bayard y pose deux questions solidaires, l’une nosographique, d’ordre médico-légale, qui sont strictement les parallèles dans le domaine civil de celles posées à la même époque aux aliénistes par les magistrats à la monomanie dans le domaine pénal115 :

« Première question – La nymphomanie (dépravation de l’instinct génital) peut-elle être considérée comme une variété de folie sans délire

Deuxième question – La nymphomanie peut-elle motiver la séquestration ou l’interdiction ? 116 »

La première question ne relève pas d’un simple problème de classification, et c’est de sa réponse que dépend la résolution de la seconde. Car, ici encore, les conduites concernées semblent appartenir à une série pratique alternative à la maladie, en l’occurrence la débauche : les phénomènes que l’homme de science groupe sous un syndrome de « nymphomanie » se donnent à voir comme liberti-nage aux yeux du vulgaire, et non comme perversion sexuelle pathologique117.

Il ne s’agit cependant en rien d’une difficulté « inventée » par des médecins désireux de s’approprier de nouveaux territoires, mais d’une problématique posée par la variabilité des conclusions des procès. Bayard rappelle en effet cette

112. BAYARD, 1836.

113. Qui reproduit les conclusions du premier mémoire, mais offre une réponse contextualisée à une affaire traitée par la Cour royale de Paris, les 20 et 27 février 1836.

114. BAYARD, 1837.

115. Voir POSTEL et POSTEL, 1988, 181-186 ; les auteurs rappellent page 182 que les deux questions posées à la monomanie homicide sont : 1. Peut-elle exister sans délire ? 2. Peut-elle être admise par la justice au bénéfice de l’article 64 ?

116. BAYARD, 1837, 419.

117. « De fait, comme de ceux que nous avons cités plus haut, où l’on voit des jeunes filles bien élevées se prostituer publiquement, devrait-on conclure que la nymphomanie n’est autre chose que le résumé d’actes de libertinage ? Cela nous paraît inadmissible, et nous espérons que la dis-cussion à laquelle nous nous sommes livrés pourra fournir quelques lumières sur la solution de cette question », idem, 439. Voir aussi, la page 435 : « Le devoir du magistrat devient dans un cas pareil très difficile à remplir, s’il n’est pas guidé par l’observation médicale de faits analogues ; car il sera porté à attribuer au libertinage des actes qui ne sont, comme nous l’avons déjà dit, que le résultat de la perversion du penchant à l’union sexuelle, et par suite, de la lésion de quelques une des facultés ».

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lité de traitement par les faits, en citant deux affaires respectivement instruites par les tribunaux de Laon et de Rochefort, menant dans le premier cas à une

lité de traitement par les faits, en citant deux affaires respectivement instruites par les tribunaux de Laon et de Rochefort, menant dans le premier cas à une

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