• Aucun résultat trouvé

Perte de poids, dénutrition et troubles cognitifs

Chapitre 3 – Facteurs nutritionnels et troubles cognitifs

3.1 Dénutrition et troubles cognitifs

3.1.5 Perte de poids, dénutrition et troubles cognitifs

En 1906, Alois Alzheimer avait remarqué que les patients atteints de ce que l’on appellerait plus tard la maladie d’Alzheimer perdaient du poids lentement et régulièrement. Cependant, la perte de poids qui accompagne la maladie d’Alzheimer a longtemps été négligée (337). Ce n’est qu’à la fin des années 80 et au début des années 90 que les chercheurs se sont intéressés à la différence de corpulence observée en clinique entre les personnes atteintes de la MA et les personnes indemnes. Les études transversales (338) et longitudinales (339) ont confirmé ce fait. Déjà, les chercheurs avaient noté que la différence de poids apparaissait très tôt au cours du syndrome démentiel (339). Dans ces premières études, la différence de corpulence n’était liée à ni une différence de niveau d’activité physique (338) ni à une différence de quantité énergétique totale ingérée (338,340). Cependant, un IMC faible était associé négativement aux Instrumental Activities of Daily Living (339). Certaines études ont montré l’effet négatif de l’hospitalisation sur la perte de poids (340) alors que d’autres n’ont pas trouvé d’effet de l’institutionnalisation sur celle-ci (338). La perte de poids ne serait pas liée non plus à la pathologie elle-même, les personnes démentes vivant chez elles présentaient un poids plus élevé et des plis cutanés plus épais que les personnes hospitalisées atteintes de la MA (340).

L’International Academy on Nutrition and Aging (IANA) a publié en 2007 une revue des études

prospectives analysant la relation entre la perte de poids et la MA (337). Les données épidémiologiques ont confirmé que la perte de poids affectait aussi les personnes dès les stades précoces de la maladie (337). White et al. ont suivi pendant plus de deux ans 362 personnes atteintes d’une forme légère à modérée de la MA et 317 témoins indemnes (341). Le poids était mesuré annuellement. Les résultats ont montré que la MA était le seul facteur qui prédisait la perte de poids dans cette population. Ces résultats ont été confirmés plus tard par une autre étude (342). D’autres

!

Facteurs psychosociaux et nutritionnels des troubles cognitifs en Afrique Centrale !

126 études ont montré que la perte de poids prédisait la survenue de la MA (337). L’étude de Barrett-Connor et al. publiée en 1996 est la première à avoir suggéré que la perte de poids pouvait précéder le diagnostic de la maladie (343). Les auteurs de cette étude ont suivi pendant 20 ans 299 personnes vivant à domicile. Leur poids a été mesuré à l’inclusion entre 1972-1974 puis en 1984-1987 et 1990-1993. Environ 50% des sujets qui ont développé une MA avaient perdu en moyenne 5 kg depuis l’inclusion, alors que seulement 25% des sujets sans trouble avaient perdu du poids. Une autre étude s’est intéressée à la relation entre l’IMC et le risque de démence d’après les données de la cohorte française PAQUID (344). Un total de 3 646 sujets âgés de 65 ans et plus indemnes de trouble cognitif à l’inclusion a été suivi pendant huit ans. Les résultats de cette étude ont montré que les sujets qui avaient un IMC inférieur à 21 kg/m2 présentaient un risque plus important de développer une démence pendant le suivi que ceux ayant un IMC compris entre 23 et 26 kg/m2 mais cette relation n’était plus significative une fois que les sujets ayant développé une démence dans les trois ans suivant l’inclusion avaient été exclus. Ces résultats suggèrent donc qu’un faible IMC serait un signe précoce de démence plutôt qu’un facteur de risque. Buchman et al. ont suivi 918 hommes du clergé indemnes de trouble cognitif à l’inclusion pendant une durée moyenne de 5,5 ans (345). La diminution de l’IMC était associée à un risque plus élevé de MA. Selon les auteurs, cette perte de poids reflèterait les processus pathologiques sous-tendant la maladie. Dans une étude issue de la cohorte Honolulu-Asia Aging Study, 1 890 hommes japonais-américains nés entre 1900 et 1919 ont été suivis pendant 32 ans et pesés à six reprises entre 1965 et 1999 (346). Le poids à l’inclusion et la variation du poids n’étaient pas différents les 26 premières années du suivi. En revanche, les deux groupes se distinguaient les six dernières années du suivi par une perte de poids significativement plus importante chez les sujets ayant développé une démence (3,5 kg) que chez ceux restés indemnes (1,3 kg). La perte de poids débuterait alors avant la survenue des symptômes cognitifs et pourrait donc être un symptôme précoce de la démence.

Depuis la revue de la littérature de l’IANA, d’autres études ont été publiées. Johnson et al. ont suivi pendant six ans 449 sujets âgés de 65 ans et plus (347). Tous les sujets ont perdu du poids au cours du suivi mais la perte s’accélérait une année avant le diagnostic de démence alors que la perte restait stable chez les sujets restés indemnes au cours du suivi. Shatenstein et al. ont suivi pendant une année 36 sujets atteints d’une forme légère de la MA et 58 témoins (348). Les patients âgés de 70 ans et plus atteints de MA étaient plus à risque de dénutrition évaluée par le Elderly Nutrition Screening Tool que les témoins. Knopman et al. ont étudié la relation entre la perte de poids et le risque de démence chez 481 sujets déments et 481 sujets non déments grâce à une étude cas-témoin rétrospective avec recueil du poids sur plus de 30 ans (349). Les cas et les témoins ne différaient pas

quant à leurs poids mesurés plus de 20 ans avant l’apparition des symptômes. Les résultats ont montré que seules les femmes présentaient une perte de poids significativement plus importante que les témoins au cours des 10 années précédant l’apparition des symptômes. Chez les hommes, les cas et les témoins ne différaient pas. Guérin et al. ont suivi 395 sujets atteints de la MA de la cohorte ELSA (Étude Longitudinale du suivi de la Maladie d’Alzheimer) pendant 2,5 ans en moyenne avec une évaluation du poids tous les six mois (336). Cette étude a révélé quatre facteurs associés à la perte de poids : un poids élevé à l’inclusion, un indice pronostique inflammatoire et nutritionnel élevé ainsi qu’un score élevé à Cohen-Mansfield agitation inventory, reflétant les symptômes comportementaux et psychologiques de la démence. La prise d’inhibiteur de la cholinestérase semblait protéger contre la perte de poids. Par ailleurs, une perte de poids rapide augmentait le risque de décès dans les six mois. Laitala et al. se sont intéressés à la relation entre la variation de l’IMC sur une période de six ans pendant la vie adulte des sujets et les performances cognitives évaluées à l’aide du TELE et du TICS 20 années plus tard à partir de la cohorte Finnish Twin Cohort Study (350). Selon cette étude, une diminution du poids de 2 kg/m2 pendant la vie adulte était associée à une diminution de 1,30 unités du score cognitif à un âge avancé. Par ailleurs, les sujets ayant pris 1,7 kg/m2 pendant la même période avaient également un score cognitif plus faible que les sujets sans variation de poids. Dans une autre étude longitudinale, Hansen et al. ont suivi pendant une année 268 sujets atteints de la MA (312). Les auteurs ont montré que l’augmentation d’une unité de l’IMC à l’inclusion augmentait le risque de perte de poids rapide (!4% en 1 an) de 9%. Les femmes auraient tendance par ailleurs à perdre plus de poids que les hommes. Le fait de vivre seul ou non influencerait le risque de perdre du poids et ce, différemment selon le sexe. Le fait de ne pas vivre seul protègerait les hommes contre la perte de poids mais augmenterait le risque chez les femmes. Soto et al. ont suivi pendant au maximum trois ans 414 sujets atteints probablement de la MA. Ils ont montré que la perte de poids était associée à un déclin cognitif plus rapide (313). Besser et al. ont montré une progression clinique de la maladie sur une année de suivi chez les sujets qui ont perdu au moins 4% de leur poids corporel au cours du suivi (314). Très récemment, une étude cas-témoin avec recueil rétrospectif des données n’a pas montré de différence anthropométrique entre 79 cas de MA de forme très légère et 93 témoins (351). Les cas avaient des scores de MNA légèrement plus faibles que les témoins mais les cas n’étaient pas plus à risque de dénutrition que les témoins. En revanche, les auteurs ont noté des différences sur le plan du statut en nutriments.

Les études mentionnées jusqu’ici ont été menées dans des pays occidentaux et industrialisés. La littérature sur la relation entre la dénutrition ou la perte de poids et la démence est encore rare dans les pays à faible et moyen revenus. Dans une étude transversale multicentrique menée dans sept pays

!

Facteurs psychosociaux et nutritionnels des troubles cognitifs en Afrique Centrale

!

128 (Chine, Cuba, Mexique, Venezuela, Pérou, République Dominicaine et Inde), la dénutrition, définie par un périmètre brachial inférieur à 21 cm, a été associée à une probabilité plus élevée de démence chez les personnes de 65 ans et plus et sa prévalence augmentait avec la sévérité de la démence (320). À partir de la même population, Taylor et al. ont montré que la démence et sa gravité étaient associées à la fois à un petit périmètre brachial, utilisé comme proxy de la masse maigre, et à un petit tour de taille, marqueur de masse grasse (352). En outre, Albanese et al. ont montré que le diagnostic de démence était indépendamment associé à la perte de poids rapportée par les personnes âgées et l'association était renforcée par la sévérité du syndrome démentiel (353). Une étude cas-témoins chinoise menée chez des sujets âgés de 55 ou plus a montré que la diminution de l'IMC et du tour de taille était associée au MCI amnésique et à la MA (354).

Sur le continent africain, une étude multicentrique transversale menée en Afrique Centrale (156) ainsi qu’une étude réalisée au Nigéria (24) ont observé qu’un IMC<18,5 kg/m2 était positivement associé à la démence. Une étude longitudinale menée également au Nigéria a révélé que la diminution de l'IMC augmentait les risques de MCI et de démence après 10 années de suivi (160). Une récente étude égyptienne a montré que les personnes MCI étaient plus à risque de dénutrition, évaluée par le MNA, que les personnes exemptes de trouble cognitif (158).

3.1.5 Conclusion

En résumé, la perte de poids est une caractéristique de la pathologie démentielle. D’après les données revues dans cette partie, la perte de poids serait une conséquence plutôt qu’une cause de démence. La perte de poids débuterait très précocement, dix années avant l’apparition des signes cliniques de la démence. Dépister cette perte de poids involontaire pourrait être un moyen facile et peu onéreux pour dépister les sujets à risque de développer des troubles cognitifs dans les quelques années qui suivent et permettre ainsi leur prise en charge précoce.