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Le changement de la personnalité, indicateur précoce des troubles cognitifs ?

Chapitre 2 – Facteurs psychosociaux et troubles cognitifs

2.2 Personnalité et troubles cognitifs

2.2.1 Historique et définition de la personnalité .1 Historique

2.2.2.1 Le changement de la personnalité, indicateur précoce des troubles cognitifs ?

Le diagnostic précoce d’une démence dégénérative accorde aux patients et aux familles davantage de temps pour planifier la prise en charge nécessaire au cours du déclin progressif qui accompagne le syndrome démentiel ; il permet également de mettre en place des actions de prévention afin de ralentir le processus (213). Une des voies suggérées est d’analyser les symptômes non cognitifs tels que les changements de la personnalité pouvant, comme nous le verrons, survenir précocement dans le processus démentiel et même avant l’apparition des symptômes cognitifs.

Une récente revue de la littérature a identifié neuf études publiées jusqu’en novembre 2009 analysant le changement de la personnalité au cours du processus démentiel à l’aide d’une des versions du NEO PI (214). La plupart d’entre elles utilisaient la MA comme variable d’intérêt. Seul le névrosisme augmentait entre 1 et 2 écart-types (ET) entre l’évaluation de la personnalité prémorbide (précédant les symptômes) faite par les informants et l’évaluation réalisée pendant le syndrome démentiel (personnalité actuelle). Les scores des autres dimensions diminuaient entre 2 et 3 ET pour la consciencieusité, entre 1 et 2 ET pour l’extraversion et de moins d’1 ET pour l’ouverture aux expériences et l’agréabilité. Les auteurs de cette revue concluent que le changement de la personnalité dans la MA suit un schéma constant avec une augmentation du névrosisme et une diminution des autres dimensions, notamment de la consciencieusité au cours du syndrome démentiel. Les auteurs suggèrent que le déclin marqué de la consciencieusité peut-être considéré comme une caractéristique précoce de la démence de type Alzheimer.

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Utilisant ce même modèle, de récentes études se sont intéressées au changement de la personnalité dans le MCI. Deux études cas-témoin suisses ont montré une diminution de la consciencieusité et de l’extraversion et une augmentation du névrosisme chez les sujets MCI alors que chez les témoins, les mêmes traits de la personnalité étaient stables (215,216). Les changements étaient principalement liés aux sous-échelles de l'anxiété, de la dépression, de la timidité sociale et de la vulnérabilité pour le névrosisme; de la chaleur, de l’activité, de la recherche de sensations, et des émotions positives pour l'extraversion; de la compétence, de l'ordre, et de l'autodiscipline pour la consciencieusité (215). Ces associations restaient significatives après prise en compte de la dépression. Selon les auteurs de ces études, la consciencieusité et l'ouverture aux expériences permettraient de discriminer les sujets MCI des sujets sains (215).

Trois autres études ont évalué le changement de la personnalité à l’aide du Brooks and McKinlay Personality Inventory (217–219). Cet inventaire décrit la personnalité à l’aide de 18 paires d’adjectifs décrivant les extrêmes de 18 attitudes et comportements (bavard/silencieux ; d’humeur égale/coléreux ; dépendant aux autres/fait les choses lui-même ; affectueux/froid ; adore la compagnie/n’aime pas la compagnie ; irritable/facile à vivre ; malheureux/heureux ; nerveux/calme ; énergique/sans énergie; a les pieds sur terre/est hors d’atteinte ; irréfléchi/prudent ; apathique/enthousiaste ; mature/puéril ; sensible/insensible ; cruel/gentil ; généreux/avare ; irraisonnable/raisonnable ; stable/changeant. Pour chaque paire d’adjectifs, l’informant doit évaluer la personnalité sur une échelle comptant cinq degrés de réponse allant de -2 (extrême négative du trait) à + 2 (extrême positive du trait), 0 désignant une position neutre. Les trois études ont montré que le score de la majorité des items (217,219) voire de tous les traits (218) diminuait entre la période prémorbide et la période morbide. Les proches des malades décrivaient majoritairement les patients comme davantage hors de portée, plus dépendants aux autres, plus puérils, plus déraisonnables, plus apathiques et plus malheureux pendant la maladie qu’avant (217–219).

D’autres études ont utilisé le Blessed Dementia Scale pour l’évaluation de la personnalité (213,220), dont une longitudinale (213). Le Blessed Dementia Scale contient une section « Changes in personality, interests, drive » qui compte 11 items : rigidité augmentée, égocentricité augmentée, diminution de la réponse émotionnelle, durcissement de l’affect, contrôle émotionnel altéré, perte d’intérêt pour les autres, délit sexuel, renoncement aux loisirs, apathie grandissante et hyperactivité sans but. Chaque item est noté comme présent ou absent. Les sujets déments deviennent surtout plus rigides, plus apathiques et ils ont tendance

à se replier sur eux-mêmes puisqu’ils renoncent à leur loisirs et leur égocentricité augmente (213,220). L’étude longitudinale a distingué trois groupes de sujets : ceux ayant une démence clinique, principalement MA, ceux n’ayant pas de symptôme clinique de démence mais présentant à leur décès des signes neuropathologiques de démence et ceux ne présentant aucun signe neuropathologique ou clinique de démence. Les deux premiers groupes manifestaient des changements de la personnalité alors que le troisième n’en montrait que très peu. Ces résultats suggèrent donc que le changement de la personnalité intervient avant même l’apparition des symptômes cliniques de démence. Ceci a un intérêt tout particulier car l’évaluation du changement de personnalité pourrait être un moyen de dépistage précoce de la démence.

De très récentes études ont montré que le changement de certains traits de la personnalité

permettait de différencier les types de démence (221–223). Sollberger et al. ont comparé 188

sujets déments dont 67 avaient une démence frontotemporale à variante comportementale (DFTvc), 40 une démence sémantique et 81 une MA (221). Les personnalités prémorbide et

morbide ont été évaluées par les informants à l’aide de l’Interpersonal Adjective Scale basé

sur le modèle circomplexe de personnalité. Les patients ayant une DFTvc ou une démence sémantique se différenciaient des patients MA par la diminution progressive des scores d'extraversion, de chaleur et d'ingéniosité et l'augmentation de la rigidité interpersonnelle. À tous les stades de la maladie, c’était le manque de chaleur qui différenciait le mieux les sujets atteints de la MA de ceux atteints des autres types de démence. Ces changements apparaissaient dès les stades très précoces de la maladie et ils étaient par ailleurs associés à la sévérité de la maladie.

Lykou et al. ont analysé chez 42 sujets, dont 8 avaient une DFTvc, 17 une MA et 17 des

aMCI, le changement de la personnalité évaluée à l’aide du Trait Personality Questionnaire

qui mesure les cinq dimensions du modèle à cinq facteurs (222). Le score d’ouverture aux expériences ne changeait pas significativement dans chacun des groupes de patients. Le score de consciencieusité diminuait dans chaque groupe mais après l’apparition des symptômes cognitifs, il était plus faible chez les sujets aMCI que chez les sujets atteints de la MA, qui avaient eux-mêmes des scores plus faibles que les sujets atteints d’une DFTvc. Le score d’extraversion diminuait également significativement dans chaque groupe mais les scores étaient jugés cliniquement bas pour les groupes MA et DFTvc. Le score d’agréabilité diminuait significativement uniquement dans le groupe MA. Le score du névrosisme augmentait dans les groupes aMCI et MA mais en revanche, il diminuait dans le groupe

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DFTvc. Cette étude montre donc un changement de la personnalité dès le stade MCI, phase prodromale de la MA. Selon cette étude, l’évolution des scores d’agréabilité et du névrosisme permettrait de différencier la MA de la DFTvc.

Une très récente étude argentine publiée par Torrente et al. s’est intéressée au changement de la personnalité évaluée à l’aide du NEO PI chez 19 sujets atteints de la MA, 16 sujets atteints de DFTvc, et 15 sujets ayant une aphasie primaire progressive (223). Dans le groupe MA, le score du névrosisme augmentait, alors que les scores de la consciencieusité et de l'extraversion diminuaient. Dans le groupe DFTvc, les scores d'extraversion, d'ouverture aux expériences et de consciencieusité diminuaient. Dans le groupe aphasie, le névrosisme augmentait alors que l'extraversion, l'ouverture aux expériences et la consciencieusité diminuaient. Selon les auteurs, l’évolution des scores d’ouverture aux expériences et du névrosisme permettrait de discriminer les différents types de démence. Par ailleurs, les auteurs ont étudié le changement de chaque facette. Dans le groupe MA, toutes les facettes du névrosisme augmentaient, exceptée la timidité sociale. Pour l'extraversion, l’assertivité, l'activité et les émotions positives diminuaient significativement. Toutes les facettes de la consciencieusité diminuaient. Dans le groupe DFTvc, pour l'extraversion, l'assertivité, l'activité et la recherche de nouveauté diminuaient significativement. Pour l'ouverture aux expériences, seule l'idée diminuait. Toutes les facettes de la consciencieusité diminuaient aussi, excepté l'ordre et la délibération. Pour le groupe aphasique, toutes les facettes du névrosisme augmentaient. Toutes celles de l'extraversion diminuaient sauf la chaleur et la recherche de sensations. Pour l'ouverture aux expériences, juste l'action et les valeurs diminuaient. Pour la consciencieusité, toutes les facettes diminuaient sauf l’ordre et la recherche de réussite.

L’ensemble de ces données convergent vers la même conclusion : la démence quelle que soient son étiologie s’accompagne d’un changement de la personnalité, changement qui survient avant même l’apparition des signes cliniques. Le changement semble suivre un schéma constant mais spécifique aux différents types de démence. Le changement de personnalité peut donc être envisagé comme un symptôme très précoce de la démence. Par conséquent, le dépister pourrait permettre de préparer la prise en charge de cette pathologie.

2.2.2.2 La personnalité prémorbide, facteur de risque des